- gwendolyneNiveau 7
Bonsoir,
j'aide ma cousine à préparer son oral de français, or, je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'analyse de sa prof concernant deux LA dans le cadre d'une séquence autour de la figure royale dans les oeuvres classiques.
Evidemment, je n'ai rien dit à ma cousine et je finis même par douter de ma propre compréhension de ces textes...
Je suis sûre que vous allez pouvoir me rassurer / m'enterrer
Alors, d'une part, sa prof voit dans la fable "Les Grenouilles qui demandent un roi" un éloge du pouvoir royal alors que j'y vois davantage une critique, certes subtile mais une critique quand même. Comment comprenez-vous la vision du pouvoir royal donné dans ce texte ? (en dehors de la morale de sagesse et de mesure adressée au peuple évidemment)
D'autre part, sa prof voit également dans un extrait des Pensées de Pascal un éloge du divertissement royal alors que, là encore, je perçois une critique. il s'agit de ce passage :
La dignité
royale n'est-elle pas assez grande d'elle-même pour celui qui la possède, pour
le rendre heureux par la seule vue qu'il est ? Faudra-t-il le divertir de cette
pensée comme les gens du commun ? Je vois bien que c'est rendre un homme
heureux que de le divertir de la vue de ses misères domestiques pour remplir
toute sa pensée du soin de bien danser, mais en sera-t-il de même d'un roi, et
sera-t-il plus heureux en s'attachant à ses vains amusements qu'à la vue de sa
grandeur, et quel objet plus satisfaisant pourrait-on donner à son esprit ? Ne
serait-ce donc pas faire tort à sa joie d'occuper son âme à penser à ajuster
ses pas à la cadence d'un air ou à placer adroitement une barre, au lieu de la
laisser jouir en repos de la contemplation de la gloire majestueuse qui l'environne
? Qu'on en fasse l'épreuve. Qu'on laisse un roi tout seul sans aucune
satisfaction des sens, sans aucun soin dans l'esprit, sans compagnie, penser à
lui tout à loisir, et l'on verra qu'un roi sans divertissement est un roi plein
de misères. Aussi on évite cela soigneusement et il ne manque jamais d'y avoir
auprès des personnes des rois un grand nombre de gens qui veillent à faire
succéder le divertissement à leurs affaires, et qui observent tout le temps de
leur loisir pour leur fournir des plaisirs et des jeux, en sorte qu'il n'y ait
pas de vide. C'est-à-dire qu'ils sont environnés de personnes qui ont un soin
merveilleux de prendre garde que le roi ne soit seul et en état de penser à
soi, sachant bien qu'il sera misérable, tout roi qu'il est s'il y pense.Je ne
parle point en tout cela des rois chrétiens comme chrétiens, mais seulement
comme rois.
Un ou une spécialiste de Pascal pourrait-il m'éclairer ?
Merci
j'aide ma cousine à préparer son oral de français, or, je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'analyse de sa prof concernant deux LA dans le cadre d'une séquence autour de la figure royale dans les oeuvres classiques.
Evidemment, je n'ai rien dit à ma cousine et je finis même par douter de ma propre compréhension de ces textes...
Je suis sûre que vous allez pouvoir me rassurer / m'enterrer
Alors, d'une part, sa prof voit dans la fable "Les Grenouilles qui demandent un roi" un éloge du pouvoir royal alors que j'y vois davantage une critique, certes subtile mais une critique quand même. Comment comprenez-vous la vision du pouvoir royal donné dans ce texte ? (en dehors de la morale de sagesse et de mesure adressée au peuple évidemment)
D'autre part, sa prof voit également dans un extrait des Pensées de Pascal un éloge du divertissement royal alors que, là encore, je perçois une critique. il s'agit de ce passage :
La dignité
royale n'est-elle pas assez grande d'elle-même pour celui qui la possède, pour
le rendre heureux par la seule vue qu'il est ? Faudra-t-il le divertir de cette
pensée comme les gens du commun ? Je vois bien que c'est rendre un homme
heureux que de le divertir de la vue de ses misères domestiques pour remplir
toute sa pensée du soin de bien danser, mais en sera-t-il de même d'un roi, et
sera-t-il plus heureux en s'attachant à ses vains amusements qu'à la vue de sa
grandeur, et quel objet plus satisfaisant pourrait-on donner à son esprit ? Ne
serait-ce donc pas faire tort à sa joie d'occuper son âme à penser à ajuster
ses pas à la cadence d'un air ou à placer adroitement une barre, au lieu de la
laisser jouir en repos de la contemplation de la gloire majestueuse qui l'environne
? Qu'on en fasse l'épreuve. Qu'on laisse un roi tout seul sans aucune
satisfaction des sens, sans aucun soin dans l'esprit, sans compagnie, penser à
lui tout à loisir, et l'on verra qu'un roi sans divertissement est un roi plein
de misères. Aussi on évite cela soigneusement et il ne manque jamais d'y avoir
auprès des personnes des rois un grand nombre de gens qui veillent à faire
succéder le divertissement à leurs affaires, et qui observent tout le temps de
leur loisir pour leur fournir des plaisirs et des jeux, en sorte qu'il n'y ait
pas de vide. C'est-à-dire qu'ils sont environnés de personnes qui ont un soin
merveilleux de prendre garde que le roi ne soit seul et en état de penser à
soi, sachant bien qu'il sera misérable, tout roi qu'il est s'il y pense.Je ne
parle point en tout cela des rois chrétiens comme chrétiens, mais seulement
comme rois.
Un ou une spécialiste de Pascal pourrait-il m'éclairer ?
Merci
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"Un rêveur est celui qui ne trouve son chemin qu'au clair de lune et qui, comme punition, aperçoit l'aurore avant les autres hommes." Oscar Wilde
- gwendolyneNiveau 7
Personne n'a jamais étudié ces textes ?
Je m'en doutais un peu... Dans le descriptif se trouvent également Lautréamont et Koltès, cette prof aime les défis
Mais bon, je ne suis pas plus avancée avec mes soucis de compréhension littérale...
Je m'en doutais un peu... Dans le descriptif se trouvent également Lautréamont et Koltès, cette prof aime les défis
Mais bon, je ne suis pas plus avancée avec mes soucis de compréhension littérale...
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"Un rêveur est celui qui ne trouve son chemin qu'au clair de lune et qui, comme punition, aperçoit l'aurore avant les autres hommes." Oscar Wilde
- LodyNiveau 10
Pour bien comprendre ce qu'est le divertissement chez Pascal, voici un extrait des Pensées (paragraphe intitulé "Divertissement", fragment 126) :
" Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.
Quelque condition qu’on se figure, si l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde, et cependant qu’on s’en imagine, accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher. S’il est sans divertissement, et qu’on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu’il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point, il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent arriver, et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables ; de sorte que, s’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voilà malheureux et plus malheureux que le moindre de ses sujets, qui joue et se divertit."
Ce texte devrait t'éclairer, je pense.
" Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.
Quelque condition qu’on se figure, si l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde, et cependant qu’on s’en imagine, accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher. S’il est sans divertissement, et qu’on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu’il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point, il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent arriver, et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables ; de sorte que, s’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voilà malheureux et plus malheureux que le moindre de ses sujets, qui joue et se divertit."
Ce texte devrait t'éclairer, je pense.
- gwendolyneNiveau 7
Merci !
Pascal dresse donc l'éloge du divertissement pour le roi ?
Pfff, moi qui voyais plein d'antiphrases dans ce passage : Aussi on évite cela soigneusement et il ne manque jamais d'y avoir auprès des personnes des rois un grand nombre de gens qui veillent à faire succéder le divertissement à leurs affaires, et qui observent tout le temps de leur loisir pour leur fournir des plaisirs et des jeux, en sorte qu'il n'y ait pas de vide. C'est-à-dire qu'ils sont environnés de personnes qui ont un soin merveilleux de prendre garde que le roi ne soit seul et en état de penser à soi, sachant bien qu'il sera misérable, tout roi qu'il est s'il y pense.
Pascal dresse donc l'éloge du divertissement pour le roi ?
Pfff, moi qui voyais plein d'antiphrases dans ce passage : Aussi on évite cela soigneusement et il ne manque jamais d'y avoir auprès des personnes des rois un grand nombre de gens qui veillent à faire succéder le divertissement à leurs affaires, et qui observent tout le temps de leur loisir pour leur fournir des plaisirs et des jeux, en sorte qu'il n'y ait pas de vide. C'est-à-dire qu'ils sont environnés de personnes qui ont un soin merveilleux de prendre garde que le roi ne soit seul et en état de penser à soi, sachant bien qu'il sera misérable, tout roi qu'il est s'il y pense.
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"Un rêveur est celui qui ne trouve son chemin qu'au clair de lune et qui, comme punition, aperçoit l'aurore avant les autres hommes." Oscar Wilde
- gwendolyneNiveau 7
Non, finalement, je reste sur mon idée de départ : certes le roi, comme tout autre être humain et malgré son haut poste, a besoin de divertissement, mais c'est un mauvais choix, une aliénation condamnable bien que nécessaire... Bon, je parle toute seule là... quelle idée d'aller choisir ce texte ? Sans fournir aucun plan qui plus est !
Si un esprit éclairé détient la clé, qu'il la livre !
Si un esprit éclairé détient la clé, qu'il la livre !
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"Un rêveur est celui qui ne trouve son chemin qu'au clair de lune et qui, comme punition, aperçoit l'aurore avant les autres hommes." Oscar Wilde
- DanielNiveau 8
Voici en gros le plan rapide concernant un sujet portant sur la figure du Roi chez Pascal que j'ai donné à mes TL cette année :
I/ Le Roi, entre grandeur et misère (1. Le Roi, un être d'exception ? / 2. Le Roi, un homme misérable ?) => certes, le Roi est au-dessus du peuple et possède une autorité indiscutable, mais sa vie est - comme celle de tout homme - soumise aux aléas et son autorité est loin de reposer sur une Loi universelle et donc légitime bla bla bla
II/ Le Roi, support d'une réflexion morale et théologique (1. Le "roi sans divertissement" / 2. Le "roi dépossédé") => C'est dans la liasse "Divertissement", et quand Pascal aborde la réflexion morale sur le bonheur que le Roi est définitivement démysthifié, puisqu'il est alors mis sur le même plan que tous les hommes et même pire ("plus malheureux que le moindre de ses sujets"). Mais pourquoi l'homme est-il malheureux ? Notre misère est la conséquence de notre grandeur perdue lors de la Chute, donc le Roi dépossédé est une allégorie de la condition humaine (image d'un homme autrefois grand et aujourd'hui déchu). Avec le divertissement, tout roi était un homme ; avec le roi dépossédé, tout homme est un roi détrôné...
I/ Le Roi, entre grandeur et misère (1. Le Roi, un être d'exception ? / 2. Le Roi, un homme misérable ?) => certes, le Roi est au-dessus du peuple et possède une autorité indiscutable, mais sa vie est - comme celle de tout homme - soumise aux aléas et son autorité est loin de reposer sur une Loi universelle et donc légitime bla bla bla
II/ Le Roi, support d'une réflexion morale et théologique (1. Le "roi sans divertissement" / 2. Le "roi dépossédé") => C'est dans la liasse "Divertissement", et quand Pascal aborde la réflexion morale sur le bonheur que le Roi est définitivement démysthifié, puisqu'il est alors mis sur le même plan que tous les hommes et même pire ("plus malheureux que le moindre de ses sujets"). Mais pourquoi l'homme est-il malheureux ? Notre misère est la conséquence de notre grandeur perdue lors de la Chute, donc le Roi dépossédé est une allégorie de la condition humaine (image d'un homme autrefois grand et aujourd'hui déchu). Avec le divertissement, tout roi était un homme ; avec le roi dépossédé, tout homme est un roi détrôné...
- LodyNiveau 10
Tu n'as pas tort. Le divertissement est le moyen pour l'homme de se détourner de sa condition mortelle. Toutefois, Pascal vante les mérites de la méditation et la contemplation (// "l'homme est un roseau pensant"). La seule force de l'homme est de penser (à Dieu notamment, seule lumière). Le divertissement n'est donc qu'un détournement (// latin diverto = se détourner), une fuite devant notre mort prochaine. Donc, pour le roi, le divertissement est aussi une fuite... et donc un acte regrettable. Mais il est nécessaire au roi, car il le détourne de l'idée qu'il n'est pas plus qu'un autre, qu'il n'est même pas grand chose dans l'univers et qu'il ne peut rien changer (// pessimisme de l'augustinisme, pas de libre-arbitre puisque seule la grâce détermine les élus).
- DanielNiveau 8
Certes, mais le sujet que j'ai donné concernait la figure du Roi dans tout le corpus et non simplement le divertissement... enfin c'est un peu éloigné de ce que demande Gwendo
Je crois que Farnace est un passionné du XVIIè, non ? il pourra peut-être nous éclairer !
Je crois que Farnace est un passionné du XVIIè, non ? il pourra peut-être nous éclairer !
- SoizicNiveau 3
Je pencherais vers un raisonnement a fortiori de Pascal. Même un roi, s'il est sans Dieu (voir la dernière phrase du texte) est incapable de rester seul et de contempler sa condition sans être conscient de sa misère. Pourtant, est-il une condition plus favorable que celle de roi ? La simple contemplation de sa grandeur devrait le satisfaire. Il n'en est rien. Donc cette grandeur terrestre n'est finalement pas grand chose. Un roi sans divertissement est comme tout homme écrasé par la misère de sa condition humaine.
A fortiori les autres hommes aussi...
J'aurais du mal donc à trouver dans ce texte une notion d'éloge ou de blâme. Toutefois, si ma mémoire est bonne, ce texte avait été caviardé dans l'édition de Port-Royal, en dépit de la dernière phrase. On avait donc dû juger que ces allusions au besoin de "distraction" du roi n'étaient guère sérieuses, d'autant plus qu'ici le "divertissement" est de l'ordre effectivement de la distraction (la danse et le jeu) et non de l'ordre du travail ou des affaires... autres formes de divertissements pour Pascal.
A fortiori les autres hommes aussi...
J'aurais du mal donc à trouver dans ce texte une notion d'éloge ou de blâme. Toutefois, si ma mémoire est bonne, ce texte avait été caviardé dans l'édition de Port-Royal, en dépit de la dernière phrase. On avait donc dû juger que ces allusions au besoin de "distraction" du roi n'étaient guère sérieuses, d'autant plus qu'ici le "divertissement" est de l'ordre effectivement de la distraction (la danse et le jeu) et non de l'ordre du travail ou des affaires... autres formes de divertissements pour Pascal.
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http://profsdelettres.positifforum.com/
- JohnMédiateur
un roi sans divertissement est un roi plein de misères.
Voilà. Tout est dit.
Il n'y a ni éloge ni blâme, Pascal constate tout simplement, et comme de toute façon,
C'est gai.
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"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- AbraxasDoyen
Deux beaux contresens de la part de la prof.
AUssi roi qu'il soit, il est aussi esclave du divertissement que els autres hommes — misère d el'homme sans Dieu.
Pour La Fontaine, la fable est évidemment à rapprocher du Jardinier et son seigneur (http://www.jdlf.com/lesfables/livreiv/lejardinieretsonseigneur). Les Grenouilles sont des imprudentes, les rois, quels qu'ils soient, sont des prédateurs (et c'est effectivement une critique au second degré du roi, comme très très souvent chez La Fontaine).
AUssi roi qu'il soit, il est aussi esclave du divertissement que els autres hommes — misère d el'homme sans Dieu.
Pour La Fontaine, la fable est évidemment à rapprocher du Jardinier et son seigneur (http://www.jdlf.com/lesfables/livreiv/lejardinieretsonseigneur). Les Grenouilles sont des imprudentes, les rois, quels qu'ils soient, sont des prédateurs (et c'est effectivement une critique au second degré du roi, comme très très souvent chez La Fontaine).
- gwendolyneNiveau 7
Merci de vos éclairages précieux !
Je vais donc revenir sur ces LA avec ma cousine mais sans discréditer sa prof, exercice de haute voltige s'il en est
Je vais donc revenir sur ces LA avec ma cousine mais sans discréditer sa prof, exercice de haute voltige s'il en est
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