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- AmaliahEmpereur
En conclusion de son devoir de lecture sur un récit évoquant les camps de concentration, une élève de 3° me rajoute ceci:
"En aparté:
Cependant d'autres monstruosités infligées à d'autres peuples, comme par exemple le génocide arménien qui a été infligé par les Turcs, ne sont pas autant évoquées que l'extermination des Juifs. Pourquoi donc?"
Que répondre?
Spontanément, je dirais que le massacre organisé dans les camps de concentration a atteint le paroxysme de la barbarie dans la mesure où il s'agissait d'une véritable organisation systématique pour laquelle les Nazis ont utilisé tous les moyens modernes, techniques dont ils disposaient. Il s'agit également du massacre le plus important quant au nombre de victimes - Juifs, homosexuels, opposants politiques...
Mais je ne réponds pas vraiment à la question de l'élève.
Se sent-on plus concerné par le génocide du peuple juif parce qu'il s'est passé en Europe et que les Français ont connu de sombres heures alors que le génocide arménien ou au Rwanda sont plus éloignés de nous et que nous nous sentons moins responsables ?
Pourquoi a-t-on plus écrit sur les camps de concentration que sur les autres génocides? Peut-être est-il plus difficile d'écrire sur une tragédie qui se déroule à l'intérieur d'un seul pays? Peut-être par volonté de réconciliation après le génocide?
Si je réfléchis aux titres que je connais sur les autres génocides, je suis forcée de constater que je n'en connais quasiment aucun, à part J'irai avec toi par mille collines (Rwanda).
Qu'en pensez-vous? Je vais réfléchir à la question et aller faire quelques petites lectures pendant les vacances...
"En aparté:
Cependant d'autres monstruosités infligées à d'autres peuples, comme par exemple le génocide arménien qui a été infligé par les Turcs, ne sont pas autant évoquées que l'extermination des Juifs. Pourquoi donc?"
Que répondre?
Spontanément, je dirais que le massacre organisé dans les camps de concentration a atteint le paroxysme de la barbarie dans la mesure où il s'agissait d'une véritable organisation systématique pour laquelle les Nazis ont utilisé tous les moyens modernes, techniques dont ils disposaient. Il s'agit également du massacre le plus important quant au nombre de victimes - Juifs, homosexuels, opposants politiques...
Mais je ne réponds pas vraiment à la question de l'élève.
Se sent-on plus concerné par le génocide du peuple juif parce qu'il s'est passé en Europe et que les Français ont connu de sombres heures alors que le génocide arménien ou au Rwanda sont plus éloignés de nous et que nous nous sentons moins responsables ?
Pourquoi a-t-on plus écrit sur les camps de concentration que sur les autres génocides? Peut-être est-il plus difficile d'écrire sur une tragédie qui se déroule à l'intérieur d'un seul pays? Peut-être par volonté de réconciliation après le génocide?
Si je réfléchis aux titres que je connais sur les autres génocides, je suis forcée de constater que je n'en connais quasiment aucun, à part J'irai avec toi par mille collines (Rwanda).
Qu'en pensez-vous? Je vais réfléchir à la question et aller faire quelques petites lectures pendant les vacances...
- Thalia de GMédiateur
Se sent-on plus concerné par le génocide du peuple juif parce qu'il s'est passé en Europe et que les Français ont connu de sombres heures alors que le génocide arménien ou au Rwanda sont plus éloignés de nous et que nous nous sentons moins responsables ?
Pourquoi a-t-on plus écrit sur les camps de concentration que sur les autres génocides?
Peut-être est-il plus difficile d'écrire sur une tragédie qui se déroule à l'intérieur d'un seul pays? Peut-être par volonté de réconciliation après le génocide?
Si je réfléchis aux titres que je connais sur les autres génocides, je suis forcée de constater que je n'en connais quasiment aucun, à part J'irai avec toi par mille collines (Rwanda).
Qu'en pensez-vous? Je vais réfléchir à la question et aller faire quelques petites lectures pendant les vacances...
Je crois que l'argument de proximité géographique est effectivement exact.
Je ne manque pas, lorsque j'évoque le génocide de rappeler le Rwanda ( Une saison de machettes clic ), l'Arménie, le Cambodge, et plus récemment encore l'ex-Yougoslavie et le massacre de Srebrenica.
Je ne connais pas vraiment de titres sur ces événements qui témoignent de la barbarie humaine.
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Le printemps a le parfum poignant de la nostalgie, et l'été un goût de cendres.
Soleil noir de mes mélancolies.
- KakHabitué du forum
- géographie
-ampleur de ce génocide
- implication de plusieurs pays
- implication de certains français
- conséquences historiques et politiques
- génocide érigé en système
...etc
ce qui n'empêche pas d'évoquer à l'occasion d'un texte sur la Shoah les autres génocides antérieurs et postérieurs à celui-ci
-ampleur de ce génocide
- implication de plusieurs pays
- implication de certains français
- conséquences historiques et politiques
- génocide érigé en système
...etc
ce qui n'empêche pas d'évoquer à l'occasion d'un texte sur la Shoah les autres génocides antérieurs et postérieurs à celui-ci
- lenidjiNiveau 8
La proximité géographique, certes. Mais enfin, dans le cas du génocide arménien et du génocide rwandais, on ne peut pas dire non plus que l'Europe n'ait pas été impliquée, plus ou moins directement.
Elle pose une très bonne question cette petite, elle a tout à fait raison de la poser. Le principal "argument" des antisémites, c'est de dire que les Juifs sont intouchables etc. Ce serait une bonne chose de rétablir l'équilibre en étudiant les autres génocides du XXème siècle, ne serait-ce que parce que cela couperait l'herbe sous le pied des antisémites.
Le cas du génocide arménien est un peu particulier dans la mesure où il est toujours nié par l'état turc et que lorsque l'on a des élèves d'origine turque, le sujet est délicat à aborder. Il y a quelque temps, un élève avait écrit: "le génocide arménien n'existe pas et s'il avait existé il aurait été mérité"... C'est pourquoi, à mon avis, il est important dans ce cas précis d'aborder les faits tout en parlant des nombreux "justes" Turcs... Pourquoi ne pas partir d'un poème de Nazim Hikmet sur le génocide Arménien, par exemple...
Elle pose une très bonne question cette petite, elle a tout à fait raison de la poser. Le principal "argument" des antisémites, c'est de dire que les Juifs sont intouchables etc. Ce serait une bonne chose de rétablir l'équilibre en étudiant les autres génocides du XXème siècle, ne serait-ce que parce que cela couperait l'herbe sous le pied des antisémites.
Le cas du génocide arménien est un peu particulier dans la mesure où il est toujours nié par l'état turc et que lorsque l'on a des élèves d'origine turque, le sujet est délicat à aborder. Il y a quelque temps, un élève avait écrit: "le génocide arménien n'existe pas et s'il avait existé il aurait été mérité"... C'est pourquoi, à mon avis, il est important dans ce cas précis d'aborder les faits tout en parlant des nombreux "justes" Turcs... Pourquoi ne pas partir d'un poème de Nazim Hikmet sur le génocide Arménien, par exemple...
- JohnMédiateur
Je crois que le nombre de Juifs exterminés en fait le génocide le plus meurtrier."En aparté:
Cependant d'autres monstruosités infligées à d'autres peuples, comme par exemple le génocide arménien qui a été infligé par les Turcs, ne sont pas autant évoqués que l'extermination des Juifs. Pourquoi donc?"
Je ne dirais pas qu'on parle trop du génocide juif, je dirais qu'on ne parle pas assez des autres génocides : Cambodge, Rwanda, Arménie, ex-Yougoslavie...
D'autre part, c'est la raison pour laquelle on parle désormais de génocide et non plus de la shoah pour qualifier l'extermination de masse des nazis : le génocide avait aussi pour cibles les tziganes, notamment.
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- sandmanNiveau 10
La proximité géographique et l'implication française sont un début d'explication je pense.
De plus, le terme génocide lui-même a été crée en 1944 pour caractériser le massacre perpétré par les nazis.
L'ONU a par la suite reconnu 4 génocides dans le monde :le génocide arménien, le génocide juif, le génocide des Tutsis et le massacre de Srebrenica.
Bernard Bruneteau (mon ancien prof de contempo) est un spécialiste de la question, en particulier avec ce livre :
De plus, le terme génocide lui-même a été crée en 1944 pour caractériser le massacre perpétré par les nazis.
L'ONU a par la suite reconnu 4 génocides dans le monde :le génocide arménien, le génocide juif, le génocide des Tutsis et le massacre de Srebrenica.
Bernard Bruneteau (mon ancien prof de contempo) est un spécialiste de la question, en particulier avec ce livre :
- lenidjiNiveau 8
Si ça intéresse quelqu'un, j'ai monté un dossier Lettres/histoire sur le génocide arménien. J'y ai fait un "résumé" historique et j'y ai ajouté des textes littéraires qui peuvent être travaillés en français, des documents qui peuvent servir de point de départ en histoire... Je le tiens à votre disposition.
Au XXème, il y a aussi le génocide Héréro dont on ne parle jamais...
Sinon, tout à fait d'accord avec John pour dire qu'il ne faut pas moins parler des crimes nazis mais simplement plus parler des autres...
Au XXème, il y a aussi le génocide Héréro dont on ne parle jamais...
Sinon, tout à fait d'accord avec John pour dire qu'il ne faut pas moins parler des crimes nazis mais simplement plus parler des autres...
- lenidjiNiveau 8
sandman a écrit:La proximité géographique et l'implication française sont un début d'explication je pense.
De plus, le terme génocide lui-même a été crée en 1944 pour caractériser le massacre perpétré par les nazis.
L'ONU a par la suite reconnu 4 génocides dans le monde :le génocide arménien, le génocide juif, le génocide des Tutsis et le massacre de Srebrenica.
Bernard Bruneteau (mon ancien prof de contempo) est un spécialiste de la question, en particulier avec ce livre :
Ce livre m'intéresse, merci. Cependant, il me semble que le terme génocide a été créé par Rafael Lemkin pour qualifier le génocide juif et le génocide arménien. Qu'en est-il?
- CondorcetOracle
"Cependant d'autres monstruosités infligées à d'autres peuples, comme par exemple le génocide arménien qui a été infligé par les Turcs, ne sont pas autant évoqués que l'extermination des Juifs. Pourquoi donc?"
Cette question amène directement à réfléchir aux modalités d'élaboration de la mémoire collective des peuples, à sa transmission, à sa portée aussi. Le premier point appelle une réflexion sur la construction de l'information par les médias qui jouent un grand rôle dans la prise de conscience ou non de l'ampleur du génocide. L'horreur vécue par les survivants, l'irreprésentabilité du génocide (destruction de la preuve par les coupables, images fragmentaires) déterminent le temps de la stupeur pendant lequel le génocide est vu pour son caractère spectaculaire et non dans ses fondements. Ce versant émotionnel survient bien avant que les victimes du génocide commencent à le raconter et à préciser la nature du génocide.
La création d'une juridiction spéciale à Nuremberg et du "crime contre l'humanité" largement médiatisée, la circulation des photos prises dans les camps libérés par les Alliés, le procès Eichmann ont largement contribué à faire connaître la Shoah.
Le deuxième point interroge les films d'histoire, les musées, les écoles et leur rôle essentiel dans la construction de l'évènement en tant que tel. En France, Nuit et brouillard d'Alain Resnais et Shoah de Claude Lanzmann ont donné au grand public une conscience aiguë de l'ampleur de la Shoah. La parole des témoins, le récit des survivants comme Robert Antelme ou Primo Levi , l'action militante des historiens comme Pierre Vidal-Naquet contre les "fossoyeurs de la mémoire" assoient la Shoah comme un évènement à part entière.
Le troisième point touche à la fois à la "vie ultérieure de l'événement", une fois les derniers témoins mais aussi aux hiérarchies mémorielles qui s'établissent entre les génocides. Incrédules devant l'ampleur du génocide rwandais, les médias occidentaux ne l'ont pas compris, ne l'ont montré que sous son versant émotionnel, n'ont pu traduire "l'assourdissant silence qui accompagnent les génocides" et surtout passer outre la difficulté de la preuve par l'image. A contrario, la large couverture du procès de Nuremberg et de celui d'Eichmann, filmés pour la postérité a permis de poser les assises juridiques, internationales de la gravité de l'événement.
Le génocide arménien noyé parmi les tragédies de la Première guerre mondiale n'a pu s'appuyer sur une instance supranationale (la Société des nations avait certes créé la Cour permanente de justice internationale mais le génocide commis par un pays à l'encontre de sa population n'entrait pas ses attributions). Enfin, la reconnaissance du génocide par le bourreau (geste de Willy Brandt devant le ghetto de Varsovie en 1970) alors même que le gouvernement turc nie le génocide arménien, que le gouvernement français ne s'étend guère sur le génocide des tsiganes et éprouve la mauvaise conscience de la puissance néo-coloniale au Rwanda, joue un rôle essentiel.
Cette question amène directement à réfléchir aux modalités d'élaboration de la mémoire collective des peuples, à sa transmission, à sa portée aussi. Le premier point appelle une réflexion sur la construction de l'information par les médias qui jouent un grand rôle dans la prise de conscience ou non de l'ampleur du génocide. L'horreur vécue par les survivants, l'irreprésentabilité du génocide (destruction de la preuve par les coupables, images fragmentaires) déterminent le temps de la stupeur pendant lequel le génocide est vu pour son caractère spectaculaire et non dans ses fondements. Ce versant émotionnel survient bien avant que les victimes du génocide commencent à le raconter et à préciser la nature du génocide.
La création d'une juridiction spéciale à Nuremberg et du "crime contre l'humanité" largement médiatisée, la circulation des photos prises dans les camps libérés par les Alliés, le procès Eichmann ont largement contribué à faire connaître la Shoah.
Le deuxième point interroge les films d'histoire, les musées, les écoles et leur rôle essentiel dans la construction de l'évènement en tant que tel. En France, Nuit et brouillard d'Alain Resnais et Shoah de Claude Lanzmann ont donné au grand public une conscience aiguë de l'ampleur de la Shoah. La parole des témoins, le récit des survivants comme Robert Antelme ou Primo Levi , l'action militante des historiens comme Pierre Vidal-Naquet contre les "fossoyeurs de la mémoire" assoient la Shoah comme un évènement à part entière.
Le troisième point touche à la fois à la "vie ultérieure de l'événement", une fois les derniers témoins mais aussi aux hiérarchies mémorielles qui s'établissent entre les génocides. Incrédules devant l'ampleur du génocide rwandais, les médias occidentaux ne l'ont pas compris, ne l'ont montré que sous son versant émotionnel, n'ont pu traduire "l'assourdissant silence qui accompagnent les génocides" et surtout passer outre la difficulté de la preuve par l'image. A contrario, la large couverture du procès de Nuremberg et de celui d'Eichmann, filmés pour la postérité a permis de poser les assises juridiques, internationales de la gravité de l'événement.
Le génocide arménien noyé parmi les tragédies de la Première guerre mondiale n'a pu s'appuyer sur une instance supranationale (la Société des nations avait certes créé la Cour permanente de justice internationale mais le génocide commis par un pays à l'encontre de sa population n'entrait pas ses attributions). Enfin, la reconnaissance du génocide par le bourreau (geste de Willy Brandt devant le ghetto de Varsovie en 1970) alors même que le gouvernement turc nie le génocide arménien, que le gouvernement français ne s'étend guère sur le génocide des tsiganes et éprouve la mauvaise conscience de la puissance néo-coloniale au Rwanda, joue un rôle essentiel.
- CondorcetOracle
http://www.histoiredesmedias.com/-05-Shoah-et-genocides-Medias-.html
Le Temps des médias, 5, automne 2005, "Shoah et génocides. Médias, mémoire, histoire".
Pour résumer à ton élève de 3ème, tu peux expliquer qu'un évènement nous est connu parce qu'il a été prouvé qu'il avait eu lieu, avait été raconté par celles et ceux qui l'ont vécu, puis étudié par les historiens.
Les contextes de 1915 ou de 1994 ont été moins favorables à une prise de conscience universelle génocidaire que celui de 1945. Même déformée, parcellaire, la mémoire du génocide juif, portée par une volonté internationale (Nuremberg, crime contre l'humanité) et une large médiatisation lui a permis de trouver une place particulière dans l'histoire mondiale. Le statut des Etats représentant les victimes des génocides joue aussi beaucoup : création d''Israël en 1948 (mémorial de Yad Vashem inauguré en 1953), faiblesse de l'Etat rwandais meurtri par le génocide Tutsi par les Hutus et confronté à la nécessité d'une réconciliation nationale, farouche dénégation de l'Etat turc face au génocide arménien et jeunesse de l'Etat arménien qui l'empêche de faire reconnaître le génocide, indifférence de l'Etat français face au sort des Tsiganes.
En conclusion, tu peux aussi l'inviter à réfléchir de manière simple à son rapport à la connaissance. D'où provient ce que je sais d'un événement proche ou lointain ? De mes parents ? De l'école ? D'Internet ? D'autres médias (la télévision, la presse écrite) ? Que m'apporte la confrontation des sources ?
Enfin, tu termineras en rappelant un fait simple : il ne suffit pas d'un événement ait lieu pour que nous le connaissions, il faut qu'il soit raconté à suffisamment de personnes pour que ce récit nous soit transmis et intéresse. L'argument de la proximité (géographique, émotionnelle, sociale, historique) évoqué par Amaliah et Thalia de G. prend alors tout son sens : le fait que la Shoah ait été perpétré par un peuple cultivé, industrieux et de manière industrielle là où les Lumières avaient connu leur heure de gloire a plus frappé d'horreur les Européens qui ont pu le relier à leur savoir scolaire et civique que le génocide turc ou rwandais qui n'ont pas trouvé de puissants relais dans leurs esprits. La population turque n'a pas pu effectuer un travail de mémoire refusé par l'Etat turc et l'Etat rwandais est encore trop jeune pour imposer la reconnaissance inconditionnelle du génocide rwandais.
Le Temps des médias, 5, automne 2005, "Shoah et génocides. Médias, mémoire, histoire".
Pour résumer à ton élève de 3ème, tu peux expliquer qu'un évènement nous est connu parce qu'il a été prouvé qu'il avait eu lieu, avait été raconté par celles et ceux qui l'ont vécu, puis étudié par les historiens.
Les contextes de 1915 ou de 1994 ont été moins favorables à une prise de conscience universelle génocidaire que celui de 1945. Même déformée, parcellaire, la mémoire du génocide juif, portée par une volonté internationale (Nuremberg, crime contre l'humanité) et une large médiatisation lui a permis de trouver une place particulière dans l'histoire mondiale. Le statut des Etats représentant les victimes des génocides joue aussi beaucoup : création d''Israël en 1948 (mémorial de Yad Vashem inauguré en 1953), faiblesse de l'Etat rwandais meurtri par le génocide Tutsi par les Hutus et confronté à la nécessité d'une réconciliation nationale, farouche dénégation de l'Etat turc face au génocide arménien et jeunesse de l'Etat arménien qui l'empêche de faire reconnaître le génocide, indifférence de l'Etat français face au sort des Tsiganes.
En conclusion, tu peux aussi l'inviter à réfléchir de manière simple à son rapport à la connaissance. D'où provient ce que je sais d'un événement proche ou lointain ? De mes parents ? De l'école ? D'Internet ? D'autres médias (la télévision, la presse écrite) ? Que m'apporte la confrontation des sources ?
Enfin, tu termineras en rappelant un fait simple : il ne suffit pas d'un événement ait lieu pour que nous le connaissions, il faut qu'il soit raconté à suffisamment de personnes pour que ce récit nous soit transmis et intéresse. L'argument de la proximité (géographique, émotionnelle, sociale, historique) évoqué par Amaliah et Thalia de G. prend alors tout son sens : le fait que la Shoah ait été perpétré par un peuple cultivé, industrieux et de manière industrielle là où les Lumières avaient connu leur heure de gloire a plus frappé d'horreur les Européens qui ont pu le relier à leur savoir scolaire et civique que le génocide turc ou rwandais qui n'ont pas trouvé de puissants relais dans leurs esprits. La population turque n'a pas pu effectuer un travail de mémoire refusé par l'Etat turc et l'Etat rwandais est encore trop jeune pour imposer la reconnaissance inconditionnelle du génocide rwandais.
- CondorcetOracle
lenidji a écrit:Si ça intéresse quelqu'un, j'ai monté un dossier Lettres/histoire sur le génocide arménien. J'y ai fait un "résumé" historique et j'y ai ajouté des textes littéraires qui peuvent être travaillés en français, des documents qui peuvent servir de point de départ en histoire... Je le tiens à votre disposition.
Au XXème, il y a aussi le génocide Héréro dont on ne parle jamais...
Sinon, tout à fait d'accord avec John pour dire qu'il ne faut pas moins parler des crimes nazis mais simplement plus parler des autres...
Itou. En contextualisant et expliquant chacun des génocides.
- lenidjiNiveau 8
Amaliah a écrit:En conclusion de son devoir de lecture sur un récit évoquant les camps de concentration, une élève de 3° me rajoute ceci:
"En aparté:
Cependant d'autres monstruosités infligées à d'autres peuples, comme par exemple le génocide arménien qui a été infligé par les Turcs, ne sont pas autant évoqués que l'extermination des Juifs. Pourquoi donc?"
Ce qu'écrit ton élève mériterait aussi que tu rebondisses sur le terme "les Turcs". De même que les génocides juifs et tsiganes n'ont pas été commis par "les" Allemands mais par le régime nazi, il me semble important aussi de préciser que le génocide arménien n'a pas été commis par "les" Turcs mais par le régime Jeune-Turc, un régime laïc.
- CondorcetOracle
lenidji a écrit:Si ça intéresse quelqu'un, j'ai monté un dossier Lettres/histoire sur le génocide arménien. J'y ai fait un "résumé" historique et j'y ai ajouté des textes littéraires qui peuvent être travaillés en français, des documents qui peuvent servir de point de départ en histoire... Je le tiens à votre disposition.
Au XXème, il y a aussi le génocide Héréro dont on ne parle jamais...
Sinon, tout à fait d'accord avec John pour dire qu'il ne faut pas moins parler des crimes nazis mais simplement plus parler des autres...
C'est dommage car il est la matrice ou tout du moins le précurseur des génocides du XXe siècle.
- CondorcetOracle
lenidji a écrit:La proximité géographique, certes. Mais enfin, dans le cas du génocide arménien et du génocide rwandais, on ne peut pas dire non plus que l'Europe n'ait pas été impliquée, plus ou moins directement.
Elle pose une très bonne question cette petite, elle a tout à fait raison de la poser. Le principal "argument" des antisémites, c'est de dire que les Juifs sont intouchables etc. Ce serait une bonne chose de rétablir l'équilibre en étudiant les autres génocides du XXème siècle, ne serait-ce que parce que cela couperait l'herbe sous le pied des antisémites.
Le cas du génocide arménien est un peu particulier dans la mesure où il est toujours nié par l'état turc et que lorsque l'on a des élèves d'origine turque, le sujet est délicat à aborder. Il y a quelque temps, un élève avait écrit: "le génocide arménien n'existe pas et s'il avait existé il aurait été mérité"... C'est pourquoi, à mon avis, il est important dans ce cas précis d'aborder les faits tout en parlant des nombreux "justes" Turcs... Pourquoi ne pas partir d'un poème de Nazim Hikmet sur le génocide Arménien, par exemple...
Historiographiquement et plus simplement historiquement, la question est très féconde. Pour son âge, elle fait preuve d'une belle maturité qui suscite les plus grands espoirs.
- AmaliahEmpereur
Un grand merci pour vos réponses détaillées qui donnent à réfléchir et me permettront de bien répondre à l'élève qui pose effectivement une très bonne question.
Lenidji, ton dossier m'intéresse beaucoup. je te laisse mon mail: lizat11@hotmail.fr.
Un grand merci pour la proposition.
C'est en effet une excellente élève qui a un an d'avance, 18,5 de moyenne générale au premier trimestre (avec un petit 13 en EPS qui lui fait baisser sa moyenne! ), très mature et très réfléchie, qui parle anglais et arabe couramment et qui est en classe bilangue allemand - et très jolie de surcroît!
lenidji a écrit:Si ça intéresse quelqu'un, j'ai monté un dossier Lettres/histoire sur le génocide arménien. J'y ai fait un "résumé" historique et j'y ai ajouté des textes littéraires qui peuvent être travaillés en français, des documents qui peuvent servir de point de départ en histoire... Je le tiens à votre disposition.
Au XXème, il y a aussi le génocide Héréro dont on ne parle jamais...
Sinon, tout à fait d'accord avec John pour dire qu'il ne faut pas moins parler des crimes nazis mais simplement plus parler des autres...
Lenidji, ton dossier m'intéresse beaucoup. je te laisse mon mail: lizat11@hotmail.fr.
Un grand merci pour la proposition.
condorcet a écrit:lenidji a écrit:La proximité géographique, certes. Mais enfin, dans le cas du génocide arménien et du génocide rwandais, on ne peut pas dire non plus que l'Europe n'ait pas été impliquée, plus ou moins directement.
Elle pose une très bonne question cette petite, elle a tout à fait raison de la poser. Le principal "argument" des antisémites, c'est de dire que les Juifs sont intouchables etc. Ce serait une bonne chose de rétablir l'équilibre en étudiant les autres génocides du XXème siècle, ne serait-ce que parce que cela couperait l'herbe sous le pied des antisémites.
Le cas du génocide arménien est un peu particulier dans la mesure où il est toujours nié par l'état turc et que lorsque l'on a des élèves d'origine turque, le sujet est délicat à aborder. Il y a quelque temps, un élève avait écrit: "le génocide arménien n'existe pas et s'il avait existé il aurait été mérité"... C'est pourquoi, à mon avis, il est important dans ce cas précis d'aborder les faits tout en parlant des nombreux "justes" Turcs... Pourquoi ne pas partir d'un poème de Nazim Hikmet sur le génocide Arménien, par exemple...
Historiographiquement et plus simplement historiquement, la question est très féconde. Pour son âge, elle fait preuve d'une belle maturité qui suscite les plus grands espoirs.
C'est en effet une excellente élève qui a un an d'avance, 18,5 de moyenne générale au premier trimestre (avec un petit 13 en EPS qui lui fait baisser sa moyenne! ), très mature et très réfléchie, qui parle anglais et arabe couramment et qui est en classe bilangue allemand - et très jolie de surcroît!
- AmaliahEmpereur
Merci pour le document Lenidji! C'est super sympa!Je viens de te l'envoyer Amaliah, ainsi qu'à une autre neoprofinaute qui me l'a demandé par mp. Je n'arrive pas à le mettre sur le forum...
- RikkiMonarque
Je trouve vos questionnements intéressants, mais je suis un peu inquiète parfois de voir que, par souci légitime de "n'oublier personne" et de rendre compte de tous les massacres, pires les uns que les autres, de l'histoire, nos enfants finissent par avoir des cours d'histoire qui sont des cours d'histoire des victimes.
C'est frappant dans les manuels et programmes, même du primaire : au XIXe siècle, les ouvriers, les femmes, les peuples colonisés sont évoqués. Mais on n'étudie plus du tout la Restauration, les différentes révolutions, ni les républiques, ni la guerre de 1870, ni la Commune de Paris !
Il est vrai qu'on ne peut pas "tout faire", et qu'on se trouve devant des arbitrages problématiques.
J'ai parfois l'impression, cependant, qu'à vouloir s'éloigner d'une certaine histoire héroïque, qui était l'histoire des vainqueurs, on construit une histoire des victimes qui ne donne pas sens à la succession des événements.
Je ne sais pas si je m'exprime clairement, là.
C'est frappant dans les manuels et programmes, même du primaire : au XIXe siècle, les ouvriers, les femmes, les peuples colonisés sont évoqués. Mais on n'étudie plus du tout la Restauration, les différentes révolutions, ni les républiques, ni la guerre de 1870, ni la Commune de Paris !
Il est vrai qu'on ne peut pas "tout faire", et qu'on se trouve devant des arbitrages problématiques.
J'ai parfois l'impression, cependant, qu'à vouloir s'éloigner d'une certaine histoire héroïque, qui était l'histoire des vainqueurs, on construit une histoire des victimes qui ne donne pas sens à la succession des événements.
Je ne sais pas si je m'exprime clairement, là.
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mon site sur l'écriture : www.ecritureparis.fr
- Thalia de GMédiateur
C'est parfaitement clair Rikki et intéressant comme point de vue.
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Le printemps a le parfum poignant de la nostalgie, et l'été un goût de cendres.
Soleil noir de mes mélancolies.
- RikkiMonarque
Ah, et concernant la raison pour laquelle le génocide des Juifs par les Nazis est plus évoqué en France que d'autres, outre la géographie et toutes les raisons évoquées ci-dessus, je pense qu'il y a quand même la responsabilité directe de l'Etat français qui rend l'événement particulier.
L'assassinat de masse des Arméniens ou des Rwandais n'a pas le même retentissement en France que celui des Juifs français. En particulier, je pense que le ressenti est d'autant plus fort que parmi les Juifs déportés de France, au côté des Juifs d'Europe de l'Est réfugiés en France récemment, il y avait des Français "de souche" de confession israélite (c'est comme cela qu'ils se définissaient), des gens qui avaient fait les guerres de 70 et de 14, qui étaient médaillés, etc.
Même si numériquement je ne suis pas sûre que ces gens aient été les plus nombreux parmi les déportés, car ils pouvaient se cacher et se fondre dans la population plus facilement que les Juifs polonais à accent et dégaine aisément repérables, je pense que la France doit faire face à la mauvaise conscience d'avoir livré ses propres citoyens.
L'assassinat de masse des Arméniens ou des Rwandais n'a pas le même retentissement en France que celui des Juifs français. En particulier, je pense que le ressenti est d'autant plus fort que parmi les Juifs déportés de France, au côté des Juifs d'Europe de l'Est réfugiés en France récemment, il y avait des Français "de souche" de confession israélite (c'est comme cela qu'ils se définissaient), des gens qui avaient fait les guerres de 70 et de 14, qui étaient médaillés, etc.
Même si numériquement je ne suis pas sûre que ces gens aient été les plus nombreux parmi les déportés, car ils pouvaient se cacher et se fondre dans la population plus facilement que les Juifs polonais à accent et dégaine aisément repérables, je pense que la France doit faire face à la mauvaise conscience d'avoir livré ses propres citoyens.
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- Thalia de GMédiateur
Simone Veil a écrit que les Français (pas Vichy) étaient ceux qui avaient le mieux protégé les leurs.je pense que la France doit faire face à la mauvaise conscience d'avoir livré ses propres citoyens.
Cela n'entre pas en contradiction avec ce que tu dis, c'est une petite précision.
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Le printemps a le parfum poignant de la nostalgie, et l'été un goût de cendres.
Soleil noir de mes mélancolies.
- RikkiMonarque
Thalia de G a écrit:Simone Veil a écrit que les Français (pas Vichy) étaient ceux qui avaient le mieux protégé les leurs.je pense que la France doit faire face à la mauvaise conscience d'avoir livré ses propres citoyens.
Cela n'entre pas en contradiction avec ce que tu dis, c'est une petite précision.
Tout à fait ! C'est pour ça que je dis que numériquement, ces gens-là n'ont pas été les plus nombreux. Mais ce sont ceux sur lesquels l'Etat français (en tant que tel) s'est le plus acharné !
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- AmaliahEmpereur
Je vous lis toujours avec grand intérêt! C'est une discussion intéressante!
- Thalia de GMédiateur
D'où mon "pas Vichy" entre parenthèses.Rikki a écrit:Thalia de G a écrit:Simone Veil a écrit que les Français (pas Vichy) étaient ceux qui avaient le mieux protégé les leurs.je pense que la France doit faire face à la mauvaise conscience d'avoir livré ses propres citoyens.
Cela n'entre pas en contradiction avec ce que tu dis, c'est une petite précision.
Tout à fait ! C'est pour ça que je dis que numériquement, ces gens-là n'ont pas été les plus nombreux. Mais ce sont ceux sur lesquels l'Etat français (en tant que tel) s'est le plus acharné !
Donc nous sommes d'accord.
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Le printemps a le parfum poignant de la nostalgie, et l'été un goût de cendres.
Soleil noir de mes mélancolies.
- RikkiMonarque
Et (je suis désolée de ces nombreux messages, mais le sujet me touche et m'intéresse) la particularité, en tout cas pour ma génération, de ce sujet, était la suivante : chacun, chacune d'entre nous, quand on parlait du génocide des Juifs par les Nazis, était renvoyé(e) à l'histoire de sa propre famille.
Et mes parents ? Et mes grands-parents ? Où étaient-ils ? Que faisaient-ils ? Etaient-ils juifs ? Ont-ils connu des Juifs ? Caché des Juifs ? Dénoncé des Juifs ?
C'était une des raisons pour lesquelles, quand j'étais au lycée, le sujet "faisait mal".
Du temps a passé, c'est maintenant la génération de nos enfants qui est au lycée, et on peut voir les choses avec un peu plus de recul, car pour la plupart les lycéens d'aujourd'hui ont eu des grands-parents nés après la guerre ou qui étaient enfants.
Et mes parents ? Et mes grands-parents ? Où étaient-ils ? Que faisaient-ils ? Etaient-ils juifs ? Ont-ils connu des Juifs ? Caché des Juifs ? Dénoncé des Juifs ?
C'était une des raisons pour lesquelles, quand j'étais au lycée, le sujet "faisait mal".
Du temps a passé, c'est maintenant la génération de nos enfants qui est au lycée, et on peut voir les choses avec un peu plus de recul, car pour la plupart les lycéens d'aujourd'hui ont eu des grands-parents nés après la guerre ou qui étaient enfants.
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- RikkiMonarque
Thalia de G a écrit:
D'où mon "pas Vichy" entre parenthèses.
Donc nous sommes d'accord.
Oui.
Dans mon école, et dans toutes les écoles du quartier, le comité Tlemcen a fait apposer des plaques à la mémoire des enfants juifs déportés qui y étaient scolarisés.
Mon école était une école de fille.
Plus de 90 % des noms de famille des petites filles et des jeunes filles assassinées sont de consonance étrangère. Ce sont ces gens-là qui ont été en première ligne : pas encore intégrés, sans réseau amical, beaucoup plus difficilement protégés.
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