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par slynop Sam 8 Fév 2020 - 14:04
Bonjour à tous,

On enseigne aux élèves que les noms propres sont invariables, alors comment leur expliquer simplement cet accord au pluriel pour les Lumières, par exemple ? Pour les noms géographiques, on peut les mettre au pluriel, ainsi ont dit les Alpes, ou pour l'antonomase comme avec Harpagon.

Merci à vous pour l'éclairage.

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par Austrucheerrante Sam 8 Fév 2020 - 14:47
Slynop, il me semble que dans tes exemples, les noms sont toujours pluriel : on ne dit pas l'Alpe ou la Lumière ; donc ils restent invariables.
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par Satellite Sam 8 Fév 2020 - 17:39
Austrucheerrante a écrit:Slynop, il me semble que dans tes exemples, les noms sont toujours pluriel : on ne dit pas l'Alpe ou la Lumière ; donc ils restent invariables.

D'accord avec Austrucheerrante.
Et puis les Français, les Françaises, cela s'accorde...

Ce que j'ai trouvé sur le site "Besherelle.ca":

3 principes directeurs:

1- S’il s’agit de noms désignant directement des personnes, la règle générale énonce que les noms propres de personnes sont invariables.

Quand il s’agit de familles non particulièrement illustres : Nos voisins, les Durand, nous ont invités ce soir.
Quand il s’agit de personnes appartenant à la même famille : Les sœurs Lefebvre sont vraiment jolies.
Quand il s’agit de noms employés par emphase : Y a-t-il des Marianne dans la salle ?
Toutefois, les noms propres prennent la marque du pluriel.
Quand ils désignent des peuples : Les Canadiens, les Allemands, les Belges.
Quand ils désignent des personnes dont la gloire est ancienne, en particulier lorsqu’elles ont vécu pendant l’Antiquité, ainsi que celles qui appartiennent à une dynastie ou une famille royale : Les Horaces et les Curiaces, les Capétiens, les Bourbons, les Stuarts.
Attention : Il existe deux exceptions à cette exception, pour lesquelles l’invariabilité est la règle:

Les noms de dynastie non francisés : Les Habsbourg, les Borgia.
Certains noms français pour lesquels le pluriel n’est pas admis : Les Napoléon, les Corneille.
Quand les noms propres sont employés pour désigner des espèces, des types de personnes possédant une caractéristique commune ; on utilise alors un procédé appelé « antonomase ». Un bel exemple nous est offert par Jean Rostand dans ses Pensées d’un biologiste: « Dans notre société soi-disant civilisée, combien de Mozarts naissent chaque jour en des îles sauvages ! »
Attention : Il est important de noter que dans ce cas-ci, l’usage accepte également l’invariabilité des noms propres afin, sans doute, de les rendre reconnaissables ou d’éviter une confusion. Ainsi l’écrit Victor Hugo, dans L’homme qui rit : « Les Goliath seront toujours vaincus par les David. »

2- S’il s’agit de noms désignant des lieux géographiques, des toponymes, la règle générale indique que les noms propres de lieux prennent la marque du pluriel.

Quand ils désignent un regroupement d’entités géographiques ou politiques : les Laurentides, les Maritimes, les Alpes, les Antilles, les deux Canadas, les États-Unis.
De la même façon que pour les noms de personnes, quand les noms de lieux sont employés par métaphore ou métonymie, ils prennent la marque du pluriel : Ces villes sont de modernes.
Attention : Dans ce cas-ci également, l’usage accepte invariabilité du toponyme : Il me reste des Everest à conquérir.

Toutefois les noms de lieux demeurent invariables.

Lorsqu’ils désignent plusieurs réalités géographiques ; exemple : On compte plusieurs Montréal dans le monde.
Lorsqu’ils sont employés pour souligner différents aspects du lieu, sociologiques ou politiques. Empruntons cette fois un exemple à Jules Michelet, extrait de son Histoire de la Révolution française : « Il y avait deux Avignon, celle des prêtres et celle des commerçants. »
3- S’il s’agit de noms propres désignant des œuvres d’art par le nom de leurs auteurs, ou encore des noms de marque de produits, comme des automobiles, la règle générale énonce alors que ces noms sont invariables.

Gustave Flaubert en livre un exemple dans L’Éducation sentimentale : « Il avait été revoir les Titien. » Nous dirions ainsi : J’ai lu tous les Zola, ou encore : la cinémathèque organise une rétrospective des Buñuel. Pour les produits, empruntons un exemple à François Nourissier, dans Une histoire française : « Des Ford ou des Chevrolet bicolores sont parquées devant chaque pavillon blanc… » et un autre à Simone de Beauvoir, dans Les Belles Images : « Ils boivent du vin, du bourbon, des Martini. »
Attention: Quand l’usage a transformé les noms propres de marque en noms communs, alors ils prennent une minuscule initiale et admettent le pluriel : des camemberts, des frigidaires, des mobylettes, des sucrettes, etc.

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Notre âme est transitive. Il lui faut un objet, qui l'affecte, comme son complément direct, aussitôt. [Francis Ponge]
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par Iphigénie Sam 8 Fév 2020 - 17:53
Les Horaces et les Curiaces
Des Picassos et des Corots
Les Bourbons et les Capets
...
Par contre Pierre et Marie Curie et pas Curies évidemment : dire que les noms propres ne s’accordent pas c’est un raccourci...un peu court;)
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par slynop Sam 8 Fév 2020 - 19:08
Merci à vous, et à Satellite en particulier.


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par e-miette Jeu 13 Fév 2020 - 7:37
Bonjour à tous, ô maîtres ! (un peu de lèche-bottisme ne peut pas faire de mal dans ma situation)
J'ai du mal à expliquer à mes élèves de 6ème pourquoi, dans "il obéit au doigt et à l'oeil", on a un complément circonstanciel de manière, et pas un COI :pleurs: :pleurs:
Les chers petits applique bien sûr la règle n°1 : "il obéit à quoi ?"... au doigt, évidemment (image du doigt autoritaire de leur prof :diable: )
La règle n°2 (est-ce qu'on peut dire "il obéit" ?... bin oui, le complément n'est pas essentiel !) est ici inopérante.
Il va me falloir de solides arguments - et si possible simples - pour éclaircir leur ciel encombré. Et le mien d'ailleurs ! Car là, je doute !
Et j'ai le même problème avec : il compte sur ses doigts
A l'aide !!!
Puck
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par Puck Jeu 13 Fév 2020 - 8:18
Il faut absolument se dégager de ces histoires de compléments essentiels ou non. Ça embrouille les élèves.
« Je lis. » : pas besoin de cod prétendument essentiel.
« Terentia habite » je suis obligée d’ajouter « une villa  » . Et le ccl est « essentiel » !

_________________
"Ce que nous avons fait, aucune bête au monde ne l'aurait fait. 
Mais nous nous en sommes sortis. Et nous voici confrontés à l'ingratitude de la nation. Pourtant, c'était pas ma guerre. C'était pas ma guerre, oh non !"
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par slynop Jeu 13 Fév 2020 - 8:40
Il obéit comment ?
Et obéir me semble être un verbe intransitif. Je n'ai pas de dictionnaire sous la main pour le vérifier.

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par *Ombre* Jeu 13 Fév 2020 - 8:46
e-miette a écrit:Bonjour à tous, ô maîtres ! (un peu de lèche-bottisme ne peut pas faire de mal dans ma situation)
J'ai du mal à expliquer à mes élèves de 6ème pourquoi, dans "il obéit au doigt et à l'oeil", on a un complément circonstanciel de manière, et pas un COI :pleurs: :pleurs:
Les chers petits applique bien sûr la règle n°1 : "il obéit à quoi ?"... au doigt, évidemment (image du doigt autoritaire de leur prof  :diable: )
La règle n°2 (est-ce qu'on peut dire "il obéit" ?... bin oui, le complément n'est pas essentiel !) est ici inopérante.
Il va me falloir de solides arguments - et si possible simples - pour éclaircir leur ciel encombré. Et le mien  d'ailleurs ! Car là, je doute !
Et j'ai le même problème avec  : il compte sur ses doigts
A l'aide !!!

C'est très simple.
D'abord, comme le dit Puck, tu oublies ces histoires de complément essentiel ou pas : comme tu le constates, c'est inopérant, et c'est le cas beaucoup trop souvent pour en faire un critère de reconnaissance des CO ou des CC.
Tu expliques bien ce que veut dire circonstanciel en partant des circonstances d'un accident, par exemple : tout ce qui renseigne sur le lieu, le moment, la cause d'un accident, la façon dont il s'est produit... Eh bien, en grammaire, c'est pareil, parce que les mots ont un sens (et complément circonstanciel, ça a un sens, contrairement à complément de phrase qui ne complète même pas la phrase). Tu expliques bien que tout ce qui répond aux questions où, quand, comment, pourquoi, c'est des compléments circonstanciels.

Il obéit à son maître = il obéit à qui (pas pourquoi ni comment) = COI
Il obéit au doigt et à l'oeil = il obéit comment = CCM
Il compte comment, de quelle manière ? Sur ses doigts = CCM

De telles erreurs sont fréquentes et normales. Ce sont elles qui vont permettre de préciser peu à peu les contours (d'ailleurs parfois discutables, même pour de solides grammairiens) du COI.

Il est mort de froid : Il est mort de quoi, pour quelle raison : de froid = CCC

Tu peux même, pour faire mieux percevoir le truc, donner des phrases ambiguës comme : Juliette lui parle de sa fenêtre. J'écris deux fois la phrase au tableau. Dans la 1ère, je souligne "de sa fenêtre" et j'indique COI, dans la deuxième, je marque CCL, et je demande d'expliquer la différence de sens entre les deux phrases.
Si je dis que "de sa fenêtre" est COI, cela signifie que la fenêtre est le sujet de discussion.
Si je dis que "de sa fenêtre" est CCL, cela signifie que Juliette parle depuis sa fenêtre (de quoi, on n'en sait rien).
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par Iphigénie Jeu 13 Fév 2020 - 10:27
Pourtant un orchestre obéit bien à la baguette du chef et le chien au doigt et à l’œil du maître!
Je suis comme les élèves: j’y vois bien deux COI!
A la rigueur en prenant l’expression en son sens imagé on peut y voir un CCM mais la réponse des élèves est grammaticalement fondée en fait, je trouve.
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par Iphigénie Jeu 13 Fév 2020 - 10:43
Puck a écrit:Il faut absolument se dégager de ces histoires de compléments essentiels ou non. Ça embrouille les élèves.
« Je lis. » : pas besoin de cod prétendument essentiel.
« Terentia habite » je suis obligée d’ajouter « une villa  » . Et le ccl est « essentiel » !
Bah là j’y vois un cod: on peut habiter une grotte, un appartement, une planète....// il habite dans une villa : un ccl


Dernière édition par Iphigénie le Jeu 13 Fév 2020 - 10:47, édité 1 fois
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par Iphigénie Jeu 13 Fév 2020 - 10:45
Que se passe-t-il ce matin? Very Happy
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par slynop Jeu 13 Fév 2020 - 12:50
Il obéit au doigt et à l'oeil ou il obéit immédiatement.
Dans les deux cas, c'est bien comment il obéit. CCM.

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par *Ombre* Jeu 13 Fév 2020 - 13:08
Oui, je pense que l'expression, si elle est explicable en passant par le tour que tu cites, Iphigénie, est devenue une locution synonyme de "vite et bien".

Par contre, comme toi, je fais une différence entre habiter qqch et habiter dans. Ce sont des choix de construction différents, donc des analyses différentes.
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par Iphigénie Jeu 13 Fév 2020 - 13:17
Oui au sens figuré, en prenant le tout comme expres​sion( mais l’expression imagée inclut le verbe obéir ;  mais je ne trouve pas la réponse des élèves désastreuse.
Si on dit qu’il  « pleut  des cordes » je dirais aussi que corde est cod dans un emploi exceptionnellement transitif, même si le sens c’est «  il pleut beaucoup »
Donc j’accepterais les deux et je ne ferais pas de leçon sur CO versus  Cc sur cette phrase! Wink
Enfin c’est mon avis que je partage làWink


Dernière édition par Iphigénie le Jeu 13 Fév 2020 - 13:55, édité 1 fois
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par Puck Jeu 13 Fév 2020 - 13:39
Iphigénie a écrit:
Puck a écrit:Il faut absolument se dégager de ces histoires de compléments essentiels ou non. Ça embrouille les élèves.
« Je lis. » : pas besoin de cod prétendument essentiel.
« Terentia habite » je suis obligée d’ajouter « une villa  » . Et le ccl est « essentiel » !
Bah là j’y vois un cod: on peut habiter une grotte, un appartement, une planète....// il habite dans une villa : un ccl
Oui. J’ai écrit trop vite car j’avais la phrase en latin dans la tête « in villā ». J’ai une élève de 5e qui était bouleversée par le fait que le ccl était indispensable dans cette phrase. Elle a appris dans avec son enseignant : essentiels (on ne peut pas enlever) et circonstanciels (on peut enlever). Et elle était toute perplexe devant « Terentia  habite », point final. Et elle comprenait très bien dans une ferme = ccl, mais cela venait à l’encontre de la méthode qu’elle connaissait.

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par Iphigénie Jeu 13 Fév 2020 - 13:53
Puck a écrit:
Iphigénie a écrit:
Puck a écrit:Il faut absolument se dégager de ces histoires de compléments essentiels ou non. Ça embrouille les élèves.
« Je lis. » : pas besoin de cod prétendument essentiel.
« Terentia habite » je suis obligée d’ajouter « une villa  » . Et le ccl est « essentiel » !
Bah là j’y vois un cod: on peut habiter une grotte, un appartement, une planète....// il habite dans une villa : un ccl
Oui. J’ai écrit trop vite car j’avais la phrase en latin dans la tête « in villā ». J’ai une élève de 5e qui était bouleversée par le fait que le ccl était indispensable dans cette phrase. Elle a appris dans avec son enseignant : essentiels (on ne peut pas enlever) et circonstanciels (on peut enlever). Et elle était toute perplexe devant « Terentia  habite », point final. Et elle comprenait très bien dans une ferme = ccl, mais cela venait à l’encontre de la méthode qu’elle connaissait.
J’ai pensé que tout le monde était en fin de trimestre surtout! :lol:

Sur les histoires de cpt essentiels ou déplaçables bien d’accord avec vous !
Wink
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par Invité Jeu 13 Fév 2020 - 14:55
Je partage l’avis de la camarade *Ombre* sur la nécessité d’expliquer la terminologie grammaticale.

Les appellations en grammaire ne sont pas des étiquettes choisies arbitrairement : elles ont un sens et c’est ce sens qu’il convient d’éclairer pour justifier ensuite les repérages habituels. La grammaire syntaxique a beaucoup moins d’intérêt que la grammaire sémantique : comprendre que le COD exprime l’objet sur lequel s’exerce l’action d’un sujet est utile pour une explication de texte, pas savoir repérer un COD par la monstrueuse question quoi ? ou — moins grave — par le passage au passif. En particulier, je suis convaincu qu’il faut mettre les termes contenus dans les appellations en relation avec les catégories philosophiques auxquelles ils se réfèrent (sujet grammatical vs sujet cartésien ; attribut grammatical vs attribut aristotélicien, etc.).

Qu’exprime une pensée ? Deux possibilités (principales) : ou bien il s’agit de l’état d’un sujet, ou bien il s’agit de l’action d’un sujet. D’où la distinction entre verbes d’état et verbes d’action. Dans le premier cas, le sujet est doté d’une propriété, d’un attribut (d’un prédicat diraient certains) ; syntaxiquement l’attribution se fait par l’intermédiaire d’une copule (qui ne fait que modaliser la nature de l’attribution : certitude avec être, vraisemblance avec paraître, permanence avec rester). Dans le second cas, deux possibilités à nouveau. Soit l’agent agit dans le vide, je veux dire sans mettre en jeu un objet (verbes intransitifs), soit l’agent agit sur un objet (verbes transitifs). Et la distinction entre COD (transitif direct) et COI (transitif indirect) est très accessoire : c’est une distinction syntaxique, pas sémantique — dans le fond, osef qu’il y ait ou pas une préposition entre le verbe et son complément. Enfin, la pensée exprime des éléments qui ne sont pas impliqués dans le procès de l’action (ou de l’état), c’est-à-dire ses circonstants temporels, spatiaux et autres : fiant les compléments circonstanciels.

Quatre conséquences.

  • Premièrement, une même phrase peut être analysée de différentes manières, selon qu’on exprime derrière une même formulation des catégories de la pensée différentes. Dans « il obéit au doigt et à l’œil », au doigt et à l’œil est littéralement le COI de l’obéissance : quel est l’objet de l’obéissance ? le doigt et l’œil. Dans l’usage, c’est effectivement devenu par lexicalisation un CCT ou CCM : l’obéissance du sujet, qui n’a ici pas d’objet, s’exerce dans une circonstance particulière (le moment ou la vitesse d’exécution). Une telle ambiguïté, bien loin d’être un problème, est une richesse ; on pourrait faire valoir dans une explication de texte la double peine du sujet : assujettissement à une entité matérielle (COI) et obéissance dans des conditions, disons, défavorables (CCT/CCM).
  • Deuxièmement, une action s’exerce toujours sur un unique objet : le COS, c’est de la foutaise (dans « je donne une baffe à Patrick », Patrick n’est pas l’objet du don, il en est le destinataire, celui à qui on attribue l’objet du don, la baffe).
  • Troisièmement, il y a une contradiction dans la grammaire traditionnelle. Dans « je vais au marché », la tradition voit dans au marché un complément circonstanciel. Ce n’est pas tenable : la destination du déplacement n’est pas une circonstance de ce déplacement. Ce n’est pas vraiment non plus l’objet du déplacement (quoique ça se dispute). Donc je crois que la grammaire moderne n’a pas forcément tort lorsqu’elle crée des compléments du verbe, qui regrouperaient les compléments d’objet et les compléments de destination (in urbem), d’origine (ex urbe), du lieu où l’on est (Romae) ; le problème de cette terminologie vient plutôt du bordel définitionnel qui l’environne généralement.
  • Quatrièmement, la distinction entre complément essentiel et complément non-essentiel est une distinction syntaxique, qui, lorsqu’elle n’est pas foireuse, n’a pas beaucoup d’intérêt : à éviter.
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par e-miette Jeu 13 Fév 2020 - 16:03
Hé bien, je suis ravie de voir que ma pauvre et piteuse question n'était peut-être pas dénuée d'intérêt ! Merci pour cet instructif débat, et pour tous les exemples concrets que vous donnez ("Juliette lui parle de sa fenêtre", je sens que je vais m'en servir très prochainement, Ombre !).
Fort heureusement, je n'ai jamais parlé de complément essentiel à mes élèves car je trouvais déjà cela discutable, mais là vous m'avez bien convaincu de jeter le concept aux oubliettes.
Merci Pauvre Martin pour avoir élargi ma vision de ces difficultés : une richesse, et non un problème. Je m'en souviendrai.
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par Iphigénie Jeu 13 Fév 2020 - 17:55
quel est l’objet de l’obéissance ? le doigt et l’œil. Dans l’usage, c’est effectivement devenu par lexicalisation un CCT ou CCM :
Moi je pense toujours que l’expression imagée est « obéir au doigt et à l’œil «  avec le sens « d’obéir avec promptitude, oui; mais une fois dit cela, si on veut analyser grammaticalement doigt et oeil, image ou pas image, sont et restent des Coi : si je dis qu’
« ils sautene comme un cabri en disant  Europe Europe » sémantiquement,  je décris des gens qui sont excités, comment? frénétiquement! - sur un concept. Mais grammaticalement j’ai toujours une comparaison,  pas un adverbe de manière .

Bon ce que dit Pauvre Martin est très intéressant mais je me demande ce qu’en pensent les professeurs des écoles qui posent les bases dont tout découle...
Je ne suis pas vraiment convaincue de la nécessité de brouiller en amont même si c’est passionnant en aval...
Pour les cos non plus je ne suis pas convaincue : je trouve que c’est intéressant de remarquer les verbes à une construction seulement : je me souviens de lui,  et les verbes à deux constructions:  je parle de lui à ma mère . Parler de destination et pas d’objet me paraît compliquer plus que simplifier, surtout  d’ailleurs lorsque le destinataire est un émetteur: j’ai appris cela de mon père . Et quand «  j’enseigne la grammaire aux enfants » qui est l’objet de l’enseignement? La grammaire ou les enfants?
Bref c’est sympa la grammaire: on est sûr de ne pas manquer de sujet ni d’objet de discussion. Very Happy
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par Invité Jeu 13 Fév 2020 - 19:40
Littéralement, le doigt et l’œil sont bien sûr l’objet de l’obéissance mais il y a catachrèse : qui, lorsque cette expression est employée dans la langue courante, se figure que le sujet se préoccupe du doigt et de l’œil du donneur d’ordre (ou de la baguette si on veut une autre tournure) ? Pas grand monde. On considère plutôt qu'il y a une expression figée, qui devient une locution indépendante de son contexte de formation et réutilisable pour d'autres emplois : on peut imaginer une phrase comme « il a rempli sa mission au doigt et à l’œil » (où l’objet du remplissage est évidemment la mission et au doigt et à l'œil est un CCM/CCM). C’est pour cela que je parlais de richesse dans l’ambiguïté ou plutôt dans l’ambivalence de la construction : on peut faire jouer les deux fonctions pour expliquer des effets de sens différents. C’est de la poésie, quoi !

Pour ce qui est de la difficulté conceptuelle, le problème rejoint des questions plus vastes de programmes scolaires : faut-il enseigner les notions dans leur logique d’utilisation ou faut-il les enseigner de sorte qu’elles soient immédiatement accessibles ? Autant je suis très heureux que mes instits m’aient appris à additionner et à soustraire sans me parler de Peano ou de toute axiomatisation des entiers naturels, autant il m’est arrivé de soupirer quand mes profs de maths voulaient absolument lier les fonctions à des modélisations de situation concrètes. De même, j’ai appris à faire des explications de texte en cherchant les figures de style (ça va plaire à notre oracle gripien ça !) ; donc je sais très bien ce qu’est une antanaclase ou une épanadiplose, mais ma proximité avec la poétique racinienne est égale à… n’en parlons pas. Bon, le khâgneux qui sommeille encore en moi a bien envie de dialectiser tout cela.

Enfin, je ne comprends pas toutes tes réserves sur les constructions. Dans « je parle de lui à ma mère », ma mère n’est jamais l’objet de la parole, elle en est le destinataire… Et dans « j'ai appris cela de mon père », le complément d'objet de l’action d'apprendre est bien cela, et mon père n’est effectivement pas le destinataire de l’apprentissage mais sa provenance : à côté des compléments d’attribution/de destination (datif) existent aussi des compléments de provenance (a(b) + ablatif) ! On peut même en imaginer d’autres d’ailleurs : dans « il délivra sa patrie des rois », des rois est complément de séparation, l’objet de la délivrance étant bien la patrie. Et dans « j’enseigne la grammaire aux enfants », l’objet de l’apprentissage est la grammaire, les enfants n’en sont que les destinataires ; je ne vois pas ce qui pose problème — en français, en latin évidemment double accusatif.
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par Iphigénie Jeu 13 Fév 2020 - 21:44
Parler à qqun: qqun n’est pas l’objet de la parole mais l’objet ( l’objectif) du fait de parler . Je trouve que l’on prend le mot objet de façon trop concrète . Quand j’envoie, ou donne, j’envoie, je donne, forcément quelque chose mais forcément aussi à quelqu’un: l’objet se dédouble, comme pour enseigner : je peux d’ailleurs l’employer sans objet direct: il enseigne à des adultes/ ou en double construction: il enseigne le chinois à des étudiants belges.
Enfin je trouve que c’est une manière plus simple que de dire que certains verbes ont besoin d’exprimer aussi  un destinataire ou une provenance de l’action par le biais d’un complément prépositionnel qui n’est pas un coi. De plus je trouve que lorsqu’on les identifie comme COs on peut aussi plus facilement les voir ensuite dans un deuxième temps comme bénéficiaire, destinataire ou provenance ou complément de séparation : j’ai l’impression, peut-être fausse que simplifier d’abord pour complexifier ensuite est une démarche nécessaire dans l’enseignement de la grammaire et que la différence entre ancienne et nouvelle grammaires est une différence essentiellement pédagogique: sur le fond, on peut facilement admettre que la description de la langue est un exercice sans fin tant la souplesse et les nuances du langage ajoutées aux évolutions historiques’ pas forcément logiques en font un organisme vivant excessivement complexe et que la grammaire a donc deux fonctions: apprendre à structurer sa pensée puis apprendre à nuancer sa pensée: ainsi vouloir faire les deux ensemble ou choisir chacun, de structurer en fonction des nuances auxquelles il est sensible est périlleux ...
Mais bon on s’écarte de la réponse à la question posée là Wink
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par Invité Jeu 13 Fév 2020 - 23:09
Il y a effectivement controverse sur la notion même d’objet. Pour aller vite, je crois que la grammaire (traditionnelle) prend le sujet et l’objet à peu près de la même manière que la philosophie : la pensée ou le monde est rempli(e) de sujets et d’objets, un sujet pouvant devenir objet et réciproquement (je suis sujet lorsque j’écris et je suis objet lorsque je suis vu par une jolie fille). Le sujet (de subjectum, « ce qui se tient en dessous ») est ce qui fait l’action, ce qui met en mouvement les choses. L’objet (de objectum, « ce qui se tient devant ») est ce sur quoi l’action s’applique, ce qui est mû (cf. aussi l’étymologie de transitif) ; point n’est besoin d’utiliser une dérivation sémantique du mot objet pour parler du but, du destinataire, de la provenance… Mais je me répète.

Iphigénie a écrit:Quand j’envoie, ou donne, j’envoie, je donne, forcément quelque chose mais forcément aussi à quelqu’un: l’objet se dédouble, comme pour enseigner : je peux d’ailleurs l’employer sans objet direct: il enseigne à des adultes/ ou en double construction: il enseigne le chinois à des étudiants belges.

affraid

Ça, ce n'est possible que parce que les pédagogistes ont eu du succès ! Razz
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par Iphigénie Ven 14 Fév 2020 - 6:12
Pauvre Martin a écrit:Il y a effectivement controverse sur la notion même d’objet. Pour aller vite, je crois que la grammaire (traditionnelle) prend le sujet et l’objet à peu près de la même manière que la philosophie : la pensée ou le monde est rempli(e) de sujets et d’objets, un sujet pouvant devenir objet et réciproquement (je suis sujet lorsque j’écris et je suis objet lorsque je suis vu par une jolie fille). Le sujet (de subjectum, « ce qui se tient en dessous ») est ce qui fait l’action, ce qui met en mouvement les choses. L’objet (de objectum, « ce qui se tient devant ») est ce sur quoi l’action s’applique, ce qui est mû (cf. aussi l’étymologie de transitif) ; point n’est besoin d’utiliser une dérivation sémantique du mot objet pour parler du but, du destinataire, de la provenance… Mais je me répète.

Iphigénie a écrit:Quand j’envoie, ou donne, j’envoie, je donne, forcément quelque chose mais forcément aussi à quelqu’un: l’objet se dédouble, comme pour enseigner : je peux d’ailleurs l’employer sans objet direct: il enseigne à des adultes/ ou en double construction: il enseigne le chinois à des étudiants belges.

affraid

Ça, ce n'est possible que parce que les pédagogistes ont eu du succès ! Razz
Remarque 1: quand tu lances une balle à quelqu’un , il vaut mieux que ce quelqu’un « se tienne devant l’action », non?Wink
Remarque 2 ( enseigner absolument+ à): c’est pas faux, ta remarque!  :lol:
J’aurais dû rester sur « donner » pour cette construction: il donne aux pauvres. Wink
Et il me semble bien que c’est une action qui dans ce cas «  s’applique » bien à « l’objet » pauvre. Il y a d’ailleurs bien des verbes qui ont, en variant de sens, des constructions doubles pour la personne (objet direct/ indirect) comme «  attaquer »: je peux attaquer l’ennemi ou m’attaquer à l’ennemi, ou encore, des verbes qui historiquement ont flotté dans leur construction comme, bien avant les pédagogistes, le verbe « apprendre »: on pouvait dire (ça se dit encore beaucoup par chez moi ici): « je l’ai appris à lire », construction que l’on trouvait au XVII e Wink
Ce qui fait:
Je les apprenais à lire( jadis).
Je leur apprends à lire.
Je leur apprends la lecture
Ou: il instruit son chien à rapporter la balle.

Dire que là , il y a objet direct, ici objet indirect mais là destinataire, me paraît un poil byzantin...
Ce que je veux dire c’est que la notion d’objet est en fait assez floue et les constructions assez mouvantes pour qu’à mon avis on puisse compliquer beaucoup la terminologie des compléments sans grand profit pédagogique autre que de brouiller les bases: ce qui ne veut pas dire qu’ensuite, ce ne soit pas intéressant de nuancer, comme en cas d’insomnies matutinales.... :lol:
*Ombre*
*Ombre*
Grand sage

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par *Ombre* Ven 14 Fév 2020 - 8:34
Je suis d'accord avec Iphigénie. Les glissements de construction de persuader à qqn vers persuader qqn, par exemple, n'ont pas changé la nature de la relation entre l'action et la personne concernée. C'est important de donner du sens aux mots de la grammaire, mais on ne peut totalement réduire la notion d'objet à ce qui correspond (pardon, Cécile) à l'expression courante "être l'objet de". D'ailleurs, si l'on refuse les doubles constructions et que l'on veut distinguer objet et destinataire, comment analyser des verbes comme autoriser qqn à qqch / autoriser qqch ? Que je dise : J'autorise cette question ou J'autorise le prévenu à poser cette question, c'est bien la question qui fait l'objet d'une autorisation, que la construction soit directe ou indirecte. La question n'est destinataire de rien du tout. Et la personne autorisée par moi à poser cette question, qui vient bravement prendre sa place de sujet à la voix passive, au nom de quoi lui refuserait-on à elle aussi le statut d'objet, peut-être pas sémantique, mais de toute évidence (pronominalisation par le pronom COD "la", passivation) grammatical ?
Comme Iphigénie, je plaide, à l'école et dans le secondaire au moins, pour une grammaire qui vise la clarté, et rien ne me paraît plus clair en l'occurrence que de s'appuyer sur la construction des verbes. On dit manger qqch, se souvenir de qqch, aimer qqch ou qqn, et donner qqch à qqn, avec une double construction. Ce qqch ou ce qqn, ce sont des compléments d'objet. On prend garde d'en exclure tout ce qui répond aux questions où, quand, comment, pourquoi..., qui ressortit aux circonstances. Cela ne résout pas tout (j'admets bien volontiers que la notion d'objet reste poreuse, et qu'il est difficile de dire si, dans s'accrocher à qqch, il faut considérer, d'après la construction, ce à qqch comme un COI ou comme le lieu où l'on s'accroche) mais offre aux élèves, en dehors de quelques cas limites, clarté et cohérence.
Rien de ce que j'ai lu concernant le verbe aller et ses soi-disant compléments essentiels de lieu ne m'a convaincue de la pertinence de cette catégorie. Quand on utilise le verbe aller, c'est presque toujours dans le souci de préciser la destination, ce qui explique la mention presque systématique du complément de lieu, mais quand on cherche un peu, les contre-exemples ne manquent pas.
"Leur progression en fut ralentie, car ils allèrent à pied la plupart du temps." (Tolkien, Bilbo le Hobbit) Aucune mention du lieu. Faut-il inventer un complément essentiel de moyen ou de manière ?
"« Bon, bon ! les choses pourraient être pires, mais elles pourraient aussi être bien meilleures. Plus de poneys, plus de vivres, pas de renseignements exacts sur l'endroit où nous nous trouvons et des hordes de gobelins à nos trousses ! Allons !» Et ils allèrent." (idem)
"Va, le Magnifique, va !" (Cocteau)

Ici, un complément de lieu, mais que l'on peut parfaitement supprimer sans nuire à la phrase :
Quand je relis les pages précédentes de mon récit, je me rends compte que je vais dans les mots comme un gibier traqué, qui file vite, zig-zague, essaie de dérouter les chiens et les chasseurs lancés à sa poursuite. (Ph. Claudel). > Quand je relis les pages précédentes de mon récit, je me rends compte que je vais comme un gibier traqué, qui file vite, zig-zague, essaie de dérouter les chiens et les chasseurs lancés à sa poursuite.

Bref, tout cela peut se débattre à un niveau universitaire (on peut sans doute voir de subtiles nuances de sens entre ces occurrences du verbe aller), mais il ne me semble pas judicieux d'entrer dans ces distinctions au moment où l'on enseigne les bases de la grammaire. Franchement, en quoi cela gêne-t-il l'intelligibilité du texte ou de la langue, de dire, au moins jusqu'au bac, que tout ce qui précise le lieu est un complément circonstanciel de lieu ?
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par Invité Ven 14 Fév 2020 - 17:35
*Ombre* a écrit:Je suis d'accord avec Iphigénie. Les glissements de construction de persuader à qqn vers persuader qqn, par exemple, n'ont pas changé la nature de la relation entre l'action et la personne concernée. C'est important de donner du sens aux mots de la grammaire, mais on ne peut totalement réduire la notion d'objet à ce qui correspond (pardon, Cécile) à l'expression courante "être l'objet de". D'ailleurs, si l'on refuse les doubles constructions et que l'on veut distinguer objet et destinataire, comment analyser des verbes comme autoriser qqn à qqch / autoriser qqch ? Que je dise : J'autorise cette question ou J'autorise le prévenu à poser cette question, c'est bien la question qui fait l'objet d'une autorisation, que la construction soit directe ou indirecte. La question n'est destinataire de rien du tout. Et la personne autorisée par moi à poser cette question, qui vient bravement prendre sa place de sujet à la voix passive, au nom de quoi lui refuserait-on à elle aussi le statut d'objet, peut-être pas sémantique, mais de toute évidence (pronominalisation par le pronom COD "la", passivation) grammatical ?

Dans l’exemple « persuader à quelqu’un [pour persuadere + dat., j’imagine] vs persuader quelqu’un », la nature de la relation sémantique entre action et personne concernée est effectivement la même : il s’agit de deux compléments d’objet. La distinction entre COD et COI est purement syntaxique.

Votre exemple « autoriser le prévenu à poser une question » est très intéressant ; je n’y avais pas pensé. Je conteste que l’objet de l’autorisation soit la question (seule) : précisément, l’objet de l’autorisation est (au moins) le prévenu, c’est sur lui que s’applique l’action d’autoriser. Comparez les nuances de sens des tours « j’autorise le prévenu à poser sa question », « j’autorise la question du prévenu » et « j’autorise la question » : trois phrases qui décrivent, si on passe vite, la même réalité mais qui, à l’analyse, montrent des perceptions du monde différentes. Dans le premier cas, c’est bien vers le prévenu que vous vous tournez, sur lui que vous passez, et si vous souhaitez vous montrer autoritaire à son encontre (en ne lui faisant pas une faveur) vous n’emploierez pas cette formulation. Vous préférez la deuxième proposition, voire la troisième : c’est la question qui passe entre vos mains et c’est elle seule que vous laissez filer. Les spectres sémantiques couverts par les trois possibilités sont proches mais différents.

En fait, j’émets deux hypothèses, sans que je parvienne à trancher, quoique la deuxième ait ma préférence à ce stade de ma réflexion . Hypothèse 1 : le prévenu est COD et à poser cette question est un complément datif, dont on pourrait préciser la nuance exacte (complément de contenu, complément d’attribut ?). Hypothèse 2 : le prévenu est COD et à poser cette question est COI. Mais c’est un vrai COI (comme dans penser à acheter le pain), pas un complément d’attribution (comme dans donner une baffe à Martine) : on est dans quelque chose d’analogue à Doceo pueros grammaticam, pas à Tibi libros do.

(Je vois que vous allusion à une certaine Cécile. Est-ce Cécile Revéret ? J’ai déjà lu plusieurs fois son nom en ces lieux et cela fait longtemps que je me dis qu’il faut que je lise son ouvrage.)

Comme Iphigénie, je plaide, à l'école et dans le secondaire au moins, pour une grammaire qui vise la clarté, et rien ne me paraît plus clair en l'occurrence que de s'appuyer sur la construction des verbes. On dit manger qqch, se souvenir de qqch, aimer qqch ou qqn, et donner qqch à qqn, avec une double construction. Ce qqch ou ce qqn, ce sont des compléments d'objet. On prend garde d'en exclure tout ce qui répond aux questions où, quand, comment, pourquoi..., qui ressortit aux circonstances. Cela ne résout pas tout (j'admets bien volontiers que la notion d'objet reste poreuse, et qu'il est difficile de dire si, dans s'accrocher à qqch, il faut considérer, d'après la construction, ce à qqch comme un COI ou comme le lieu où l'on s'accroche) mais offre aux élèves, en dehors de quelques cas limites, clarté et cohérence.

(Une précision : je ne me suis pas prononcé pour une réforme particulière des programmes scolaires. À la différence de vous, je n’ai pas la légitimité professionnelle pour le faire. Wink)

Cela étant, s’en tenir aux constructions relève de la grammaire syntaxique, raisonner par les catégories de la pensée relève de la grammaire sémantique. Or la grammaire sémantique est beaucoup plus utile que la grammaire syntaxique — même si, nous serons sans doute d’accord, le critère de l’utilité est très accessoire dans le choix des enseignements qui doivent être dispensés aux élèves. Autrement dit : vous savez qu’aimer se construit avec un COD. Bien. Qu’est-ce qu’on en fait ? On accorde nos participes passés antéposés. Et après ? Pas grand chose, à ce que je pressens. Alors que si vous raisonnez en matière d’objets et de sujets, vous développez votre connaissance intime de la langue et donc de la pensée. Vous êtes capable de nourrir une explication de texte par des considérations sur le statut d’une personne, réduite à l’état d’objet par exemple. Vous comprenez l’argument nietzschéen contre le cogito cartésien : le français est une langue qui comporte nécessairement un sujet, d’autres langues n’en ont pas… Bref, je caricature, parce qu’on pratique généralement un mélange entre ces deux genres de grammaire, mais vous saisissez la différence.

Rien de ce que j'ai lu concernant le verbe aller et ses soi-disant compléments essentiels de lieu ne m'a convaincue de la pertinence de cette catégorie. Quand on utilise le verbe aller, c'est presque toujours dans le souci de préciser la destination, ce qui explique la mention presque systématique du complément de lieu, mais quand on cherche un peu, les contre-exemples ne manquent pas.
"Leur progression en fut ralentie, car ils allèrent à pied la plupart du temps." (Tolkien, Bilbo le Hobbit) Aucune mention du lieu. Faut-il inventer un complément essentiel de moyen ou de manière ?
"« Bon, bon ! les choses pourraient être pires, mais elles pourraient aussi être bien meilleures. Plus de poneys, plus de vivres, pas de renseignements exacts sur l'endroit où nous nous trouvons et des hordes de gobelins à nos trousses ! Allons !» Et ils allèrent."  (idem)
"Va, le Magnifique, va !" (Cocteau)

Ici, un complément de lieu, mais que l'on peut parfaitement supprimer sans nuire à la phrase :
Quand je relis les pages précédentes de mon récit, je me rends compte que je vais dans les mots comme un gibier traqué, qui file vite, zig-zague, essaie de dérouter les chiens et les chasseurs lancés à sa poursuite. (Ph. Claudel). > Quand je relis les pages précédentes de mon récit, je me rends compte que je vais comme un gibier traqué, qui file vite, zig-zague, essaie de dérouter les chiens et les chasseurs lancés à sa poursuite.

Bref, tout cela peut se débattre à un niveau universitaire (on peut sans doute voir de subtiles nuances de sens entre ces occurrences du verbe aller), mais il ne me semble pas judicieux d'entrer dans ces distinctions au moment où l'on enseigne les bases de la grammaire. Franchement, en quoi cela gêne-t-il l'intelligibilité du texte ou de la langue, de dire, au moins jusqu'au bac, que tout ce qui précise le lieu est un complément circonstanciel de lieu ?

Une clarification sur ma position (p'tain, j'ai l'impression de faire de la politique !), même si votre message ne m'était pas adressé.

Je ne défends pas la notion de compléments essentiels, que j’ai très explicitement jugée comme devant être évitée, parce qu’elle est souvent foireuse et qu’elle est dans tous les cas syntaxique.

Mais je pense que, même si la grammaire moderne a bien des insuffisances, elle pointe une contradiction de la grammaire traditionnelle. On fait traditionnellement de au marché un CCL dans « Je vais au marchée », mais c’est complètement foireux. Le marché n’est jamais un circonstant du déplacement ! Qu’est-ce ? Je me tâte. Ou bien un complément d’objet (indirect évidemment) ou bien un complément de destination ou quelque chose comme cela. Mais jamais ce n’est un CCL : je le redis, le marché ne précise pas une circonstance particulière de l’action d’aller.

Spoiler:


Et, malgré nos divergences, merci pour vos réflexions ! C'est très stimulant comme débat. Smile


Dernière édition par Pauvre Martin le Lun 24 Fév 2020 - 14:04, édité 2 fois (Raison : Fautes, snif !)
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