Ce texte vous semble-t-il adapté pour des 5e ?

Dans le cadre du travail sur le voyage et les explorateurs, j'aimerais donner à mes élèves un passage de "Des coches" de Montaigne. Je l'ai évidemment raccourci, mais malgré tout je me demande si les élèves vont réussir à le comprendre. Je précise que j'ai une bonne 5e et une 5e faible (avec cette dernière, pas certain que je trouve le temps d'étudier ce texte). Le but serait de leur montrer dans les grandes lignes les conséquences de l'arrivée des Européens en Amérique et comment Montaigne traite cela.
J'ai indiqué uniquement la date qui concerne le grand III de Montaigne, pas besoin d'aller plus loin pour le moment, pas envie, ici, d'aller "à sauts et à gambades"   .

Voici l'extrait :

Notre monde vient d'en trouver un autre […] non moins grand, plein et fourni de membres que lui, toutefois si nouveau et si enfant qu'on lui apprend encore son a, b, c ; il n'y a pas cinquante ans qu'il ne savait ni lettre, ni poids, ni mesure, ni vêtements, ni céréales, ni vignes. Il était encore tout nu dans le giron de sa mère nourricière et ne vivait que par les moyens qu'elle lui fournissait. Nous [avons] très fortement hâté, je le crains, son déclin et sa ruine par notre contagion et nous lui [avons] fait payer bien cher nos idées et nos techniques. C'était un monde enfant ; pourtant nous ne l'avons pas […] soumis à notre enseignement en nous servant de l'avantage de notre valeur et de nos forces naturelles ; nous ne l'avons pas non plus séduit par notre justice et notre bonté, ni subjugué par notre magnanimité. La plupart de leurs réponses et des négociations faites avec eux témoignent qu'ils ne nous devaient rien en clarté d'esprit naturelle et pertinence. La merveilleuse magnificence des villes de Cuzco et de Mexico, et, entre plusieurs choses pareilles, le jardin de ce roi, où tous les arbres, les fruits et toutes les herbes, selon l'ordre et grandeur qu'ils ont en un jardin, étaient excellemment façonnés en or […] ; et la beauté de leurs ouvrages en pierreries, en plume, en coton, dans la peinture, montrent qu'ils ne nous étaient pas non plus inférieurs en habileté. Mais, quant à la dévolution, l'observance des lois, la bonté, la libéralité, la loyauté, la franchise, il nous a bien servi de n'en avoir pas autant qu'eux ; ils se sont perdus par cet avantage, et vendus et trahis eux-mêmes. […] Au rebours, nous nous sommes servis de leur ignorance et inexpérience à les plier plus facilement vers la trahison, luxure, cupidité et vers toute sorte d'inhumanité et de cruauté, à l'exemple et sur le modèle de nos mœurs. Qui mit jamais à tel prix le service du commerce et du trafic ? Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l'épée, et la plus riche et la plus belle partie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre ! Mécaniques victoires ! Jamais l'ambition, jamais les inimitiés publiques ne poussèrent les hommes les uns contre les autres à des hostilités aussi horribles et à d'aussi misérables calamités.

Montaigne, Essais (III, 6), 1588, « Des Coches ».

Merci à vous d'avance pour vos avis.

Très beau texte!

Cela dit, inexploitable chez moi. Ils sont bien trop terre à terre...

Même avec les 4eme, ce serait difficile...

Si c'est une bonne 5e, je dirais que cela peut passer, à condition de bien expliquer le texte. Il y a des phrases très longues dans lesquelles ils peuvent se perdre. Mais la brutalité avec laquelle les Européens ont conquis le continent américain est un sujet nouveau pour eux, et un sujet qui les interpelle, alors le texte peut les intéresser.

Merci pour ton avis.
Je vais donc l'aborder avec eux.

Tu peux faire un travail sur la mise en page du texte, pour mettre en relief sa construction et son sens (un peu comme on fait par exemple avec un texte latin pour faire du "petit latin").

Avis en passant :

C'est un très beau texte qui soulève des questions aussi passionnantes que complexes. Le vocabulaire, comme les images, les tournures et les notions (histoire, économie, morale et j'en passe) me paraissent vraiment très difficiles pour des 5emes. Attention aussi au risque de schématisation excessive en mettant en relief le sens global du propos. S'il faut beaucoup expliquer et simplifier, pourquoi ne pas prendre d'emblée un texte plus facile ?

Henriette, je comptais aussi le faire

"Pourquoi ne pas prendre d'emblée un texte plus facile ?", parce que, justement, ce n'est pas un texte évident et que ça leur fait du bien de se confronter à des textes dont la signification n'est pas immédiate. Ils galèrent pour comprendre, mais ensuite ils sont contents d'avoir réussi à surmonter l'obstacle. Mais je ne tiens pas non plus à leur donner un texte trop difficile, d'où mon message  

Quant aux élèves faibles, ils sont largués même avec des textes faciles, alors au moins ils auront entendu un jour le nom de Montaigne ou de Montesquieu.

Dans le même objet d'étude, je vais étudier Le supplément au voyage de Bougainville de Diderot et "Comment peut-on être Persan ?" de Montesquieu. Et en contrôle, un passage du Voyage autour du monde de Bougainville. Plus peut-être un extrait d'un livre de Sylvain Tesson et/ou de Saint-Exupéry.

Texte magnifique, mais il faut avoir une classe d'un bon niveau. ça, ce serait impossible chez moi, la plupart des mots leur étant inconnus même avec des 4e/3e, alors des 5e...

Je suis dans un collège qui brasse des niveaux très hétérogènes, des gamins complètement largués avec le regard éteint, et des fusées qui sont d'une étonnante maturité.

Soit je choisis de faire cours avec des textes d'une difficulté moyenne et je perds la quasi totalité de la classe, les faibles sont largués et les forts s'ennuient, soit j'essaie de hausser le niveau, et ceux qui sont largués le sont parce qu'ils ne font strictement rien (ça ou Oui Oui, ce serait la même dose de "travail") ou parce qu'ils sont vraiment limités, quant aux forts et aux bosseurs, ils ont le sentiment qu'ils avancent.

C'est un texte avec lequel tu pourras aborder des points passionnants d'histoire culturelle ! Mes 5e sont très éveillés et pour l'instant, le chapitre sur les grandes découvertes est celui qui les a le plus passionnés, notamment par le biais de ces questions de contact des peuples. Donc pour peu que tu expliques bien le texte en insistant sur les passages ardus (phrases longues et voc), je suis certaine que ce sera fructueux au niveau des échanges.

J'avoue que, si le texte est riche et beau, je ne le proposerais pas à des 5e... il me semble trop complexe, tant sur la forme que sur le propos, dont la syntaxe et les nuances mettent en oeuvre à mon sens bien trop d'implicite. Franchement, même avec une bonne classe, je ne le ferais pas en 5e. Rien que d'expliquer les expressions ou les tournures de phrases très particulières nécessiterait bien 30 minutes à mon avis!

Le but de ce texte, c'est d'en comprendre le sens global, pas d'en faire une lecture analytique.

Et donc quel est ce sens texte ? N'y en a-t-il qu'un seul possible ?

Non, évidemment, l'important c'est qu'ils comprennent d'une façon globale de quoi il est question: et ce sens est pluriel.

Petit retour après l'avoir vu en classe, et globalement les élèves en ont bien compris les enjeux, même si au début ils ont été un peu déroutés. On a déterminé ensemble les deux grandes parties autour du "Mais", qu'ils ont réussi à trouver, on a donné un titre à chacune, puis j'ai fait avec eux une analyse linéaire de plusieurs passages. Cependant, ils ont eu du mal à comprendre ce genre de formulation : "ils ne nous devaient rien en clarté d'esprit naturelle et pertinence" / "ils ne nous étaient pas non plus inférieurs en habileté" / "il nous a bien servi de n'en avoir pas autant qu'eux" / "il nous a bien servi de n'en avoir pas autant qu'eux ", soit toutes les formulations où la négation est employée d'une façon inusitée pour eux, surtout quand elle exprime une forme d'égalité entre les Amérindiens et les Européens.

J'en recommencerai l'étude.

Merci pour le retour!

L'année prochaine, si de nouveau j'ai des 5e, je verrais juste avant la négation pour aborder ce texte de la meilleure des façons.
Effectivement, découvrir les horreurs perpétrées par les Européens, l'aspect assez singulier de la pensée de Montaigne à son époque, le fait que l'on s'interrogeait alors pour savoir si ces nouveaux peuples avaient ou non une âme, puis dévier un peu sur l'esclavage des noirs car eux étaient considérés ne pas en avoir... Tout ça les a surpris, intéressés mais aussi révoltés. Et quand l'un d'eux m'a posé une question sur l'esclavage, le fait de découvrir que des noirs chassaient d'autres noirs qu'ils revendaient ensuite à des marchands d'esclaves Arabes qui eux-mêmes les revendaient aux Européens leur a bien fait comprendre que le problème était plus complexe que ce que certains croyaient au départ. Bref, 2h de cours très riches.

Pour ma part, l'inspecteur nous dit que aucun texte n'est difficile pour l'élève. Tout réside dans la manière dont tu l'abordes (ne pas mettre ce texte en début de séquence, les élèves doivent réactiver ce qu'ils ont déjà travaillé à partir d'autres textes). Tu peux aussi leur donner une partie du texte original pour travailler la langue du XVIème.
De mon côté, je me colle à Proust, niveau 3ème

Pour une fois qu'un inspecteur dit des choses pertinentes !
Tu as entièrement raison de leur donner ce genre de texte.
Oui, peut-être que l'année prochaine je me servirais d'une partie du texte original. L'idée est intéressante. Bon travail avec Proust.