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Iphigénie
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Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé - Page 2 Empty Re: Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé

par Iphigénie Dim 3 Mai 2020 - 10:41
MUTIS a écrit:
e-Wanderer a écrit:Discrètement peut effectivement vouloir dire "avec discernement, avec prudence", mais il me semble qu'à l'époque, on doit encore sentir l'autre sens de discrimen, de séparation. Ce double sens me semble intéressant, car il redouble celui de saillie : première antithèse du côté du mouvement et de l'élan amoureux (vs isolement et statisme), deuxième antithèse du côté de la raison et de la retenue vs la perte de contrôle, voire la "folie".

Enfin, le sens sexuel, ici de l'ordre de la connotation, me semble évident (avec tout l'intérêt que ce soit ici une femme qui parle). Surtout comme trait d'esprit (saillie, aussi) à la toute fin du poème, comme effet pointu, si je puis dire.
Voir Montaigne et ses conseils fort concrets aux jeunes mariés (Les Essais, I, XXI, "De la force de l'imagination", éd. Villey p. 101-102) :
"Les mariez, le temps estant tout leur, ne doivent ny presser, ny taster leur entreprinse, s’ils ne sont prests ; et vaut mieux faillir indecemment à estreiner la couche nuptiale, pleine d’agitation et de fievre, attandant une et une autre commodité plus privée et moins allarmée, que de tomber en une perpetuelle misere, pour s’estre estonné et desesperé du premier refus. Avant la possession prinse, le patient se doit à saillies et divers temps legerement essayer et offrir, sans se piquer et opiniastrer à se convaincre définitivement soy-mesme. Ceux qui sçavent leurs membres de nature dociles, qu’ils se soignent seulement de contre-pipper leur fantasie."


Très juste. il me semble avoir lu aussi, dans Rabelais (mais où ? je n'ai pas retrouvé ) une utilisation du mot saillie avec une connotation sexuelle évidente. À vérifier.
En tout cas, je pense que Louis Labbé n'était pas pudibonde et que les interprétations type Lagarde et Michard, édulcorant toute connotation charnelle trop crue et rejetant le sexuel dans l'indicible ou le mal, lui étaient étrangères comme d'ailleurs pour beaucoup d'écrivains du 16ème siècle. Les mot "baise, rebaise et jouissons" confirment plutôt la dimension charnelle pour moi.
Je garderais personnellement la polysémie du mot pour en jouer. Le mot n'a pas forcément une connotation sexuelle, mais on ne peut l'exclure et cela participe à la richesse du texte. Mais j'insisterais sur la saillie comme métaphore de l'écriture et de la passion ("folie" pour certains). La passion amoureuse suscite un désir particulier mis en évidence dans le dernier tercet : celui de l'écrire, de la mettre en mots, de l'extérioriser physiquement ("hors de moi") pour la partager aussi avec le lecteur et sortir de la clôture passionnelle à deux.
Ah le contre Lagarde et Michard!: c'est pas un peu daté cette histoire? Wink

dans tous les cas le sens sexuel est ici beaucoup moins intéressant, à mon avis ( qui ne vaut que ce qu'il vaut), que l'éclairage de Marsile Ficin... justement parce que la lanvue du XVIe est facilement crue: tout l'intérêt me semble au contraire  de réussir  ne pas l'être  dans un poème qui commence par :baise moi.
Enfin il me semble que ce serait un bon challenge pour un poète Wink
Par contre d'accord avec ton interpretztion finale au dernier paragraphe qui serait donc bien aussi une facon de répondre à son point de depart, le poème de Catulle


Dernière édition par Iphigénie le Dim 3 Mai 2020 - 10:44, édité 1 fois
NLM76
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Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé - Page 2 Empty Re: Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé

par NLM76 Dim 3 Mai 2020 - 10:42
Ruthven a écrit:Un petit texte complémentaire accessible sans doute en Seconde pour leur expliquer la double vie :

"Chaque fois que deux êtres s’entourent d’une mutuelle affection, l’un vit en l’autre et l’autre vit en l’un. De tels êtres s’échangent tour à tour et chacun se donne à l’autre pour recevoir l’autre à son tour. Comment ils se donnent en s’oubliant eux-mêmes, je le vois. Mais comment ils reçoivent l’autre, c’est ce que je ne comprends pas. Car qui ne se possède pas soi-même, encore moins en possédera-t-il un autre. Or tout au contraire chacun d’eux se possède lui-même et possède l’autre. Celui-ci se possède, mais en l’autre ; l’autre aussi se possède, mais en celui-ci. Évidemment, puisque je t’aime, toi qui m’aimes, je me retrouve en toi qui penses à moi et je recouvre en toi, qui le conserves, le moi perdu par moi du fait de ma propre négligence. Et toi tu fais la même chose en moi.
Ceci encore paraît une chose merveilleuse. Si, après m’être perdu, je me retrouve en toi, je me possède par toi mais si je me possède par toi, je te possède avant et plus que moi-même et je suis plus proche de toi que de moi, puisque je n’adhère à moi-même que par ton intermédiaire. C’est en cela précisément que la puissance de Cupidon diffère de la violence de Mars. Car la conquête et l’amour s’opposent en ce que le conquérant s’empare des autres par lui-même, tandis que l’amoureux prend possession de lui-même grâce à un autre, chacun des deux amants s’éloignant de lui-même et se rapprochant de l’autre, mourant à lui-même et en l’autre ressuscitant. Toutefois il y a dans l’amour réciproque une seule mort et une double résurrection. De fait, celui qui aime meurt une seule fois en lui, parce qu’il s’oublie. Mais il revit aussitôt en l’aimé quand celui-ci s’empare de lui dans une pensée ardente. Et il ressuscite une deuxième fois quand il se reconnaît en l’aimé et ne doute pas qu’il soit aimé." (Ficin, De l'amour, II, 8).
Très beau.
As-tu des textes sur l'amour charnel dans Ficin ? Parce que si les néo-platoniciens sont hyper-idéalistes comme mon inculture se les représente, le néo-platonisme de LLL est très différent.

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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
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par ysabel Dim 3 Mai 2020 - 11:02
NLM76 a écrit:
Astolphe33 a écrit:
ysabel a écrit:
NLM76 a écrit:En effet. Ce serait très intéressant, en plus, signé par une femme.
Mais est-ce que le terme a déjà ce sens au XVIe ? (Pour "baiser", c'est très clair; mais pour "saillie" ?)

[Le Robert Historique de la langue française parle de 1870 pour le sens équin]

Le sens étymologique du verbe "saillir" est "couvrir une femelle", donc oui, il avait clairement ce sens au XVIe.
 D'ailleurs, il n'y a aucune raison de considérer que l'apostrophe au dieu Amour s'étend par métonymie à l'amant : c'est une interprétation hasardeuse que rien n'étaye linguistiquement ou en contexte.
Tout à fait d'accord avec Astolphe. Ysabel, je ne vois pas d'où tu tiens ton idée de sens étymologique de saillir. Et si je parlais de métonymie de l'amant, c'était seulement pour faire une concession à une interprétation très répandue y compris dans les manuels. Mais ce n'est pas du tout ainsi que je lis le poème. Il s'agit pour moi, comme pour vous, presque uniquement du dieu Amour.

D'un dictionnaire d'ancien français.

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par Ruthven Dim 3 Mai 2020 - 11:30
NLM76 a écrit:
As-tu des textes sur l'amour charnel dans Ficin ? Parce que si les néo-platoniciens sont hyper-idéalistes comme mon inculture se les représente, le néo-platonisme de LLL est très différent.

Le néoplatonisme propose une rhétorique et un langage qui permet de nimber d'absolu l'expérience en question, mais au sens strict les néoplatoniciens réinscrivent systématiquement l'expérience amoureuse dans la visée d'une transcendance - ce qui n'est pas le cas dans la poésie amoureuse. Ficin, par exemple, relit le discours d'Aristophane dans le Banquet où l'on pourrait penser que l'union amoureuse se suffit à elle-même, comme une reconduction au banquet céleste et au ciel. Néanmoins, il y a du bon dans toutes les formes d'Amour - tant dans l'Eros qui accompagne l'Aphrodite céleste que dans celui qui accompagne l'Aphrodite populaire. On le voit très bien dans ce passage :


"Or ces deux Vénus et ces deux Amours se trouvent non seulement dans l’Âme du monde, mais aussi dans celles des sphères, des astres, des démons et des hommes. Et comme toutes les âmes sont en rapport avec cette Âme première selon l’enchaînement régulier de l’ordre naturel, il faut nécessairement que les Amours de toutes ces âmes soient avec l’Amour de la première dans un rapport de dépendance. C’est pourquoi Diotime appelle d’ordinaire ceux-là tout simplement démons, et grand démon celui qui, à l’affût partout dans l’univers, ne permet pas aux cœurs de s’engourdir mais en tous lieux les pousse à aimer.
En nous cependant on ne trouve pas seulement deux Amours, mais cinq. Les deux extrêmes sont des démons. Les trois du milieu ne sont pas des démons, mais seulement des affects. Il y a assurément dans l’intelligence de l’homme un Amour éternel qui nous pousse à contempler la beauté divine et grâce auquel nous pratiquons l’étude de la philosophie ainsi que les devoirs de justice et de piété. Et il y a dans la puissance d’engendrer un aiguillon caché qui nous pousse à procréer des enfants : perpétuel également est cet amour qui nous incite continuellement à reproduire dans la figure des enfants que nous procréons la ressemblance de cette beauté divine. Ces deux Amours en nous éternels sont les deux démons dont Platon, en prophète inspiré, proclame qu’ils sont en permanence dans nos âmes, l’un pour les élever vers les choses d’en haut, l’autre pour les ravaler aux choses d’en bas : l’un étant le kalodaimon, c’est-à-dire le bon démon, et l’autre le kakodaimon, c’est-à-dire le mauvais. En fait, tous deux sont bons, parce que l’engendrement d’une progéniture est tenu pour tout aussi nécessaire et honnête que la recherche de la vérité. Mais le second est dit mauvais parce que, par l’abus que nous en faisons, bien souvent il nous perturbe et, détournant gravement notre âme de son bien essentiel, qui consiste dans la contemplation de la vérité, il la fait dévier vers des besognes plus basses. Entre ces deux extrêmes, trois Amours tiennent le milieu ,mais comme ils ne résident pas dans notre âme d’une manière aussi stable que les autres, puisqu’ils naissent, croissent, décroissent, disparaissent, il est plus juste de les appeler émotions ou sentiments. L’un des trois se situe à égale distance des deux extrêmes. Les deux autres inclinent chacun d’un côté. De plus, quand la figure d’un corps est vraiment telle, en raison de la disposition de la matière, que celle qu’enferme dans son idée l’intelligence divine, s’offrant à nos yeux et par les yeux pénétrant dans l’esprit, aussitôt elle plaît à l’âme, puisqu’elle s’accorde aux raisons que notre âme, aussi bien que notre puissance d’engendrer, a reçues du ciel et conserve comme les modèles de la chose elle-même. D’où vient que s’insinue en nous ce triple Amour dont nous avons parlé. En effet, de naissance ou par éducation, nous sommes disposés et enclins soit à la vie contemplative, soit à la vie active, soit à la vie voluptueuse. Si c’est à la contemplative, aussitôt la vue de la forme corporelle nous élève à la considération de la forme spirituelle et divine. Si c’est à la voluptueuse, d’emblée nous descendons de la vue à la concupiscence du toucher. Si c’est à la vie active et morale, nous continuons à jouir du seul plaisir de la vue et de la société. Les premiers sont si subtils qu’ils s’élèvent très haut, les seconds si épais qu’ils s’abaissent jusqu’au plus bas, et les derniers, entre les deux, demeurent dans la région moyenne.
Ainsi donc tout Amour commence par la vision. Mais l’Amour de l’homme contemplatif monte de la vue à l’intelligence, celui du voluptueux descend de la vue au toucher, celui de l’homme actif s’en tient à la vue. L’Amour du premier se tourne vers le démon supérieur plus que vers l’inférieur, celui du second s’égare plus vers l’inférieur que vers le supérieur, celui du troisième se tient à égale distance des deux. A ces trois amours trois noms sont échus en partage : celui du contemplatif est l’amour divin, celui de l’actif, l’amour humain, celui du voluptueux, l’amour bestial." (Ficin, De l'amour, VI, 8)

Pour avoir une réhabilitation plus franche chez les néoplatoniciens de la Renaissance, l'exaltation ou en tout cas la prise en compte de l'expérience charnelle, il faut aller voir chez Patrizi qui a écrit un petit dialogue amusant sur le baiser :


"Patrizi - Mais dites-moi, croyez- vous que tout baiser soit délicieux ?
Delfino -. Je l'ignore.
P. N'avez-vous jamais été embrassé par votre père, votre frère, ou par quelque autre de vos parents ?
D. Si, mais pourquoi cette question ?
P. Je dois, Messer Angelo l'enchanteur, vous poser ainsi des questions anodines, jusqu'à ce que l'amour, ou l'un de ses esprits, ou encore l'un de ceux qui obéissent à vos incantations, m'inspire sur le sujet quelque chose de bon qui puisse vous satisfaire. Aussi ayez la gentillesse de répondre à ces humbles questions.
D. Je le ferai.
P. Et alors, vous a-t-il paru si délicieux, ce baiser reçu de vos parents ?
D. Soyez assuré qu'il ne m'a procuré aucune douceur.
P. Il semble donc que tout baiser ne soit pas délicieux.
D. En effet.
P. Et ne vous a-t’on jamais embrassé le front ou la joue ?
D. Si.
P. Et avez vous éprouvé quelque douceur ?
D. Non.
P. Mais quelle sorte de baiser vous paraît donc délicieux ?
D. Le baiser sur la bouche me procure de la douceur.
P. N’est-il jamais arrivé qu’un parent, un compagnon ou un ami vous ait embrassé sur la bouche, comme vous autres à Venise avez coutume de le faire ?
D. Si. Mais je ne parle pas de cette sorte de baiser, mais de ceux que l’on échange dans les relations amoureuses.
P. Et si par hasard vous aviez une relation amoureuse avec une femme vieille, ou laide, ou à l’haleine puante, quelle douceur éprouveriez-vous alors ?
D. Une douceur de ce genre-là, je la laisse à d’autres ; quant à moi, elle me répugne.
P. En revanche, vous vous délectez des baisers d’une belle femme !
D. De ceux-ci, certes, oui.
P. Néanmoins, pensez-vous que tout baiser reçu d’une femme soit délicieux ?
D. Pour ma part, je suis enclin à le penser.
P. J’ai plus d’une fois entendu dire à nombre de jeunes gens bien nés que, lorsqu’ils ont une relation amoureuse avec une femme du commun, si belle soit-elle, ils fuient par-dessus tout le baiser, comme si, au lieu de douceur, ils y éprouvaient de la répugnance.
D. Là, je ne sais pas si je dois vous croire sur parole, car si c’est du baiser d’une femme que l’on aime qu’il s’agit, que diriez-vous alors ?
P. Ô grande providence de l’amour, comme, de sujets vains, tu nous as conduits à tes merveilles ! Oui, vraiment, de toi cette solitude est pleine, et plein de tes souffles sacrés l’air qui nous entoure ! Voici, Messer Angelo amoureux, que je m’emplis d’esprits amoureux qui me soufflent de douces paroles pour résoudre votre douce énigme d'amour. Mais toi, Amour, que je révère et vénère ô combien !, insuffle-moi tes esprits et réchauffe mon cœur jusqu'alors refroidi dans la solitude, afin que je puisse, au contact de tes divines flammes, renseigner ce jeune amoureux sur ta puissance merveilleuse et ineffable. Et priez-le, vous aussi, mon cher Messer Angelo, de vous être aujourd'hui et à jamais propice et favorable.
D. Je l'en prie donc aussi ; mais répondez à ma question.
P. Je crois que l'on éprouve une douceur ineffable dans le baiser d'une personne aimée; et maintenant l'esprit qui m'emplit le cœur me dicte de vous dire que c'est l'amour et rien d'autre qui fait les délices du baiser: sans cet amour le baiser est mort et dénué de saveur.
D. Comment cela ?
P. Je vous le dirai, mais n'allez pas contrarier l'esprit qui parle en moi, car c'est un bon esprit, qui ne vous ment pas.
D. C'est promis. Poursuivez cependant.
P. Le baiser d'un laideron est répugnant, n'est-ce pas ?
D Certes, oui.
P. Celui des parents n'est ni répugnant ni empreint de cette douceur dont nous parlions et qui a son siège dans le cœur de l'amoureux, n'est-il pas vrai ?
D. Cela est vrai.
P. Rien ne brûle ni ne réchauffe si ce n'est par le feu. De même, nul baiser n'est assaisonné de douceur si ce n'est le baiser amoureux.
D. En effet.
P. C'est donc l'amour qui confère la douceur au baiser, car celui-ci, sans amour, est dénué de douceur, comme le bois, sans feu, ne brûle ni ne réchauffe.
D. Vous dites vrai.
P. Ce n'est donc pas le baiser de par sa nature qui procure la douceur, car s'il était en lui-même par nature porteur de délices, il serait toujours délicieux, quelle que soit la personne concernée, ce qui n'est pas le cas puisque le baiser est même répugnant s'il est nourri d'un autre sentiment que l'amour.
D. Cela est bien vrai.
P. Ce n'est donc rien d'autre que l'amour qui introduit la douceur dans le baiser, puisque seul est doux le baiser entre amants, comme seul réchauffe le bois qui est enflammé.
D. Il vous dicte vraiment la vérité, cet esprit qui est entré dans votre coeur.
P. Le baiser donc, assaisonné des douceurs de l'amour, procure aux amants ce délice ineffable qu'ils éprouvent en s'embrassant.
D. C'est lui seul en effet.
(…)
Patrizi - Mais j'arrive maintenant au baiser. Le baiser est doux à l'amant pour nulle autre raison que parce qu'il permet de tirer les esprits de l'aimé, qu'on lui embrasse la main, le cou, ou la poitrine, ou la joue, ou les yeux ou la bouche. Pour cette même raison, le baiser avec succion est plus doux que ne l'est celui du bout des lèvres, car non seulement il permet de recueillir les esprits expulsés par le coeur, mais, grâce à la force de la succion, d'en tirer encore beaucoup d'autres dont on se nourrit. De là vient encore que de tous les baisers avec succion, celui de la bouche est le plus doux car on tire par la bouche, qui offre un passage plus large, beaucoup plus d'esprits que par les petits trous de la peau. Comparé au baiser avec succion, celui de la langue est encore plus doux, puisque non seulement il permet de tirer autant d'esprits que le baiser avec succion, mais encore bien davantage, car il tire également ceux de la langue qui est un corps entièrement spongieux et en est continuellement remplie, et goûte également l'humeur intérieure du corps aimé. Cette humeur contient chaleurs et esprits mêlés ; les deux douceurs réunies et mêlées de l'humeur et des esprits abondants tirés du coeur aimé provoquent ces palpitations, ces alanguissements et ces essoufflements qui affaiblissent, paralysent et font défaillir en un éclair le corps d'autrui.
Delfino - Maintenant tu es quitte, maintenant je suis tout à fait satisfait, et maintenant je comprends, grâce à toi, ô esprit très courtois, ces grandes merveilles et ces secrets très doux. Mais dites-moi pour finir, ô esprit très amoureux, d'où vient encore qu'on embrasse ces autres parties que tu as rappelées ?
Patrizi - L'amoureux embrasse en mordant, non pas pour tirer vers lui plus d'esprits qu'avec le baiser de la succion, mais parce que, se souvenant qu'il se consume d'amour pour cette personne et qu'elle l'a offensé dans son coeur, poussé par un désir soudain de vengeance envers celle qui le possède, il adopte ces armes comme les premières qui s'offrent à lui. Mais se souvenant que c'est également elle qui le maintient en vie, vite repenti, il transforme cette vengeance en un doux moyen de nourrir ses flammes. On embrasse les mains parce qu'elles sont les ministres des pensées du coeur aimé. On embrasse la poitrine parce qu'elle en est l'auberge. Mais la raison pour laquelle le baiser dans le cou est si doux, Amour ne veut pas, ô Delfino, que je vous la révèle à présent, mais priez-le dévotement que dans l'avenir au moins il daigne vous dévoiler ce secret ainsi qu'un autre qui concerne ce même baiser et qui est qu'on éprouve une douceur bien plus grande en embrassant la partie gauche qu'en embrassant la droite. En outre, on embrasse la joue parce qu'elle est l'auberge véritable de la beauté du visage, car elle est le véritable siège des couleurs qui la forment et de la douceur des lumières. On embrasse les yeux parce qu'il sont la cause première et toute puissante des flammes et de la joie d'autrui. On embrasse la bouche enfin, parce qu'elle est la bouche de l'âme et du coeur et le siège principal des esprits de l'aimé qui s'y rencontrent plus nombreux qu'ailleurs. Et le baiser de la poitrine est plus doux que celui des mains, parce que les esprits, dont on se nourrit, arrivent de plus près et plus neufs du coeur producteur. La douceur des joues est en partie une illusion de l'amant qui croit se nourrir ainsi de la beauté aimée toute entière. Vous avez désormais compris pleinement l'origine du baiser et de sa douceur. Celle des yeux surpasse la douceur des autres parties hormis la bouche, car l'amant, blessé par leurs flèches très douces et suaves, panse, en les baisant, ses plaies et se repaît, grâce aux nouveaux esprits, d'une nouvelle douceur. Mais celle du cou, Amour ne veut pas que je vous l'explique tant que vous ne lui aurez fait un sacrifice digne de lui."(Patrizi, Du baiser)





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Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé - Page 2 Empty Re: Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé

par e-Wanderer Dim 3 Mai 2020 - 12:07
NLM76 a écrit:
Au fait, avez-vous remarqué qu'aucune grammaire n'évoque la possibilité du pronom atone de 1re personne postposé au verbe à l'impératif, comme dans "Permets m'Amour" ?
Elles limitent cette possibilité à la 3e personne. Alors que LLL écrit : "Baise m'encor", "Et t’interroge si quelqu’un d’entre eux s’est pu échapper de mes mains." (dans le Débat). Aussi bien Gougenheim que Marchello-Nizia ou Lardon & Thomine...
Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française, Paris, A. Colin, 1927, t. II, p. 314 :
MON, TON, SON, AU FÉMININ. – Le changement de m' en mon devant les noms féminins commençant par voyelles est définitif. Les grammairiens sont d'accord (Palsgrave, 347; Sylvius, 94; du Wez, 923; Megret, 59r°; Pillot, 19 r°; Robert Estienne, 29; Garnier, 38-39; Cauchie, 1570, 14; Ramus, 147-148).
Il n'y a plus que des discussions de détail sur l'opportunité d'employer m'amie ou m'amour. Palsgave montre là-dessus des délicatesses, mais les autres grammairiens sont plus indulgents à ces vieilles formes (voir aux passages cités plus haut).
Dans les textes, m'amie est commun au commencement du siècle. Il est à chaque page de Marot, III, 40, 48; 51; 62; 64 etc. m'amour n'est pas rare non plus (I, 115; II, 175; III; 8; 57). T'amie est moins banal (Marot I, 127; III, 70). Cf t'amour (II, 157, 160, 177, 182; III, 36). S'amye est chez Marot (II, 62, 90, 1888; III, 13, 232); s'amour également (I, 109; II, 79, 96; III, 61).
Mais ce qui montre bien qu'il s'agit là de particularités, c'est que le même Marot emploie régulièrement mon, ton, son devant les autres substantifs : par mon ame (I, 207); son alaine (II, 159); son escole (II, 171); et même ton amour (II, 155, 157); mon amour (III, 29).
Mais c'est pour le déterminant possessif (ou adjectif possessif, je ne veux pas heurter les grammairiens GRIPés), pas pour le pronom personnel, ou alors il faudrait regarder en contexte toutes les citations.

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Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé - Page 2 Empty Re: Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé

par Iphigénie Dim 3 Mai 2020 - 12:47
Ne pourrait-on voir plutôt  « m’amour penser quelque folie »comme une proposition infinitive cod de « permets », construit comme parfois sans le «  de»?
Il me semble que ce serait bien plus clair.
MUTIS
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Expert

Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé - Page 2 Empty Re: Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé

par MUTIS Dim 3 Mai 2020 - 13:26
Iphigénie a écrit:

dans tous les cas le sens sexuel est ici beaucoup moins intéressant, à mon avis ( qui ne vaut que ce qu'il vaut), que l'éclairage de Marsile Ficin... justement parce que la lanvue du XVIe est facilement crue: tout l'intérêt me semble au contraire  de réussir  ne pas l'être  dans un poème qui commence par :baise moi.
Enfin il me semble que ce serait un bon challenge pour un poète Wink
Par contre d'accord avec ton interpretztion finale au dernier paragraphe qui serait donc  bien aussi une facon de répondre  à son point  de depart, le poème de Catulle

Pourquoi le sens sexuel serait moins intéressant ? Et pourquoi réussir à ne pas être cru serait-il un défi ?
Quant aux références à Marcile Ficin et au néoplatonisme, elles me semblent orienter justement la lecture vers une interprétation qui dérive justement. Car Louise Labbé n'est pas Néo-platonicienne. Elle trace une voie originale et porte une voix plus sensualiste et sensuelle que néo-platonicienne, même si celui-ci est revu par Fiicin. Et faire de ce texte un texte ficinien c'est en proposer une lecture qui gomme la voix sensuelle propre au désir tel qu'il s'exprime dans ce poème selon moi. Ce serait plaquer une philosophie sur le texte alors que celui-ci la subvertit justement...

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par Iphigénie Dim 3 Mai 2020 - 14:41
moins intéressant parce que somme toute plus attendu: la preuve! Wink
je suis évidemment d'accord sur le sensualisme de ce poème mais justement il me semble que les tercets visent à le dépasser, comme semble l'indiquer le mot "contentement" qui n'est pas simple satisfaction des sens. Mais je le répète, je ne suis pas assez spécialiste du domaine pour vraiment trancher: je donne juste ma compréhension du poème, en ajoutant comme je les reçois, les éclairages savants que l'on nous donne.
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Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé - Page 2 Empty Re: Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé

par NLM76 Dim 3 Mai 2020 - 15:30
Iphigénie a écrit:Ne pourrait-on voir plutôt  « m’amour penser quelque folie »comme une proposition infinitive cod de « permets », construit comme parfois sans le «  de»?
Il me semble que ce serait bien plus clair.

Personne ici n'a dit le contraire !
@e-wanderer : oui, bien sûr. Ce que je note, c'est qu'il ne s'agit pas ici du possessif, comme le croient certains manuels confiés aux lycéens. Le problème n'est pas celui de l'élision, mais de la postposition du pronom atone.

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Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé - Page 2 Empty Re: Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé

par Iphigénie Dim 3 Mai 2020 - 15:36
NLM76 a écrit:
Iphigénie a écrit:Ne pourrait-on voir plutôt  « m’amour penser quelque folie »comme une proposition infinitive cod de « permets », construit comme parfois sans le «  de»?
Il me semble que ce serait bien plus clair.

Personne ici n'a dit le contraire !
@e-wanderer : oui, bien sûr. Ce que je note, c'est qu'il ne s'agit pas ici du possessif, comme le croient certains manuels confiés aux lycéens. Le problème n'est pas celui de l'élision, mais de la postposition du pronom atone.
mais ce que je veux dire c'est qu'on pourrait peut-être comprendre:" permets que mon amour pense quelque folie" ce qui enlève le problème du pronom atone, non? Il me semblait que tu interprétais plutôt comme "Permets moi, Amour, de..."
mais j'ai peut-être mal compris.
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par NLM76 Dim 3 Mai 2020 - 16:30
Ah, ça c'est impossible. M'amour = ma amour, seulement si c'est au féminin. Si amour est masculin, "mon" ne peut pas s'élider. Or voir amour au féminin ici, interpellée, je n'y crois pas une seconde.
Il faudrait que j'apprenne à te lire "ma amour", élidé "m'amour" pour dire "mon sentiment" qui penserait quelque folie. Mouais. Je vais regarder un peu comment LLL utilise "amour" au féminin (dans le Débat) :

  1. Il me ſemble que ſeroit folie parler des ſottes & plaiſantes Amours vilageoiſes
  2. pour eſſaier ſi elles pourront, comme iadis Orphee, reuoquer leurs amours perdues ?
  3. Ne ſcez tu l’amour que ie t’ay portee de toute memoire
  4. ne confeſſera il que l’amour conjugale eſt dine de recommandacion ?
  5. Qui ne dira bien de l’amour fraternelle, 
  6. Ce n’eſt pas eſtre frere, qui cauſe cet heur (car peu de freres ſont de telle sorte) mais l’amour grande qui eſtoit entre eus


Pas d'argument contre ton féminin, donc.
Mais reste à voir ma amour qui pense.

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par e-Wanderer Dim 3 Mai 2020 - 18:38
Je crois aussi dur comme fer que c'est une élision du pronom tonique ("permets-moi, Amour,"), même si c'est évidemment plus rare et plus surprenant que celle du déterminant possessif.
Peut-être un indice aux p. 4 et 5 de L'art poétique reduict et abregé de Claude de Boissière (Paris, Annet Briere, 1554), p. 4-5 (disponible sur Gallica), qui n'est pas fort détaillé mais propose un petit tableau des élisions avec apostrophe graphique dans lequel figure :

me         m'----amour
te           t'-----
se           s'-----

Encore faudrait-il être sûr que les esprits de l'époque fassent bien la différence entre le me/moi pronom et mon déterminant possessif. Maupassant considère encore mon comme un pronom… (j'avais vu ça dans un de ses textes, peut-être Fort comme la mort ou Mont-Oriol, je ne me souviens plus exactement, mais je suis sûr qu'il fait cette confusion).

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par Aliceinwonderland Dim 3 Mai 2020 - 21:45
ysabel a écrit:
NLM76 a écrit:
Astolphe33 a écrit:
ysabel a écrit:

Le sens étymologique du verbe "saillir" est "couvrir une femelle", donc oui, il avait clairement ce sens au XVIe.
 D'ailleurs, il n'y a aucune raison de considérer que l'apostrophe au dieu Amour s'étend par métonymie à l'amant : c'est une interprétation hasardeuse que rien n'étaye linguistiquement ou en contexte.
Tout à fait d'accord avec Astolphe. Ysabel, je ne vois pas d'où tu tiens ton idée de sens étymologique de saillir. Et si je parlais de métonymie de l'amant, c'était seulement pour faire une concession à une interprétation très répandue y compris dans les manuels. Mais ce n'est pas du tout ainsi que je lis le poème. Il s'agit pour moi, comme pour vous, presque uniquement du dieu Amour.

D'un dictionnaire d'ancien français.

En préparation à l'épreuve de lexicologie en ancien français aux concours je me rappelle que ce verbe avait été traité en cours par le professeur et il avait bien insisté sur le fait que le sens étymologique était "couvrir une femelle", et qu'en ancien français c'était le sens premier. Donc au XVIème je pense que ce sens devait être encore évident. Elle jouerait donc bien sur les deux sens du mot et moi aussi je trouve que le texte est plus intéressant et audacieux vu sous cet angle.
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par Iphigénie Lun 4 Mai 2020 - 6:24
Ah bon.
Et tressaillir c’est la couvrir trois fois alors? Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé - Page 2 3795679266 Very Happy
:jesors:
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par e-Wanderer Lun 4 Mai 2020 - 10:13
Notre amie Iphigénie a visiblement l'insomnie suggestive !

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par Iphigénie Lun 4 Mai 2020 - 10:17
e-Wanderer a écrit:Notre amie Iphigénie a visiblement l'insomnie suggestive !
Besoin d'aide sur le sonnet XVIII de Louise Labé - Page 2 437980826
ce n'était que saillie drôlatique, m' ami! (ou de mamy, ça dépend des lectures)

Plus sérieusement à une heure plus tardive, discutant de l’histoire avec mon mari, par ailleurs cavalier et homme de campagne, il me dit, ce qui est finalement ce que je ressentais concernant la crudité du nom "saillie" pris dans un sens sexuel, sans avoir mis les mots dessus: jamais on n’aurait utilisé un verbe qui s’applique aux juments pour parler d’une femme, et encore moins dans la bouche d’ une femme...
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par Ponocrates Lun 4 Mai 2020 - 16:38
J'ai bien conscience que je "tire" le texte, mais, comme elle reprend un poème d'un homme, Catulle, qu'elle recouvre par l'écriture en français, je serais presque tentée de voir, dans ce "saillir", ce poème qu'elle écrit un renversement des rôles. D'ailleurs le début du texte, avec l'impératif fait d'elle celle qui, dans le jeu amoureux, prend l'initiative, exige, ce qui est déjà un premier renversement des rôles attendus. Le poème fait le portrait d'une femme rendue singulière et presque masculine par le fait même qu'elle maîtrise l'art poétique. Mais je vais sans doute trop loin.

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par Aliceinwonderland Lun 4 Mai 2020 - 17:38
Ponocrates a écrit:J'ai bien conscience que je "tire" le texte, mais, comme elle reprend un poème d'un homme, Catulle, qu'elle recouvre par l'écriture en français, je serais presque tentée de voir, dans ce "saillir", ce poème qu'elle écrit un renversement des rôles. D'ailleurs le début du texte, avec l'impératif fait d'elle celle qui, dans le jeu amoureux, prend l'initiative, exige, ce qui est déjà un premier renversement des rôles attendus. Le poème fait le portrait d'une femme rendue singulière et presque masculine par le fait même qu'elle maîtrise l'art poétique. Mais je vais sans doute trop loin.

Je ne trouve pas, au contraire ça me semble très juste.
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par e-Wanderer Lun 4 Mai 2020 - 17:41
Ponocrates a écrit:J'ai bien conscience que je "tire" le texte, mais, comme elle reprend un poème d'un homme, Catulle, qu'elle recouvre par l'écriture en français, je serais presque tentée de voir, dans ce "saillir", ce poème qu'elle écrit un renversement des rôles. D'ailleurs le début du texte, avec l'impératif fait d'elle celle qui, dans le jeu amoureux, prend l'initiative, exige, ce qui est déjà un premier renversement des rôles attendus. Le poème fait le portrait d'une femme rendue singulière et presque masculine par le fait même qu'elle maîtrise l'art poétique. Mais je vais sans doute trop loin.
Pas nécessairement, surtout si on suit l'hypothèse de Mireille Huchon selon laquelle l'œuvre de Louise Labé serait une brillante supercherie des hommes de lettres lyonnais de l'entourage du libraire Jean de Tournes (Louise Labé, une créature de papier ?, Genève, Droz "titre courant", 2006).

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par Iphigénie Lun 4 Mai 2020 - 17:58
Le poème fait le portrait d'une femme rendue singulière et presque masculine par le fait même qu'elle maîtrise l'art poétique.
drôlement macho, ça: pauvre Sappho :|


Dernière édition par Iphigénie le Lun 4 Mai 2020 - 17:59, édité 1 fois
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par DesolationRow Lun 4 Mai 2020 - 17:59
Je suis avec Iphigénie sur ce coup, mais je ne suis pas spécialiste de l’époque. Je ne crois pas un instant au sens sexuel de « saillir », ici.
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par Iphigénie Lun 4 Mai 2020 - 18:22
Ah merci pour ce renfort!
Je crois d'autant moins à une volonté de renversement des rôles que cela ne tient pas du tout face à  Catulle. N'oublions pas justement que ce poème commence, de facon tout à fait renversante pour un Romain, par
Vivamus mea Lesbia, atque amemus
Ce que mon vieux maitre, Jean Granarolo, qui était le spécialiste francais de Catulle,  nous avait commenté comme étant une épanorthose ( seule fois que j'ai vu cette figure...) qui etablit une synonymie fort peu  romaine et masculine entre vivre et aimer.
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par DesolationRow Lun 4 Mai 2020 - 18:28
Le sens étymologique réel de « saillir », i. e. « sauter », donne un sens tout à fait satisfaisant. Le sens second de « trait d’esprit » vient s’y ajouter. Ensuite, je pense que c’est plaquer une lecture qu’on a très envie de trouver, mais que le texte n’exige pas du tout.
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par Iphigénie Lun 4 Mai 2020 - 18:33
Je pense à vrai dire que s’il y a bien un double sens au dernier vers c’est en ce que la plénitude de l’élan amoureux ( cet «  élan » pas que sexuel qui nous pousse hors de nous vers l’autre, est doublé par la plénitude de l’élan dans l’écriture. Mais la saillie chevaline, non et non!!
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par Iphigénie Lun 4 Mai 2020 - 18:34
DesolationRow a écrit:Le sens étymologique réel de « saillir », i. e. « sauter », donne un sens tout à fait satisfaisant. Le sens second de « trait d’esprit » vient s’y ajouter. Ensuite, je pense que c’est plaquer une lecture qu’on a très envie de trouver, mais que le texte n’exige pas du tout.
Voilà.
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par Ponocrates Lun 4 Mai 2020 - 20:03
Iphigénie a écrit:
Le poème fait le portrait d'une femme rendue singulière et presque masculine par le fait même qu'elle maîtrise l'art poétique.
drôlement macho, ça: pauvre Sappho :|
La rupture avec l'image virile romaine, je ne suis pas certaine qu'elle soit perceptible au lecteur du 16e( à moins d'y voir un jeu de la part d'un auteur masculin, comme dans l'hypothèse de Mireille Huchon relayée par e-wanderer) -surtout après quelques siècles d'amour courtois, mais je peux faire erreur.
En revanche le caractère à la limite de l'inconvenance de l'expression d'un désir aussi charnel, avec la syllepse de "baise" devient scandale dans la bouche d'une femme. Ce n'est pas macho que de dire qu'à l'époque le désir féminin n'a pas droit de cité. Ce qui autorise l'expression du désir est la médiation poétique: parce qu'elle est poète, Louise Labbé n'est plus réduite à son rôle purement féminin, de réserve. Je demande seulement s'il n'y a pas avec l'emploi de "saillir" le soulignement du pouvoir, précisément non pas/ plus sexuel, mais poétique.

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