Tribune dans Le Monde : L’Education nationale française craque à tous les étages

La baisse du nombre d’élèves par classe reste le principal levier d’évolution du système scolaire français

Les études menées sur les systèmes éducatifs, à une échelle française, européenne ou mondiale,
publiées régulièrement par le ministère français de l’Education nationale, l’Union européenne ou
l’OCDE, indiquent toutes les mêmes tendances concernant notre pays : les résultats des élèves
devraient être meilleurs ; le taux d’élèves stressés voire déprimés est très élevé ; les enseignants sont
parmi les plus mal rémunérés de l’OCDE malgré une charge de travail toujours croissante, aboutissant
à une multiplication des burn-out ; le sentiment d’efficacité des enseignants s’amenuise. Par ailleurs,
pour compléter ce sombre tableau, la France est classée parmi les derniers pays de l’OCDE pour le
nombre moyen d’élèves par classe.
De nombreuses réformes du système éducatif ont été lancées par les gouvernements successifs afin
de faire évoluer la pédagogie et la notation, mais aussi la formation et l’évaluation des enseignants, ou
encore les modalités d’examen et de concours.
La question du taux d’encadrement (le nombre d’élèves par classe) est rarement prise à bras le corps
par les dirigeants politiques car ils savent que pour traiter vraiment ce sujet, il faut employer davantage
de moyens humains à un moment où les vocations se font de moins en moins nombreuses. Mais
surtout, on touche à une question sensible pour une grande partie de l’échiquier politique, pour qui
l’idéologie néolibérale et le New Public Management tiennent lieu de mantra indépassable pour piloter
les politiques publiques. La compression sans fin de la dépense publique se fait depuis trop longtemps
sans tenir compte de la réalité intenable du terrain (vécue par les élèves et les personnels, y compris
les cadres). L’Education nationale française craque à tous les étages pendant que presque tout le
monde fait semblant de regarder ailleurs. Nous courrons toujours plus vite comme des somnambules
se dirigeant vers l’abîme, en plein jour et en pleine conscience. Pourtant, nous pouvons investir
beaucoup plus pour nos enfants, donc nous devons assumer des choix différents de dépense publique.
Mais encore faudrait-il se mettre d’accord sur les principaux objectifs que nous assignons à notre Ecole.
Si nous voulons former une élite, elle-même issue de l’élite actuelle, alors notre système est
performant. Si nous voulons réduire les inégalités et permettre à chacun de s’élever dans la société
selon son travail et son mérite comme le promet l’Ecole républicaine depuis Jules Ferry, alors nous
échouons. Et cela, malgré l’engagement très fort des enseignants, de la maternelle à l’Université.
Si les systèmes étrangers parmi les plus efficaces pour réduire les inégalités ont tous fait le choix de
limiter les effectifs par classe, c’est parce que cela rend le travail des enseignants et des élèves plus
efficace et augmente le bien-être de tous. Deux mondes séparent une classe de 25 ou une classe de
30 collégiens. Ou encore une classe de 30 ou une classe de 35 lycéens. Cela peut paraître infime mais
ces seuils font l’objet d’un large consensus parmi les experts et les professionnels de terrain. Au-delà
de ces plafonds, l’attention, le travail et la réussite des élèves, mais aussi l’aide et l’accompagnement
apportés par les enseignants et donc le bien-être de tous, sont fortement affectés.
La mesure prise par le précédent ministre consistant à fixer un plafond maximal à 24 élèves en grande
section, CP et CE1 fut prise avec cette conscience que les effectifs par classe sont le premier levier à
activer pour faire progresser les élèves. Mais elle se fit à « moyens constants », c’est-à-dire en
supprimant des moyens dans le second degré. Par ailleurs, aujourd’hui, près d’un tiers des classes de
maternelle et élémentaire comptent toujours plus de 25 élèves.
Il est nécessaire, au contraire, de généraliser et accentuer l’effort commencé en GS-CP-CE1, en utilisant
des plafonds reconnus et réclamés depuis longtemps pour tous les niveaux : 20 élèves en maternelle
et élémentaire ; 20 élèves en lycée professionnel ; 25 en collège ; 25 en lycée technologique et 30 en
lycée général. Cela pourrait se faire sur plusieurs années, sur un mandat voire deux. Et cet
investissement dans une politique éducative ambitieuse serait un levier puissant pour résoudre la
plupart des blocages du système éducatif français : les élèves seront plus efficaces et moins stressés ;
leurs résultats seront meilleurs ; les élèves les plus en difficultés et ceux issus de milieux défavorisés
progresseront davantage ; les enseignants seront moins surchargés, plus efficaces et mieux
considérés ; le sentiment de bien-être et d’efficacité de tous sera décuplé. Chacun – directeur, parents
d’élèves, élèves, enseignants – ressentira les effets rapides de l’activation du principal levier
d’amélioration de l’Ecole française. Alors chiche ?