- RuthvenGuide spirituel
Éric Dufour et Laurent Jullier
Casque d’or
(J. Becker, 1952)
Analyse d’une œuvre
Vrin, « Philosophie et cinéma ». 120 p., 11 × 18 cm. ISBN : 978-2-7116-2219-1.
Si Casque d’or est avant tout une tragédie amoureuse, c’est aussi un chef-d’œuvre de mise en scène dosant dialogues et silences, économisant les mouvements de caméra, instaurant une esthétique qui lui est propre et qui fera date. Non dénuée de critique sociale (le monde des petits truands est opposé à celui des bourgeois, la morale de la prostituée Casque d’or à celle de la femme prétendument honnête), le film se distingue d’abord par le réquisitoire lancé en faveur du bonheur contre le tragique de la vie, mettant à ce titre en scène le jeu d’une certaine fatalité.
Le présent ouvrage se propose, en explorant les recoins de ce film mythique, d’en sonder philosophiquement la beauté et le sens
Casque d’or
(J. Becker, 1952)
Analyse d’une œuvre
Vrin, « Philosophie et cinéma ». 120 p., 11 × 18 cm. ISBN : 978-2-7116-2219-1.
Si Casque d’or est avant tout une tragédie amoureuse, c’est aussi un chef-d’œuvre de mise en scène dosant dialogues et silences, économisant les mouvements de caméra, instaurant une esthétique qui lui est propre et qui fera date. Non dénuée de critique sociale (le monde des petits truands est opposé à celui des bourgeois, la morale de la prostituée Casque d’or à celle de la femme prétendument honnête), le film se distingue d’abord par le réquisitoire lancé en faveur du bonheur contre le tragique de la vie, mettant à ce titre en scène le jeu d’une certaine fatalité.
Le présent ouvrage se propose, en explorant les recoins de ce film mythique, d’en sonder philosophiquement la beauté et le sens
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Le livre des excellents E. Dufour et L. Jullier est paru. E. Dufour propose cette analyse sur le site de Vrin (http://www.vrin.fr/html/main.htm) :
Éric Dufour et Laurent Jullier,
Casque d’or (J. Becker, 1952)
Si Casque d’or est avant tout une tragédie amoureuse, c’est aussi un chef-d’œuvre de mise en scène dosant dialogues et silences, économisant les mouvements de caméra, instaurant une esthétique qui lui est propre et qui fera date. Non dénuée de critique sociale (le monde des petits truands est opposé à celui des bourgeois, la morale de la prostituée Casque d’or à celle de la femme prétendument honnête), le film se distingue d'abord par le réquisitoire lancé en faveur du bonheur contre le tragique de la vie, mettant à ce titre en scène le jeu d’une certaine fatalité. Le présent ouvrage se propose, en explorant les recoins de ce film mythique, d’en sonder philosophiquement la beauté et le sens.
On trouve dans Casque d’or la description d’une société française cloisonnée, rendue dans le film par une catégorisation très poussée des classes auxquelles appartiennent les personnages, mais d’une société passée dont le film manifeste en même temps la nostalgie : comment expliquer cette contradiction?
La contradiction de Casque d’or apparaît à deux stades de sa construction comme objet spectaculaire :
Casque d’or dit à la fois « c’était mieux avant » et « c’était pire avant ». Il nous montre une société limpide où les différences de sexe, de classe et de pouvoir sont aisément lisibles, une société où l’« étiquette » se montre, au propre et au figuré, où tout est codé et identifiable. Mais le film dévoile aussi la friction quasi-mécanique de ces cadres dès lors que le libre-arbitre (celui dont l’excès effraie tant les membres des sociétés « liquides ») pointe le bout de son nez : division sexuelle, ségrégation sociale et sens de l’honneur provoquent des catastrophes dès lors qu’un individu ne respecte pas la « règle du jeu » (en ce sens, Casque d’or fait le même constat que la Règle du jeu de Renoir : tout pas hors-cadre sera puni de mort). Ce n’est pas un hasard si la chanson Le temps des cerises revêt dans Casque d’or un aspect central : cette chanson fait la promesse d’un avenir à la fois meilleur et irrémédiablement triste, où le bébé aura été jeté avec l’eau du bain.
En quoi Casque d’or fit-il date dans le cinéma français? Est-ce en ce qu’il cristallise des idées reçues sur le Paris des guinguettes, clichés encore vivaces aujourd’hui? Ou bien en est-ce qu’il recèle une modernité sous-jacente?
Le film de Becker n’eut guère de succès public et critique à sa sortie, à cause essentiellement du réalisme et du naturalisme de la mise en scène et des dialogues. Si, très rapidement, il a été réévalué, grâce en partie par l’accueil à l’étranger (par exemple en Angleterre), c’est pour plusieurs raisons.
Nous cherchons à montrer dans le livre que ce film, qui n’est pas un film social, propose une représentation idéalisée de la guinguette et des apaches – mais en même temps conforme à une idée du Paris de la Belle Époque, idée partagée non seulement par les étrangers mais aussi par les Français. Il ne faut pas oublier que Casque d’or est tourné en 1954, soit dix ans seulement après la libération de Paris.
Ensuite, il faut souligner la sobriété et l’élégance d’une mise en scène tournée vers la logique artisanale de l’assignation de la forme au fond. De plus, Becker, dans ce film, caractérise systématiquement les personnages et les situations, ou bien par la monstration de détails qui donnent une épaisseur et une concrétude rares dans le cinéma de cette époque, ou bien en les inscrivant dans un environnement, dans des situations qui, déjà, conditionnent leur actes et leurs paroles.
Enfin, il faut noter l’originalité du sujet, de ses personnages qui « parlent vrai » et particulièrement de son personnage principal : non seulement une femme qui revendique son autonomie dans tous les sens du terme, mais une prostituée qui n’a pas honte de l’être.
Casque d’or est un film qui, comme tout film intéressant, est suffisamment riche et ambigu pour ouvrir une multiplicité de lectures possibles : on peut le voir comme un film romantique et fataliste (s’inscrivant en ce sens dans la grande tradition du cinéma réaliste français d’avant-guerre), comme une peinture idéalisée d’une France qui n’est plus, comme un manifeste pour un nouveau réalisme à la française anticipant la Nouvelle Vague (lieu commun des approches diachroniques que nous critiquons), comme une critique de l’organisation des rapports de sexe etc…
Éric Dufour et Laurent Jullier,
Casque d’or (J. Becker, 1952)
Si Casque d’or est avant tout une tragédie amoureuse, c’est aussi un chef-d’œuvre de mise en scène dosant dialogues et silences, économisant les mouvements de caméra, instaurant une esthétique qui lui est propre et qui fera date. Non dénuée de critique sociale (le monde des petits truands est opposé à celui des bourgeois, la morale de la prostituée Casque d’or à celle de la femme prétendument honnête), le film se distingue d'abord par le réquisitoire lancé en faveur du bonheur contre le tragique de la vie, mettant à ce titre en scène le jeu d’une certaine fatalité. Le présent ouvrage se propose, en explorant les recoins de ce film mythique, d’en sonder philosophiquement la beauté et le sens.
On trouve dans Casque d’or la description d’une société française cloisonnée, rendue dans le film par une catégorisation très poussée des classes auxquelles appartiennent les personnages, mais d’une société passée dont le film manifeste en même temps la nostalgie : comment expliquer cette contradiction?
La contradiction de Casque d’or apparaît à deux stades de sa construction comme objet spectaculaire :
- celui de sa genèse : il a été conçu à l’époque du Front Populaire, dans un certain optimisme, mais pour différentes raisons pratiques il a finalement été fait après-Guerre, et les changements intervenus dans son scénario notamment indiquent un certain désenchantement quant à l’évolution des rapports de sexe et de classe;
- celui de sa réception : il montre certes une société cloisonnée qui assigne des rôles à chacun de ses membres, la plupart du temps au simple regard de leur rang de naissance, mais cette profusion de cadres, quand bien même ils sont contraignants, peut être ressentie avec une certaine nostalgie dans le cadre d’une époque comme la nôtre, une époque de « modernité liquide », comme dit Zygmunt Bauman, où l’authenticité de tout un chacun est à construire en l’absence de cadres identitaires contraignants (ils n’offrent guère de résistance, c’est en cela qu’ils sont « liquides »; on retrouve cette idée dans la philosophie de Charles Taylor).
Casque d’or dit à la fois « c’était mieux avant » et « c’était pire avant ». Il nous montre une société limpide où les différences de sexe, de classe et de pouvoir sont aisément lisibles, une société où l’« étiquette » se montre, au propre et au figuré, où tout est codé et identifiable. Mais le film dévoile aussi la friction quasi-mécanique de ces cadres dès lors que le libre-arbitre (celui dont l’excès effraie tant les membres des sociétés « liquides ») pointe le bout de son nez : division sexuelle, ségrégation sociale et sens de l’honneur provoquent des catastrophes dès lors qu’un individu ne respecte pas la « règle du jeu » (en ce sens, Casque d’or fait le même constat que la Règle du jeu de Renoir : tout pas hors-cadre sera puni de mort). Ce n’est pas un hasard si la chanson Le temps des cerises revêt dans Casque d’or un aspect central : cette chanson fait la promesse d’un avenir à la fois meilleur et irrémédiablement triste, où le bébé aura été jeté avec l’eau du bain.
En quoi Casque d’or fit-il date dans le cinéma français? Est-ce en ce qu’il cristallise des idées reçues sur le Paris des guinguettes, clichés encore vivaces aujourd’hui? Ou bien en est-ce qu’il recèle une modernité sous-jacente?
Le film de Becker n’eut guère de succès public et critique à sa sortie, à cause essentiellement du réalisme et du naturalisme de la mise en scène et des dialogues. Si, très rapidement, il a été réévalué, grâce en partie par l’accueil à l’étranger (par exemple en Angleterre), c’est pour plusieurs raisons.
Nous cherchons à montrer dans le livre que ce film, qui n’est pas un film social, propose une représentation idéalisée de la guinguette et des apaches – mais en même temps conforme à une idée du Paris de la Belle Époque, idée partagée non seulement par les étrangers mais aussi par les Français. Il ne faut pas oublier que Casque d’or est tourné en 1954, soit dix ans seulement après la libération de Paris.
Ensuite, il faut souligner la sobriété et l’élégance d’une mise en scène tournée vers la logique artisanale de l’assignation de la forme au fond. De plus, Becker, dans ce film, caractérise systématiquement les personnages et les situations, ou bien par la monstration de détails qui donnent une épaisseur et une concrétude rares dans le cinéma de cette époque, ou bien en les inscrivant dans un environnement, dans des situations qui, déjà, conditionnent leur actes et leurs paroles.
Enfin, il faut noter l’originalité du sujet, de ses personnages qui « parlent vrai » et particulièrement de son personnage principal : non seulement une femme qui revendique son autonomie dans tous les sens du terme, mais une prostituée qui n’a pas honte de l’être.
Casque d’or est un film qui, comme tout film intéressant, est suffisamment riche et ambigu pour ouvrir une multiplicité de lectures possibles : on peut le voir comme un film romantique et fataliste (s’inscrivant en ce sens dans la grande tradition du cinéma réaliste français d’avant-guerre), comme une peinture idéalisée d’une France qui n’est plus, comme un manifeste pour un nouveau réalisme à la française anticipant la Nouvelle Vague (lieu commun des approches diachroniques que nous critiquons), comme une critique de l’organisation des rapports de sexe etc…
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