- charlygpNiveau 9
Bonsoir,
je prépare une lecture analytique d'un extrait de L'Education sentimentale de Flaubert et m'interroge à propos des discours rapportés. J'ai du mal à justifier les guillemets du passage en gras. Il s'agit d'un discours indirect libre qui rapporte les propos de la "négresse" mais ce discours sonne comme un discours direct. Les guillemets sont-ils là pour dire qu'il ne s'agit pas des paroles de Frédéric (comme nous les avons avant) et que c'est un autre personnage qui prend le relais. Ainsi, tous les discours des autres personnages sont marqués par les guillemets et distinguent donc les pensées de Frédéric des paroles des autres.
je prépare une lecture analytique d'un extrait de L'Education sentimentale de Flaubert et m'interroge à propos des discours rapportés. J'ai du mal à justifier les guillemets du passage en gras. Il s'agit d'un discours indirect libre qui rapporte les propos de la "négresse" mais ce discours sonne comme un discours direct. Les guillemets sont-ils là pour dire qu'il ne s'agit pas des paroles de Frédéric (comme nous les avons avant) et que c'est un autre personnage qui prend le relais. Ainsi, tous les discours des autres personnages sont marqués par les guillemets et distinguent donc les pensées de Frédéric des paroles des autres.
Ce fut comme une apparition :
Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu'il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.
Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l'ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de l'air bleu.
Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d'observer une chaloupe sur la rivière.
Jamais il n'avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu'elle avait portées, les gens qu'elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limites.
Une négresse, coiffée d'un foulard, se présenta, en tenant par la main une petite fille, déjà grande. L'enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s'éveiller. Elle la prit sur ses genoux. "Mademoiselle n'était pas sage, quoiqu'elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne l'aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices." Et Frédéric se réjouissait d'entendre ces choses, comme s'il eût fait une découverte, une acquisition.
Il la supposait d'origine andalouse, créole peut-être ; elle avait ramené des îles cette négresse avec elle ?
Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s'en couvrir les pieds, dormir dedans ! Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l'eau ; Frédéric fit un bond et le rattrapa. Elle lui dit :
- " Je vous remercie, monsieur. "
Leurs yeux se rencontrèrent.
- " Ma femme, es-tu prête ? " cria le sieur Arnoux, apparaissant dans le capot de l'escalier.
- InvitéeEvNiveau 5
Pour moi, c'est clairement du DIL :
1/ Pas de dispositif du DD (verbe intro suivi des deux points ; guillemets ; incise) ;
+ 2/ Concordances propres au DI (imparfait, pronoms)
= DIL,
peu importe les petites particularités de la typographie.
Si tu tiens à justifier les guillemets, peut-être qu'effectivement, puisqu'on est en focalisation interne, ils permettent de rapporter de façon claire le discours d'un autre personnage que celui à travers lequel on voit la scène…
Mais on peut aussi supposer que Flaubert n'écrit pas L'Éducation sentimentale comme Spinoza écrit L'Éthique, et qu'il est moins sensible que nous aux fonctionnements des discours rapportés, puisqu'il n'a pas la tête bourrée de narratologie…
1/ Pas de dispositif du DD (verbe intro suivi des deux points ; guillemets ; incise) ;
+ 2/ Concordances propres au DI (imparfait, pronoms)
= DIL,
peu importe les petites particularités de la typographie.
Si tu tiens à justifier les guillemets, peut-être qu'effectivement, puisqu'on est en focalisation interne, ils permettent de rapporter de façon claire le discours d'un autre personnage que celui à travers lequel on voit la scène…
Mais on peut aussi supposer que Flaubert n'écrit pas L'Éducation sentimentale comme Spinoza écrit L'Éthique, et qu'il est moins sensible que nous aux fonctionnements des discours rapportés, puisqu'il n'a pas la tête bourrée de narratologie…
- …:
- Bon, enfin, tout ça, c'est la stratégie que j'ai élaborée pour ne pas passer systématiquement 100 000 ans à me casser la tête sur ce genre de questions…
- DjinnNiveau 1
Pour moi aussi c'est du discours indirect libre. Il me semble que c'est un procédé fréquent chez Flaubert car il lui sert en général à faire passer un jugement, une ironie imperceptible vis-à-vis de ses personnages.
- User5899Demi-dieu
Le discours indirect libre a beaucoup de caractéristiques du discours direct : il retranscrit l'intégralité du propos, conserve l'expressivité (questions, exclamations, vocabulaire plus ou moins fleuri). Votre perception est donc normale.charlygp a écrit:je prépare une lecture analytique d'un extrait de L'Education sentimentale de Flaubert et m'interroge à propos des discours rapportés. J'ai du mal à justifier les guillemets du passage en gras. Il s'agit d'un discours indirect libre qui rapporte les propos de la "négresse" mais ce discours sonne comme un discours direct. Les guillemets sont-ils là pour dire qu'il ne s'agit pas des paroles de Frédéric (comme nous les avons avant) et que c'est un autre personnage qui prend le relais. Ainsi, tous les discours des autres personnages sont marqués par les guillemets et distinguent donc les pensées de Frédéric des paroles des autres.
Dans ce passage, en effet, les guillemets ne sont pas utilisés de façon classique et leur emploi correspond à ce que vous en dites.
- e-WandererGrand sage
De toute façon, Flaubert n'est pas toujours absolument classique dans son emploi du DIL (il lui arrive d'utiliser le futur simple au lieu du conditionnel, ou bien des parenthèses, comme des bribes de parole vive au milieu d'un passage au DIL : par exemple, la transcription du discours de Sénécal sur les meurtres de Buzançais et la crise des subsistances – j'y fais référence de mémoire, vous retrouverez le passage facilement. Un tel passage est beaucoup plus irrégulier et audacieux que la simple présence de guillemets).
Edit. Voilà, j'ai retrouvé :
"(…) Ces attentions furent perdues pour Sénécal.
Il commença par demander du pain de ménage (le plus ferme possible), et, à ce propos parla des meurtres de Buzançais et de la crise des subsistances. Rien de tout cela ne survenu si on protégeait mieux l'agriculture, si tout n'était pas livré à la concurrence, à l'anarchie, à la déplorable maxime du "laissez faire, laissez passer" ! Voilà comment se constituait la féodalité de l'argent, pire que l'autre ! Mais qu'on prenne garde ! Le peuple, à la fin, se lassera, et pourrait faire payer ses souffrances aux détenteurs du capital, soit par de sanglantes proscriptions, ou par le pillage de leurs hôtels.
Frédéric entrevit dans un éclair, un flot d'hommes aux bras nus envahissant le grand salon de Mme Dambreuse, cassant les glaces à coups de pique. (…)"
Edit. Voilà, j'ai retrouvé :
"(…) Ces attentions furent perdues pour Sénécal.
Il commença par demander du pain de ménage (le plus ferme possible), et, à ce propos parla des meurtres de Buzançais et de la crise des subsistances. Rien de tout cela ne survenu si on protégeait mieux l'agriculture, si tout n'était pas livré à la concurrence, à l'anarchie, à la déplorable maxime du "laissez faire, laissez passer" ! Voilà comment se constituait la féodalité de l'argent, pire que l'autre ! Mais qu'on prenne garde ! Le peuple, à la fin, se lassera, et pourrait faire payer ses souffrances aux détenteurs du capital, soit par de sanglantes proscriptions, ou par le pillage de leurs hôtels.
Frédéric entrevit dans un éclair, un flot d'hommes aux bras nus envahissant le grand salon de Mme Dambreuse, cassant les glaces à coups de pique. (…)"
- User5899Demi-dieu
Oui c'est vrai. Mais de toutes façons, je n'ai jamais été convaincu par la concordance mécanique au conditionnel de discours indirect d'un futur simple. Il y a des exceptions, et vous indiquez que ces exceptions ne sont pas récentes.e-Wanderer a écrit:De toute façon, Flaubert n'est pas toujours absolument classique dans son emploi du DIL (il lui arrive d'utiliser le futur simple au lieu du conditionnel, comme une bribe de parole vive au milieu d'un passage au DIL : par exemple, la transcription du discours de Sénécal sur les meurtres de Buzançais et la crise des subsistances – j'y fais référence de mémoire, vous retrouverez le passage facilement. Un tel passage est beaucoup plus irrégulier et audacieux que la simple présence de guillemets !).
- e-WandererGrand sage
Oui, il y a le beau livre d'Ann Banfield, Phrases sans paroles, pour ceux qui veulent approfondir la question.
(J'ai édité mon précédent message pour proposer l'extrait auquel je faisais allusion).
(J'ai édité mon précédent message pour proposer l'extrait auquel je faisais allusion).
- charlygpNiveau 9
Merci pour les précisions. En poussant l'analyse, j'ai également pu justifier la présence des guillemets par le déictique "ces choses" qui vient mettre en exergue les paroles entendues. Les guillemets encadrent et mettent en avant la fascination de Frédéric et l'ironie du narrateur.
Et merci e-Wanderer pour l'extrait proposé !
Et merci e-Wanderer pour l'extrait proposé !
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