- RobinFidèle du forum
Plotin (205-270 après J.-C.), philosophe grec de l'Antiquité tardive est le représentant principal du courant philosophique appelé « néoplatonisme ». Il installa son école à Rome en 246, Amélius fut son premier disciple. Sa relecture des Dialogues de Platon fut une source d'inspiration importante pour la pensée chrétienne en pleine formation à l'époque et pour saint Augustin, elle influença de manière profonde la philosophie occidentale. L'intégralité de ses écrits a été publiée, par un autre disciple fidèle, Porphyre de Tyr dans les Ennéades.
L'originalité de la pensée de Plotin tient dans sa réflexion, à partir de Platon et d'Aristote sur la nature de l'Intelligence, et sur l'au-delà de l'Intelligence, à savoir l'Un. Pour Plotin, l'univers est composé de trois réalités fondamentales : l'Un, l'Intelligence et l'Âme. L'homme, partie du monde sensible, doit par l'introspection remonter de l'Âme à l'Intelligence, puis de l'Intelligence à l'Un et accomplir ainsi une union mystique avec le Dieu par excellence.
Table des matières :
Introduction
Vie de Plotin
Première Ennéade
I. Qu'est-ce que l'animal ? - II. Des vertus - III. De la dialectique - IV. Du bonheur - V. Le bonheur s'accroît-il avec le temps ? - VI. Du beau - VII Du premier bien et des autres biens - VIII. Qu'est-ce que les maux et d'où viennent-ils ? - IX. Du suicide raisonnable
Du Beau (Péri Tou Kalou) :
Ce célèbre traité est un de ceux qui font le mieux voir comment Plotin utilise les dialogues platoniciens, en introduisant entre eux un ordre systématique ; toute la série des questions sur le Beau, qui ouvrent le Traité, provient de l'Hyppias majeur. D'après Plotin, ce sont les questions de l'Hyppias qui trouvent leur solution dans le Banquet et dans le Phèdre, comme il le fait voir à partir du chapitre IV.
Mais avant d'aborder cette solution, Plotin rencontre d'abord la théorie stoïcienne du Beau qui, partant de la beauté plastique, de celle d'une statue, et définissant la beauté par la symétrie, assimilait complètement la beauté intellectuelle à la beauté sensible ; et il la critique, parce qu'elle refuse d'admettre, entre les divers ordres de beauté, cette hiérarchie ascendante qui fait le fond de la doctrine platonicienne.
A partir du chapitre II, il prend pour guide le discours de Diotime dans le Banquet, passant de la beauté sensible à la beauté des âmes, et de celles-ci au Beau en soi. Mais sur la beauté des corps, il ne trouve chez Platon que d'assez vagues indications ; sans doute il y voit que la beauté sensible vient de la participation à une Idée, et que l'âme reconnaît et aime cette beauté parce qu'elle se souvient des Idées ; mais la participation équivaut à l'information de la matière par la forme ; et c'est là le langage non plus de Platon, mais d'Aristote par lequel Plotin, dans toute cette partie, est visiblement séduit comme dans tous les cas où un néoplatonicien a à traiter des choses sensibles.
Quand il vient à parler des beautés non sensibles, il utilise le Phèdre et le Banquet. Encore faut-il remarquer qu'il y mélange intimement, comme on le voit au chapitre V et à la fin du chapitre IX, des idées morales empruntées au Phédon et au Thééthète sur la vertu de purification et sur l'évasion du monde sensible, idées qui dans les dialogues platoniciens sont loin d'être aussi intimement unies à la dialectique de l'amour.
Enfin, dernière interprétation, étrangère au platonisme original : le Beau, terme de l'ascension de l'âme dans le Banquet, est identifié au monde des Idées ; de plus, il est subordonné au Bien, qui devient le terme dernier de l'amour. Tel est le résultat d'un long effort, commencé sans doute bien avant Plotin, pour introduire une cohérence doctrinale dans l'ensemble des dialogues de Platon." (Emile Bréhier)
Notes de lecture :
1. Plotin commence par définir le Beau par rapport aux sensations. Le Beau se trouve surtout dans la vue, mais aussi dans l'ouïe (la musique). On remarque l'importance du "paraître" et du sens corrélatif, la vue, ainsi que des arts.
"Pros" (en montant), indique le passage des hypostases inférieures : la matière, le corps, la nature aux hypostases supérieures : l'âme, l'intellect.
Les hypostases :
Dans la doctrine néoplatonicienne l’hypostase est un terme qui désigne un "principe divin". Le noyau de cette philosophie – dès Plotin lui-même - était une sorte d'ontologie introduisant dans la divinité unique des hypostases multiples. Plotin admet trois hypostases :
1. l'Un : absolu, ineffable, qui n'a pas de part à l'être, qui échappe à toute connaissance,
2. l'Intellect : qui émane de l'Un,
3. l'Âme, concept pluriel comprenant : l'âme du monde et l'âme humaine destinée à descendre dans les corps.
"On peut comparer l'Un à la lumière, l'être qui le suit (l'Intellect) au Soleil, et le troisième (l'Âme) à l'astre de la Lune qui reçoit sa lumière du Soleil." (Plotin, Ennéades, Traité 24, v. 6)
On trouve également le Beau :
dans les actions et les manières d'être
dans les sciences et les vertus
Plotin se demande s'il y a une beauté antérieure à toutes ces formes de beauté.
Certains corps sont beaux et d'autres moins. L'être du corps est donc différent de l'être de la beauté.
Il se demande ensuite en quoi consiste cette beauté présente dans les corps, qui attire les regards et provoque la joie.
"Si nous découvrons cette beauté de corps, peut-être pourrions-nous nous en servir comme d'un échelon pour contempler les autres beautés." Le mot "échelon" fait référence au Banquet de Platon. Les beaux corps sont un "échelon" (le premier) qui nous conduit vers les belles actions, les belles manières d'être, les sciences et les vertus, de la beauté sensible à la beauté intelligible (dialectique progressive).
Comme l'explique Emile Bréhier, Plotin part de la définition stoïcienne du Beau, exprimée par Cicéron dans Les Tusculanes : la beauté visible réside dans la symétrie des parties les unes par rapport aux autres et par rapport à l'ensemble.
Il va ensuite corriger cette définition :
il y a de la beauté dans les choses simples (sans symétrie) : la lumière solaire, les couleurs, l'or, l'éclair, un son simple...
un même visage peut être tantôt beau et tantôt laid sans changer pour autant de proportions. La beauté est donc autre chose que la proportion.
Il passe ensuite aux autres formes de beauté évoquées au début du Traité : les belles occupations, les beaux discours, les Lois, les connaissances, les sciences. Pas plus que la beauté dans les beaux corps, leur beauté ne saurait uniquement résider dans la symétrie des parties qui les composent.
2. Retour à la question initiale : en quoi consiste la beauté dans les corps ? La beauté se définit d'abord par l'impression qu'elle produit sur l'âme. L'âme se complait dans la beauté et repousse la laideur parce qu'elle est de la même nature que la beauté. Plotin affirme que l'âme "se souvient d'elle-même et de ce qui lui appartient", faisant allusion à la théorie platonicienne de la réminiscence.
La théorie de la réminiscence :
"La théorie de la réminiscence nous achemine vers la théorie des Idées, qui sera exposée dans le Phèdre et la République. C'est sur la réminiscence que Platon fonde la possibilité de la connaissance ; c'est par elle qu'il expliquera les idées premières, antérieures et supérieures à l'expérience." (Émile Chambry)
Le théorie de la réminiscence est exprimée par Platon dans Le Ménon, ouvrage qui traite de la vertu (Aréthé).
Cette théorie affirme que notre intuition de la Vérité, du Juste, du Beau et du Bien est le souvenir d’un état prénatal où, avant d’être incarnée dans un corps, notre âme vivait au contact immédiat des idées pures dans le monde intelligible. Ainsi, pour Platon, apprendre c’est se souvenir.
Cette théorie est fondée sur le postulat de l’immortalité de l'âme. Si le corps est mortel, l’âme, elle, est impérissable et détient toutes les connaissances.
Si l’âme détient toutes les connaissances, il y a une méthode pour la faire accoucher, pour la faire se remémorer : la "maïeutique", le questionnement socratique.
A travers la théorie de la réminiscence Platon enseigne que connaître c'est reconnaître, se remémorer. Avant notre naissance, notre âme a séjourné dans d'autres mondes (les mondes supra sensibles) où elle a pu à loisir contempler les Idées dans tout l'éclat de leur perfection : l' Idée de Justice, de Beauté, d'Harmonie, de Bien.
La naissance, l'entrée dans un corps, est pour elle un choc qui provoque l'oubli. Toutefois, l'oubli n'est pas irrémédiable. Les yeux de l'âme peuvent se dessillent progressivement pour distinguer parmi les choses qui l'entourent une ressemblance avec les Idées parfaites entrevues avant la naissance et d'appeler telle chose belle ou juste selon qu'elle lui rappelle la Beauté ou la Justice. (d'après l'encyclopédie de l'Agora)
Plotin revient, pour la préciser, sur la notion de "participation" esquissée dans le Chap. 1 : Les beautés sensibles (les beaux corps, les belles actions, les beaux discours, les Lois, etc.) ne sont pas belles en soi, ni en raison de leur degré de "symétrie" et de leurs proportions, mais en raison de leur degré de participation à l'Idée (le "Beau en soi")
Il se réfère à la pensée d'Aristote et à la notion de "forme". La "forme" joue chez Aristote un rôle analogue à celui de l'Idée chez Platon, mais au lieu d'être séparée de la forme, dans le monde supra-sensible, elle lui est liée dans le monde sensible.
Plotin introduit la notion de matière (la matière est ce qui admet plus ou moins complètement la forme), la notion de raison qu'il associe à la notion de forme et la notion de Dieu.
Cette association : beauté/matière/forme/raison/Dieu est propre à Plotin qui construit sa théorie de la beauté aussi bien à partir du platonisme (la réminiscence, la théorie des Idées) que de l'aristotélisme (le composé matière/forme) que du stoïcisme (Dieu, l'âme du monde assimilé à la raison).
La notion de forme chez Platon et Aristote :
Chez les philosophes grecs, le concept de « forme » (εἶδος, eidos), qui a d'abord un sens spatial (la forme géométrique d'un objet), joue un rôle important en prenant des sens nouveaux :
Platon développe une théorie des intelligibles selon laquelle il existe des réalités immuables et universelles dont le monde sensible n'est que le reflet mouvant. Ces formes ne sont pas accessibles par les sens mais par l'esprit : Platon les appelle aussi les « idées » (ἰδέα, idea). La forme est donc ce qui ordonne la matière (par exemple, c'est la beauté en soi qui rend belles les choses belles), qui ne fait qu'imiter ou participer à ces modèles parfaits (l'égal en soi, le bien en soi, etc.).
Chez Aristote la forme fait partie des "quatre causes" (cause matérielle, cause formelle, cause finale et cause efficiente), c'est-à-dire des raisons qui expliquent l'existence de quelque chose, qu'elle est ainsi et pas autrement : ainsi, la forme n'est pas simplement la forme géométrique d'un objet, mais ce qui ordonne la matière dont est fait cet objet, et définit son essence et sa perfection La forme est donc le principe d'unité de tout être et ce qui donne un sens à la matière.
Platon conçoit « l'essence ou idée (eïdos) comme un être existant en soi, qui existe tout à fait indépendamment de la réalité sensible » de sorte que la science au-delà du sensible doit atteindre des intelligibles, universels, immuables et existants en eux-mêmes. Cette façon de voir présente, selon Aristote, deux inconvénients majeurs :
1) elle complique le problème en créant des êtres intelligibles,
2) elle conduit à penser les Idées comme indépendantes du sensible ce qui, selon lui, nous écarte de la connaissance du réel.
Pour Aristote, l'essence ou la forme (eïdos morphè) ne peut exister qu'incarnée dans une matière (hulé). Aristote élabore la thèse dite de l'hylémorphisme qui consiste à penser l'immanence, la nécessaire conjonction, en toute réalité existante, de la matière (hulè) et de la morphè qui l'informe.
Pour Platon, l'universel est dans les idées. Pour Aristote, l'universel consiste en une intuition de la forme ou de l'essence et dans le fait de poser un énoncé, par exemple la définition d'un homme, comme "animal politique."
Plotin explique ensuite le processus de l'information de la matière par la forme :
L'idée s'approche de la matière
Elle ordonne en les combinant les parties multiples
Elle les réduit à un tout convergent
Elle crée l'unité (elle unifie la diversité de la matière informe). Cette capacité de créer l'unité vient du fait que l'Idée est elle-même une.
Plotin compare le travail de l'idée à celui de l'artiste. Deux cas peuvent se présenter :
Celui d'une chose composée de plusieurs parties (une maison, par exemple)
Une chose une et homogène (une pierre précieuse)
"Ainsi la beauté du corps dérive de sa participation à une raison venue d'ailleurs."
L'originalité de la pensée de Plotin tient dans sa réflexion, à partir de Platon et d'Aristote sur la nature de l'Intelligence, et sur l'au-delà de l'Intelligence, à savoir l'Un. Pour Plotin, l'univers est composé de trois réalités fondamentales : l'Un, l'Intelligence et l'Âme. L'homme, partie du monde sensible, doit par l'introspection remonter de l'Âme à l'Intelligence, puis de l'Intelligence à l'Un et accomplir ainsi une union mystique avec le Dieu par excellence.
Table des matières :
Introduction
Vie de Plotin
Première Ennéade
I. Qu'est-ce que l'animal ? - II. Des vertus - III. De la dialectique - IV. Du bonheur - V. Le bonheur s'accroît-il avec le temps ? - VI. Du beau - VII Du premier bien et des autres biens - VIII. Qu'est-ce que les maux et d'où viennent-ils ? - IX. Du suicide raisonnable
Du Beau (Péri Tou Kalou) :
Ce célèbre traité est un de ceux qui font le mieux voir comment Plotin utilise les dialogues platoniciens, en introduisant entre eux un ordre systématique ; toute la série des questions sur le Beau, qui ouvrent le Traité, provient de l'Hyppias majeur. D'après Plotin, ce sont les questions de l'Hyppias qui trouvent leur solution dans le Banquet et dans le Phèdre, comme il le fait voir à partir du chapitre IV.
Mais avant d'aborder cette solution, Plotin rencontre d'abord la théorie stoïcienne du Beau qui, partant de la beauté plastique, de celle d'une statue, et définissant la beauté par la symétrie, assimilait complètement la beauté intellectuelle à la beauté sensible ; et il la critique, parce qu'elle refuse d'admettre, entre les divers ordres de beauté, cette hiérarchie ascendante qui fait le fond de la doctrine platonicienne.
A partir du chapitre II, il prend pour guide le discours de Diotime dans le Banquet, passant de la beauté sensible à la beauté des âmes, et de celles-ci au Beau en soi. Mais sur la beauté des corps, il ne trouve chez Platon que d'assez vagues indications ; sans doute il y voit que la beauté sensible vient de la participation à une Idée, et que l'âme reconnaît et aime cette beauté parce qu'elle se souvient des Idées ; mais la participation équivaut à l'information de la matière par la forme ; et c'est là le langage non plus de Platon, mais d'Aristote par lequel Plotin, dans toute cette partie, est visiblement séduit comme dans tous les cas où un néoplatonicien a à traiter des choses sensibles.
Quand il vient à parler des beautés non sensibles, il utilise le Phèdre et le Banquet. Encore faut-il remarquer qu'il y mélange intimement, comme on le voit au chapitre V et à la fin du chapitre IX, des idées morales empruntées au Phédon et au Thééthète sur la vertu de purification et sur l'évasion du monde sensible, idées qui dans les dialogues platoniciens sont loin d'être aussi intimement unies à la dialectique de l'amour.
Enfin, dernière interprétation, étrangère au platonisme original : le Beau, terme de l'ascension de l'âme dans le Banquet, est identifié au monde des Idées ; de plus, il est subordonné au Bien, qui devient le terme dernier de l'amour. Tel est le résultat d'un long effort, commencé sans doute bien avant Plotin, pour introduire une cohérence doctrinale dans l'ensemble des dialogues de Platon." (Emile Bréhier)
Notes de lecture :
1. Plotin commence par définir le Beau par rapport aux sensations. Le Beau se trouve surtout dans la vue, mais aussi dans l'ouïe (la musique). On remarque l'importance du "paraître" et du sens corrélatif, la vue, ainsi que des arts.
"Pros" (en montant), indique le passage des hypostases inférieures : la matière, le corps, la nature aux hypostases supérieures : l'âme, l'intellect.
Les hypostases :
Dans la doctrine néoplatonicienne l’hypostase est un terme qui désigne un "principe divin". Le noyau de cette philosophie – dès Plotin lui-même - était une sorte d'ontologie introduisant dans la divinité unique des hypostases multiples. Plotin admet trois hypostases :
1. l'Un : absolu, ineffable, qui n'a pas de part à l'être, qui échappe à toute connaissance,
2. l'Intellect : qui émane de l'Un,
3. l'Âme, concept pluriel comprenant : l'âme du monde et l'âme humaine destinée à descendre dans les corps.
"On peut comparer l'Un à la lumière, l'être qui le suit (l'Intellect) au Soleil, et le troisième (l'Âme) à l'astre de la Lune qui reçoit sa lumière du Soleil." (Plotin, Ennéades, Traité 24, v. 6)
On trouve également le Beau :
dans les actions et les manières d'être
dans les sciences et les vertus
Plotin se demande s'il y a une beauté antérieure à toutes ces formes de beauté.
Certains corps sont beaux et d'autres moins. L'être du corps est donc différent de l'être de la beauté.
Il se demande ensuite en quoi consiste cette beauté présente dans les corps, qui attire les regards et provoque la joie.
"Si nous découvrons cette beauté de corps, peut-être pourrions-nous nous en servir comme d'un échelon pour contempler les autres beautés." Le mot "échelon" fait référence au Banquet de Platon. Les beaux corps sont un "échelon" (le premier) qui nous conduit vers les belles actions, les belles manières d'être, les sciences et les vertus, de la beauté sensible à la beauté intelligible (dialectique progressive).
Comme l'explique Emile Bréhier, Plotin part de la définition stoïcienne du Beau, exprimée par Cicéron dans Les Tusculanes : la beauté visible réside dans la symétrie des parties les unes par rapport aux autres et par rapport à l'ensemble.
Il va ensuite corriger cette définition :
il y a de la beauté dans les choses simples (sans symétrie) : la lumière solaire, les couleurs, l'or, l'éclair, un son simple...
un même visage peut être tantôt beau et tantôt laid sans changer pour autant de proportions. La beauté est donc autre chose que la proportion.
Il passe ensuite aux autres formes de beauté évoquées au début du Traité : les belles occupations, les beaux discours, les Lois, les connaissances, les sciences. Pas plus que la beauté dans les beaux corps, leur beauté ne saurait uniquement résider dans la symétrie des parties qui les composent.
2. Retour à la question initiale : en quoi consiste la beauté dans les corps ? La beauté se définit d'abord par l'impression qu'elle produit sur l'âme. L'âme se complait dans la beauté et repousse la laideur parce qu'elle est de la même nature que la beauté. Plotin affirme que l'âme "se souvient d'elle-même et de ce qui lui appartient", faisant allusion à la théorie platonicienne de la réminiscence.
La théorie de la réminiscence :
"La théorie de la réminiscence nous achemine vers la théorie des Idées, qui sera exposée dans le Phèdre et la République. C'est sur la réminiscence que Platon fonde la possibilité de la connaissance ; c'est par elle qu'il expliquera les idées premières, antérieures et supérieures à l'expérience." (Émile Chambry)
Le théorie de la réminiscence est exprimée par Platon dans Le Ménon, ouvrage qui traite de la vertu (Aréthé).
Cette théorie affirme que notre intuition de la Vérité, du Juste, du Beau et du Bien est le souvenir d’un état prénatal où, avant d’être incarnée dans un corps, notre âme vivait au contact immédiat des idées pures dans le monde intelligible. Ainsi, pour Platon, apprendre c’est se souvenir.
Cette théorie est fondée sur le postulat de l’immortalité de l'âme. Si le corps est mortel, l’âme, elle, est impérissable et détient toutes les connaissances.
Si l’âme détient toutes les connaissances, il y a une méthode pour la faire accoucher, pour la faire se remémorer : la "maïeutique", le questionnement socratique.
A travers la théorie de la réminiscence Platon enseigne que connaître c'est reconnaître, se remémorer. Avant notre naissance, notre âme a séjourné dans d'autres mondes (les mondes supra sensibles) où elle a pu à loisir contempler les Idées dans tout l'éclat de leur perfection : l' Idée de Justice, de Beauté, d'Harmonie, de Bien.
La naissance, l'entrée dans un corps, est pour elle un choc qui provoque l'oubli. Toutefois, l'oubli n'est pas irrémédiable. Les yeux de l'âme peuvent se dessillent progressivement pour distinguer parmi les choses qui l'entourent une ressemblance avec les Idées parfaites entrevues avant la naissance et d'appeler telle chose belle ou juste selon qu'elle lui rappelle la Beauté ou la Justice. (d'après l'encyclopédie de l'Agora)
Plotin revient, pour la préciser, sur la notion de "participation" esquissée dans le Chap. 1 : Les beautés sensibles (les beaux corps, les belles actions, les beaux discours, les Lois, etc.) ne sont pas belles en soi, ni en raison de leur degré de "symétrie" et de leurs proportions, mais en raison de leur degré de participation à l'Idée (le "Beau en soi")
Il se réfère à la pensée d'Aristote et à la notion de "forme". La "forme" joue chez Aristote un rôle analogue à celui de l'Idée chez Platon, mais au lieu d'être séparée de la forme, dans le monde supra-sensible, elle lui est liée dans le monde sensible.
Plotin introduit la notion de matière (la matière est ce qui admet plus ou moins complètement la forme), la notion de raison qu'il associe à la notion de forme et la notion de Dieu.
Cette association : beauté/matière/forme/raison/Dieu est propre à Plotin qui construit sa théorie de la beauté aussi bien à partir du platonisme (la réminiscence, la théorie des Idées) que de l'aristotélisme (le composé matière/forme) que du stoïcisme (Dieu, l'âme du monde assimilé à la raison).
La notion de forme chez Platon et Aristote :
Chez les philosophes grecs, le concept de « forme » (εἶδος, eidos), qui a d'abord un sens spatial (la forme géométrique d'un objet), joue un rôle important en prenant des sens nouveaux :
Platon développe une théorie des intelligibles selon laquelle il existe des réalités immuables et universelles dont le monde sensible n'est que le reflet mouvant. Ces formes ne sont pas accessibles par les sens mais par l'esprit : Platon les appelle aussi les « idées » (ἰδέα, idea). La forme est donc ce qui ordonne la matière (par exemple, c'est la beauté en soi qui rend belles les choses belles), qui ne fait qu'imiter ou participer à ces modèles parfaits (l'égal en soi, le bien en soi, etc.).
Chez Aristote la forme fait partie des "quatre causes" (cause matérielle, cause formelle, cause finale et cause efficiente), c'est-à-dire des raisons qui expliquent l'existence de quelque chose, qu'elle est ainsi et pas autrement : ainsi, la forme n'est pas simplement la forme géométrique d'un objet, mais ce qui ordonne la matière dont est fait cet objet, et définit son essence et sa perfection La forme est donc le principe d'unité de tout être et ce qui donne un sens à la matière.
Platon conçoit « l'essence ou idée (eïdos) comme un être existant en soi, qui existe tout à fait indépendamment de la réalité sensible » de sorte que la science au-delà du sensible doit atteindre des intelligibles, universels, immuables et existants en eux-mêmes. Cette façon de voir présente, selon Aristote, deux inconvénients majeurs :
1) elle complique le problème en créant des êtres intelligibles,
2) elle conduit à penser les Idées comme indépendantes du sensible ce qui, selon lui, nous écarte de la connaissance du réel.
Pour Aristote, l'essence ou la forme (eïdos morphè) ne peut exister qu'incarnée dans une matière (hulé). Aristote élabore la thèse dite de l'hylémorphisme qui consiste à penser l'immanence, la nécessaire conjonction, en toute réalité existante, de la matière (hulè) et de la morphè qui l'informe.
Pour Platon, l'universel est dans les idées. Pour Aristote, l'universel consiste en une intuition de la forme ou de l'essence et dans le fait de poser un énoncé, par exemple la définition d'un homme, comme "animal politique."
Plotin explique ensuite le processus de l'information de la matière par la forme :
L'idée s'approche de la matière
Elle ordonne en les combinant les parties multiples
Elle les réduit à un tout convergent
Elle crée l'unité (elle unifie la diversité de la matière informe). Cette capacité de créer l'unité vient du fait que l'Idée est elle-même une.
Plotin compare le travail de l'idée à celui de l'artiste. Deux cas peuvent se présenter :
Celui d'une chose composée de plusieurs parties (une maison, par exemple)
Une chose une et homogène (une pierre précieuse)
"Ainsi la beauté du corps dérive de sa participation à une raison venue d'ailleurs."
- JPhMMDemi-dieu
Merci.
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Labyrinthe où l'admiration des ignorants et des idiots qui prennent pour savoir profond tout ce qu'ils n'entendent pas, les a retenus, bon gré malgré qu'ils en eussent. — John Locke
Je crois que je ne crois en rien. Mais j'ai des doutes. — Jacques Goimard
- RobinFidèle du forum
JPhMM a écrit:Merci.
It's my pleasure !
Le texte de Kant, tiré de la Critique du Jugement, qui nous avait donné tant de fil à retordre, doit nécessairement se référer, sans le citer, au Péri Tou Kalou de Plotin. On retrouve toute la problématique de Plotin : l'hylémorphisme, le principe organisateur "insondable", comparé à un artiste, la question du Beau. Je n'y ai pas pensé sur le moment.
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