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Levincent
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Spiritualité, religion et philosophie Empty Spiritualité, religion et philosophie

par Levincent Ven 31 Juil 2015, 10:54
Alors que la spiritualité était autrefois l'apanage exclusif des religions et des sectes initiatiques, on voit aujourd'hui se développer tout un courant prônant une spiritualité laïque, voire athée. Si la spiritualité peut se définir comme une pratique, et qu'elle se peut envisager comme indépendante de la religion, on peut se demander si ce n'est pas la philosophie qui vient prendre le relai de cette dernière. Faut-il voir dans la philosophie et la religion deux concurrentes pour le rôle d'encadrement et de l'accompagnement de la spiritualité, ou bien ont-elles toutes deux des fonctions spécifiques et distinctes qu'il convient de mettre à jour ?

La spiritualité se définit comme l'entretien et le développement de la vie de l'esprit, par opposition à celle du corps. Or, si l'entretien de la vie du corps se décline sous des aspects divers (médecine, diététique, gymnastique), parler de "la spiritualité" semble impliquer  que cette dernière échappe à cette multiplicité de formes, à moins qu'il s'agisse d'un terme qui unifie plusieurs pratiques différentes. De plus, si on maintient le parallèle avec le corps, on peut également remarquer que ce qui peut être recherché par les pratiques liées au corps ne concerne pas seulement son entretien, mais également une recherche de performance, comme dans le sport. La question se pose donc de savoir ce que peut être une performance en matière de spiritualité et si cette notion a même un sens. Cependant, le problème principal qui nous empêche de répondre de manière certaine à ces questions vient du fait que, contrairement au corps, l'esprit n'est pas directement perçu par nos sens, et que ce qui se rapporte à l'esprit n'est pas objectivement mesurable. Mais l'idée d'une spiritualité, qui implique celle d'un parcours, d'un cheminement, et donc d'une progression, amène avec elle la nécessité de certaines balises permettant de savoir où on en est. La religion résout ce problème grâce à l'autorité des textes sacrés ou des instances religieuses, mais cette solution n'est pas pleinement satisfaisante dans la mesure où une institutionnalisation trop rigide de la religion entre en opposition avec la vie de l'esprit, qui a besoin d'une certaine liberté pour s'épanouir. Il est remarquable, à ce titre, que Jésus et Bouddha soient entrés en conflit avec les castes sacerdotales de leur époque, qui "ferment aux hommes le royaume de Dieu" (Matthieu 23,13). Cependant, Jésus et Bouddha ont quand même fondé (malgré eux ?) une religion sur terre. Doit-on y voir une contradiction ou un échec à transmettre ce qui était essentiel à leurs yeux ? Ou alors ces religions sont-elles porteuses, même en dépit de leur fixation en institution, d'un germe de liberté de nature à remettre en question l'autorité séculière au profit de la spiritualité ? A mon avis, la profusion de sectes chrétiennes hérétiques qui traversent l'histoire du christianisme plaide en faveur d'une réponse affirmative.

Cette distinction entre spiritualité et religion, qui, d'après ce que je viens de dire, est rendue possible par l'apparition de religions ouvertes (au sens de Bergson), amène à penser qu'on peut bel et bien extraire le spirituel de son carcan religieux, autoritaire et dogmatique. Mieux : on doit le faire, car ce qui est important serait de développer une spiritualité, et non de se conformer à des règles cléricales. C'est sans doute la même constatation qui encourage l'idée d'une spiritualité laïque. Mais alors le problème des balises, des critères réapparaît, puisqu'aucune instance n'est plus là pour déterminer à quelles normes doit se mesurer le cheminement spirituel. Est-ce à la philosophie de prendre le relai dans ce cas, en proposant une métaphysique, et une théorie du corps et de l'esprit ? A l'appui de cette option, on peut faire valoir que certaines philosophie ne sont pas seulement un corpus de théorie, mais proposent également une progression personnelle dans la vie de l'esprit. Le problème avec cette vision des choses, en revanche, c'est qu'on peut lui opposer le même reproche qu'aux religions sécularisées : un système philosophique établi, qui s'érige en un ensemble de théories toutes faites, ne peut-il pas être un obstacle à la vie de l'esprit ? Cela, sans doute, dans une moindre mesure que dans le cas des institutions religieuses, car un système philosophique n'est pas sacré, n'exerce généralement pas d'emprise politique, et peut souffrir la contradiction, voire la négation. On peut également faire remarquer que développer une théorie philosophique pour encadrer la spiritualité, est exactement le rôle dévolu à la théologie (sans compter le souci de faire coïncider la révélation avec la science). La religion et la philosophie ne sont donc pas forcément concurrentes, dans la mesure où la religion est capable de se concilier avec une philosophie. La religion a pour but d'unifier une révélation, une liturgie, et une philosophie autour d'une spiritualité. L'affirmation d'une spiritualité laïque ou athée revient donc à dire qu'une spiritualité est possible sans révélation, ni liturgie. Mais alors qu'en est-il de la philosophie ?

L'une des modes actuelles dans le grand supermarché des spiritualités est liée au développement personnel. Très diverses dans leurs formes, allant du plus pragmatique au plus délirant (transurfing, pensée positive, dianétique, etc.), elles ont en commun la caractéristique de promettre à ceux qui les pratiquent le bonheur, le succès dans leurs projets, et surtout la richesse. L'usage de la philosophie est minimal. Quelques notions simples sont avancées comme base de la pratique, qui tire ensuite sa légitimité de son efficacité. Ces modes sont tout de même représentatives d'une certaine idéologie, individualiste, matérialiste, faisant de la richesse un critère de la réussite personnelle présentée comme le but de la vie. La notion d'un au-delà de la vie dont il faudrait se rendre digne, ou d'une vérité à saisir, est évacuée, puisque c'est seulement la vie actuelle qui compte, dans laquelle nous devons nous sentir bien, nous épanouir, ne pas se refuser les jouissances (une telle approche, qui fait primer le bien-être sur une recherche de transcendance, a d'ailleurs été qualifiée de "matérialisme spirituel" par le bouddhiste tibétain Chogyam Trungpa). La philosophie, dans certains cas, comme le positive thinking, est même déconseillée : le doute et le scepticisme risquent de nous faire échouer dans notre projet. Le reproche que je ferais à ces courants est donc double : en prétendant ne pas se mêler de philosophie, ils font en réalité passer une certaine philosophie en contrebande, et de plus ils tendent à devenir des modes quasi-religieuses, avec des quasi-gourous (tout dépend des cas, mais qu'on pense à Ron Hubbard), une assemblée d'adepte. Il me semble par conséquent dangereux de mettre l'aspect pragmatique de la spiritualité au premier plan sans encourager la réflexion philosophique. Cela amène à une religion et à une philosophie qui ne disent pas leurs noms.

Cependant, il ne faudrait pas en conclure que la philosophie suffit à développer une spiritualité. On peut très bien être philosophe comme on est architecte ou avocat, c'est-à-dire exercer une discipline intellectuelle sans que celle-ci influe sur notre rapport à l'existence. Pierre Hadot montre bien comment la philosophie antique était autrefois conçue non pas seulement comme un corps de doctrine à maîtriser, mais aussi comme une voie vers une autre dimension de l'existence. La théorie et la dialectique ne sont que des exercices préparatoires à cette expérience. Mais alors cet accès à la spiritualité est rendu possible par la transmission de personne à personne. L'enseignement théorique est accessible par l'écrit, mais l'étincelle intérieure, elle, nécessite une relation personnelle. On voit donc qu'on n'échappe pas à une certaine forme de religion, dans la mesure où l'ouverture à la spiritualité se fait par le moyen d'une initiation. L'homme étant un être social, sa spiritualité passe par un médium social, qui le relie aux autres en même temps qu'il le relie à une transcendance.

Il me semble donc que la religion est une structure minimale qui encadre une spiritualité, et qui ne peut pas ne pas se former. Cette structure peut se présenter comme une secte initiatique de peu d'adhérents (forme ésotérique), soit comme ouverte au grand nombre (forme exotérique). La philosophie est un travail préparatoire à la vie de l'esprit, dans la mesure où une formation intellectuelle est le plus souvent nécessaire (mais pas toujours). Quant à la tradition (textes, dogmes, mystères), je pense qu'ils sont nécessaires à toute religion dans la mesure où ils constituent un support de transmission. J'y vois comme l'expérience personnelle des adeptes passés rendue accessible aux pratiquants, qui pourront y découvrir des indications correspondant au stade où ils en sont dans leur cheminement. Si je ne vois pas d'argument interdisant une spiritualité athée (encore qu'il faille définir précisément l'athéisme), je suis en revanche assez sceptique sur la possibilité d'une spiritualité laïque. Je conçois qu'on puisse définir des pratiques laïques liées traditionnellement à la spiritualité (comme la méditation, très présente dans le bouddhisme, mais qui peut très bien se pratiquer hors de cette religion), mais sans encadrement ne serait-ce que d'une philosophie qui déterminerait leur finalité, je pense qu'adopter ces pratiques ne suffit pas à développer une vie spirituelle.

Si vous avez une opinion à ce sujet, ou que vous avez en tête un livre qui traite de cela, n'hésitez pas à en faire part.
Panturle
Panturle
Niveau 8

Spiritualité, religion et philosophie Empty Re: Spiritualité, religion et philosophie

par Panturle Ven 31 Juil 2015, 13:32
Levincent a écrit:en tête un livre qui traite de cela

Spoiler:

:dehors2:

PS. je plaisante, hein, il faut que je relise ça tranquillement : je crois qu'il y a une ou deux choses que je ne comprends pas bien. Mais c'est un sujet intéressant, merci ! Smile

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Ænésidème
Niveau 6

Spiritualité, religion et philosophie Empty Re: Spiritualité, religion et philosophie

par Ænésidème Ven 31 Juil 2015, 18:41
Panturle ? Paaantuuurle ?? Où es-tu ?
Il est parti comme il est venu. I'faisait que passer...
Panturle
Panturle
Niveau 8

Spiritualité, religion et philosophie Empty Re: Spiritualité, religion et philosophie

par Panturle Ven 31 Juil 2015, 19:16

@Levincent :

Je ne comprends pas la distinction "spiritualité laïque"/"spiritualité athée", sûrement parce que je ne comprends pas ce que tu entends par "spiritualité laïque".

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User17706
Bon génie

Spiritualité, religion et philosophie Empty Re: Spiritualité, religion et philosophie

par User17706 Ven 31 Juil 2015, 20:28
Il semble que le développement d'une «spiritualité» quelle qu'elle soit (càd. sous une forme ou l'autre) soit présenté comme une nécessité (et peut-être au double sens du terme). Mais je ne vois pas bien pourquoi, en fait.
Levincent
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Spiritualité, religion et philosophie Empty Re: Spiritualité, religion et philosophie

par Levincent Ven 31 Juil 2015, 20:57
Panturle a écrit:Je ne comprends pas la distinction "spiritualité laïque"/"spiritualité athée", sûrement parce que je ne comprends pas ce que tu entends par "spiritualité laïque".

Une spiritualité laïque, c'est une spiritualité qui est menée en dehors de toute religion instituée. Elle n'est pas forcément athée, puisqu'on peut croire en Dieu sans forcément se référer à une chapelle ou à des dogmes déterminés. En revanche, une spiritualité athée est une spiritualité qui se passe de la notion de Dieu ou de dieux. Elle n'est pas forcément laïque, puisqu'elle peut se concilier avec certains courants religieux. Par exemple, le bouddhisme est dit athée.


PauvreYorick a écrit:Il semble que le développement d'une «spiritualité» quelle qu'elle soit (càd. sous une forme ou l'autre) soit présenté comme une nécessité (et peut-être au double sens du terme). Mais je ne vois pas bien pourquoi, en fait.

Il ne me semble pas avoir voulu sous-entendre cela. Mais je pense néanmoins qu'il est nécessaire, dans le sens de conforme à notre nature, de développer une certaine forme de spiritualité. Autant qu'il est nécessaire de philosopher, même si beaucoup de personnes traverseront l'existence sans jamais avoir philosophé ni développé quoi que ce soit de spirituel.
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