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Comment appréhender la dyslexie ?
Habib, Michel
Praticien hospitalier, HDR. Spécialiste en neurologie, mène diverses recherches sur le thème des troubles de la lecture et de l’apprentissage
Longtemps prise pour un problème purement psychopédagogique, la dyslexie, qui touche de 5 à 10 % des enfants d’âge scolaire, est aujourd’hui considérée comme relevant d’un défaut, en grande partie génétique, de mise en place de certains circuits cérébraux au cours du développement. Elle représente une des causes principales de handicap cognitif de l’enfant, de l’adolescent et du jeune adulte : chez l’enfant, plus de la moitié des demandes de compensation parvenant aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) le sont pour un trouble spécifique d’apprentissage. Chez les étudiants, elles commencent à se manifester de façon de plus en plus récurrente auprès des services universitaires.
On regroupe sous le terme de dyslexie un ensemble de troubles dont le plus connu est celui de la lecture. Dans la majorité des cas, c’est au moment de son apprentissage qu’apparaissent les premières difficultés, sous la forme d’une incapacité à entrer dans le principe de la « conversion grapho-phonémique », qui permet la mise en relation des sons du langage avec les lettres de l’alphabet. Les soubassements neurofonctionnels de cette incapacité nous ont été révélés récemment par l’imagerie cérébrale. Les enfants et adultes dyslexiques peinent à activer une petite zone de leur hémisphère gauche, appelée « aire de la forme visuelle des mots », dont le rôle est de traiter les éléments graphiques comme des lettres, en les différenciant de toute autre forme visuelle.
Les travaux les plus récents ont aussi montré que le cerveau du dyslexique ne parvient pas à intégrer ensemble les informations visuelles et auditives. Ce défaut d’intégration se matérialise par le développement imparfait d’un faisceau situé dans la profondeur de l’hémisphère gauche, le faisceau arqué, qui sert à combiner en une seule information la forme visuelle, auditive et articulatoire des éléments du langage. La question du mécanisme de ces particularités du cerveau n’est pas encore totalement élucidée, mais des travaux de génétique expérimentale et clinique incitent à incriminer une cause génétique à ces anomalies.
Les conséquences du trouble de la lecture
L’enfant qui a eu des difficultés dans les étapes initiales de l’apprentissage de la lecture va garder ultérieurement, à des degrés divers, des entraves. D’abord, une lecture lente et inexacte, avec des approximations qui peuvent dénaturer le sens du texte, et un défaut de compréhension. Un défaut aussi dans l’expression écrite et ses deux aspects souvent associés : la dysorthographie, cette incapacité à évoquer automatiquement la bonne orthographe des mots, et la dysgraphie, une irrégularité de l’écriture manuscrite. Enfin, des conséquences psychologiques quasi inévitables, dont la plus courante est la perte de l’estime de soi, entravant les relations sociales et limitant la progression, tout en engendrant une « souffrance d’apprendre ».
Autre conséquence très répandue, le manque de goût pour la lecture. Une étude anglo-saxonne ancienne faisait ce constat accablant : alors qu’un enfant qui n’a aucun problème d’apprentissage lit en moyenne 2 000 000 de mots par an en dehors de l’école, un enfant « mauvais lecteur » n’en lit que 8 000. Un enfant dyslexique lit donc en une année ce qu’un bon lecteur lit en deux jours !
Mais la dyslexie ne concerne pas exclusivement la lecture : elle touche également, dans la grande majorité des cas, d’autres systèmes dont le dysfonctionnement va déterminer la nature et l’intensité du handicap qui en résulte. Il est habituel de distinguer plusieurs types de troubles associés. Premièrement, les troubles spécifiques d’apprentissage proprement dits : dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, dont la coexistence va singulièrement compliquer la tâche des rééducateurs, impliquant une prise en charge multidisciplinaire. Deuxièmement, les comorbidités, c’est-à-dire l’association non fortuite du trouble d’apprentissage avec d’autres troubles cognitifs : troubles du langage oral (dysphasie), trouble des coordinations motrices (dyspraxie).
Enfin, un cas de figure dont la fréquence a été sous-estimée jusqu’ici, le trouble de la mémoire et de l’attention. Lorsqu’on réalise des tests évaluant spécifiquement les capacités attentionnelles, on mettra souvent en évidence une faiblesse de ces divers processus, qui va se répercuter sur les capacités de planification, d’organisation, de vérification, de gestion du temps et de l’espace, à savoir les « fonctions exécutives ».
Que peut-on, que doit-on faire pour aider ?
En général, l’histoire personnelle d’un jeune adulte dyslexique a été émaillée d’échecs, de frustrations, de sacrifices, ayant souvent abouti à l’âge adulte à la mise en place de mécanismes de compensation plus ou moins efficaces. L’un des pièges pour le médecin, mais aussi pour l’enseignant qui doit évaluer les performances d’un dyslexique, est précisément de méconnaître la réalité et l’étendue du trouble du fait même de l’installation de ces mécanismes compensatoires spontanés.
Un cas de figure particulièrement fréquent est celui de l’adolescent dit « surdoué ». Il est aujourd’hui prouvé que le profil cognitif de ces enfants est souvent associé à un ou plusieurs des troubles d’apprentissage décrits ci-dessus. Or, grâce à leur intelligence initiale supérieure, et souvent une stimulation constante de leur famille, ces personnes ont réussi à compenser la plus grande partie de leur trouble, au point que, dans certains cas, ni leur dyslexie ni leur haut potentiel n’ont jamais été décelés.
Dans ces conditions, le seul moyen de se faire une véritable idée du problème est de procéder à une évaluation la plus précise possible. Les tests normés et validés, réalisés par des orthophonistes, psychomotriciens et ergothérapeutes, permettent de le faire. Comme ceux réalisés par les neuropsychologues pour mesurer les autres fonctions cognitives et l’intelligence. Ce n’est qu’après avoir pris connaissance de ces éléments, que les décisions les plus justes pourront être prises. Idéalement, chaque université devrait disposer d’une équipe pluridisciplinaire spécialisée capable de passer le nombre d’heures nécessaire pour produire un avis pertinent. Hélas, cela est encore rare. Mais on peut espérer que nos universités sauront s’entourer, dans les prochaines années, de tels avis.
MICHELHABIB
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