- JohnMédiateur
J’avais rêvé, comme beaucoup de praticiens et de militants pédagogiques, que l’on se mette enfin à construire l’école du futur, que l’on cesse de considérer que faire du nouveau, c’est réparer et améliorer l’ancien, que l’on change les pratiques du sommet de la pyramide qui continue à déverser ses instructions et ses injonctions de toute sa hauteur comme si les réformes en matière d’éducation pouvaient se décréter.
J’avais rêvé que l’on suspende les programmes de 2008 (tout était déjà écrit pour le changement), que l’on décrète une année sans inspection, que l’on mette les enseignants au travail dans les écoles puis sur un territoire pour éviter la juxtaposition étanche du non scolaire et du scolaire, pour que les projets soient de vrais projets co-construits par les acteurs. Si l’on croit que les enseignants vont s’enthousiasmer sur les futurs nouveaux programmes après avoir démontré, durant 3 ans, que l’on peut refonder l’école avec les vieux programmes, soit on est naïf, soit on reconnaît que l’on a tout fait pour que rien ne change.
J’avais rêvé que l’on suspende les évaluations qui n’en sont pas et qui angoissent enfants, parents et enseignants. Si Vincent Peillon avait fait quelques recommandations mesurées, une majorité de cadres intermédiaires a exigé impunément leur maintien, considérant que les chiffres et les tableaux étaient indispensables pour leur travail. Et dans notre système, il arrive que l’on obéisse mieux à l’inspecteur qu’au ministre.
J’avais rêvé que l’on redonne toute leur place aux mouvements pédagogiques qui souffrent et qui sont l’oxygène de l’école et de la formation des enseignants
J’avais rêvé que l’on ose enfin rompre avec le lycée de la 6e à la terminale pour construire, progressivement mais sûrement, l’école fondamentale, l’école de la scolarité obligatoire
J’avais rêvé, comme ancien instituteur/inspecteur, que l’on demande aux inspecteurs d’accompagner et de réguler les projets construits à la base plutôt que de juger, d’infantiliser, de contrôler, de distribuer des injonctions et des feuilles de route
J’avais rêvé que l’éducation populaire reprenne toute sa place dans l’histoire et dans l’espace, en contribuant à donner du sens à la notion d’éducation globale partagée plutôt que de se satisfaire d’activités périscolaires juxtaposées animées par des professionnels (il est vrai que les formations BAFA sont un fonds de commerce), avec des écoles transformées en maisons des savoirs et de l’éducation tout au long de la vie, avec des réseaux d’échanges réciproques des savoirs, avec de l’intergénérationnel libéré de la domination des hiérarques de l’Education Nationale. Je n’ignore pas les difficultés. Les fédérations départementales sont souvent devenues des entreprises, des sociétés de services, coupées de la base. Les actions départementales, même quand elles sont médiatisées, ne sont pas de nature à aider les associations locales, les amicales laïques, à reprendre place à l’école et dans les politiques éducatives communales.
J’avais rêvé que l’on fasse de la prospective plutôt que de charger la barque de l’école à chaque évènement. Un attentat, un colloque, une interpellation médiatique, une rencontre entre deux ministres (la culture, l’agriculture, l’intérieur, l’environnement…) , tout est bon pour ajouter des taches sans en enlever, en ne citant la refondation qu’au détour d’une phrase, pour mémoire… quand même !
J’avais rêvé que le beau mot « refondation » soit bien défini et explicité à l’opinion publique, à la Nation
Le mirage s’efface
On n’a jamais beaucoup parlé de refondation dans les écoles. On n’en parle déjà plus du tout. Il faut attendre et continuer comme avant, et attendre avec les mêmes programmes débiles, avec le même socle, avec les mêmes pressions et les mêmes angoisses. Il faut subir et obéir, ne pas penser… On n’a même pas le droit de commencer sans la cascade des instructions et injonctions.
Je plains les professeurs d’école qui ont beaucoup souffert, en particulier sous l’ère sarkoziste, qui espéraient du changement avec l’alternance de 2012 et qui, en 2015, malgré les créations de postes et les promesses de nouvelles paperasses pour 2016/2017, n’ont ressenti aucun changement dans leur vie professionnelle. La continuité est désespérante. Le mirage d’une vraie refondation disparaît à l’horizon de 2017.
On a peut-être déjà raté un nouveau grand rendez-vous avec l’Histoire, une chance pour notre République de s’inscrire résolument dans un futur plus démocratique, plus fraternel et plus humain.
Il aura manqué, une fois encore, un peu, beaucoup, passionnément, de courage politique.
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- YazilikayaNeoprof expérimenté
Je plussoie. Blasée. L"impression d'être une Don Quichotte.
- IphigénieProphète
Gageons que ça n'aura pas la même portée que le discours de Martin Luther King....
- Docteur OXGrand sage
John, source svp. Merci.
- FinrodExpert
Docteur OX a écrit:John, source svp. Merci.
http://www.educavox.fr/accueil/debats/je-plains-les-professeurs-d-ecole
EDIT : c'est bien le bon texte, il est vers la fin.
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