- Dame TartineNeoprof expérimenté
"Je suis malade. C’est pas moi qui le dis, c’est le ministère de l’Education nationale, les syndicats, les médias. Je suis atteint d’une pathologie grave, je suis l’un de ces patients dont tout le monde commente l’état à l’envi ; certains avec anxiété, d’autres en se moquant.
Je suis malade, et ma maladie a un nom : elle se nomme « mal-être enseignant ». Elle s’écrit dans les colonnes des journaux, s’invite en prime time. Elle est le sujet de débats multiples. Je pense donc je suis, je suis enseignant donc je suis malade. Je regarde autour de moi, pour comprendre.
De quoi souffrons-nous, nous les profs ? Comment ça s’attrape le mal-être enseignant ?
Derrière la porte de la salle des profs
Je regarde et je vois. Des collègues dont les traits s’allongent au fil des mois, jusqu’à ce qu’ils disparaissent, on ne sait pas trop pourquoi. Devant la bouilloire, on émet à mi-voix des hypothèses. « Longue maladie », « burn out », « dépression ». On ne parle pas trop fort, comme si l’on craignait d’être la prochaine victime.
La porte de la salle des profs s’ouvre à la volée. Johan (tous les noms sont modifiés) entre, les yeux rougis, un carnet de correspondance à la main : « ***, ils font chier ces petits cons, là ! » Et de se lancer dans la description des derniers exploits de la cinquième Pykokwak, qui a transformé un cours d’arts plastiques en session improvisée de Paint Ball, à grand renfort de tubes de gouache.
A quelques pas, Guenièvre Arthur, prof d’histoire, explique comment Sonia a passé le plus clair de la dernière heure à confectionner des cocottes en papier à partir de ce qui devrait être son cahier de géographie, tout en bramant pouet pouet. L’ensemble de la scène rappelle assez « Vol au-dessus d’un nid de coucou » en moins calme.
Heureusement que l’endroit est à peu près insonorisé. Tout parent d’élève ou membre de la direction entrant dans la pièce serait à bon droit tenté d’appeler dans un premier temps les services psychiatriques puis l’inspection académique.
La récréation est une gigantesque session de défoulement, et la dinguerie ambiante n’est que le reflet de ce que nous avons besoin d’exorciser. Le mal-être enseignant est marrant. Mais bien présent.
Sept ans que j’attends l’inspecteur
Sonnerie. Je remonte dans ma salle et je contemple les mômes en train de s’installer. Pas longtemps. Je dois signaler d’un ton sec à Cléante que son sac n’est pas un ballon de foot, séparer Aïsha et Antoinette qui semblent prêtes à s’énucléer mutuellement pour une sombre histoire de stylo volé, tout en répétant à Désiré que, oui, il y avait des devoirs pour aujourd’hui et que, oui, je les avais bien écrits au tableau et que non, le prof ne ment pas juste pour le plaisir de mettre des punitions – du moins pas cette fois-ci.
Comme à l’accoutumée, je vais mettre cinq bonnes minutes à installer tout le monde. L’un des élèves aura besoin d’un mot d’encouragement, l’autre d’un rappel à l’ordre, une autre attend mon sourire. Et cette scène d’une banalité sans nom me fait comprendre l’origine de notre maladie, le bacille du malaise enseignant.
Plus personne ne sait ce que signifie être prof.
J’ai devant moi 28 gosses. Et personne ne peut se mettre d’accord sur ce que je dois en faire.
Je suis fonctionnaire, j’ai une lettre de mission. Je me dois de les instruire, de développer des compétences et des savoir-faire. C’est ce qu’un inspecteur sera en droit de me demander, le jour où il franchira les portes de ma classe. Cela fait sept ans que je l’attends. Que j’enseigne en espérant agir en fonctionnaire « de façon éthique et responsable » comme cela nous est expressément demandé. Mais la région parisienne pullule d’établissements scolaires. On ne peut pas voir tout le monde. Il faut savoir se débrouiller seul.
Cindy a 17 : « C’est une bonne chose ? »
Et puis, à moins de vouloir faire de ma salle de classe une annexe du cirque Pinder, s’en tenir aux injonctions ministérielles n’est pas ..."
http://blogs.rue89.nouvelobs.com/monsieur-samovar/2014/07/07/comment-ca-sattrape-le-mal-etre-enseignant-233220
Je suis malade, et ma maladie a un nom : elle se nomme « mal-être enseignant ». Elle s’écrit dans les colonnes des journaux, s’invite en prime time. Elle est le sujet de débats multiples. Je pense donc je suis, je suis enseignant donc je suis malade. Je regarde autour de moi, pour comprendre.
De quoi souffrons-nous, nous les profs ? Comment ça s’attrape le mal-être enseignant ?
Derrière la porte de la salle des profs
Je regarde et je vois. Des collègues dont les traits s’allongent au fil des mois, jusqu’à ce qu’ils disparaissent, on ne sait pas trop pourquoi. Devant la bouilloire, on émet à mi-voix des hypothèses. « Longue maladie », « burn out », « dépression ». On ne parle pas trop fort, comme si l’on craignait d’être la prochaine victime.
La porte de la salle des profs s’ouvre à la volée. Johan (tous les noms sont modifiés) entre, les yeux rougis, un carnet de correspondance à la main : « ***, ils font chier ces petits cons, là ! » Et de se lancer dans la description des derniers exploits de la cinquième Pykokwak, qui a transformé un cours d’arts plastiques en session improvisée de Paint Ball, à grand renfort de tubes de gouache.
A quelques pas, Guenièvre Arthur, prof d’histoire, explique comment Sonia a passé le plus clair de la dernière heure à confectionner des cocottes en papier à partir de ce qui devrait être son cahier de géographie, tout en bramant pouet pouet. L’ensemble de la scène rappelle assez « Vol au-dessus d’un nid de coucou » en moins calme.
Heureusement que l’endroit est à peu près insonorisé. Tout parent d’élève ou membre de la direction entrant dans la pièce serait à bon droit tenté d’appeler dans un premier temps les services psychiatriques puis l’inspection académique.
La récréation est une gigantesque session de défoulement, et la dinguerie ambiante n’est que le reflet de ce que nous avons besoin d’exorciser. Le mal-être enseignant est marrant. Mais bien présent.
Sept ans que j’attends l’inspecteur
Sonnerie. Je remonte dans ma salle et je contemple les mômes en train de s’installer. Pas longtemps. Je dois signaler d’un ton sec à Cléante que son sac n’est pas un ballon de foot, séparer Aïsha et Antoinette qui semblent prêtes à s’énucléer mutuellement pour une sombre histoire de stylo volé, tout en répétant à Désiré que, oui, il y avait des devoirs pour aujourd’hui et que, oui, je les avais bien écrits au tableau et que non, le prof ne ment pas juste pour le plaisir de mettre des punitions – du moins pas cette fois-ci.
Comme à l’accoutumée, je vais mettre cinq bonnes minutes à installer tout le monde. L’un des élèves aura besoin d’un mot d’encouragement, l’autre d’un rappel à l’ordre, une autre attend mon sourire. Et cette scène d’une banalité sans nom me fait comprendre l’origine de notre maladie, le bacille du malaise enseignant.
Plus personne ne sait ce que signifie être prof.
J’ai devant moi 28 gosses. Et personne ne peut se mettre d’accord sur ce que je dois en faire.
Je suis fonctionnaire, j’ai une lettre de mission. Je me dois de les instruire, de développer des compétences et des savoir-faire. C’est ce qu’un inspecteur sera en droit de me demander, le jour où il franchira les portes de ma classe. Cela fait sept ans que je l’attends. Que j’enseigne en espérant agir en fonctionnaire « de façon éthique et responsable » comme cela nous est expressément demandé. Mais la région parisienne pullule d’établissements scolaires. On ne peut pas voir tout le monde. Il faut savoir se débrouiller seul.
Cindy a 17 : « C’est une bonne chose ? »
Et puis, à moins de vouloir faire de ma salle de classe une annexe du cirque Pinder, s’en tenir aux injonctions ministérielles n’est pas ..."
http://blogs.rue89.nouvelobs.com/monsieur-samovar/2014/07/07/comment-ca-sattrape-le-mal-etre-enseignant-233220
- User5899Demi-dieu
Bel article, très juste.
Heureusement, une tweetclasse, et hop !
Heureusement, une tweetclasse, et hop !
- nath65Niveau 9
Entièrement d'accord ! 2 mois pour oublier qu'on va replonger dans l'enfer pour 10 mois, alors qu'on a choisi ce métier (en ce qui me concerne) par passion ..... Ou alors je vieillis vraiment mal
- florestanGrand sage
nath65 a écrit: 2 mois pour oublier qu'on va replonger dans l'enfer pour 10 mois
A ce point là
- amourExpert
florestan a écrit:nath65 a écrit: 2 mois pour oublier qu'on va replonger dans l'enfer pour 10 mois
A ce point là
Nath65 tu ne vieillis pas mal, la société vieillit mal ( c'est pas glorieux comme méthode mais quand je parle aux commerçants de ma rue qui se font régulièrement braquer je me dis que j'ai de la chance)
- Marie LaetitiaBon génie
florestan a écrit:nath65 a écrit: 2 mois pour oublier qu'on va replonger dans l'enfer pour 10 mois
A ce point là
À ce point-là, oui. C'est comme un accident. On ne le voit pas venir et c'est après que l'on revoit la chaîne des événements qui a conduit à... l'épuisement, l'arrêt maladie (mais pourquoi ne s'être pas fait arrêter avant?) Saleté de conscience professionnelle, qui nous fait revenir avant la fin de l'arrêt qu'aurait voulu prescrire le médecin. Fatigue et ras le bol.
C'est fou comme depuis deux-trois jours, je fais enfin des nuits complètes, ce que je ne faisais plus depuis des mois.
_________________
Si tu crois encore qu'il nous faut descendre dans le creux des rues pour monter au pouvoir, si tu crois encore au rêve du grand soir, et que nos ennemis, il faut aller les pendre... Aucun rêve, jamais, ne mérite une guerre. L'avenir dépend des révolutionnaires, mais se moque bien des petits révoltés. L'avenir ne veut ni feu ni sang ni guerre. Ne sois pas de ceux-là qui vont nous les donner (J. Brel, La Bastille)
Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. [...] Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout...
Et on ne dit pas "voir(e) même" mais "voire" ou "même".
- nath65Niveau 9
Oui c'est ça, à ce point-là ! Tout à fait ! Mais le mot "enfer" que j'écrivais, hier, vient aussi du fait de notre administration dans l'établissement... Non seulement nos élèves sont très durs, mais le CDE fait et dit tout et son contraire dans des temps records avec une mauvaise foi étonnante et, en prime, la réunionnite aigüe que nous connaissons tous ! Le tout géré au jour le jour ou au mieux du jour pour le lendemain ...
Je ne me suis jamais arrêtée pour tout ça mais je finis toujours le mois de juin dans un état d'épuisement moral et nerveux, comme le dit très bien Marie-Laetitia. On tient par la conscience professionnelle, par la volonté en espérant que le corps suive en croisant les doigts (ce qui fait qu'on dort moins bien) ! Moi aussi, je dors comme une marmotte depuis quelques jours et je commence à me sentir mieux mais sans illusions pour l'année suivante...
Dommage, j'adore mon métier mais je ne fais plus le métier que j'aime ...
Bonnes vacances et bon repos
Je ne me suis jamais arrêtée pour tout ça mais je finis toujours le mois de juin dans un état d'épuisement moral et nerveux, comme le dit très bien Marie-Laetitia. On tient par la conscience professionnelle, par la volonté en espérant que le corps suive en croisant les doigts (ce qui fait qu'on dort moins bien) ! Moi aussi, je dors comme une marmotte depuis quelques jours et je commence à me sentir mieux mais sans illusions pour l'année suivante...
Dommage, j'adore mon métier mais je ne fais plus le métier que j'aime ...
Bonnes vacances et bon repos
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