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- GiacomoNiveau 1
Bonjour à tous,
J'ai quelques difficultés avec un passage des Catégories de mon ami Aristote. Le passage en question porte sur les propositions opposées. Aristote distingue les opposés suivants : les contraires (comme la santé et la maladie), les relatifs (comme le double et la moitié), la privation et la possession (comme la vue et la cécité) et enfin les contradictoires (c'est-à-dire l'opposition de l'affirmation et de la négation). Il affirme dans ce passage que de tous ces opposés, il n'y a que dans le cas de l'affirmation et de la négation que l'une des deux propositions est nécessairement fausse et l'autre nécessairement vraie, et ce même si le sujet de la proposition n'existe pas (c'est là que les difficultés apparaissent). Voici le passage en question :
Soient donc les deux propositions suivantes :
p : "Socrate est malade"
q : "Socrate n'est pas malade"
p et q sont des contradictoires, donc nécessairement l'une est vraie et l'autre fausse, et ce même si Socrate n'existe pas. Si Socrate n'existe pas, alors, nous dit Aristote, la proposition p est fausse, et la proposition q est vraie. Mais pourquoi ? Ce que je comprends, c'est que pour être malade il faut être, or Socrate n'est pas, donc Socrate n'est pas malade et donc p est fausse. Est-ce le raisonnement qui sous-tend d'après vous l'affirmation d'Aristote?
Mais la véritable difficulté réside (d'après moi) ici : d'après Aristote, les propositions "Socrate se porte bien" et "Socrate est malade" sont toutes les deux fausses si Socrate n'existe pas. Or, cela signifie, si l'on applique le principe de contradiction affirmé par Aristote, que la contradictoire de chacune de ces propositions est vraie, c'est-à-dire que les propositions "Socrate ne se porte pas bien" et "Socrate n'est pas malade" sont vraies, ce qui semble absurde.
Me trompé-je dans mon raisonnement ?
J'ai quelques difficultés avec un passage des Catégories de mon ami Aristote. Le passage en question porte sur les propositions opposées. Aristote distingue les opposés suivants : les contraires (comme la santé et la maladie), les relatifs (comme le double et la moitié), la privation et la possession (comme la vue et la cécité) et enfin les contradictoires (c'est-à-dire l'opposition de l'affirmation et de la négation). Il affirme dans ce passage que de tous ces opposés, il n'y a que dans le cas de l'affirmation et de la négation que l'une des deux propositions est nécessairement fausse et l'autre nécessairement vraie, et ce même si le sujet de la proposition n'existe pas (c'est là que les difficultés apparaissent). Voici le passage en question :
Passons à ce qui est opposé comme l’affirmation et la négation : il est manifeste que l’opposition ne s’effectue selon aucun des modes dont nous avons parlé, car c’est dans le présent cas seulement qu’il faut de toute nécessité que toujours un opposé soit vrai et l’autre faux.
[…] Il semblerait cependant qu’un tel caractère se rencontrât principalement dans les contraires qui s’expriment dans une liaison. Socrate se porte bien est, en effet, le contraire de Socrate est malade. Mais même dans ces expressions, il n’est pas toujours nécessaire que l’une d’elle soit vraie et l’autre fausse. Sans doute, si Socrate existe, l’une sera vraie et l’autre fausse, mais s’il n’existe pas, toutes les deux seront fausses, car ni Socrate est malade, ni Socrate se porte bien ne sont vraies, si Socrate lui-même n’existe pas du tout.
[…] Il en est tout autrement pour l’affirmation et la négation : que le sujet existe ou n’existe pas, de toute façon l’une sera fausse et l’autre vraie. Soit, en effet, Socrate est malade et Socrate n’est pas malade ; si Socrate lui-même existe, il est clair que l’une de ces deux propositions est vraie et l’autre fausse ; et s’il n’existe pas, il en est de même, car s’il n’existe pas, dire qu’il est malade est faux, et dire qu’il n’est pas malade est vrai. – Ainsi, les choses qui sont opposées comme l’affirmation et la négation ont seules la propriété d’être toujours, l’une vraie et l’autre fausse.
(Aristote, Catégories, 10)
Soient donc les deux propositions suivantes :
p : "Socrate est malade"
q : "Socrate n'est pas malade"
p et q sont des contradictoires, donc nécessairement l'une est vraie et l'autre fausse, et ce même si Socrate n'existe pas. Si Socrate n'existe pas, alors, nous dit Aristote, la proposition p est fausse, et la proposition q est vraie. Mais pourquoi ? Ce que je comprends, c'est que pour être malade il faut être, or Socrate n'est pas, donc Socrate n'est pas malade et donc p est fausse. Est-ce le raisonnement qui sous-tend d'après vous l'affirmation d'Aristote?
Mais la véritable difficulté réside (d'après moi) ici : d'après Aristote, les propositions "Socrate se porte bien" et "Socrate est malade" sont toutes les deux fausses si Socrate n'existe pas. Or, cela signifie, si l'on applique le principe de contradiction affirmé par Aristote, que la contradictoire de chacune de ces propositions est vraie, c'est-à-dire que les propositions "Socrate ne se porte pas bien" et "Socrate n'est pas malade" sont vraies, ce qui semble absurde.
Me trompé-je dans mon raisonnement ?
- User9242Niveau 5
Bonjour.
Si l'on suppose que Socrate n'existe pas, il n'est nécessairement pas malade, puisqu'il n'existe pas. Le prédicat "malade" lui est nécessairement non acquis. C'est donc sa non existence qui rend la proposition q éternellement vraie (il n'est pas malade). Et par la force des choses, la proposition p devient éternellement fausse puisque Socrate n'existe pas.
Dans le deuxième cas ("Socrate se porte bien" et "Socrate est malade"), la non existence de Socrate ôte le caractère d'opposition à ces deux propositions. En somme, il n'y a contradiction entre les deux énoncés que dans l'hypothèse où Socrate existe. Notez au passage que les deux propositions sont sur le mode de l'affirmation, contrairement à p et q où l'une est affirmative et l'autre négative. C'est à mon avis le sens du texte du péripatéticien "c’est dans le présent cas seulement qu’il faut de toute nécessité que toujours un opposé soit vrai et l’autre faux".
Bref, Aristote semble définir deux types de contradictions : l'une absolue (celle qui se manifeste par nécessité : l'affirmation et la négation) et celle qui est relative puisqu'elle est tributaire d'une condition : l'existence du sujet. C'est cette relativité qui ne fait pas d'elle une véritable contradiction.
Pardonnez la naïveté de ce raisonnement et bien à vous.
Si l'on suppose que Socrate n'existe pas, il n'est nécessairement pas malade, puisqu'il n'existe pas. Le prédicat "malade" lui est nécessairement non acquis. C'est donc sa non existence qui rend la proposition q éternellement vraie (il n'est pas malade). Et par la force des choses, la proposition p devient éternellement fausse puisque Socrate n'existe pas.
Dans le deuxième cas ("Socrate se porte bien" et "Socrate est malade"), la non existence de Socrate ôte le caractère d'opposition à ces deux propositions. En somme, il n'y a contradiction entre les deux énoncés que dans l'hypothèse où Socrate existe. Notez au passage que les deux propositions sont sur le mode de l'affirmation, contrairement à p et q où l'une est affirmative et l'autre négative. C'est à mon avis le sens du texte du péripatéticien "c’est dans le présent cas seulement qu’il faut de toute nécessité que toujours un opposé soit vrai et l’autre faux".
Bref, Aristote semble définir deux types de contradictions : l'une absolue (celle qui se manifeste par nécessité : l'affirmation et la négation) et celle qui est relative puisqu'elle est tributaire d'une condition : l'existence du sujet. C'est cette relativité qui ne fait pas d'elle une véritable contradiction.
Pardonnez la naïveté de ce raisonnement et bien à vous.
- AnaxagoreGuide spirituel
On a:
(x \in {Socrate}) implique (x \in Malades)
Dont le contraire est:
(x \in {Socrate}) et (x \notin Malades)
Si Socrate n'existe pas la première est vraie et la deuxième est fausse.
Puis:
(x \in {Socrate}) implique (x \notin Malades)
Dont le contraire est:
(x \in {Socrate}) et (x \in Malades)
Si Socrate n'existe pas la première est vraie et la deuxième est fausse.
(x \in {Socrate}) implique (x \in Malades)
Dont le contraire est:
(x \in {Socrate}) et (x \notin Malades)
Si Socrate n'existe pas la première est vraie et la deuxième est fausse.
Puis:
(x \in {Socrate}) implique (x \notin Malades)
Dont le contraire est:
(x \in {Socrate}) et (x \in Malades)
Si Socrate n'existe pas la première est vraie et la deuxième est fausse.
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"De même que notre esprit devient plus fort grâce à la communication avec les esprits vigoureux et raisonnables, de même on ne peut pas dire combien il s'abâtardit par le commerce continuel et la fréquentation que nous avons des esprits bas et maladifs." Montaigne
"Woland fit un signe de la main, et Jérusalem s'éteignit."
"On déclame contre les passions sans songer que c'est à leur flambeau que la philosophie allume le sien." Sade
- Solal des SolalNiveau 6
La qualité "maladie de Socrate" peut être aussi fausse que la qualité contraire, à savoir "la bonne santé de Socrate" : pour cela, il faut et il suffit qu'il n'y ait pas de Socrate. En revanche, si j'affirme la proposition "Socrate est malade", alors, avant même que de prédiquer une qualité ("maladie" vs "bonne santé"), j'affirme l'existence d'un support (un sujet) de l'une de ces qualités contradictoires. Dès lors, nécessairement, si ma proposition est vraie, alors sa contradictoire "Socrate est en bonne santé" sera fausse et vice versa. Aristote veut dire qu'une proposition, dès qu'elle est énoncée, est nécessairement vraie ou fausse et inversement pour sa contradictoire, ce qui n'est pas le cas pour les termes de ces propositions pris isolément, en l'occurrence, les qualités mentionnées dans la proposition.
C'est pourquoi votre raisonnement n'est pas correct lorsque vous dites
C'est pourquoi votre raisonnement n'est pas correct lorsque vous dites
car, si Socrate n'existe pas, il n'y a pas non plus de proposition dont Socrate soit le sujet. Conversement, affirmer "Socrate se porte bien" ou "Socrate est malade", c'est présupposer l'existence du sujet "Socrate". Raison pour laquelle l'une des contradictoires est vraie, l'autre fausse.Giacomo a écrit:d'après Aristote, les propositions "Socrate se porte bien" et "Socrate est malade" sont toutes les deux fausses si Socrate n'existe pas. Or, cela signifie, si l'on applique le principe de contradiction affirmé par Aristote, que la contradictoire de chacune de ces propositions est vraie, c'est-à-dire que les propositions "Socrate ne se porte pas bien" et "Socrate n'est pas malade" sont vraies, ce qui semble absurde
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Oh, Lord, please don't let me be misunderstood !
- GiacomoNiveau 1
Solal des Solal a écrit:La qualité "maladie de Socrate" peut être aussi fausse que la qualité contraire, à savoir "la bonne santé de Socrate" : pour cela, il faut et il suffit qu'il n'y ait pas de Socrate. En revanche, si j'affirme la proposition "Socrate est malade", alors, avant même que de prédiquer une qualité ("maladie" vs "bonne santé"), j'affirme l'existence d'un support (un sujet) de l'une de ces qualités contradictoires. Dès lors, nécessairement, si ma proposition est vraie, alors sa contradictoire "Socrate est en bonne santé" sera fausse et vice versa. Aristote veut dire qu'une proposition, dès qu'elle est énoncée, est nécessairement vraie ou fausse et inversement pour sa contradictoire, ce qui n'est pas le cas pour les termes de ces propositions pris isolément, en l'occurrence, les qualités mentionnées dans la proposition.
C'est pourquoi votre raisonnement n'est pas correct lorsque vous ditescar, si Socrate n'existe pas, il n'y a pas non plus de proposition dont Socrate soit le sujet. Conversement, affirmer "Socrate se porte bien" ou "Socrate est malade", c'est présupposer l'existence du sujet "Socrate". Raison pour laquelle l'une des contradictoires est vraie, l'autre fausse.Giacomo a écrit:d'après Aristote, les propositions "Socrate se porte bien" et "Socrate est malade" sont toutes les deux fausses si Socrate n'existe pas. Or, cela signifie, si l'on applique le principe de contradiction affirmé par Aristote, que la contradictoire de chacune de ces propositions est vraie, c'est-à-dire que les propositions "Socrate ne se porte pas bien" et "Socrate n'est pas malade" sont vraies, ce qui semble absurde
Ce qui me gène le plus au fond, et qui n'est pas propre à Aristote, c'est cette idée qu'une proposition portant sur un sujet inexistant puisse avoir une valeur de vérité.
Si Socrate n'existe pas, alors d'après Aristote "Socrate est malade" est fausse, car il faut être pour être malade, mais la proposition "Socrate n'est pas malade" est vraie. Or, ne faut-il pas être pour n'être pas malade ? Ne faut-il pas que le sujet existe pour qu'un prédicat lui soit attribué (affirmation) ou dénué (négation) ? On est conduit à dire vraie la proposition "Socrate n'est pas malade" et fausse la proposition "Socrate est en bonne santé", alors que ces deux propositions semblent - dans le langage ordinaire - équivalentes.
Je me sens plus proche sur cette question des analyses de Frege, pour qui une proposition portant sur un sujet inexistant (dénuée de référence ou dénotation) peut avoir un sens, mais pas de valeur de vérité.
De même que les propositions portant sur des futurs ne peuvent pas , d'après moi (et Bergson), avoir de valeur de vérité (le fameux problème des futurs contingents).
C'est donc le principe de bivalence appliqué à certains types de propositions qui est problématique.
- Solal des SolalNiveau 6
On est renvoyé au débat historique entre Aristote, Leibniz et Russell d'une part, Frege, Wittgenstein, Brouwer et Strawson d'autre part. Soit l'exemple fameux (de Russell) : "l'actuel roi de France est chauve". Pour Russell, cette proposition, qui s'analyse en << il existe un et un seul x tel que {x est "actuellement roi de France"} et {x "est chauve"} >> est fausse puisqu'au moins l'un des membres de la conjonction (le premier) est manifestement faux. Pour Strawson, en revanche, cette proposition présuppose l'existence de son sujet et ne l'implique pas comme chez Russell. Or, si << P présuppose A >> et << non-A >> alors P (une proposition attribuant une propriété à A) est non pas fausse mais dépourvue de sens. Quant à la contradictoire de la proposition russellienne ("l'actuel roi de France n'est pas chauve"), c'est encore plus compliqué parce que, si la négation porte sur la seule propriété ("l'actuel roi de France n'est pas chauve" équivalant à "l'actuel roi de France est non-chauve") elle est fausse pour la raison sus-mentionnée, tandis que si elle porte sur la proposition tout entière ("l'actuel roi de France n'est pas chauve" équivalant à "il n'y a pas d'actuel roi de France qui soit chauve"), elle est vraie en tant qu'elle nie une proposition fausse (à savoir "l'actuel roi de France est chauve").Giacomo a écrit:Ce qui me gène le plus au fond, et qui n'est pas propre à Aristote, c'est cette idée qu'une proposition portant sur un sujet inexistant puisse avoir une valeur de vérité.
Si Socrate n'existe pas, alors d'après Aristote "Socrate est malade" est fausse, car il faut être pour être malade, mais la proposition "Socrate n'est pas malade" est vraie. Or, ne faut-il pas être pour n'être pas malade ? Ne faut-il pas que le sujet existe pour qu'un prédicat lui soit attribué (affirmation) ou dénué (négation) ? On est conduit à dire vraie la proposition "Socrate n'est pas malade" et fausse la proposition "Socrate est en bonne santé", alors que ces deux propositions semblent - dans le langage ordinaire - équivalentes
C'est effectivement le principe de bivalence ("toute proposition est nécessairement dotée de l'une des deux valeurs de vérité") qui pose problème en ce qu'il est plus fort que le principe du tiers exclu ("toute proposition dotée de valeur de vérité est soit vraie, soit fausse") et que le principe de non-contradiction ("une proposition ne peut pas être en même temps vraie et fausse"). Aristote, Leibniz et Russell admettent ces trois principes. Frege et Strawson rejettent le principe de bivalence. Wittgenstein et Brouwer rejettent le principe de bivalence et le principe du tiers exclu.Giacomo a écrit:C'est donc le principe de bivalence appliqué à certains types de propositions qui est problématique.
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Oh, Lord, please don't let me be misunderstood !
- GiacomoNiveau 1
Solal des Solal a écrit:
C'est effectivement le principe de bivalence ("toute proposition est nécessairement dotée de l'une des deux valeurs de vérité") qui pose problème en ce qu'il est plus fort que le principe du tiers exclu ("toute proposition dotée de valeur de vérité est soit vraie, soit fausse")
Le principe du tiers exclu ne dit-il pas plutôt que la disjonction d'une proposition et de se négation (p ou non-p) est nécessairement vraie (qu'elle est donc une tautologie) ?
- User17706Bon génie
Non, c'est bien cela qu'Aristote écrit (il faut traiter "Socrate n'est pas P" comme vrai si Socrate existe et se trouve n'être pas P, et également si Socrate n'existe pas). Toute la difficulté consiste à ne pas voir d'absurdité dans cette conséquence au demeurant effectivement soulignée par Aristote lui-mêmeGiacomo a écrit: Mais la véritable difficulté réside (d'après moi) ici : d'après Aristote, les propositions "Socrate se porte bien" et "Socrate est malade" sont toutes les deux fausses si Socrate n'existe pas. Or, cela signifie, si l'on applique le principe de contradiction affirmé par Aristote, que la contradictoire de chacune de ces propositions est vraie, c'est-à-dire que les propositions "Socrate ne se porte pas bien" et "Socrate n'est pas malade" sont vraies, ce qui semble absurde.
Me trompé-je dans mon raisonnement ?
Le "truc" habituel, pour se rapprocher un tout petit peu des intuitions du locuteur ordinaire, c'est de traduire la négation par "il est faux que Socrate soit P". Là, c'est un poil moins rude d'admettre que c'est vrai si Socrate n'est (n'existe) pas.
En revanche ce n'est pas le "principe" de contradiction qui opère ici, comme il semble que la suite de la discussion l'ait souligné.
- Solal des SolalNiveau 6
Non. C'est, la conséquence logique du principe de bivalence puisque ce principe présuppose que toute proposition a nécessairement une valeur de vérité. Ce qui n'est pas le cas pour le principe du tiers exclu qui est moins fort en ce qu'il n'exige pas que toute proposition soit vraie ou fausse. C'est la base même de l'intuitionnisme de Brouwer qui considère qu'une proposition indémontrable (e.g. : P = "il y a huit fois consécutivement le chiffre 7 dans le développement décimal de pi") n'a pas de valeur de vérité mais admet néanmoins que P et non-P ne peuvent pas être fausses toutes les deux. J'en profite pour rectifier ce que j'ai dit plus haut : Brouwer rejette bien le principe de bivalence mais non pas le principe du tiers exclu. Tandis que Wittgenstein (qui introduit le problème des logiques déontiques dans le cadre desquelles il peut être faux à la fois que P -"tu ne dois pas rouler à moins de 80 km/h sur autoroute"- et que non-P -"tu dois rouler à moins de 80 km/h sur autoroute"-) rejette le principe du tiers exclu et donc, a fortiori, celui de bivalence (mais il admet quand même que P et non-P ne peuvent être vraies en même temps, donc le principe de non-contradiction).Giacomo a écrit:Le principe du tiers exclu ne dit-il pas plutôt que la disjonction d'une proposition et de se négation (p ou non-p) est nécessairement vraie (qu'elle est donc une tautologie) ?
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- GiacomoNiveau 1
Solal,
Avez-vous des références sur Strawson ? A-t-il été traduit en français?
Je suis totalement ignare à son sujet
Avez-vous des références sur Strawson ? A-t-il été traduit en français?
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- User17706Bon génie
Brouwer aurait été surpris de cette affirmationSolal des Solal a écrit:J'en profite pour rectifier ce que j'ai dit plus haut : Brouwer rejette bien le principe de bivalence mais non pas le principe du tiers exclu.
- Solal des SolalNiveau 6
Je ne sais pas si l'article séminal de Strawson, "on Referring" (réponse à "on Denoting" de Russell) a été traduit en Français, tandis que l'article de Russell a été traduit par Jean-Michel Roy dans "Ecrits de Logique Philosophique" (aux PUF). Mais en anglais, on le trouve très facilement en ligne. Sinon, en français, de Strawson, il y a "les Individus" ("Individuals") au Seuil.Giacomo a écrit:Solal,
Avez-vous des références sur Strawson ? A-t-il été traduit en français?
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- GiacomoNiveau 1
Solal des Solal a écrit:
Non. C'est, la conséquence logique du principe de bivalence puisque ce principe présuppose que toute proposition a nécessairement une valeur de vérité. Ce qui n'est pas le cas pour le principe du tiers exclu qui est moins fort en ce qu'il n'exige pas que toute proposition soit vraie ou fausse. C'est la base même de l'intuitionnisme de Brouwer qui considère qu'une proposition indémontrable (e.g. : P = "il y a huit fois consécutivement le chiffre 7 dans le développement décimal de pi") n'a pas de valeur de vérité mais admet néanmoins que P et non-P ne peuvent pas être fausses toutes les deux.
Si P et non-P ne peuvent pas être fausses toutes les deux, alors nécessairement l'une est vraie, et l'autre fausse, non? A moins de rejeter la table de vérité de la négation.
Donc le principe du tiers exclu nous dit bien que la disjonction d'une proposition et de sa négation est nécessairement vraie à moins de refuser le principe de bivalence il me semble.
- User17706Bon génie
Pour éviter toute confusion, il vaut mieux, me semble-t-il, observer que le principe de bivalence est un principe sémantique, alors que le "principe" du tiers-exclu est une loi logique (qui dit bien que la disjonction d'une proposition et de sa négation est une tautologie).
Dans l'exemple fourni, le raisonnement "Si P et non-P ne peuvent pas être fausses toutes les deux, alors nécessairement l'une est vraie et l'autre fausse" repose implicitement sur le principe de bivalence (une proposition quelconque a l'une et seulement l'une des deux valeurs de vérité V et F).
Plus profondément, on peut reformuler ce que refuse Brouwer en disant qu'il refuse la loi de double négation (on peut montrer, en logique intuitionniste, que p implique non-non-P, mais pas la réciproque). Lui-même a commencé par expliquer que ce qu'il refusait, c'était l'extension du tiers-exclu hors du raisonnement sur des collections finies. (Il n'est pas difficile de retrouver la double négation cachée sous le tiers-exclu.) Attention, suivant son interprétation sémantique usuelle (la sémantique BHK), la logique intuitionniste ne raisonne pas en termes de V/F mais plutôt de prouvé/contradictoire.
Par ailleurs, on peut imaginer des cas où l'on pourrait admettre le tiers-exclu tout en refusant la bivalence (typiquement, le traitement que donne Aristote des futurs contingents ressemble à cela: il est vrai que [demain, il y aura une bataille navale ou il n'y en aura pas], sans qu'il soit ou [vrai que demain, il y en aura une], ou [vrai que demain, il n'y en aura pas]).
Dans l'exemple fourni, le raisonnement "Si P et non-P ne peuvent pas être fausses toutes les deux, alors nécessairement l'une est vraie et l'autre fausse" repose implicitement sur le principe de bivalence (une proposition quelconque a l'une et seulement l'une des deux valeurs de vérité V et F).
Plus profondément, on peut reformuler ce que refuse Brouwer en disant qu'il refuse la loi de double négation (on peut montrer, en logique intuitionniste, que p implique non-non-P, mais pas la réciproque). Lui-même a commencé par expliquer que ce qu'il refusait, c'était l'extension du tiers-exclu hors du raisonnement sur des collections finies. (Il n'est pas difficile de retrouver la double négation cachée sous le tiers-exclu.) Attention, suivant son interprétation sémantique usuelle (la sémantique BHK), la logique intuitionniste ne raisonne pas en termes de V/F mais plutôt de prouvé/contradictoire.
Par ailleurs, on peut imaginer des cas où l'on pourrait admettre le tiers-exclu tout en refusant la bivalence (typiquement, le traitement que donne Aristote des futurs contingents ressemble à cela: il est vrai que [demain, il y aura une bataille navale ou il n'y en aura pas], sans qu'il soit ou [vrai que demain, il y en aura une], ou [vrai que demain, il n'y en aura pas]).
- Solal des SolalNiveau 6
Pas nécessairement. C'est justement là que réside la différence entre tiers exclu et bivalence. Un intuitionniste admettrait que deux propositions contradictoires ne peuvent être, ni simultanément vraies, ni simultanément fausses, mais, pour que l'une soit vraie et l'autre fausse, il ajouterait une condition : encore faut-il que l'une d'elles soit démontrable, faute de quoi elles peuvent très bien être toutes deux dépourvues de signification. Par exemple, dire qu'il est impensable que "il n'y a pas sept fois consécutivement le chiffre 8 dans le développement décimal de pi" et "il y a sept fois consécutivement le chiffre 8 dans le développement décimal de pi" puissent être toutes deux vraies ou toutes deux fausses n'implique pas nécessairement (pour un intuitionniste) que l'une est vraie et l'autre fausse.Giacomo a écrit:
Si P et non-P ne peuvent pas être fausses toutes les deux, alors nécessairement l'une est vraie, et l'autre fausse, non?
Pour faire simple : soit P une proposition bien formée (les critères du "bien formé" changent selon les axiomatiques, mais peu importe ici) quelconque et non-P sa contradictoire :
- le principe de (non-)contradiction dit que P et non-P ne peuvent pas, simultanément, être vraies toutes les deux mais laisse ouverte la possibilité qu'elles soient fausses toutes les deux ou dépourvues de valeur de vérité toutes les deux
- le principe du tiers-exclu dit que P et non-P ne peuvent pas, simultanément, ni être vraies toutes les deux, ni être fausses toutes les deux mais laisse ouverte la possibilité qu'elles soient dépourvues de valeur de vérité toutes les deux
- le principe de bivalence dit que P et non-P ne peuvent pas, simultanément, ni être vraies toutes les deux, ni être fausses toutes les deux, ni dépourvues de valeur de vérité.
Par où l'on voit que le principe de (non-)contradiction est, stricto sensu, extrêmement libéral : c'est une sorte de SMIC pour tout logicien qui est obligé de l'adopter sans quoi il n'y a pas de consistance et, par conséquent, pas de démonstration possible. A l'opposé, le principe de bivalence, dont la conséquence est que, de deux propositions contradictoires, nécessairement, l'une est vraie et l'autre fausse, est très (trop) exigeant même s'il a été adopté, par défaut, par la plupart des logiciens depuis Aristote. Bref, ce n'est que si on le confond avec le principe de bivalence que
Giacomo a écrit:le principe du tiers exclu nous dit bien que la disjonction d'une proposition et de sa négation est nécessairement vraie
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- InvitéSnNiveau 6
La difficulté d'admettre la détermination d'une valeur de vérité pour une proposition portant sur ce qui n'existe pas n'a au fond de sens que dans une logique de la proposition. Or Aristote ne travaille pas du tout ce type de logique. On ne peut pas traduire son "Socrate est malade" et "Socrate n'est pas malade" en p et -p sans prendre des risques qu'on ne mesure pas toujours.
La négation est envisagée par Aristote dans une logique de l'attribution : quand l'affirmative attribue un prédicat à un sujet, la négative correspondante ne fait que ne pas attribuer le prédicat au sujet. Or si le sujet est inexistant il est vrai qu'il ne faut pas attribuer le prédicat au sujet. Dit comme ça, c'est-à-dire dans une perspective plus aritotélicienne, ça tombe sous le sens. Et c'est bien autre chose que d'inscrire une proposition p ou -p dans une table de vérité.
La négation est envisagée par Aristote dans une logique de l'attribution : quand l'affirmative attribue un prédicat à un sujet, la négative correspondante ne fait que ne pas attribuer le prédicat au sujet. Or si le sujet est inexistant il est vrai qu'il ne faut pas attribuer le prédicat au sujet. Dit comme ça, c'est-à-dire dans une perspective plus aritotélicienne, ça tombe sous le sens. Et c'est bien autre chose que d'inscrire une proposition p ou -p dans une table de vérité.
- GiacomoNiveau 1
C'est ce que je disais dans mon premier message :
Chez Aristote le jugement est un jugement attributif de la forme S est P, donc si S n'existe pas le prédicat P ne peut pas être attribué au sujet.
Giacomo a écrit:pour être malade il faut être, or Socrate n'est pas, donc Socrate n'est pas malade et donc p est fausse
Chez Aristote le jugement est un jugement attributif de la forme S est P, donc si S n'existe pas le prédicat P ne peut pas être attribué au sujet.
- InvitéSnNiveau 6
Oui, bien sûr, tu as raison de rappeler que le fait est bien connu ; Solal aussi l'avait évoqué. Mais j'insiste sur une conséquence qu'on oublie parfois : il ne faut pas comprendre la vérité qu'Aristote reconnaît à la phrase "Socrate n'est pas malade" dans le cas de l'inexistence de Socrate en disant que cette proposition est vraie au sens où l'entend une logique propositionnelle. Aristote distingue bien "Socrate n'est pas malade" et "Socrate est non malade". La négation n'est pas l'attribution contradictoire mais bien la non attribution. C'est une nuance qui peut porter à conséquence (exemple : pour Aristote dire que Socrate n'est pas juste, ce n'est pas dire qu'il est non juste, donc injuste). Et qui rend par ailleurs évidente la qualification de "vrai" dans le cas que tu as soumis à la réflexion commune. Il me semble que ça dissipe le problème : si Socrate n'existe pas, il ne faut lui attribuer ni la santé si la maladie, et en ce sens — mais seulement en ce sens — les phrases "Socrate n'est pas malade" et "Socrate n'est pas en bonne santé" sont toutes deux "vraies" en même temps, sans que le principe énoncé en Métaphysique Gamma se retrouve malmené ...
EDIT : déso pour l'ortho... pourtant je n'avais pas bu, je le jure !
EDIT : déso pour l'ortho... pourtant je n'avais pas bu, je le jure !
- Solal des SolalNiveau 6
C'est ce que Russell appelle "portée" (scope) d'un opérateur propositionnel, en l'occurrence, ici, de la négation. En ce sens, la négation de "Socrate est malade" peut porter, soit sur la proposition tout entière (wide scope, "portée large"), soit sur la seule propriété attribuée (narrow scope, "portée étroite"). Auxquels cas, "Socrate n'est pas malade" se paraphrase, respectivement, en "non-[Socrate est malade]" (= "il n'y a pas de Socrate qui soit malade") ou "Socrate est non-malade" (= "Socrate est en bonne santé"), propositions dont les conditions de vérité sont totalement différentes. Dès lors, effectivement,snitch a écrit:Aristote distingue bien "Socrate n'est pas malade" et "Socrate est non malade". La négation n'est pas l'attribution contradictoire mais bien la non attribution. C'est une nuance qui peut porter à conséquence (exemple : pour Aristote dire que Socrate n'est pas juste, ce n'est pas dire qu'il est non juste, donc injuste).
à condition d'attribuer une "portée large" à ces deux négations (et, bien entendu, d'adopter le principe de bivalence dont il a été question plus haut).snitch a écrit:ça dissipe le problème : si Socrate n'existe pas, il ne faut lui attribuer ni la santé si la maladie, et en ce sens — mais seulement en ce sens — les phrases "Socrate n'est pas malade" et "Socrate n'est pas en bonne santé" sont toutes deux "vraies" en même temps
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Oh, Lord, please don't let me be misunderstood !
- User17706Bon génie
Voilà, tout à fait, comme indiqué plus haut. Après, dans ce qui a été dit autour de bivalence / tiers-exclu, il reste des choses un peu gênantes, mais qui n'ont pas une importance énorme pour les concours, sauf bien sûr les années où logique et épistémologie se trouve à l'oral de la leçon 1 d'agreg, mais la dernière fois c'était en 2015, on devrait être tranquille encore quelque temps. Donc, on pinaillera un autre jour, et, sûrement, avec d'autres.
Si c'est surtout sur Aristote que la question porte, il y a quand même un article qui ne manque pas d'intérêt, de J.-B. Gourinat: «Principe de contradiction, principe du tiers-exclu et principe de bivalence: philosophie première ou organon?», dans J. Follon & M. Bastit (éd.s), Logique et métaphysique dans l'Organon d'Aristote, Louvain, Peeters, 2001. C'est moins long à lire que, par exemple, Łukasiewicz
Si c'est surtout sur Aristote que la question porte, il y a quand même un article qui ne manque pas d'intérêt, de J.-B. Gourinat: «Principe de contradiction, principe du tiers-exclu et principe de bivalence: philosophie première ou organon?», dans J. Follon & M. Bastit (éd.s), Logique et métaphysique dans l'Organon d'Aristote, Louvain, Peeters, 2001. C'est moins long à lire que, par exemple, Łukasiewicz
- GiacomoNiveau 1
Merci pour la référence PauvreYorick
- verdurinHabitué du forum
Un peu de lecture sur la logique intuitionniste , le tiers exclus etc.
Les structures de Kripke me semblent bien convenir à la discussion.
Les structures de Kripke me semblent bien convenir à la discussion.
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Contre la bêtise, les dieux eux mêmes luttent en vain.
Ni centidieux, ni centimètres.
- Solal des SolalNiveau 6
Oui. Elles proposent une interprétation des logiques temporelles (et donc, derechef, une distinction entre bivalence et tiers exclu).verdurin a écrit:Un peu de lecture sur la logique intuitionniste , le tiers exclus etc.
Les structures de Kripke me semblent bien convenir à la discussion.
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- User17706Bon génie
Oui, j'ai regardé vite fait et tout semble juste ici. Le terme de «bivalence» n'apparaît pas (peu importe en vérité), mais le développement sur le tiers exclu est correct (et ils font bien de préciser, par exemple, qu'il s'agit bien en logique classique d'un théorème et non d'un principe, ce que l'anglais dit plus clairement que le français en parlant couramment de law of excluded middle).verdurin a écrit:Un peu de lecture sur la logique intuitionniste , le tiers exclus etc.
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