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peillon - L'hypokhâgne du lycée Masséna écrit à Vincent Peillon Empty L'hypokhâgne du lycée Masséna écrit à Vincent Peillon

par Olympias Sam 14 Déc 2013 - 15:02
Le Monde publie ce point de vue. Ancienne khâgneuse de cet établissement, je relaie, car c'est là que j'ai le plus appris

La classe préparatoire est un école de vie !
En ce moment se prépare une réduction aussi brutale que démesurée du salaire des professeurs de classes préparatoires. Si nous, élèves, avons décidé d'agir, ou plutôt avons répondu à ce qui s'imposait comme une évidence, c'est bien sûr que cette décision du gouvernement nous atterre. Les professeurs que nous côtoyons depuis maintenant un trimestre et que nous voyons pour la plupart travailler pour nous, nous envoyer des corrections par mail le week­end, rester jusqu'à 20h pour des « khôlles », nous semblent absolument mériter leur salaire, et certainement pas une diminution de celui­-ci. Ce que nous fait ressentir cette réforme, c'est un mépris des études, des hautes études. En mettant l'accent sur la somme que coûtent les études supérieures, le gouvernement les dévalorise et les pointe du doigt comme coupables d'un déficit.

Qu'une révision à la baisse du salaire de plusieurs corps de métiers soit envisagée, c'est une chose. Oter brusquement une part non négligeable du salaire d'une profession en la dénigrant, c'en est une autre. Mais nous savons qu'ils se défendent et qu'en un sens, ce n'est pas à nous de le faire. Néanmoins, si le côté strictement financier de cette réforme ne nous concerne pas directement, il risque d'accroître démesurément la masse de travail que fourniront les professeurs, car leur passion et leur dévouement au métier, dont on abuse déjà, ont des limites.

Ce que nous voulions dire, c'est que les problèmes profonds qu'elle remet en lumière nous paraissent bien alarmants… Ce projet si méprisant envers les professeurs, traités de manière totalement infondée de « nantis », révèle un but au-­delà de réaliser des économies ou de répartir le budget différemment, celui de discréditer les classes préparatoires. Et en cela, nous, élèves, sommes directement touchés. Démentir le mérite des professeurs, ce qui est absolument injuste et à l'opposé de la réalité, c'est aussi nier celui des élèves et la légitimité de la classe préparatoire. Nous considérer comme des élites se reproduisant entre elles, sans aucune ouverture, c'est n'avoir aucune conscience du réel de ces classes. Seul cursus supérieur gratuit en France, la sélection y est basée uniquement sur le mérite. Et plus encore qu'au niveau, les professeurs sont sensibles à la motivation et au sérieux de l'élève. Comment faire plus égalitaire ? Comment donner plus de chances à chacun ? En y entrant, nous avons tous des profils variés : différentes filières, différents niveaux, différentes ambitions, différents milieux sociaux…

Dans notre classe, nous avons environ 35% de boursiers et ne venons pas forcément tous de milieux très fortement intellectuels. Par contre, nous sommes tous motivés et intéressés par les études. Si nous sommes là, c'est parce que nous sommes conscients de ce que la classe préparatoire apporte.

Le dynamisme des professeurs et notre curiosité nous permettent d'élargir considérablement notre vision du monde, notre culture, d'approfondir différentes approches, d'être polyvalents tout en conservant une grande qualité pour chaque objet d'étude. Et au­-delà de l'enseignement intellectuel et culturel, qui est considérable, la classe préparatoire est une école de vie : on y apprend l'exigence, la volonté de donner le meilleur de soi en toutes circonstances, de se dépasser malgré ou grâce aux épreuves, l'endurance, le sérieux, le sens des responsabilités, mais aussi la solidarité, l'entraide et la disponibilité pour les camarades en besoin, car nous le sommes tous à tour de rôle. Nous nous épanouissons intellectuellement et humainement, ce qui nous forge pour notre vie future. Et cela est possible car les professeurs nous considèrent dans notre potentiel, et nous poussent à aller au bout de nos capacités, avec un rythme et une exigence que nous n'aurions pas de nous­-mêmes, mais dont nous sentons déjà les effets bénéfiques. En classe préparatoire, on apprend à ne pas considérer l'autre comme un ennemi, mais comme quelqu'un avec qui on peut avancer ensemble. Alors, une élite ? Non, nous sommes une communauté unie par les mêmes passions. En quoi cela est­-il mal ? Libre à qui que ce soit de nous rejoindre, s'il s'en donne les moyens, car oui, la classe préparatoire est exigeante et donc difficile, mais loin d'être inatteignable malgré l'image rébarbative qu'on s'en fait. Beaucoup d'entre nous se destinent à des filières bien différentes du parcours traditionnel du khâgneux : nous ne sommes pas là pour nous faire formater et devenir des bêtes à concours, nous sommes là parce que nous savons que cette formation nous suivra tout au long de notre vie, et que quoi que nous fassions, elle nous facilitera grandement les choses par l'aisance qu'elle donne. Et cela, nous le devons en grande partie aux professeurs qui entretiennent un lien personnel avec nous et qui s'impliquent pour notre réussite. Nous sentons leur engagement, le travail qu'ils fournissent pour nous (comme l'étude approfondie des nouveaux programmes chaque année), ce qui nous permet d'avancer.

C'est cela, aussi, qui fait la classe préparatoire par rapport à une faculté, par exemple. Il n'est pas question ici de qualité, simplement de nature de l'enseignement qui est radicalement différente. Là où la classe préparatoire implique le suivi de l'élève par le professeur, sans aucune infantilisation évidemment, le principe de l'université est l'autonomie de l'étudiant et c'est aussi une école qui fait grandir, où l'on apprend à être responsable et indépendant. Ces deux manières de fonctionner ont chacune leurs qualités indéniables. Pourtant, le gouvernement semble voir les classes préparatoires d'un œil de plus en plus défavorable. Or, la classe préparatoire étant une exception française et ne manquant pas d'efficacité par ailleurs puisqu'elle produit de très bons éléments qui servent la nation, nous avons du mal à comprendre pourquoi le pays ne s'en glorifie pas, au lieu de la rejeter. Nous n'avons pas affaire, justement, au problème qui peut se poser aux Etats-­Unis ou au Royaume-­Uni par exemple, où les plus riches envoient leurs enfants dans les meilleures écoles et où les autres se débrouillent comme ils peuvent.

Pourquoi dévaloriser les classes préparatoires qui proposent le dernier véritable ascenseur social ? Cela ne conduirait qu'à un essor encore plus important de l'enseignement privé qui lui serait réellement exclusif et injuste par rapport aux plus défavorisés. Il nous semble que la France ne peut se permettre de perdre ce dernier bastion de méritocratie et de forte exigence formatrice dans l'enseignement qui, nous en avons la preuve en ce moment, est constamment nivelé vers le bas dans tous ses aspects… Tout pays a besoin de jeunes dynamiques, ayant une capacité de travail et une réflexion active. Avoir une réelle envie de créer et rechercher l'excellence n'est en rien une honte.

Il nous apparaît également évident que la classe préparatoire est fondée sur l'égalité des chances et le respect du mérite, et qu'elle permet par là à tout élève capable et motivé d'atteindre un niveau d'études et statut social parfois bien loin de son milieu d'origine. Ne comprenant pas comment on pouvait en avoir une vue aussi déformée et négative, nous avons donc décidé de vous faire parvenir ces quelques réflexions que nous avons exprimées le plus brièvement possible, malgré l'abondance des choses que nous aurions à dire sur ce sujet.

Nous ne nions pas les problèmes financiers qui peuvent se poser ou les difficultés que peuvent rencontrer les professeurs d'autres secteurs, comme ceux des ZEP qui ont, eux aussi, un très grand mérite. Simplement, nous avons essayé de vous montrer les classes préparatoires comme nous les vivons et nous demandons humblement au ministère d'en reconsidérer sa vision et de ne pas minimiser les conséquences de leur dévalorisation.

Mathilde Pellegrini (Au nom de toute la classe d'hypokhâgne du lycée Masséna)

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