- Docteur OXGrand sage
http://baccalaureat.blog.lemonde.fr/2013/06/20/on-voudrait-tuer-lhistoire-geo-au-lycee-quon-ne-sy-prendrait-pas-autrement/
« On voudrait tuer l’histoire-géo au lycée qu’on ne s’y prendrait pas autrement »
Pourquoi une telle colère de la part des enseignants sur les sujets d'histoire-géo tombés au bac 2013 (voir cet article) ? Nous avons cherché à comprendre les enjeux de ce débat qui implique à la fois enseignants, élèves et parents...
Programme trop lourd, mauvais sujets de bac, évaluations inappropriées, Hugo, enseignant, explique et dénonce.
"En Première S
1. La composition n° 1, sur "la gestion durable d'un milieu", doit s'appuyer sur une étude de cas traitée en cours. Deux heures de l'année. Et quelle variété d'études réellement étudiées? Et comment évaluer? Et qui est évalué: le cours du prof ou la capacité de réflexion de l'élève?
2. La composition n° 2, sur "la localisation des activités sur le territoire français et la mondialisation" est un cours réalisé en 2 ou 3 heures.
Problème : ces deux sujets de composition appartiennent au même thème. Le programme est organisé en 4 thèmes qui regroupent chacun 2 à 4 chapitres, eux-mêmes subdivisés en 2 à 3 items. Chaque item est théoriquement susceptible d'être interrogé au baccalauréat, mais la pratique veut que l'on même un sujet large à un sujet plus pointu, afin que tous les types d'élèves, qui ont eu tous les types de professeurs, dans tous les types d'établissements, puissent disposer d'un sujet qu'ils puissent traiter en exprimant leurs potentialités. Cette fois, impossible : les deux sujets de composition, évalués une dizaine de points sur 20, sont deux détails d'un même thème.
3. L'étude d'un document d'histoire correspond au premier thème de l'année. Il correspond au début de la période (milieu XIXe siècle), ce qui empêche les élèves de montrer ce qu'ils ont compris du chapitre. Paraphrase majeure attendue.
4. L'étude de deux documents de géographie a pour mérite de faire utiliser une carte et un texte. Pour le reste, la simple paraphrase des informations des documents sera sans doute tout ce que nous obtiendrons, parce qu'il faudrait dire et redire que 3 épreuves en 4 heures est une idée folle.
En Terminale L/ES
1. La composition n° 1 sur l'Afrique du Sud est un détail d'un programme qui réserve 9h à l'étude de l'Afrique, 3h à ce qui est présenté, dans les explications des programmes, comme étant d'abord sujet d'un croquis possible, et non d'une composition: pour une telle épreuve sur ce sujet, il faut un temps de cours supérieur. Et franchement, pour les enseignants, ce n'est pas un sujet de composition, mais de croquis ou d'étude de documents.
2. La composition n° 2 est complexe dans sa formulation, et peut donner lieu à des compositions fourre-tout dans lesquelles les élèves vont piocher des informations un peu partout dans leurs souvenirs, avec un immense risque: celui du catalogue de faits. Inégale intégration des territoires dans la mondialisation: par où commencer ? comment finir ?
3. L'étude critique de deux documents propose un extrait des mémoires de De Gaulle (excellent choix comme document unique) et un discours de Jacques Chirac pour lequel les élèves ne disposent pas d'informations critiques: le chapitre permet d'étudier, en fin d'année, "Gouverner la France depuis 1946". Il ne s'agit pas, ici, d'enseigner l'histoire politique de la France. Qui, parmi nos élèves, a réentendu, dans ce cours, l'histoire de la prise du pouvoir par Mitterrand, les difficultés du gouvernement Mauroy, le tournant de la rigueur ? Ce n'est pas au programme, mais c'est ce qui est le fond du discours de Chirac. Si l'objectif est d'opposer le De Gaulle de 1945 et le Chirac de 1986, c'est réussi: l'un est interventionniste, l'autre néo-libéral au sens reaganien. Mais qui, dans ce cours, a entendu parler du néo-libéralisme ? Un détail d'un chapitre précédent sur la puissance des États-Unis pouvait y faire allusion, mais certainement pas ce chapitre. Sujet mal conçu et mal interrogé. Dommage pour nos élèves, dommage pour les correcteurs qui ne sauront pas, derrière la "bienveillance" hypocrite dont se gargarise l'institution, cerner ce qui doit être compris et ce qui ne l'a pas été.
Les sujets du baccalauréat 2013 en histoire-géographie sont révélateurs de trois tendances :
1. Une incapacité à mettre en sujets, d'une manière équilibrée, des programmes incohérents dans les faits. On pourrait alors espérer qu'une modification du mode d'écriture et surtout de validation des sujets pallierait cette difficulté. On pourrait aussi espérer que la réduction de l'épreuve de 3 à 2 exercices, en supprimant l'analyse de document(s) qui serait de la même matière que la composition, permettrait de donner un peu d'air aux élèves pour travailler posément et non dans l'urgence le jour de l'examen - et faciliter ainsi la compréhension, pour les correcteurs, de ce que le candidat est capable de faire, et non de ce qu'il a pu régurgiter - le mot n'est pas trop fort.
2. Une incapacité des professeurs à enseigner, avec le temps nécessaire à une transmission efficace, des programmes extrêmement lourds. On pourrait espérer qu'un nouvel allègement des programmes publiés en Première comme en Terminale pourrait aider les enseignants et leurs élèves à respirer un peu et à sortir du gavage d'oie pour redonner enfin un peu du plaisir de comprendre le monde et le temps qui est au cœur de notre métier.
3. Une incapacité de l'institution à penser les finalités du baccalauréat. C'est peut-être le plus grave. Le bac est-il un bilan de compétences de fin d'études secondaires ? Alors les sujets de Première S, et dans une certaine mesure ceux de Terminales L/ES, ont raté cet objectif : sujets de détail dans le programme (les milieux naturel; l'Afrique du Sud). Le bac prépare-t-il aux méthodes de l'enseignement supérieur ? Alors la marche forcée à plus de chapitres, plus de plans, plus de croquis, n'y répond pas : nous enfournons dans les cerveaux, nous n'initions pas à la compréhension des sources et des démarches d'analyse. Aujourd'hui, avec ces programmes, nous ne le pouvons pas. Le bac, enfin, sanctionne-t-il un moment, un rite de passage entre l'âge de l'enfance et l'âge adulte ? Sans doute, oui, socialement, mais les sujets tombés cette année me font dire que l'histoire-géo ne sera pas le plus beau morceau du repas servi aux nouveaux adultes par la Cité lors du banquet d'initiation ; tout juste un rebut que l'on voudra oublier tant on aura souffert pour rien.
En attendant, les conséquences sont les suivantes :
1. Les correcteurs vont avoir de grandes difficultés à corriger, et les contestations montantes vont inciter l'institution à pousser à la "bienveillance", mot-valise et mot hypocrite pour dire "notez large". On voudrait banaliser l'acte de passer le bac qu'on ne s'y prendrait pas autrement.
2. Les résultats d'histoire-géo vont être, d'un jury à l'autre, très différents et surtout discriminants selon les attendus des correcteurs. Le critère majeur ne sera plus la capacité à faire de l'histoire ou de la géographie mais la capacité de bien écrire. Et là, les contextes socio-culturels sont radicalement discriminants. Pas besoin d'avoir lu Bourdieu pour le savoir. On voudrait tuer le caractère égalitaire du baccalauréat par un nivellement absurde, et la capacité à comprendre ce qu'est l'ascension par le mérite, qu'on ne s'y prendrait pas autrement.
3. Ce qui m'inquiète le plus, et d'autant plus que je suis professeur d'histoire ET de géographie, est l'image scandaleuse qui est donnée de la géographie scolaire par ces sujets. Nous avons besoin de la géographie. Elle peut permettre aux citoyens de penser leur place dans le micmac des acteurs de nos territoires, pour penser leur action dans les aménagements en cours dans nos villes et nos campagnes, et pour se penser dans un paysage en partie détaché de la géo-économie ambiante. Que nous disent ces sujets? Que la géographie est là pour piéger les élèves, après leur avoir fait construire des plans indigestes toute l'année. La géographie vaut mieux que cela, et les programmes cherchent à développer la curiosité des élèves dans leur rapport au paysage, la gestion des mondes qui les entourent et dans lesquels ils se retrouvent acteurs.
Les programmes de Seconde cherchent à étudier la manière dont les sociétés gèrent leur développement (population, alimentation, risques, villes, énergie, mondes arctiques, etc.) et sa durabilité, ceux de Première veulent montrer comment les territoires se transforment, en France et (un peu) en Europe (territoires de proximité, milieux, villes, productions, mobilités, à toutes les échelles y compris ultramarines), et les programmes de géo de Terminale L/ES cherchent à donner certaines clés du monde d'aujourd'hui, en étudiant la mondialisation, et en s'appuyant sur certains territoires (Amérique, Afrique, Asie du Sud et de l'Est).
Que disent les programmes de géographie du lycée ? Que le monde est complexe, que l'Europe et la France y ont leur place, et que nous pouvons, par l'étude des paysages, des aménagements, des modes durables de développement, à différentes échelles, faire comprendre à nos élèves ce qui les entoure pour qu'ils en déduisent l'action qui pourrait être la leur, et que leur monde ne se réduit pas au pré carré de leurs seuls intérêts individuels. Que disent les sujets ? Que la géographie évaluée est un piège. On voudrait tuer la matière au lycée qu'on ne s'y prendrait pas autrement."
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