- GaranceNeoprof expérimenté
Je cherche des textes qui évoqueraient des mots vivants (comme dans La Grammaire est une chanson douce) ou ayant un pouvoir (comme dans La Bibliothécaire) pour une séquence en 6ème.
Auriez-vous des idées ?
Auriez-vous des idées ?
- alinetteNeoprof expérimenté
Tu as le coupeur de mot de Schadlich. Tu as un extrait dans le nouveau Fleur d' encre p.18. D'ailleurs la séquence 1 est consacrée aux mots.
- minnieExpert
Le TUeur de mots dans La Vie mode d'emploi de Perec (chapitre 60 il me semble)
- retraitéeDoyen
Hérault, héraut, héros, aire haut, erre haut, R. O., rythmé sur le bruit du train roulant à travers les plates plaines blanches. Les images surgissent l’une après l’autre, tirées de sa collection…
Hérault… la corne mauve aux contours mous s’étend le long de la mer bleue. Son bout étroit, recourbé, s’encastre dans l’Aude jaune. Dans son creux sont insérés le Tarn orange, l’Aveyron vert. Le Gard rose bouche l’ouverture de la corne…
Héraut… Il s’avance lentement, très droit sur son cheval caparaçonné. Il est coiffé de sa toque de vair, revêtu de la dalmatique de velours violet. Il tient dans sa main le caducée. Ses cavaliers le suivent. Tout bouge et chatoie, les bannières, les étendards, la soie, les broderies d’argent et d’or, les joyaux, les fourrures, le cuivre des trompettes, l’acier des armes…
Héros… Il est étendu sur le dos sous le ciel sombre plein d’étoiles. Son bras droit est replié. Sa main raidie serre la hampe du drapeau déchiré qui couvre son visage et le haut de son habit blanc…
Aire haut… le brouillard s’écarte et découvre le nid d’aigle dans un creux du rocher à pic. Tout en bas, dans la vallée, les maisons sont de minuscules cubes blancs et gris…
Au suivant : Erre haut… Voici le moine dans sa robe de bure. Le vent qui souffle à travers la montagne agite ses cheveux. Il marche à grandes enjambées. Ses pieds nus foulent l’herbe rase, les courtes fleurs violettes, jaunes, blanches…
R.O… R, sur ses pattes écartées de bouledogue attend. O, le cercle est bouclé. Tout se referme et on recommence…
Hérault… La branche immobile du pin parasol s’étend au-dessus de l’auvent recouvert de tuiles arrondies orange et roses. Elles descendent en pente douce, leurs petites voûtes s’emboîtent les unes dans les autres. Dans les rainures, entre les rangées, il y a des traînées d’aiguilles de pin jaunies, quelques pommes de pin…
Nathalie SARRAUTE, Entre la vie et la mort, 1968.
Avant les mots, j’ai aimé les lettres. Les majuscules. Le O me semblait parfait, comme tout ce qui était rond, et m’évoquait la voix de mon grand-père arrêtant l’âne ou le cheval. Le U, un fer à cheval : la voix de mon grand-père encore, en route pour une foire ou aiguillonnant ses vaches sous le joug. Le V, en pleine page, me figurait un oiseau ou, posé sur une ligne, un navire. Le I, auquel j’ajoutais des bras pour le transformer en Pierrot. Le M, un pont. Le B me faisait rire : gros bonhomme dont j’aggravais le ventre. Le D un arc, le A une échelle, le T une balance, le Y un arbre autour duquel j’enroulais le serpent du S. Le P m’embarrassait. Seul mon grand-père avait le droit de prononcer cette lettre malsonnante, en chantant : « A cheval sur mon bidet, quand il trotte il fait des pets ». Si j’avais le malheur de pouffer, ma grand-mère, qui faisait mine d’ignorer ces « vilains propos », me foudroyait du regard. En le dessinant, je chuchotais donc le nom du P pour en rire sous cape.
Mon maître mot, c’était maman. Puis venaient ceux qui désignaient des objets ronds : œuf, pomme, lune, bille, bulle, orange, roue, plaisir de l’œil et de l’esprit. Pour moi, Dieu n’était pas un triangle, mais un cercle. Ceux qui évoquaient la lumière et la chaleur : lampe, feu, soleil. Ceux de la nourriture : pain, lait, miel, omelette, lard, confiture, et de la tendresse, où Monette, réservé à Simone, m’était le plus cher. Je me délectais aussi de mots dont je ne connaissais pas le sens. Le soir, avant le sommeil, je me les répétais en litanie : délire, conciliabule, mélancolie, ostensoir, crépuscule, équateur, baldaquin, suaire, arche, taciturne et j’en passe. Je me gardais bien d’en demander le sens car je leur en attribuais un ou plusieurs selon ma fantaisie. Quand je lus : « Les hirondelles sur le toit tiennent des conciliabules », j’imaginai que ces oiseaux se réunissaient pour faire des concours de bulles de savon ou qu’ils tenaient des libellules dans leur bec. Lorsque j’entendis le curé parler d’arche d’alliance, je vis des fiancés se passant des arcs-en-ciel au doigt. Quant à la mélancolie, je crus longtemps que c’était le nom d’une fleur bleue. En toute innocence, j’inventais des mots.
Jeanne CRESSANGES La Petite Fille aux doigts tachés d’encre.
Hérault… la corne mauve aux contours mous s’étend le long de la mer bleue. Son bout étroit, recourbé, s’encastre dans l’Aude jaune. Dans son creux sont insérés le Tarn orange, l’Aveyron vert. Le Gard rose bouche l’ouverture de la corne…
Héraut… Il s’avance lentement, très droit sur son cheval caparaçonné. Il est coiffé de sa toque de vair, revêtu de la dalmatique de velours violet. Il tient dans sa main le caducée. Ses cavaliers le suivent. Tout bouge et chatoie, les bannières, les étendards, la soie, les broderies d’argent et d’or, les joyaux, les fourrures, le cuivre des trompettes, l’acier des armes…
Héros… Il est étendu sur le dos sous le ciel sombre plein d’étoiles. Son bras droit est replié. Sa main raidie serre la hampe du drapeau déchiré qui couvre son visage et le haut de son habit blanc…
Aire haut… le brouillard s’écarte et découvre le nid d’aigle dans un creux du rocher à pic. Tout en bas, dans la vallée, les maisons sont de minuscules cubes blancs et gris…
Au suivant : Erre haut… Voici le moine dans sa robe de bure. Le vent qui souffle à travers la montagne agite ses cheveux. Il marche à grandes enjambées. Ses pieds nus foulent l’herbe rase, les courtes fleurs violettes, jaunes, blanches…
R.O… R, sur ses pattes écartées de bouledogue attend. O, le cercle est bouclé. Tout se referme et on recommence…
Hérault… La branche immobile du pin parasol s’étend au-dessus de l’auvent recouvert de tuiles arrondies orange et roses. Elles descendent en pente douce, leurs petites voûtes s’emboîtent les unes dans les autres. Dans les rainures, entre les rangées, il y a des traînées d’aiguilles de pin jaunies, quelques pommes de pin…
Nathalie SARRAUTE, Entre la vie et la mort, 1968.
Avant les mots, j’ai aimé les lettres. Les majuscules. Le O me semblait parfait, comme tout ce qui était rond, et m’évoquait la voix de mon grand-père arrêtant l’âne ou le cheval. Le U, un fer à cheval : la voix de mon grand-père encore, en route pour une foire ou aiguillonnant ses vaches sous le joug. Le V, en pleine page, me figurait un oiseau ou, posé sur une ligne, un navire. Le I, auquel j’ajoutais des bras pour le transformer en Pierrot. Le M, un pont. Le B me faisait rire : gros bonhomme dont j’aggravais le ventre. Le D un arc, le A une échelle, le T une balance, le Y un arbre autour duquel j’enroulais le serpent du S. Le P m’embarrassait. Seul mon grand-père avait le droit de prononcer cette lettre malsonnante, en chantant : « A cheval sur mon bidet, quand il trotte il fait des pets ». Si j’avais le malheur de pouffer, ma grand-mère, qui faisait mine d’ignorer ces « vilains propos », me foudroyait du regard. En le dessinant, je chuchotais donc le nom du P pour en rire sous cape.
Mon maître mot, c’était maman. Puis venaient ceux qui désignaient des objets ronds : œuf, pomme, lune, bille, bulle, orange, roue, plaisir de l’œil et de l’esprit. Pour moi, Dieu n’était pas un triangle, mais un cercle. Ceux qui évoquaient la lumière et la chaleur : lampe, feu, soleil. Ceux de la nourriture : pain, lait, miel, omelette, lard, confiture, et de la tendresse, où Monette, réservé à Simone, m’était le plus cher. Je me délectais aussi de mots dont je ne connaissais pas le sens. Le soir, avant le sommeil, je me les répétais en litanie : délire, conciliabule, mélancolie, ostensoir, crépuscule, équateur, baldaquin, suaire, arche, taciturne et j’en passe. Je me gardais bien d’en demander le sens car je leur en attribuais un ou plusieurs selon ma fantaisie. Quand je lus : « Les hirondelles sur le toit tiennent des conciliabules », j’imaginai que ces oiseaux se réunissaient pour faire des concours de bulles de savon ou qu’ils tenaient des libellules dans leur bec. Lorsque j’entendis le curé parler d’arche d’alliance, je vis des fiancés se passant des arcs-en-ciel au doigt. Quant à la mélancolie, je crus longtemps que c’était le nom d’une fleur bleue. En toute innocence, j’inventais des mots.
Jeanne CRESSANGES La Petite Fille aux doigts tachés d’encre.
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