Rencontre avec mon député (UMP) à propos de la Réforme

Bilan de la rencontre avec mon député (UMP je le rapelle et paaaaas du tout progressiste...): ce fut intéressant.
Je m'attendais à être expédiée entre deux rv, en 15 minutes, et non, il m'a accordé une heure, et m'a clairement dit qu'il était ravi d'entendre mon point de vue professionnel et concret sur l'enseignement et ce projet de réforme.

J'ai donc abordé, en vrac (accrochez-vous, j'ai fait du condensé!):
- la situation déjà moribonde dans les DHG des langues anciennes dans le secondaire, bien avant que la réforme ne s'en mêle.
--> le non respect des textes définissant les horaires planchers, les langues anciennes servant de variables d'ajustement pour assurer les autres enseignements / les groupes de latin rassemblant plusieurs niveaux, au prétexte que les effectifs sont trop faibles
- Les chiffres réels du nombre d'élèves pratiquant les langues anciennes, bien loin de ne concerner qu'une minorité d'élèves (latin 3e langue étudiée au collège en France).
- le dynamisme des langues anciennes, le nombre d'élèves suivant les options étant loin de s'effondrer
- la nécessité, en Langues anciennes comme régionales, de continuer à étudier langue et culture ensemble, sans les dissocier
- le mensonge sur la supposée démocratisation de l'offre aux élèves en langues anciennes (le coup des 6 EPI sur les 8 qui potentiellement supprimerait l'accès à la "culture antique", le fait que seuls ceux suivant l'EPI langues anciennes pourront éventuellement faire de la langue, si le CA et le conseil péda acceptent ça au détriment des dédoublements ou de la remédiation/ même problème pour les langues régionales)
- le mensonge sur la politique volontariste en langues vivantes (perte drastique d'heures de lv pour les anciens élèves de section euro / le mensonge sur la possibilité de choisir la lv1 en primaire en faveur de l'allemand/ le rythme des enseignements hebdos qui se dilue pour la LV2 avec l'introduction en 5e)
- le fait que les EPI réduisent les horaires disciplinaires, menant par exemple un élève de 5è à n'avoir que 3h de français (les "grosses matières étant la cible toute désignée des EPI par leur volume horaire), alors même qu'on dit vouloir renforcer les fondamentaux.
- le fait que les EPI seront attribués, choisis en conseil péda et CA, par des personnes qui pour certaines n'auront donc même aucune compétence en matière d'enseignement
- la vacuité des programmes de lettres, transformant la langue française en simple outil de communication sans plus aucun travail obligatoire sur la beauté de la langue, des oeuvres, les références patrimoniales, tout nom d'oeuvre ou d'auteur étant absent de ces programmes, conçus uniquement autour de thèmes flottant autour du "vivre ensemble"...
- la multiplication des concertations obligatoires pour les professeurs, sans aucun temps dédié à cela, entre conseil école/collège, conception concertée des programmations annuelles au sein du cycle 3, concertations entre collègues d'un même EPI (ou des EPI!), le tout couronné par la conception des cours des nouveaux programmes durant nos vacnaces d'été 2016, pour les 4 niveaux potentiellement en simultané.
- la situation des collègues, qui se délabre de plus en plus, tant pour les conditions de travail que pour le sentiment de n'être jamais entendus, pire, d'être méprisés, alors que ce sont eux, les seuls légitimes pour parler de la réalité de leur métier et des élèves aujourd'hui.
- le nombre croissant de collègues qui veulent quitter le métier, sans pouvoir le faire, notamment à cause de la suppression de l'indemnité de départ volontaire, l'EN semblant conscient de la nécessité de retenir contre leur gré les enseignants dans le système, tant le désamour pour le métier est grand.
- les salaires (différence à diplômes égaux entre salaire de l'employé du privé et du public/ question sur laquelle le député avait déjà interpellé le ministère) le blocage du point d'indice, la lenteur des inspections qui bloquent la carrière de beaucoup de collègues (chez nous, on a des retards en lettres de 17 ans sans inspection pour certains collègues)
- le risque de voir le rayonnement intellectuel et scientifique de la France en prendre un très sale coup quand nous n'aurons plus de latinistes ou hellénistes, alors même que d'autres pays européens abordent le latin en primaire avec succès (j'espère ne pas avoir dit une connerie en parlant de la GB avec Minimus)
- le rôle des IPR, trop peu nombreux pour remplir réellement leurs missions. L'implication parfois néfaste (et de plus en plus grande) des IEN dans les formations continues des PLC, quand ils nient les réalités des difficultés que nous rencontrons au collège et nous ordonnent d'apprendre à écrire et lire aux élèves, sous peine de faillir à notre mission. J'ai insisté sur la perte de contact avec la réalité de l'école, de l'élève d'aujourd'hui pour nombre d'entre eux.
- la constitution du CSP, l'uniformité pédagogique semblant de mise, avec des gens qui n'enseignent plus ou pas, et décident d'éraidquer une matière au prétexte qu'eux-mêmes n'en ont tiré aucun profit

Je crois n'avoir ren oublié de ce que j'ai présenté...je n'avais aucune trame, et je n'ai pas pris de notes, ne sachant pas vraiment à quelle sauce j'allais être "mangée"... j'espère ne rien avoir oublié d'important...

De son côté, le député, dont les 4 tantes sont enseignantes, m'a dit constater régulièrement lui-même que les enfants ne sont plus les mêmes, que le monde n'est plus le même, que les parents ne remplissent malheureusement plus souvent leur rôle, et qu'il mettait quiconque au défi de tenir 1h avec une classe, lui-même ressortant épuisé des rencontres avec les collégiens ou lycéens du coin, qu'il ne voit pourtant que peu de temps! Il a évoqué l'une de ses tantes, passionnée par son métier, et qu'il avait vue au fil des années compter le temps qui lui restait, usée et dépitée.
Il a insisté sur son refus du terme de "co-éducation" pour définir la relation parents/enseignant, estimant que l'éducation relevait du rôle des parents, et que seul l'enseignant est apte à savoir comment et quoi enseigner. Il préfère le terme de "dialogue".
Il a été très sensible à la question de la souffrance au travail, et notamment sur celle des professeurs de matières qui disparaissent ou sont mises à mal par le projet de réforme.
Il s'est montré très curieux sur les missions des IPRs et la façon dont ils les assuraient. Ils lui semblaient trop peu présents, voire démissionnaires limite fumistes. J'ai répondu que les injonctions étaient si variées qu'en toute honnêteté il semblait impossible à la fois de former, inspecter, organiser, transmettre les informations du ministère sur le terrain, coordonner les actions... mais j'ai insisté sur leur rôle de suivi des carrières et inspections, sources de grandes inégalités entre enseignants.

Il a répété à plusieurs reprises que cette réforme lui semblait vouée à se crasher...les oppositons sont déjà trop lourdes selon lui. Puisse-t-il avoir raison...

Bref, je me suis vraiment sentie écoutée, estimée comme une professionnelle, ça fait du bien.
J'ai des tonnnnnes de désaccords trèèèèès lourds avec ce député sur des questions de société, mais là, tout ce que j'ai entendu sur l'enseignement m'a "rassurée". Il m'a semblé que nous étions sur la même ligne, et surtout, je ne l'ai pas trouvé vindicatif en tant qu'élu de l'opposition. Il semblait convaincu et non opportuniste.
Cerise sur le gâteau, il a dit "Bon, je reconnais, les suppressions massives de postes quand nous étions dans la majorité et à la présidence, c'était vraiment terrible et violent. En même temps, on ne se voyait pas trancher partout pour faire des économies sans toucher aussi au budget de l'EN... mais oui, c'était massif et très lourd...". Ça sonnait presque comme des remords, dites donc... ;-)

Il m'a dit de ne pas hésiter à le tenir informé de nouvelles évolutions, réactions... il ignorait quand aurait lieu la prochaine commission à l'assemblée ( il siège à la commission culture et éducation) mais il semble décidé à évoquer le problème...j'espère qu'il aura tout bien compris et pris en notes (et j'espère n'avoir pas dit de bêtises), parce que j'ai été trèèès dense!

J'ajoute que j'ai évidemment précisé que les "options élitistes" étaient bien évidemment offertes à tous, et que la loi prévoyait que tout enfant souhaitant suivre une option puisse le faire, les dérives n'étant pas le fait des enseignants mais parfois des parents eux-mêmes ou de certains CDE qui ne respectent pas les textes.

eh ben dis donc, tu ne t'ennuies pas AUdrey! Bravo pour ta combativité!

Je lui avais envoyé un mail la veille de la rencontre de la ministre avec la commission "Culture et Education" à l'Assemblée Nationale, et il a proposé lundi de nous rencontrer aujourd'hui.
J'y suis allée un peu à reculons, j'avoue, mais au final, je ne regrette pas.

Merci de ton engagement.

Puissent les propos d'une professionnelle de la base* remonter au plus haut niveau et être entendus.
Utinam...

*ce n'est, bien sûr, pas injurieux.

Je pense que d'autres ont fait comme moi.. il me semble avoir vu d'autres néos dire qu'ils avaiet été contactés par leur député suite aux mails envoyés le même soir...

Bravo et merci, Audrey.

Merci, Audrey !
Tu as vraiment été écoutée ! 1H: chouette !

Super ! Merci à toi.

Il faudrait que le plus possible alertent leur député et demande audience... c'est un outil auquel on ne recourt pas assez, je pense.

Tu as vraiment assuré, bravo !

Bah, je ne sais pas si j'ai assuré, mais j'ai vraiment essayé de ne laisser aucune idée importante de côté...

Il me semble que ton exposé était complet et clair !

Ah ben moi mon député il a fait partie des signataires qui ont récemment fait publier dans libération une tribune pro réforme!
Le truc croquignolet

Spoiler:

Eh beh...doubledecker....

Eh ouais, les soirées doivent être animées

Merci et bravo Audrey !

doubledecker a écrit:Ah ben moi mon député il a fait partie des signataires qui ont récemment fait publier dans libération une tribune pro réforme!
Le truc croquignolet

Spoiler:

Mais il y a des professeurs de lettres qui ne sont pas dérangés du tout par la réforme et qui l'appuient!

Bravo...? Je n'ai rien obtenu... j'ai juste présenté et expliqué.
Tout le monde peut le faire!

Audrey a écrit:Bravo...? Je n'ai rien obtenu... j'ai juste présenté et expliqué.
Tout le monde peut le faire!

Si, si, bravo pour avoir pris le temps de le faire, pour avoir eu le courage de le faire aussi.
Je me sens tellement léthargique et débordée que mon combat se réduit à convaincre collègue après collègue (ce qui est déjà une chose, ok, mais si peu...), à expliquer très clairement aux élèves pourquoi je ferai (et à leur glisser que leurs parents doivent se renseigner, surtout s'il y a des petits frères et soeurs ), à lire et diffuser sur FB. Bref, le minimum.

J'avais envoyé un mail à ma député, j'ai reçu en réponse la comm' de la ministre...

caribouc a écrit:

Audrey a écrit:Bravo...? Je n'ai rien obtenu... j'ai juste présenté et expliqué.
Tout le monde peut le faire!

Si, si, bravo pour avoir pris le temps de le faire, pour avoir eu le courage de le faire aussi.
Je me sens tellement léthargique et débordée que mon combat se réduit à convaincre collègue après collègue (ce qui est déjà une chose, ok, mais si peu...), à expliquer très clairement aux élèves pourquoi je ferai (et à leur glisser que leurs parents doivent se renseigner, surtout s'il y a des petits frères et soeurs ), à lire et diffuser sur FB. Bref, le minimum.

C'est déjà beaucoup.
Et puis, honnêtement, c'est dur de rester mobilisé tout le temps. Ca use, ça fatigue. Là, je retrouve un peu l'énergie, mais je peux te dire que pendant les vacances, j'étais vraiment épuisée, et que je n'ai RIEN fait en rapport avec la réforme. Je saturais. Il me fallait un break. Mine de rien, là, ça fait déjà un mois et demi qu'on se bouge, tous ensemble.

Qu'il soit à la commission éducation est important, s'il pouvait se souvenir de ce que tu as dit et en parler avec les autres...

Salut,

Adri a écrit:J'avais envoyé un mail à ma député, j'ai reçu en réponse la comm' de la ministre...

De ce que j’ai pu voir, pour d’autres trucs (mais l’exemple d’Audrey le confirme), c’est plus efficace de téléphoner ou demander un RDV (bon, après, au téléphone, tu peux tomber sur un conseiller), l’échange oral empêche la personne de simplement répondre un mail type, et par définition, il y a un échange (des réponses).