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Robin
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Peut-on expliquer un texte philosophique sans connaître la doctrine de l'auteur ? Empty Peut-on expliquer un texte philosophique sans connaître la doctrine de l'auteur ?

par Robin Ven 21 Juin - 9:01
Je pose la question, je n'ai pas de réponse. "De mon temps", il fallait expliquer, commenter et discuter la pensée de l'auteur. Il ne s'agit plus à présent que de commenter et la consigne précise que "la connaissance de l'œuvre de l'auteur" n'est pas requise". J'avoue avoir beaucoup de mal avec cette consigne et je ne vois pas très bien comment on peut expliquer un texte sans connaître la pensée de l'auteur et surtout le contexte historique de cette pensée, sauf à tomber dans une paraphrase intemporelle.


Dernière édition par Robin le Ven 21 Juin - 20:41, édité 1 fois
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par InvitéP2 Ven 21 Juin - 10:11
Robin a écrit:Je pose la question, je n'ai pas de réponse. "de mon temps", il fallait expliquer, commenter et discuter la pensée de l'auteur. Il ne s'agit plus à présent que de commenter et la consigne précise que "la connaissance de l'œuvre de l'auteur" n'est pas requise". J'avoue avoir beaucoup de mal avec cette consigne et je ne vois pas très bien comment ont peut expliquer un texte sans connaître la pensée de l'auteur et surtout le contexte historique de cette pensée, sauf à tomber dans une paraphrase intemporelle.
La consigne exacte est : La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.. C'est très ambigu dans la mesure où ce genre de consigne n'a, comme dirait Wittgenstein, aucun sens, en ce qu'elle oscille entre la tautologie et la contradiction.

En effet, si, par "doctrine de l'auteur", on entend, comme vous le suggérez, "l'oeuvre de l'auteur", on ne voit pas très bien comment quiconque, et, a fortiori un élève de Terminale, pourrait être assez arrogant pour s'autoriser de l'exégèse de la pensée d'un auteur, quel qu'il soit. Dans ce cas-là, dire que "la connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise", c'est donc énoncer une tautologie. En revanche si, par "doctrine de l'auteur", on entend les grandes orientations de sa pensée vaguement replacées dans un certain contexte de l'histoire des idées, je prétends qu'il est rigoureusement impossible d'expliquer un texte autrement qu'en en faisant, dans le meilleur des cas, une paraphrase et, dans le pire des cas, en en tirant prétexte à digressions diverses et variées. Or, expliquer philosophiquement un texte philosophique me semble devoir consister, entre autres choses (cf. Méthode de la Dissertation, III-a2), à commenter ledit texte, c'est-à-dire à explorer quelques unes des pistes conceptuelles que l'auteur a inaugurées afin de tenter de répondre au problème que pointe l'extrait soumis à la sagacité des candidats voire, horresco referens, à confronter ces pistes à d'autres options conceptuelles qui ne sont pas celles de l'auteur. Ainsi interprétée, la formule selon laquelle "la connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise" devient une contradiction, et d'autant plus grave que la consigne officielle se poursuit en "Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question". Il faut et il suffit ... hum ... par la compréhension précise du texte ... hum ... hum ... Comment voulez-vous "comprendre précisément" le texte de Bergson, par exemple, comment voulez-vous "rendre compte du problème dont il est question" si vous ne savez pas qu'il n'y a de vérité, chez Bergson, que dans le singulier et le mouvant et, qu'à ce titre, le paradigme de la représentation vraie, c'est l'oeuvre d'art ?

Bon. Après, lorsque le correcteur Lambda se retrouve avec soixante copies dont aucune ne satisfait le moindre critère de pertinence philosophique, lorsqu'il n'a sous les yeux que des (mauvaises) paraphrases et des catalogues (indigents) d'opinions, il s'invente, seul ou avec la bénédiction des collègues et de l'IPR le jour de l'harmonisation et/ou de l'entente, des critères extra-philosophiques pour éviter de noter tout le paquet entre 2 et 6 ! On a tous fait ça et on n'est pas près de cesser de le faire !
Leclochard
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par Leclochard Ven 21 Juin - 11:01
Robin a écrit:Je pose la question, je n'ai pas de réponse. "de mon temps", il fallait expliquer, commenter et discuter la pensée de l'auteur. Il ne s'agit plus à présent que de commenter et la consigne précise que "la connaissance de l'œuvre de l'auteur" n'est pas requise". J'avoue avoir beaucoup de mal avec cette consigne et je ne vois pas très bien comment ont peut expliquer un texte sans connaître la pensée de l'auteur et surtout le contexte historique de cette pensée, sauf à tomber dans une paraphrase intemporelle.
 
 
 Ca fait un paquet d'années que cette consigne a été donnée déjà. A confirmer.

 Belle explication de texte, Philippe Jovi. Smile

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Quelqu'un s'assoit à l'ombre aujourd'hui parce que quelqu'un d'autre a planté un arbre il y a longtemps. (W.B)
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Peut-on expliquer un texte philosophique sans connaître la doctrine de l'auteur ? Empty Re: Peut-on expliquer un texte philosophique sans connaître la doctrine de l'auteur ?

par Robin Sam 22 Juin - 6:42
Nous vivons dans un temps où tout le monde connaît tout sur tout sans avoir jamais fait l'effort d'apprendre quoi que ce soit, grâce, notamment à Internet et à l'idéologie qui va avec. Les élèves m'ont dit que le texte de Descartes était "facile". Eh bien moi qui ne suis ni un surdoué, ni un génie, je l'ai trouvé très difficile. A vrai dire, il m'a fallu toute une vie pour commencer à comprendre. Mais bon...
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Peut-on expliquer un texte philosophique sans connaître la doctrine de l'auteur ? Empty Re: Peut-on expliquer un texte philosophique sans connaître la doctrine de l'auteur ?

par InvitéP2 Sam 22 Juin - 17:40
Leclochard a écrit: Ca fait un paquet d'années que cette consigne a été donnée déjà. A confirmer.
Elle date de la dernière refonte des programmes en 2002. Auparavant, la consigne était : Dégagez l'intérêt philosophique du texte suivant en procédant à son étude ordonnée. Trop simple ! Trop direct ! Trop explicite !

Robin a écrit:Les élèves m'ont dit que le texte de Descartes était "facile". Eh bien moi qui ne suis ni un surdoué, ni un génie, je l'ai trouvé très difficile. A vrai dire, il m'a fallu toute une vie pour commencer à comprendre. Mais bon...
Nous sommes de vieux chnoques ... J'avais coutume de dire à mes élèves : si, le jour de l'examen, vous trouvez un des trois sujets facile, fuyez ! Car, très probablement, vous le trouvez facile parce que vous ne l'avez pas compris et vous vous apprêtez donc à commettre un magnifique hors-sujet !
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par Robin Sam 22 Juin - 18:52
Philippe Jovi a écrit:
Leclochard a écrit: Ca fait un paquet d'années que cette consigne a été donnée déjà. A confirmer.
Elle date de la dernière refonte des programmes en 2002. Auparavant, la consigne était : Dégagez l'intérêt philosophique du texte suivant en procédant à son étude ordonnée. Trop simple ! Trop direct ! Trop explicite !

Robin a écrit:Les élèves m'ont dit que le texte de Descartes était "facile". Eh bien moi qui ne suis ni un surdoué, ni un génie, je l'ai trouvé très difficile. A vrai dire, il m'a fallu toute une vie pour commencer à comprendre. Mais bon...
Nous sommes de vieux chnoques ... J'avais coutume de dire à mes élèves : si, le jour de l'examen, vous trouvez un des trois sujets facile, fuyez ! Car, très probablement, vous le trouvez facile parce que vous ne l'avez pas compris et vous vous apprêtez donc à commettre un magnifique hors-sujet !

Le problème avec Descartes, c'est qu'il inaugure la philosophie moderne avec le basculement sur la subjectivité, mais qu'il reste tributaire de toute la pensée antérieure. Est-ce que les élèves étaient capables de voir que le raisonnement recourait au bon vieux syllogisme de la scolastique médiéval, à la morale stoïcienne de l'interdépendance par rapport au tout au sein du cosmos et non plus seulement au sein de la Cité (à "l'âme du monde"), mais qu'elle était aussi représentative du XVIIème siècle avec l'idéal de "l'honnête homme" et la mise en avant de la notion de "valeur", inconnue des Grecs, comme le montre Heidegger dans son livre sur Nietzsche et dans la Lettre sur l'Humanisme (en réponse à une question de Beaufret) mais aussi à la notion de "calcul" et de la raison comme "ratio" (et non plus comme "Logos"), que l'on retrouve dans le pari de Pascal, qu'il préfigure le calcul des plaisirs (Bentham rectifié par Stuart Mill), qu'il essaye  de faire une synthèse impossible entre la morale chrétienne, le code de l'honneur féodal et les calculs de la raison, qu'il témoigne du délitement de ce qu'il reste des solidarités et des ordres de la société féodale, de l'essor du capitalisme dans le contexte duquel se situe "l'individualisme" contemporain (si le texte avait un "intérêt philosophique", c'était bien là !)

Mais ce n'est pas de la faute des élèves. Tout est fait, aussi bien en cours de Français (réforme Viala, "objets d'étude", question de corpus), d' Histoire (le programme du brevetpar exemple) et même de Philo pour qu'ils soient désormais incapables de penser "historialement". Une élève que j'ai en cours particulier m'a demandé l'autre jour si Molière avait "fait la Résistance" (sic). Je lui ai répondu en plaisantant (avant d'expliquer patiemment, comme c'est mon devoir d'état) qu'il amusait ses camarades de maquis entre deux déraillements. Comme disait la Vénus, les bras vous en tombent. No


Conclusion possible du commentaire (et je suis loin d'avoir tout vu !)

L'ipséité, le fait que nous soyons des individus séparés les uns des autres n'implique pas la solitude et l'idépendance absolue vis-à-vis des autres. Descartes souligne notre interdépendance avec le tout (le cosmos, la société, l'Etat, la famille) et pose comme règle de conduite la préférence des intérêts du tout à ceux de sa propre personne. Cette règle souffre cependant des restrictions : il faut peser les gains et les pertes et ne pas sacrifier les individus d'exception. Toutefois, il est légitime d'exposer sa vie au nom de certaines "valeurs" comme l'amitié, la fidélité et la vertu.

Si Descartes inaugure le basculement moderne du critère de la vérité sur la subjectivité (l'ego cogito), il demeure, comme l'a montré Etienne Gilson,  l'héritier de la pensée médiévale (le recours à la figure du syllogisme), ainsi que de la pensée grecque, notamment du stoïcisme, quand il souligne la dépendance de l'individu par rapport au tout, admet la supériorité de certains individus par rapport aux autres (les "aristoï"), ou quand il recourt aux notions de mesure et de démesure. L'insistance sur la solidarité de l'individu par rapport au tout (les solidarités féodales) montre que la notion d'individu a émergé en même temps que la possibilité de la penser et qu'elle devient problématique. On sait avec quelle acuité la question se pose aujourd'hui, comme en témoigne le concept d"individualisme". L'idée de "valeur", étrangère à la pensée grecque, liée aux notions de calcul (la raison comme "ratio") et d'utilité dans la société marchande précapitaliste, est placée au centre de la morale cartésienne où elle entre en contradiction avec la morale chrétienne et la notion d'honneur héritée de la société féodale. La notion d'utilité et de "valeur", chère à J. Bentham et à J. Stuart Mill, avec le calcul des plaisirs, est désormais seule au coeur de la morale moderne, dans une société atomisée où l'individu est devenu la référence ultime.
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Peut-on expliquer un texte philosophique sans connaître la doctrine de l'auteur ? Empty Re: Peut-on expliquer un texte philosophique sans connaître la doctrine de l'auteur ?

par InvitéP2 Dim 23 Juin - 8:09
Robin a écrit:Le problème avec Descartes, c'est qu'il inaugure la philosophie moderne avec le basculement sur la subjectivité, mais qu'il reste tributaire de toute la pensée antérieure. Est-ce que les élèves étaient capables de voir que le raisonnement recourait au bon vieux syllogisme de la scolastique médiéval, à la morale stoïcienne de l'interdépendance par rapport au tout au sein du cosmos et non plus seulement au sein de la Cité (à "l'âme du monde"), mais qu'elle était aussi représentative du XVIIème siècle avec l'idéal de "l'honnête homme" et la mise en avant de la notion de "valeur", inconnue des Grecs, comme le montre Heidegger dans son livre sur Nietzsche et dans la Lettre sur l'Humanisme (en réponse à une question de Beaufret) mais aussi à la notion de "calcul" et de la raison comme "ratio" (et non plus comme "Logos"), que l'on retrouve dans le pari de Pascal, qu'il préfigure le calcul des plaisirs (Bentham rectifié par Stuart Mill), qu'il essaye  de faire une synthèse impossible entre la morale chrétienne, le code de l'honneur féodal et les calculs de la raison, qu'il témoigne du délitement de ce qu'il reste des solidarités et des ordres de la société féodale, de l'essor du capitalisme dans le contexte duquel se situe "l'individualisme" contemporain (si le texte avait un "intérêt philosophique", c'était bien là !)
Sans aller jusqu'à une intelligence aussi érudite d'un texte que, pour ma part, je trouve redoutable, un élève de Terminale pouvait toujours reconnaître dans les interrogations éthiques que suggère le texte
- les trois principes de la morale par provision que Descartes expose dans la troisième partie du Discours de la Méthode ainsi, d'ailleurs, que dans une lettre du 6 août 1645 à Elisabeth
- la nécessité du recours à ce qu'il appelle le "libre-arbitre" dont il est question à l'art.152 du Traité des Passions et à la "générosité" qui fait l'objet de l'art.203
- un individualisme méthodologique qui n'est pas très éloigné du solipsisme épistémologique de son auteur, et qui s'oppose à des approches holistiques que l'on retrouve, bien avant Hegel, Marx, Durkheim ou Bourdieu, chez des critiques contemporains de Descartes comme Malebranche, Spinoza ou Leibniz, voire, dans une certaine mesure, chez Pascal
- comme vous l'indiquez par vos références à Bentham et à Mill, le problème de la "valeur" de la personne humaine qui prépare l'opposition kantienne entre prix des moyens et dignité des fins en soi
- etc.

Bref. Pour un(e) candidat(e) qui aurait suivi à peu près régulièrement un cours de philosophie (de série L, qui plus est), il y avait de quoi (bien) faire. A condition toutefois de ne pas considérer ce texte comme "évident". Si ce que dit l'auteur était évident (au sens où on l'entend aujourd'hui d'absence d'effort à produire pour comprendre, pas au sens cartésien de l'évidence intuitive des Regulae, cela va de soi), c'est qu'il n'y aurait pas matière à problématiser. Et si vous ne problématisez pas, vous ne faites pas de la philosophie.
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