- AinsifontNiveau 5
Bonjour,
Après une séquence sur l'autobiographie, j'aimerais que mes élèves de 3e lisent ce court récit mais il s'agit d'un livre onéreux (9 euros). J'ai vu que le texte peut être téléchargé sur le site suivant : lien supprimé
Est-ce que je peux leur demander de le lire après avoir téléchargé le texte ? En fait je me demande si c'est bien légal ?
Merci.
Après une séquence sur l'autobiographie, j'aimerais que mes élèves de 3e lisent ce court récit mais il s'agit d'un livre onéreux (9 euros). J'ai vu que le texte peut être téléchargé sur le site suivant : lien supprimé
Est-ce que je peux leur demander de le lire après avoir téléchargé le texte ? En fait je me demande si c'est bien légal ?
Merci.
- cannelle21Grand Maître
J'ai utilisé cette stratégie il y a trois ans. J'avais bossé d'abord dessus (travail de mise en voix et de découverte) à partir d'une quinzaine d'extraits. Les élèves pouvaient ensuite aller lire la pièce. Je me suis rassurée en me disant que Catherine Cohen avait mis en scène la pièce avec l'accord de Mouawad donc qu'il devait savoir que le texte était en ligne. Il est vrai qu'à l'époque le texte n'était pas édité.
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Il y a des gens si bêtes que si une idée apparaissait à la surface de leur cerveau, elle se suiciderait, terrifiée de solitude.
- AinsifontNiveau 5
Merci cannelle21 pour ta réponse ! Le travail que tu avais mené m'intéresse : de quelle façon avais-tu travaillé la mise en voix et est-ce que tu te souviens des extraits que tu avais choisis ?
Je me dis que je peux recopier tout le texte. Est-ce que ça règle mon problème des droits d'auteur ou pas ?
Je me dis que je peux recopier tout le texte. Est-ce que ça règle mon problème des droits d'auteur ou pas ?
- virgereNeoprof expérimenté
Ainsifont a écrit:Merci cannelle21 pour ta réponse ! Le travail que tu avais mené m'intéresse : de quelle façon avais-tu travaillé la mise en voix et est-ce que tu te souviens des extraits que tu avais choisis ?
Je me dis que je peux recopier tout le texte. Est-ce que ça règle mon problème des droits d'auteur ou pas ?
Non
- cannelle21Grand Maître
Ainsifont a écrit:Merci cannelle21 pour ta réponse ! Le travail que tu avais mené m'intéresse : de quelle façon avais-tu travaillé la mise en voix et est-ce que tu te souviens des extraits que tu avais choisis ?
Je me dis que je peux recopier tout le texte. Est-ce que ça règle mon problème des droits d'auteur ou pas ?
J'avais choisi quinze extraits. Chaque élève était responsable d'un extrait (deux élèves par extrait donc), devait en préparer la lecture expressive sans savoir de quoi parlait le texte global.
Ensuite, après une présentation de l'oeuvre, j'ai fait défiler les thèmes de l'oeuvre et ai demandé quels extraits pouvaient l'illustrer. Les élèves ont alors proposé leur mise en voix.
- L'enfance
- Le Liban
- Le rapport à la mère
- La mort
- L'avenir
- La peur
- La tristesse
- La dérision
- La violence
J'ai fini en posant la question de la mise en scène : comment figurer trois espaces ? Comment figurer les temporalités ?
L'avantage de cet exercice c'est qu'il s'agit de mise en voix mais sans grand chambardement.
Si j'avais à le refaire, je ferai des exercices beaucoup plus théâtraux d'appropriation du texte, notamment pour l'épisode de l'attentat.
Voici les textes choisis :
- Textes:
- Texte 1 :
On ne sait jamais comment une histoire commence. Je veux dire que lorsqu'une histoire commence et que cette histoire vous arrive à vous, vous ne savez pas, au moment où elle commence, qu'elle commence. Je veux dire... Je veux dire que vous n'êtes pas là, à marcher tranquillement dans la rue et tout à coup, vous vous dites : tiens, voilà, une histoire qui commence. Je veux dire, on ne le sait pas... puis, lorsque finalement on réalise qu'on est embarqué dans une histoire, on ne sait pas comment tout ça va se terminer. Personne ne peut savoir. C'est seulement à la fin. Lorsque tout est consommé, qu'on ouvre les yeux et qu'on se dit : l'histoire est terminée. Elle est terminée et parce qu'elle est terminée, vous vous mettez à entendre le silence, le grand silence qui a failli vous noyer. C'est comme ça. Alors, pour conjurer le silence, on tente de trouver les mots. Pour raconter. Même si c'est n'importe quoi, mais un mot qu'on trouve au fond de soi, c'est comme une oasis au milieu du désert. On se précipite dessus et on le boit. On boit le mot.
Moi, le premier mot que j'ai trouvé pour pouvoir raconter ce qui s'est passé, c'est le mot « avant
». Je dis « avant », mais cela ne fait pas longtemps que je peux dire «avant ». Je dis parfois : « Avant, j'étais un enfant. » Mais quand est-ce que j'ai cessé ?
Je ne sais pas. C'est comme ça maintenant. J'entends les vieux qui parlent. Ils disent : « Avant la guerre. » C'est un avant fixe. La guerre c'est fixe. Parfois aussi : « Avant la mort d'un tel. » Ça aussi c'est fixe. La mort est fixe. Avant. Je ne sais pas.
Je m'appelle Abdelwahab, comme le chanteur, mais tout le monde m'appelle Wahab et depuis peu, je peux dire le mot « avant » et c'est parfois une catastrophe.
Texte 2 :
Comment tout ça a commencé... Je ne sais pas.
Je ne peux pas dire que je l'ai entendu sonner. Je ne peux pas dire. Je peux juste dire que je me suis retrouvé assis dans mon lit à me demander si j'avais rêvé. C'était possible. Il faisait nuit, il faisait froid. Est-ce que j'ai rêvé ? Puis je l'ai entendu sonner comme une réponse : « Tu n'as pas rêvé. » Mais ça aurait pu. Dehors c'était la tempête et toutes les machines de déneigement qui faisaient leur raffut. Un vrai boucan. J'aurais pu rêver. Pourtant je me suis retrouvé le combiné à la main. J'ai dit allô d'une voix normale. On a dit : « Wahab ? » J'ai dit oui. On m'a dit : « Viens vite. » Et j'ai raccroché. Dehors, une tempête de neige. À la météo, on l'avait annoncée pour le lendemain, mais elle est arrivée pendant la nuit.
Je marche dans une rue glacée. Il tombe des lames de rasoir. C'est le froid. Le grand froid de l'hiver qui nous décharne le visage, les doigts, les pieds. L'âme tremble, mais c'est pour autre chose. J'attends. L'autobus boite jusqu'à l'arrêt, mais le feu tourne au rouge. Il s'arrête. Il est à vingt mètres. Je regarde le chauffeur qui prend une gorgée de quelque chose de chaud. Il me voit.
Le feu est rouge. Le clignement de mes yeux fait fondre le givre de mes cils et c'est l'hiver au complet qui pleure sur mon visage. Je tiens un peu de monnaie entre mes doigts crispés au fond de la poche de mon manteau. Je respire fort dans mon foulard pour que la buée qui sort de ma bouche me réchauffe le nez. L'autobus ne bouge pas. C'est à tuer tout le monde. À poser des bombes. Avant, il y avait le soleil. Mais quand ? Quand ?... Cette ville est une punition. Mais y a rien à dire. Mieux vaut ça qu'une bombe dans la gueule. Je suis frère jumeau d'une guerre civile qui a ravagé le pays de ma naissance.
On ne sait jamais comment commence une histoire. On ne sait jamais. Je veux dire que je n'étais pas assis à attendre que ça arrive. C'est arrivé. Je dormais. Driiiiing ! Allô ? Viens vite. Shlack ! Congélateur. Autobus au coin de la rue. Feu vert. L'autobus titube vers moi. Si la tempête pouvait durer mille ans. Qu'il neige mille ans. Sans arrêt. Que ça batte tous les records. De durée. D'accumulation. De merde. Qu'il neige tellement que je puisse dire plus tard : « Avant la tempête», « Après la tempête », et tout le monde de mon âge saura de quelle nuit je parle. L'autobus s'arrête. Les portes s'ouvrent. Je monte.
Texte 3 :
Je suis assis au fond de l'autobus, je suis devenu grand et je me gèle le cul et personne ne sait qui je suis et ce qui m'arrive.
J'essaie d'imaginer comment ça va être. Avec un peu de chance, j'arriverai là le dernier. J'ai pas de bagnole. Je ne conduis même pas, alors j'ai payé ma place dans l'autobus. Ça a failli mal finir. Il me manquait vingt-cinq cents. Il a fallu parlementer avec le chauffeur. J'ai pourtant essayé de passer en douce en mettant toute ma monnaie dans sa tirelire, mais il avait l'oreille. C'était un fin. Un malin. Il devait être chauffeur depuis longtemps. Sans regarder, juste au son des pièces tombées au fond de la boîte en métal, il a su. Il lève sa main. Je m'arrête. Je recule. Il ne me regarde pas. Il tient sa main levée et il me dit :
Y en manque.
C'est tout ce que j'ai...
Y en manque.
On tournait en rond.
-Alors ?
Alors y manque vingt-cinq cents.
Je ne sais pas comment tout ça s'est terminé... il y a des dialogues que je préfère oublier. Je lui ai dit : « Je vais à l'hôpital. »
T'as raison d'aller à l'hôpital. Quand on est malade dans sa tête, on se soigne.
Ma mère est en train de mourir, ***, et ton vingt-cinq cents, tu peux te le fourrer au fond du cul !
Texte 4 :
Quand notre mère est en train de mourir, ça nous donne certains droits. En manœuvrant bien, on peut en tirer un max d'avantages. Ça touche tout le monde, ça ébranle quand on dit que notre mère est en train de mourir. Dans les yeux des autres, nous devenons porteurs d'un destin particulier : lui, c'est quelqu'un, disent les gens à voix basse, sa mère est en train de mourir. Ça impose le respect. On peut, je le répète, en tirer un grand bénéfice. *** d'*** de merde ! Je frapperais quelqu'un ! Si le chauffeur ose me provoquer encore une fois, je lui ferai avaler son tableau de bord avec tous les boutons ! Merde ! Assis au fond, je me parle en grinçant des dents, je me parle pour essayer de me calmer, je me dis des mots, mille injures contre toute la Terre, tout mon vocabulaire y passe, dans les trois langues : maternelle, adolescente et celle de maintenant. Va te faire foutre, gros tabarnac d'*** de merde akhou char-mouta (…) Plein de mots, plein de phrases dans la bouche pour couvrir la tempête de mon cerveau, de ma conscience, de mon esprit, mon âme ou peu importe quoi d'autre qui est à l'intérieur, car quelque chose dans ma tête murmure très bas, très très bas, des mots violents, et malgré tout le bruit de l'autobus et de ma colère et le grincement de mes dents, malgré le vent et la neige et la tempête et la rage, je les entends, ces mots, venus de la nuit du temps : « Ma mère meurt, elle meurt, la ***, et elle ne me fera plus *** ! » Si j'avais un flingue, je me logerais une balle pour calmer la dispersion. Une vague immense me prend de l'intérieur et m'emporte et me fracasse contre les récifs de ma douleur. Elle jette mon cœur sur le plancher noir de l'autobus.(…)
Et j'étouffe seul au fond de mon autobus, étranglé par l'obligation dans laquelle je suis d'aimer ma mère parce qu'elle meurt, alors que depuis si longtemps, son visage, le visage de ma mère, est resté oublié, enfoui quelque part au fond du désert de ma mémoire, depuis cette grande transformation, arrivée il y a de cela dix siècles. J'avais quatorze ans. Et merde.
Texte 5 :
Un jour, ma mère s'est mise à avoir un visage autre. C'est peut-être ça le début de mon histoire. Le jour de mon quatorzième anniversaire, ma mère s'est retrouvée avec un visage tout autre. Je veux dire du tout au tout. Et personne ne s'en est étonné. Et personne ne m'a rien dit. Alors j'ai fugué. Quand on m'a rattrapé, on m'a demandé : «Wahab, pourquoi tu as fait une fugue ? » J'ai répondu que c'était parce que j'avais peur du visage changé de ma mère. On m'a amené voir un médecin. Une vraie tronche de cake. Il m'a reposé la question et j'ai répondu la même chose. « Qu'est-ce que tu veux dire par là ? » a fini par me demander la tronche de cake.
Quoi, qu'est-ce que je veux dire par là ?
Oui...
Je veux dire qu'avant, ma mère avait un autre visage que celui qu'elle a maintenant.
Je ne comprends pas... comment différent ?
Oui... différent. D'un coup !
Elle a vieilli ?
Non ! Comme s'il s'agissait de quelqu'un de différent ! Complètement différent.
Je ne te suis pas. Tu veux dire que ta mère n'est plus ta mère ?
C'est ce que j'ai cru au début. Une invitée, une amie de la famille, j'en sais rien, et puis non... c'était elle, mais avec un autre visage.
Il est comment, le visage de ta mère ?
Rond, les yeux verts, les cheveux coiffés avec du fixatif.
Et puis ?
L'autre jour, je reviens de l'école, elle a un visage pâle, des yeux délavés et cette longue chevelure blonde ; elle est mince et tout le monde fait semblant que c'est normal.
C'était quand ?
Il y a deux semaines. La journée de mon anniversaire. J'ai eu quatorze ans.
Qu'est-ce que tu comptes faire ?
Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ?
Texte 6 :
J'en ai marre et j'étouffe à mort. Il reste trois arrêts avant d'arriver à l'hôpital, mais je m'en fous. Je tire la corde. Le chauffeur me jette un regard à travers son rétroviseur, Le feu passe au vert. L'autobus redémarre. Bon. Je me lève pour me rapprocher de la porte.
C'est pas l'hôpital encore.
Je sais.
Je ne réponds pas. Je descends. L'autobus s’en va et je reste sur le trottoir. Je ne sais pas. Le fait que le chauffeur soit convaincu que je lui ai menti pour pouvoir payer moins cher ma place m'affecte plus profondément que la raison pour laquelle je suis là, à cette heure où l'on ne peut pas dire s'il est tard dans la nuit ou très tôt le matin. C’est peut-être ça que je commence à trouver le plus épatant: ne pas ressentir les sentiments qui s'accordent à la situation. C’est tout de même tuant. A la télévision, les héros pleurent quand ils sont tristes et rient lorsqu'ils sont heureux. Dans mon cœur, je pense qu'il y a un bordel monumental, un désaccord entier entre la réalité et mes sentiments, tellement que tout finit par sortir, mais selon des combinaisons étranges. C'est comme ça.
Texte 7 :
Je marche dans la rue. Elle est peut-être morte à cette heure. Qu'est-ce que ça me fait? je me demande. Rien, je réponds. La voix de mon frère était décisive, tranchante.
- Allô?
- Wahab?
- Oui.
- Viens vite.
Et j'ai raccroché.
Ils sont sûrement tous arrivés, les autres, la famille. Sûrement en train de pleurer. Le vent soufflé en rafales. Il m'arrache les yeux. Ce n'est plus moi qui marche. L'hôpital est là. Quelque chose en moi m'y conduit. Ma vie au complet. Je sais qu'elle a été pensée pour me mener aujourd'hui en cet endroit. Je voudrais fuir. Au soleil. Mais c'est impensable. Fuir est impensable. Même dans ma tête. Rien. Je suis trop petit. Pour rebrousser chemin, il me faudrait la force de lutter contre tout le mouvement de mon existence. Un seul geste dans la direction opposée et je serais décapité. Trop d'accélération me porte depuis si longtemps. Je traverse la dernière rue. Je la traverse. L'hôpital est là. Je suis Perceval, la blessure au cœur, qui revient vers la forteresse. Arthur meurt et je n'ai pas trouvé le Graal. Mes mains ne tiennent rien. Elles sont crispées au fond de mes poches et j'avance la tête baissée, le corps courbé dans les brusques risées du vent contraire. J'aurais aimé qu'elle crève sans bruit. Crise cardiaque ou thrombose, noyade ou accident d'auto. Quelque chose de sec, de net, définitif du premier coup. Sans symptômes avant- coureurs, ni traitements, ni chimio, ni radio, ni rien, ni merde. Pas de temps qui passe. À peine le temps de dire ouf. Faut être orgueilleux pour mourir d'un cancer. C'est long. C'est chiant et ça fait ***. Je le sais. Combien de fois, merde, elle m'a appelé en hurlant en pleine nuit ? Wahab ? Wahab ?... Et moi, d'un coup, arraché au sommeil, ramené d'un geste sur le continent de la conscience, enlevé des bras de l'oubli, j'arrivais dans sa chambre. Les autres dormaient. Mon père ronflait. Quoi ? Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai mal, Wahab ! Où ça ? Mon Dieu, j'ai mal. Où tu as mal ? J'ai mal.
Texte 8 :
Devant moi, il y a un père Noël. C'est pas une farce. Il y a un père Noël. Un vrai. Je veux dire : il est là. Sous la neige. Il marche sur le trottoir. En face de moi. Il avance. Un père Noël. Tout y est. Habit rouge, barbe blanche, bottes noires. (…) Il arrive à ma hauteur. S'arrête. Il devait tenir ses clés à la main parce que je ne le vois pas les sortir de sa poche. Il ouvre la portière de sa voiture. Il se penche. Il a un gros cul. Il met le contact. Il se redresse, muni d'un petit balai et, sans avoir l'air d'y penser, le père Noël commence à déneiger le pare-brise et les vitres de son auto. Je le regarde. Je ne bouge pas. Je ne sais pas. Comme s'il n'y a jamais eu de musique. Il fait le tour. Sans me regarder. Il balance son petit balai sur la banquette arrière, il remonte dans sa voiture, claque la portière, change de vitesse. Il veut s'en aller. Il ne peut pas. C'est comme ça. Il insiste, mais il n'y a rien à faire. La voiture se met à fumer, je regarde la machine : les roues tournent, spinent, glissent, crissent, rien à faire. Il ne décolle pas. Il accélère, en arrière, en avant, il reste sur place. Désespérant. (…). Je ne bouge pas. La voiture non plus. Ça dure. Il tente un grand coup. Il appuie sur la pédale à fond. La voiture hurle. Il s'enfonce. Il s'écœure. Il s'arrête. J'attends. La portière s'ouvre. Le père Noël sort de sa voiture en disant : Tabarnac ! (…) Il me regarde.
- Qu'est-ce que tu fais là, toi ?
- Je vais à l'hôpital.
- T'es malade ?
- Non. C'est ma mère. Elle va mourir.
- Ah bon, a répondu le père Noël.
Il se tait. Il me regarde. Je sens qu'il veut me demander quelque chose. Il ne sait pas comment.
- C'est pas l'fun, il dit.
- Non, je réponds. Un grand dialogue.
Je ne bouge toujours pas. Il se gratte la tête en regardant sa voiture. Je le vois venir. Il prend un petit temps de silence. Pour la forme sûrement. Pour pas que ça soit trop brutal. Je veux repartir, mais il est le plus rapide.
- Tu veux pas me pousser un peu ?
- C'est parce que ma mère est en train de mourir...
- Ça va juste prendre une minute !
Devant un pareil argument, je n'ai pas su dire non. Il remonte dans sa voiture. Il démarre. Je pousse. Ça ne décolle pas. On est pris. Il insiste. Je force. Pousse ! Pousse ! hurle le père Noël. J'ai tout son pot d'échappement qui me rentre dans la gueule. Pousse ! Pousse ! Mais je pousse ! T'as rien dans les bras, crisse ?! Pousse ! (…).
-Vous allez devoir appeler une remorqueuse, j'ai dit.
« Tabarnac ! » a répondu le père Noël, et je suis parti.
Texte 9 :
Au bout du corridor, il y a un attroupement, c'est là. Je vois ma tante. C'est une grosse, une obèse. Une émotive. Elle va pleurer en me voyant. Elle va tellement être sûre de ce que je ressens qu'elle va vouloir me consoler. Cette *** pense que je suis triste parce qu'à la télé, quand on perd sa mère, on est triste. Alors elle va me tomber dessus. Merde. J'en ai marre de tout ce cirque. J'arrive à la chambre. L'obèse me tombe dans les bras. Elle meugle quelque chose. Je les hais tous. Je ne sais pas pourquoi, mais je te les mitraillerais sans rancune. Ils sont tous là. Je les rejoins dans une chambre qui fait trois mètres sur quatre, occupée par un lit simple, et dans ce lit simple, il y a le corps de la femme à la longue chevelure blonde qui agonise. Elle a les yeux ouverts et regarde le plafond et de ses entrailles, à chaque expiration, surgit un râlement. Ma sœur Nawal lui tient la main et l'obèse est derrière le lit, penchée sur son visage, et lui hurle dans les oreilles des choses infâmes : « Mariamme, Mariamme, tu es belle, mon amour ! » Mais ferme ta gueule, ferme ta grosse gueule de grosse vache, *** ! Je ne dis rien. Il y a les autres, les oncles et les tantes. Tous regardent. Mon père est là. Je le regarde. Nidal, mon frère, est à mes côtés. Tout le monde semble catastrophé. J'enlève mon manteau. Je le pose sur une chaise placée au bout du lit et sur laquelle personne ne semble avoir envie de s'asseoir. Ma mère râle. Elle râle et j'ai honte. C'est comme ça. Au dernier moment, la vie se raccroche et pour les autres, les vivants, attendre que la mort vienne, c'est long comme l'éternité. Je n'en peux plus. Je sors de la chambre.
Texte 10 :
J'ai sept ans. Pays de mon enfance. Je suis accroché au guidon de mon tricycle et je fais le tour du balcon. Je surclasse tous les records. Mon bolide fonce à des années-lumière de la Terre. Je dois me rendre de toute urgence à la planète Vulgus, où se joue le sort de l'humanité. Je n'aurai aucune pitié pour les monstres monstrueux. D'ailleurs, bien fixé sur mon guidon, tout près du klaxon, mon canon à laser me permettra de pulvériser tous les vulgaires Vulgusiens. Ma mère m'énerve. Sa présence me rappelle que je suis toujours à la maison et non pas dans l'hyper- espace. C'est pas grave. Mes yeux la transforment aussitôt, elle et sa planche à repasser, en un gnome spatial horrible à écailles de morue et à yeux de mouche. Et je fonce, et je pédale, libre comme l'air.
Calme-toi et roule moins vite, me hurle le gnome à la planche à repasser, et moi, courageux comme pas un, je lui réponds que le venin informe qui lui sort de la bouche ne saura pas m'arrêter dans ma mission. L'humanité m'attend et je ne faillirai pas. Victoire ! Le gnome bat en retraite. Mais pas pour longtemps, le gnome revient et me dit qu'il faut que je me dépêche pour aller rendre visite à tante Hélène. Je pleure. Je remue, me débats et me défends, mais rien à faire, me voilà dans l'ascenseur en compagnie du gnome et on descend les sept étages.
Texte 11 :
On est dans la rue. Une chaleur étouffante. Le soleil fond sur la ville. Ma mère me dit : Attends. Elle entre dans un magasin pour acheter des cigarettes. Je ne bouge pas. Il y a des voitures. Plein. Des klaxons toujours.
Je dis, en imitant la voix de ma mère : Mais pourquoi ils klaxonnent ? Un autobus passe. Plein à craquer. Il s'arrête devant moi. À la radio une chanson joyeuse. Je regarde les passagers. Ils sont drôles. Il y a des femmes. Des vieux. Il y a des gros. Des minces. Des maigres. Ils suent. Un enfant de mon âge me sourit. Je m'approche. Je lève la main. L'autobus ne bouge plus. En arrière, on klaxonne pour que ça avance. Le garçon me lance par-dessus la cohue : Kif el yôm byo'dar baad yodhar mén el layl ? C'est une phrase de la chanson. Comment le jour peut encore sortir de la nuit ? Je fais semblant que je suis une danseuse du ventre. J'exécute des mouvements. On rigole. Lui dans l'autobus, moi dans la rue. Plus rien n'avance. Le chauffeur est en colère, il engueule tout le monde. Une voiture arrive en sens inverse et freine. Les pneus hurlent. Les portières claquent. Des gens courent. Je ne comprends pas. Mon ami ne me quitte pas des yeux. Tout va trop vite. Un homme arrive avec un boyau d'arrosage et inonde la carrosserie de l'autobus. Je repense à ma mère et à ses conseils pour arroser les herbes délicates. L'eau a une drôle d'odeur. Les passagers sont éclaboussés. Un mouvement de panique s'empare d'eux. Ils hurlent. Veulent sortir mais ils ne peuvent pas. Quelqu'un a bloqué la porte du véhicule. Des gens courent. Ils crient : « Ce n'est pas de l'eau. Ce n'est pas de l'eau. C'est de l'essence. De l'essence ! » Je regarde mon ami. Il est trempé. Il fait chaud. Il a les yeux grands ouverts. L'homme arrose toujours. Le chauffeur le supplie : Au nom de ta mère, au nom de ta mère ! Va te faire foutre, lui répond l'autre, et il lui tire une balle dans la tête. On crie. Le chauffeur tombe sur le klaxon. Des hommes partout. Mitraillettes entre les mains. Une femme veut sortir par la fenêtre. Trois longues rafales :
Tatatatatatatatatatatatatatatatatatatatata-tatatatatatatata Tatatatatatatatatatatatatatatatatatatatata-tatatatatatatata Tatatatatatatatatatatatatatatatatatatatata-tatatatatatatata
Et d'un coup, d'un coup vraiment, sans passage, d'un coup, l'autobus flambe. Il flambe avec les vieux, les femmes et les gros. Il flambe. Tout flambe. La femme ne bouge plus, à cheval sur le bord de la fenêtre. Elle brûle. Sa peau coule. Je fixe les yeux de mon ami. Il me regarde toujours. La fumée me fait pleurer. Ça sent la viande cramée. Je suis seul. La ville s'évapore. Je flotte au milieu de rien. Brume épaisse. Les mitraillettes crépitent, le klaxon pleure, le feu avale tout et dans l'éclat des flammes, à l'intérieur de la carcasse rougeoyante de l'autobus, j'aperçois la silhouette d'une femme vêtue de noir avancer vers mon ami. Ses mains et ses bras sont de bois, son visage voilé. Cette femme n'existait pour personne avant. Elle n'avait pas de corps, pas d'âme, rien. Elle est née du feu, et maintenant elle est là, je la vois, je la vois saisir mon ami à la gorge, je la vois lui tordre le cou, lui arracher la tête, la porter à sa bouche et la dévorer. Elle se retourne vers moi. Elle me regarde. Je ne peux pas fuir. Qui est-elle ? Il n'y a plus rien, plus de lumière, plus de beauté, plus de beauté.
Texte 12
Avec les années, le silence s'est transformé en couleurs étalées avec colère sur les toiles de mes vertiges. Tableaux où j'ai tenté de retrouver d'abord la forme des visages aimés et perdus, puis leur poésie et leur colère et leurs chagrins, tableaux par centaines où des espaces se sont éveillés avec des fracas de bleu en mille nuances, faisant de l'aventure de la beauté une plongée au cœur même de la violence et de la peine de ce qui avait rendu mon existence ennuyante. Les années ont passé. « Que fais-tu de ta vie, Wahab ? »
- De la peinture, maman.
- Mais ton métier.
- Je vais peindre. Faire de la peinture.
- Qu'est-ce que c'est encore que ces histoires ?
- Ce ne sont pas des histoires, ma mère. Des portraits.
- Des portraits, Quels portraits ? De quoi tu parles ? Portraits de quoi ?
- De toi... de ton visage... pour me souvenir. .. ne pas t'oublier... je vais peindre.
Texte 13 :
- Wahab, viens. C'est maintenant.
Ce sont ses propres mots. Viens. C'est maintenant. Ses mots. Je n'invente rien. Il repart. Sans attendre. Bon. Je le suis. Je ne vois rien. J'oublie tout de ce trajet. Je le suis. Pas à pas. Brouillard. Je me retrouve dans la petite chambre. Je ne me souviens pas d'y être entré. Je suis debout, entre la porte à ma gauche et Nidal à ma droite. Lui et moi plaqués contre le mur. Toute la famille est là, il s'est même ajouté une cousine ou deux. L'infirmière, seule, est assise sur le lit ; ma sœur au visage perdu tient la main gauche de la femme à la longue chevelure blonde, et l'autre grosse truie hurle sans cesse :
« Mariamme, Mariamme », on est avec toi.
Oui. Vachement qu'on est avec elle. Elle meurt, et toi tu vas bouffer du magret de canard au repas d'enterrement, c'est certain qu'on est avec elle, toi en première ligne, ***. Mais je ne dis rien. La femme à la longue chevelure blonde agonise. L'infirmière attend. La grosse meugle.
« Mariamme, Mariamme... » L'infirmière s'écœure.
- Madame, taisez-vous ! Elle a besoin d'être seule pour mourir !
Texte 14 :
Ils ne pleurent pas, ils ne hurlent même pas. Ils braient. Ils lèvent la tête et s'étranglent dans leurs hululements. Je commence à envier la morte. Elle ne peut plus les entendre. Nidal, seul, fait de ses larmes des perles de silence. Appuyé sur moi, il pleure la mort de sa mère. Ma peine est grande pour lui. Je jette un coup d'œil vers Nawal. Elle ressemble à ces athlètes qui reprennent leur souffle après avoir couru un cent mètres. Je la regarde. Je la trouve belle dans sa fatigue. De nous tous, elle est clairement celle qui a remporté l'épreuve. Elle ne pleure pas. Mon père ne pleure pas. Il a trop souvent vu ça à la télé. C'est comme moi. Je ne pleure pas. Je suis en plein tournage. Je me dis que ça pourrait faire un très bon début de film. Mais encore une fois : je ne suis le héros de personne. Je ne pleure pas. Les autres font ça très bien à ma place. L'infirmière finit par nous demander de sortir.
Texte 15 :
La femme aux membres de bois est debout dans la chambre.
J'en ai le souffle coupé. Je veux fuir mais je ne peux pas bouger. Elle est là et je la regarde. Il n'y a plus que nous. Plus de lit. Plus de cadavre, plus de lumière. Elle, là, à quelques pas de moi. La tête baissée. Elle grince des dents. Elle relève la tête. Son voile tombe. Elle me fixe. Et son regard me pénètre comme une coulée de neige. Je la vois maintenant, je la vois. Je vois son visage et je la reconnais. C'est la guerre. C'est la guerre dans la chambre. Celle de l'autobus en flammes il y a longtemps. Je veux hurler. Mais rien ne sort. Rien. Elle fait un pas en avant. Jambes de bois. Et moi, je la regarde toujours, incapable d'en détacher les yeux. Je la regarde, je regarde son visage et je la reconnais. Avec toute l'enfance dont je suis capable, je la reconnais. Reconnais toute ma colère et toute ma peine. Reconnais ma rage et ma haine. Je la reconnais. Elle s'approche, tend ses bras de bois et me hurle comme elle me hurlait au cœur de mes cauchemars anciens : « Ton cœur est à moi ! » Ses mains se crispent. Mains de bois. Je suffoque
! J'en crois pas mes yeux. Je la reconnais. Aveugle, aveugle, j'ai été aveugle ! Elle peuplait mes angoisses et mes nuits, me terrassait chaque fois qu'il faisait noir, faisait hurler mon âme, tourmentait mes solitudes, et je ne l'ai jamais reconnue ! A elle seule, elle était l'éclatement de toutes mes douleurs. Tapie dans tous les recoins de mon âme, elle surgissait au moment où, au cœur d'une trop effrayante obscurité, j'invoquais la lumière. Elle apparaissait de mon aveuglement dû à la soudaine clarté et s'apprêtait à me dévorer. Son visage m'était demeuré caché, ma peur était trop grande pour que je puisse le voir, or, voilà qu'aujourd'hui il se révèle à moi : la femme aux membres de bois a un visage pâle avec une longue chevelure blonde. J'ai vécu si longtemps à ses côtés sans me méfier ! C'était elle ! C'était elle ! La guerre c'était elle. Le cancer c'était elle ! La femme aux membres de bois !
Texte 16 :
Je marche dans la ville. Je suis fatigué. Le trajet jusqu'à chez moi est long. Je marche sous la neige. Le printemps est encore loin. Je croise des passants. Ils ne se doutent de rien et c'est tant mieux. J'arrive dans mon quartier. Je m'assois sur un banc. Je regarde les gens. Un autobus passe. Bondé. Pas de danger. Une vie bouleversante s'agite autour de moi. Je dois rentrer chez moi. Un tableau à faire. Une histoire à terminer. C'est comme ça. Le froid m'engourdit. Je me lève.
Je regarde la toile blanche fixée sur le mur. Mes couleurs sont là. Les pinceaux sont prêts. Je commence toujours dans le silence. Un vol d'oiseaux dans le ciel froid de l'hiver. Je souris. Qu'est-ce que je peux faire d'autre ? Simplement la vérité.
Je ne sais plus pleurer.
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Il y a des gens si bêtes que si une idée apparaissait à la surface de leur cerveau, elle se suiciderait, terrifiée de solitude.
- AinsifontNiveau 5
Merci beaucoup cannelle21 de partager les textes que tu avais distribués aux élèves. Je vais les lire attentivement.
Est-ce que tu avais proposé une autre lecture cursive ?
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