- RobinFidèle du forum
Hallâj, Poèmes mystiques, calligraphie, traduction de l'arabe et présentation de Sami-Ali, Simbad/Actes sud
"Fulgurante figure de la mystique en Islam, d'origine persane et de langue arabe, Hussein Al-Hallâj (857-922) appartient à cette rare pléiade de poètes pour qui la poésie est sublime et la pensée profonde (Heidegger). Cependant, puisque Hallâj est avant tout un mystique, un des plus grands de tous les temps, l'unité de la pensée et de la poésie chez lui trouve sa justification dans une expérience de la totalité qui sert à exprimer une relation unique à l'Unique. Expérience non mutilée, non mutilante, où l'âme coexiste avec le corps, la raison avec ce qui la nie, la finitude de la mort avec l'horizon de la résurrection, et où le cœur et l'imagination, portés par cette force transfiguratrice qu'est l'amour, deviennent des moyens de connaissance, des sens véritables. La poésie est inséparable de la vie quand "le chant de l'existence" (Rilke), une vie tout entière tournée vers l'Unique, Lequel unifie mais dans le déchirement, fait accéder au vrai, mais dans la contradiction, permet de Le retrouver et de se retrouver mais dans le dépassement de tout. La poésie, chez Hallâj, est la forme suprême que, provisoirement, juste avant le silence sublime, la pensée prend quand elle doit se dépasser dans l'indépassable...
Certains hommes échappent à la mesure parce qu'ils témoignent d'une vérité incommensurable. Celle de Hallâj (857-922), célèbre soufi d'origine persane martyrisé à Bagdad, le met tôt aux prises avec la lettre d'une révélation et avec ceux qui la professent, au point d'en subir dans son corps et dans son œuvre le châtiment suprême : l'anéantissement.
Quelle est cette vérité outrepassant une époque, une tradition, une langue ? Qu'aucun être ne peut subsister en même temps que l'Être. Et que poser l'Absolu, fût-ce par l'acte de la foi, revient à le relativiser, donc à le nier. Aporie de toute pensée et impasse d'une vie, auxquelles répond une singulière expérience de la totalité qui, chez Hallâj, par la fulgurance de la parole poétique, tend constamment à en dire l'indicible. Chaque poème est un fragment du tout et le tout de lui-même, instant unique où se révèle l'Unique. Enracinée dans une langue dont elle épouse les secousses souterraines, cette poésie appartient maintenant à l'universel."
"A propos de la traduction de Hallâj, effectuée en 1955, par Louis Massignon : infidèle et encombrée, cette traduction, qui n'a cure de la forme, s'évertue à transposer un contenu sans en retenir la puissance suggestive. L'allusion y cède la place aux "phrases", c'est-à-dire aux paraphrases. Et partout, l'exégèse supplante l'original au lieu de "l'indiquer" dans son alterité. Ceci, bien sûr, ne met nullement au cause le magistral travail de l'historien Massignon (La passion d'Al-Hallâj est une passion pour Al-Hallâj), grâce à quoi fut sauvé de l'oubli cette figure de mystique incommensurable.
Par ailleurs, les Poèmes de Hallâj, ici traduits, recouvrent la plupart, non la totalité des pièces reconnues comme authentiques dans l'édition bilingue de Diwan (La Diwan de Hallâj). Edité, traduit et annoté par Louis Massignon, Paris, 1975, Geuthner éd., pièces dont le nombre demeure incertain, si l'on en croit de récentes recherches.
Ce choix découle de la forme fulgurante des poèmes concis et immédiatement lisibles. Ainsi se trouve accentué l'aspect fragmentaire d'une œuvre inachevée, non accidentellement, mais par essence puisqu'elle porte à sa plus haute expression l'impossibilité d'affirmer l'Unique sans se nier et de s'affirmer sans nier l'Unique.
Le texte calligraphié, s'il suit en général les variantes retenues par Massignon, n'y apporte pas moins quelques corrections grammaticales, syntaxiques et métriques. La ponctuation y est réduite à l'image d'une langue qui ponctue mentalement.
L'ordonnance des poèmes suit l'ordre des rimes.
J'ai un Bien-Aimé que je visite dans les solitudes
Présent et absent aux regards
Tu ne me vois pas L'écouter avec l'ouïe
pour comprendre les mots qu'Il dit
Mots sans forme ni prononciation
Et qui ne ressemblent pas à la mélodie des voix
C'est comme si en m’adressant à Lui
Par la pensée, je m'adressais à moi-même
Présent et absent, proche et lointain
Les figures des qualificatifs ne peuvent Le contenir
Il est plus près que la conscience pour l'imagination
Et plus caché que les pensées évidentes
Dieu en témoigne ! Qu'aucun soleil ne se lève ni se couche
Sans que Ton amour soit uni à mes souffles
Et que je ne m'isole pour m'entretenir avec autrui
Sans que Tu ne sois mon entretien avec autrui
Et que triste ou joyeux je ne T'invoque
sans que Tu sois dans mon cœur parmi mes doutes
Et que de soif je ne m'apprête à boire de l'eau
Sans que je voie une image de Toi dans ma coupe
Ah ! si je pouvais, j'irais à Toi
Courant sur le visage ou marchant sur la tête
Le traducteur Sami-Ali :
D'origine égyptienne, psychanalyste, professeur à l'UER de sciences humaines cliniques de Paris VII, Sami-Ali poursuit une recherche en anthropologie analytique et en psychosomatique dont l'axe fondamentale demeure l'imaginaire et le corps. Outre ses ouvrages en arabe, il a publié Le haschisch en Egypte, La banal, Corps réel - corps imaginaire.
"Fulgurante figure de la mystique en Islam, d'origine persane et de langue arabe, Hussein Al-Hallâj (857-922) appartient à cette rare pléiade de poètes pour qui la poésie est sublime et la pensée profonde (Heidegger). Cependant, puisque Hallâj est avant tout un mystique, un des plus grands de tous les temps, l'unité de la pensée et de la poésie chez lui trouve sa justification dans une expérience de la totalité qui sert à exprimer une relation unique à l'Unique. Expérience non mutilée, non mutilante, où l'âme coexiste avec le corps, la raison avec ce qui la nie, la finitude de la mort avec l'horizon de la résurrection, et où le cœur et l'imagination, portés par cette force transfiguratrice qu'est l'amour, deviennent des moyens de connaissance, des sens véritables. La poésie est inséparable de la vie quand "le chant de l'existence" (Rilke), une vie tout entière tournée vers l'Unique, Lequel unifie mais dans le déchirement, fait accéder au vrai, mais dans la contradiction, permet de Le retrouver et de se retrouver mais dans le dépassement de tout. La poésie, chez Hallâj, est la forme suprême que, provisoirement, juste avant le silence sublime, la pensée prend quand elle doit se dépasser dans l'indépassable...
Certains hommes échappent à la mesure parce qu'ils témoignent d'une vérité incommensurable. Celle de Hallâj (857-922), célèbre soufi d'origine persane martyrisé à Bagdad, le met tôt aux prises avec la lettre d'une révélation et avec ceux qui la professent, au point d'en subir dans son corps et dans son œuvre le châtiment suprême : l'anéantissement.
Quelle est cette vérité outrepassant une époque, une tradition, une langue ? Qu'aucun être ne peut subsister en même temps que l'Être. Et que poser l'Absolu, fût-ce par l'acte de la foi, revient à le relativiser, donc à le nier. Aporie de toute pensée et impasse d'une vie, auxquelles répond une singulière expérience de la totalité qui, chez Hallâj, par la fulgurance de la parole poétique, tend constamment à en dire l'indicible. Chaque poème est un fragment du tout et le tout de lui-même, instant unique où se révèle l'Unique. Enracinée dans une langue dont elle épouse les secousses souterraines, cette poésie appartient maintenant à l'universel."
"A propos de la traduction de Hallâj, effectuée en 1955, par Louis Massignon : infidèle et encombrée, cette traduction, qui n'a cure de la forme, s'évertue à transposer un contenu sans en retenir la puissance suggestive. L'allusion y cède la place aux "phrases", c'est-à-dire aux paraphrases. Et partout, l'exégèse supplante l'original au lieu de "l'indiquer" dans son alterité. Ceci, bien sûr, ne met nullement au cause le magistral travail de l'historien Massignon (La passion d'Al-Hallâj est une passion pour Al-Hallâj), grâce à quoi fut sauvé de l'oubli cette figure de mystique incommensurable.
Par ailleurs, les Poèmes de Hallâj, ici traduits, recouvrent la plupart, non la totalité des pièces reconnues comme authentiques dans l'édition bilingue de Diwan (La Diwan de Hallâj). Edité, traduit et annoté par Louis Massignon, Paris, 1975, Geuthner éd., pièces dont le nombre demeure incertain, si l'on en croit de récentes recherches.
Ce choix découle de la forme fulgurante des poèmes concis et immédiatement lisibles. Ainsi se trouve accentué l'aspect fragmentaire d'une œuvre inachevée, non accidentellement, mais par essence puisqu'elle porte à sa plus haute expression l'impossibilité d'affirmer l'Unique sans se nier et de s'affirmer sans nier l'Unique.
Le texte calligraphié, s'il suit en général les variantes retenues par Massignon, n'y apporte pas moins quelques corrections grammaticales, syntaxiques et métriques. La ponctuation y est réduite à l'image d'une langue qui ponctue mentalement.
L'ordonnance des poèmes suit l'ordre des rimes.
J'ai un Bien-Aimé que je visite dans les solitudes
Présent et absent aux regards
Tu ne me vois pas L'écouter avec l'ouïe
pour comprendre les mots qu'Il dit
Mots sans forme ni prononciation
Et qui ne ressemblent pas à la mélodie des voix
C'est comme si en m’adressant à Lui
Par la pensée, je m'adressais à moi-même
Présent et absent, proche et lointain
Les figures des qualificatifs ne peuvent Le contenir
Il est plus près que la conscience pour l'imagination
Et plus caché que les pensées évidentes
Dieu en témoigne ! Qu'aucun soleil ne se lève ni se couche
Sans que Ton amour soit uni à mes souffles
Et que je ne m'isole pour m'entretenir avec autrui
Sans que Tu ne sois mon entretien avec autrui
Et que triste ou joyeux je ne T'invoque
sans que Tu sois dans mon cœur parmi mes doutes
Et que de soif je ne m'apprête à boire de l'eau
Sans que je voie une image de Toi dans ma coupe
Ah ! si je pouvais, j'irais à Toi
Courant sur le visage ou marchant sur la tête
Le traducteur Sami-Ali :
D'origine égyptienne, psychanalyste, professeur à l'UER de sciences humaines cliniques de Paris VII, Sami-Ali poursuit une recherche en anthropologie analytique et en psychosomatique dont l'axe fondamentale demeure l'imaginaire et le corps. Outre ses ouvrages en arabe, il a publié Le haschisch en Egypte, La banal, Corps réel - corps imaginaire.
- ShajarVénérable
Al-hallaj a été une figure inspiratrice pour l'ensemble des poètes mystiques persans à sa suite. Sa prédication mystique, durant laquelle il proclame notamment que Dieu et lui-même ont la même essence, et qu'il désire mourir de la main de la communauté, a failli faire tomber le califat. Il a très mal fini, emprisonné 9 ans puis décapité. Alors que son exécution s'explique surtout par des raisons très pragmatiques (luttes de pouvoir, grosse magouille financière), pour les mystiques persans, il a été tué pour avoir dit ce qui ne doit pas être dit, ce qui doit être expérimenté, enseigné, mais pas formulé à tous. Et tous ceux qui se réclament de lui usent d'une poésie bien plus cryptée pour faire sentir les mêmes idées.
- karaokeNiveau 5
Robin a écrit:Hallâj, Poèmes mystiques, calligraphie, traduction de l'arabe et présentation de Sami-Ali, Simbad/Actes sud
"Fulgurante figure de la mystique en Islam, d'origine persane et de langue arabe, Hussein Al-Hallâj (857-922) appartient à cette rare pléiade de poètes pour qui la poésie est sublime et la pensée profonde (Heidegger). Cependant, puisque Hallâj est avant tout un mystique, un des plus grands de tous les temps, l'unité de la pensée et de la poésie chez lui trouve sa justification dans une expérience de la totalité qui sert à exprimer une relation unique à l'Unique. Expérience non mutilée, non mutilante, où l'âme coexiste avec le corps, la raison avec ce qui la nie, la finitude de la mort avec l'horizon de la résurrection, et où le cœur et l'imagination, portés par cette force transfiguratrice qu'est l'amour, deviennent des moyens de connaissance, des sens véritables. La poésie est inséparable de la vie quand "le chant de l'existence" (Rilke), une vie tout entière tournée vers l'Unique, Lequel unifie mais dans le déchirement, fait accéder au vrai, mais dans la contradiction, permet de Le retrouver et de se retrouver mais dans le dépassement de tout. La poésie, chez Hallâj, est la forme suprême que, provisoirement, juste avant le silence sublime, la pensée prend quand elle doit se dépasser dans l'indépassable...
Certains hommes échappent à la mesure parce qu'ils témoignent d'une vérité incommensurable. Celle de Hallâj (857-922), célèbre soufi d'origine persane martyrisé à Bagdad, le met tôt aux prises avec la lettre d'une révélation et avec ceux qui la professent, au point d'en subir dans son corps et dans son œuvre le châtiment suprême : l'anéantissement.
Quelle est cette vérité outrepassant une époque, une tradition, une langue ? Qu'aucun être ne peut subsister en même temps que l'Être. Et que poser l'Absolu, fût-ce par l'acte de la foi, revient à le relativiser, donc à le nier. Aporie de toute pensée et impasse d'une vie, auxquelles répond une singulière expérience de la totalité qui, chez Hallâj, par la fulgurance de la parole poétique, tend constamment à en dire l'indicible. Chaque poème est un fragment du tout et le tout de lui-même, instant unique où se révèle l'Unique. Enracinée dans une langue dont elle épouse les secousses souterraines, cette poésie appartient maintenant à l'universel."
"A propos de la traduction de Hallâj, effectuée en 1955, par Louis Massignon : infidèle et encombrée, cette traduction, qui n'a cure de la forme, s'évertue à transposer un contenu sans en retenir la puissance suggestive. L'allusion y cède la place aux "phrases", c'est-à-dire aux paraphrases. Et partout, l'exégèse supplante l'original au lieu de "l'indiquer" dans son alterité. Ceci, bien sûr, ne met nullement au cause le magistral travail de l'historien Massignon (La passion d'Al-Hallâj est une passion pour Al-Hallâj), grâce à quoi fut sauvé de l'oubli cette figure de mystique incommensurable.
Par ailleurs, les Poèmes de Hallâj, ici traduits, recouvrent la plupart, non la totalité des pièces reconnues comme authentiques dans l'édition bilingue de Diwan (La Diwan de Hallâj). Edité, traduit et annoté par Louis Massignon, Paris, 1975, Geuthner éd., pièces dont le nombre demeure incertain, si l'on en croit de récentes recherches.
Ce choix découle de la forme fulgurante des poèmes concis et immédiatement lisibles. Ainsi se trouve accentué l'aspect fragmentaire d'une œuvre inachevée, non accidentellement, mais par essence puisqu'elle porte à sa plus haute expression l'impossibilité d'affirmer l'Unique sans se nier et de s'affirmer sans nier l'Unique.
Le texte calligraphié, s'il suit en général les variantes retenues par Massignon, n'y apporte pas moins quelques corrections grammaticales, syntaxiques et métriques. La ponctuation y est réduite à l'image d'une langue qui ponctue mentalement.
L'ordonnance des poèmes suit l'ordre des rimes.
J'ai un Bien-Aimé que je visite dans les solitudes
Présent et absent aux regards
Tu ne me vois pas L'écouter avec l'ouïe
pour comprendre les mots qu'Il dit
Mots sans forme ni prononciation
Et qui ne ressemblent pas à la mélodie des voix
C'est comme si en m’adressant à Lui
Par la pensée, je m'adressais à moi-même
Présent et absent, proche et lointain
Les figures des qualificatifs ne peuvent Le contenir
Il est plus près que la conscience pour l'imagination
Et plus caché que les pensées évidentes
Dieu en témoigne ! Qu'aucun soleil ne se lève ni se couche
Sans que Ton amour soit uni à mes souffles
Et que je ne m'isole pour m'entretenir avec autrui
Sans que Tu ne sois mon entretien avec autrui
Et que triste ou joyeux je ne T'invoque
sans que Tu sois dans mon cœur parmi mes doutes
Et que de soif je ne m'apprête à boire de l'eau
Sans que je voie une image de Toi dans ma coupe
Ah ! si je pouvais, j'irais à Toi
Courant sur le visage ou marchant sur la tête
Le traducteur Sami-Ali :
D'origine égyptienne, psychanalyste, professeur à l'UER de sciences humaines cliniques de Paris VII, Sami-Ali poursuit une recherche en anthropologie analytique et en psychosomatique dont l'axe fondamentale demeure l'imaginaire et le corps. Outre ses ouvrages en arabe, il a publié Le haschisch en Egypte, La banal, Corps réel - corps imaginaire.
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