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Còcho
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par Còcho Ven 15 Mai 2020 - 18:27
epekeina.tes.ousias a écrit:
Verdure a écrit:
epekeina.tes.ousias a écrit:Finalement, j'ai passé ces derniers mois à ne (re)lire que Pascal et Montaigne (et Pol Ernst, Starobinski, Manent, bref, diverses choses sur ces deux auteurs)
Que penses-tu de la lecture (croisée, d'ailleurs) de Manent ? Je me suis laissé séduire : plus pertinent, précis, profond, que Starobinski... mais c'est sans doute parce que Manent tout entier m'a séduit. Les mauvaises langues diront que c'est du Leo Strauss, mais en français.

Mon opinion là-dessus est contrastée. Je lis Manent régulièrement (depuis l'Histoire intellectuelle du libéralisme) — et quand bien même/parce que ses thèses s'opposent à certaines de mes opinions, et pour les mêmes raisons que j'ai lu du Leo Strauss (la comparaison est honorable), et que je lis, plus récemment, du Voegelin…
Mais j'avoue ne pas comprendre, dans le fond, la nécessité d'écrire un livre sur Montaigne (en titre!) pour donner raison… à Pascal (en page). C'est certes vite dit, mais tout de même. J'avoue avoir souri à la lecture de certaines pages, et m'être dit que, décidément, le jansénisme continue à avoir plus de succès en France que telle ou telle forme de fidéisme sceptique, et que les livres de Popkin ne peuvent décidément venir que de chez nos cousins anglo-saxons. Je ne peux évidemment pas reprocher à Manent de proposer une lecture “engagée” ou engageant une position (chrétienne, et même, catholique) — mais il semble tout de même méconnaître le sens de certaines des positions qu'il critique.

Voilà qui donne envie de relire sérieusement ces passages ! Mais je ne crois pas que Manent donne raison à Pascal contre Montaigne ; et plus encore je ne vois pas bien en quoi il serait ici janséniste : et d'ailleurs Pascal l'est-il ?
Dans mes souvenirs les deux auteurs sont pris comme des révélateurs de la modernité, chacun à leurs façons. Plus précisément, Pascal est convoqué, à la fin, pour éclairer Montaigne. La thèse est que la modernité refuse la "loi" pensée par les Anciens, et que veut en quelque sorte réhabiliter Manent - voir son dernier bouquin, défense de la "loi naturelle". De ce point de vue Manent serait plutôt scolastique ! en réalité, surtout aristotélicien.

Il me semble que, pour Manent, Montaigne fut le révélateur de sa propre pensée : il a dit quelque part d'ailleurs avoir lu les Essais toute sa vie. On retrouve dans ce portrait de Montaigne toute son histoire critique de la philosophie, amorcée avec les Naissances de la politique moderne : celle-ci commence avec Machiavel, mais, finalement, il faudra remonter à Montaigne. (On pourrait d'ailleurs être tenté de remonter plus loin encore, chez les nominalistes, etc. mais il est vrai que Manent ne s'intéresse pas beaucoup au Moyen-âge.) Il applique ici la méthode défendue et illustrée par Strauss dans La persécution et l'art d'écrire : Montaigne serait le premier vrai philosophe athée-et-antinaturaliste, se jouant du lecteur par nécessité. Cette excursion, presque ce décodage, est si séduisant !
Ceci dit sans la lecture, plus tôt, de La cité de l'homme et des Métamorphoses de la cité, j'aurais peut-être trouvé ce bouquin aventureux ou hasardeux : c'est clairement une nouvelle expression de "son système".

Sans doute il y a là un débat aristotélisme / scepticisme. Mais c'est peut-être mon côté platement naturaliste, la dimension théologique, évidemment très présente chez Manent (thomiste séculier en quelque), me semble pouvoir être mise de côté dans ce débat.
epekeina.tes.ousias
epekeina.tes.ousias
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par epekeina.tes.ousias Ven 15 Mai 2020 - 18:45
Verdure a écrit:Voilà qui donne envie de relire sérieusement ces passages ! Mais je ne crois pas que Manent donne raison à Pascal contre Montaigne ; et plus encore je ne vois pas bien en quoi il serait ici janséniste : et d'ailleurs Pascal l'est-il ?
Dans mes souvenirs les deux auteurs sont pris comme des révélateurs de la modernité, chacun à leurs façons. Plus précisément, Pascal est convoqué, à la fin, pour éclairer Montaigne. La thèse est que la modernité refuse la "loi" pensée par les Anciens, et que veut en quelque sorte réhabiliter Manent - voir son dernier bouquin, défense de la "loi naturelle". De ce point de vue Manent serait plutôt scolastique ! en réalité, surtout aristotélicien.

Pascal était-il “janséniste”? Oui — et non. Dans les écrits pour les curés de Paris, il soutient des thèses tellement proches de l'interprétation que donne le grand Arnauld de l'Augustinus de Jansenius que je n'ai pas vu ce qui les distinguait les uns des autres. La différence est cependant qu'en bon catholique, il s'est rangé à l'avis de l'Église et a renoncé à le soutenir… Pascal n'est pas du tout un partisan de l'idée d'une “coopération” en matière de salut, mais bien plutôt d'un don. Disons qu'il me paraît infiniment probable qu'il tenait cette thèse — mais n'a pas sauté le pas, comme d'autres.

Il me semble que, pour Manent, Montaigne fut le révélateur de sa propre pensée : il a dit quelque part d'ailleurs avoir lu les Essais toute sa vie. On retrouve dans ce portrait de Montaigne toute son histoire critique de la philosophie, amorcée avec les Naissances de la politique moderne : celle-ci commence avec Machiavel, mais, finalement, il faudra remonter à Montaigne. (On pourrait d'ailleurs être tenté de remonter plus loin encore, chez les nominalistes, etc. mais il est vrai que Manent ne s'intéresse pas beaucoup au Moyen-âge.) Il applique ici la méthode défendue et illustrée par Strauss dans La persécution et l'art d'écrire : Montaigne serait le premier vrai philosophe athée-et-antinaturaliste, se jouant du lecteur par nécessité. Cette excursion, presque ce décodage, est si séduisant !

Ça, c'est possible… Mais, justement, quoi qu'il en soit, je vois plutôt une opposition à Montaigne chez Manent: il le fait anti-naturaliste (à raison ce me semble) et “donc athée” — ce, je pense, à tort (je tiens plutôt les thèses de Popkin pour plus probables: se jouer du lecteur, mais en partie, car le scepticisme fidéiste n'est pas un “athéisme” — sauf pour Pascal!).
Et c'est bien ce qu'il lui reproche, à demi mots (par ex. dans le chapitre sur la question de la mort)


Ceci dit sans la lecture, plus tôt, de La cité de l'homme et des Métamorphoses de la cité, j'aurais peut-être trouvé ce bouquin aventureux ou hasardeux : c'est clairement une nouvelle expression de "son système".
Sans doute il y a là un débat aristotélisme / scepticisme. Mais c'est peut-être mon côté platement naturaliste, la dimension théologique, évidemment très présente chez Manent (thomiste séculier en quelque), me semble pouvoir être mise de côté dans ce débat.

La dimension théologique peut être mise de côté quand on lit Manent — mais j'en suis infiniment moins certain pour ce qui est de lire Montaigne. Là dessus, il y a, dans le dernier livre (posthume) de Pessel (Les Versions du sujet, chez Klincksieck), un chapitre sur Montaigne, son appréhension de cette question et sur ce qu'il appelle l'enregistrement des singularités que j'ai trouvé infiniment brillant — et d'ailleurs l'ensemble des études recueillies dans ce livre, sur les modalités des discours sceptiques et la problématisation de l'unité du sujet à laquelle, selon lui, elles renvoient.
Mais il est tout à fait vrai, je pense, que le livre de Manent sur Montaigne appartient de fait à son système de pensée — lequel a son intérêt propre.

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Si tu vales valeo. Wink
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user3054
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par user3054 Sam 16 Mai 2020 - 10:28
Salut ! Je vous conseille les trucs les moins épais donc les plus fins. Parerga et paralipomena de Schopinou sur la lecture et la pensée personnelle... Après ça vous lirez moins, c'est sûr; il ne restera plus qu'à se mettre à la musique. Very Happy
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par Còcho Sam 30 Mai 2020 - 10:12
Je m'excuse de répondre si tard...

Tes interprétations de ces différents auteurs me surprennent assez et sont une invitation à la lecture ! hélas ni le temps ni l'énergie en ce moment. Mais merci pour les références !

Anachorète : intéressant Wink
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