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par Sei Jeu 20 Juin 2013, 12:52
FRANCAIS MODERNE

Epreuve de français moderne : Céline a écrit:Sous le pont, l'eau était devenue toute lourde. J'avais plus du tout envie d'avancer. Aux boulevards, j'ai bu un café crème et j'ai ouvert ce bouquin qu'elle m'avait vendu. En l'ouvrant, je suis tombé sur une page d'une lettre qu'il écrivait à sa femme le Montaigne, justement pour l'occasion d'un fils à eux qui venait de mourir. Ça m’intéressait immédiatement ce passage, probablement à cause des rapports que je faisais tout de suite avec Bébert. Ah! qui lui disait le Montaigne, à peu près comme ça à son épouse. T'en fais pas va, ma chère femme ! Il faut bien te consoler !... Ça s'arrangera !... Tout s'arrange dans la vie... Et puis d'ailleurs, qu'il lui disait encore, j'ai justement retrouvé hier dans des vieux papiers d'un ami à moi une certaine lettre que Plutarque envoyait lui aussi à sa femme, dans des circonstances tout à fait pareilles aux nôtres... Et que je l'ai trouvée si joliment bien tapée sa mettre ma chère femme, que je te l'envoie sa lettre !... C'est une belle lettre ! D 'ailleurs je ne veux pas t'en priver plus longtemps, tu m'en diras des nouvelles pour ce qui est de guérir ton chagrin!... Ma chère épouse ! Je te l'envoie la belle lettre ! Elle est un peu la comme celle de Plutarque !... On peut le dire ! Elle a pas fini de t’intéresser !... Ah ! non ! Prenez- en connaissance ma chère femme ! Lisez-la bien ! Montrez-la aux amis. Et relisez-la encore ! Je suis bien tranquille à présent ! Je suis certain qu'elle va vous remettre d'aplomb !... Vostre bon mari. Michel.
Voilà que je me dis moi, ce qu'on peut appeler du beau travail. Sa femme devait être fière d'avoir un bon mari qui s'en fasse pas comme son Michel. Enfin, c'était leur affaire à ces gens. On se trompe peut-être toujours quand il s'agit de juger le coeur des autres. Peut-être qu'ils avaient vraiment du chagrin ? DU chagrin de l'époque ?
Mais pour ce qui concernait Bébert, ça me faisait une sacrée journée. Je n'avais pas de veine avec lui Bébert, mort ou vif. Il me semblait qu'il n'y avait rien pour lui sur terre, même dans Montaigne. C'est peut-être pour tout le monde la même chose d'ailleurs, dès qu'on insiste un peu, c'est le vide. Y avait pas à dire, j'étais parti de Rancy depuis le matin, fallait y retourner, et j'avais rien rapporté. J'avais rien absolument à lui offrir, ni à la tante non plus.


ORTHOGRAPHE ET MORPHOLOGIE : étude du point de vue de la correspondance phonie/graphie les mots femme et longtemps

LEXICOLOGIE : étude de connaissance et sacrée (en gras dans le texte)

MORHO-SYNTAXE : les déterminants, de "Sa femme devait être fière" à "c'est le vide"

STYLISTIQUE : étude du texte, en insistant sur les formes et enjeux de la parodie.

LITTERATURE

Littérature : Victor Segalen a écrit: Je ne puis croire au nécessaire triomphe du Roman. Sa formule est grossière par excellence et sa transsubstantiation médiocre. Il réclame de se développer. Il a besoin du temps. Il lui faut aligner toute une série de causes et d'effets, et il n'est même pas réversible. Comme un long fil d acier, il doit surtout faire preuve d'une ductilité grande (300 pages), et, pour ne pas se rompre, d'une considérable ténacité.

(Sur une forme nouvelle du roman ou un nouveau contenu de l'essai, 1910


Dernière édition par Sei le Jeu 20 Juin 2013, 12:54, édité 1 fois
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par Sei Jeu 20 Juin 2013, 12:53
Il manque l'épreuve d'ancien français, mais je ne peux pas scanner, et je n'ai pas trouvé le fabliau libre sur Internet, si vous voulez compléter, n'hésitez pas. Wink

En plus, je me suis trompée d'une année dans le titre et je ne sais pas comment corriger. :lol:
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par BlackMail Jeu 20 Juin 2013, 13:32
Mwarf, du Céline... Alors, comment s'est passée l'épreuve de français moderne pour vous ? trefle
L'épreuve d'ancien français avait un texte tiré de quel fabliau ?

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par sachaelle Jeu 20 Juin 2013, 18:21
J'ai trouvé que le sujet relevait d'une problématique générique, c'est-à-dire qu'un genre, notamment ici le roman, programme nécessairement des contraintes. Ces contraintes sont liés à un pacte au niveau de la réception. 
Dans un premier temps j'ai expliqué la citation de Segalen : il juge sa réception du genre romanesque de façon sévère.
1. Il dénonce un genre parvenu "triomphe du roman" qui fait probablement allusion au roman mimétique du XIXe siècle
2. Il dénonce sa forme : - grossière (allusion à la prose? et à la nécessité d'une intrigue?)
                                   - d'une transbustantiation médiocre ( j'y ai compris l'hétérogénéité du genre qui mêle tous les genres , tous les registres du tragique au lyrique... , tous les langages, donc qui englobe les deux autres genres hauts : tragédie et poésie) 
                                   - sa non-réversibilité (par opposition à la poésie? qu'il affectionne particulièrement?)
                                    - sa narratologie ( construction d'une intrigue qui dure et risque de lasser? J'ai cité comme référence les romans fleuves et mièvres qui superposent et multiplient les intrigues de L'Astrée de d'Urfé à La Clélie j'aurais pu citer les romantiques..., parcontre j'ai cité les fresques romanesques de Balzac et Zola dont la structure du récit est un véritable contrat de lecture et ne crée aucune surprise..)

Dans un second temps j'ai contre-argumenté par des exemples qui ne répondent pas aux codes que Segalen énonce: 
A la durée de l'intrigue j'y ai opposé , la nouvelle dont une référence à Félix Fénéon "Nouvelles en trois lignes"
A la narratologie dont il dénonce un horizon d'attente rendu évident par l'omniscience du narrateur des romans réalistes et une intrigue à vocation didactique, j'y ai opposé l'écart des romans de Gide "Les faux monnayeurs" qui joue sur les niveaux narratifs et les points de vue, Calvino "Si par une nuit d'Hiver..." dont le narrateur se fait intrusif au même titre que Diderot dans "Jacques les fataliste". Concernant l'énonciation et la structure du récit toujours j'ai cité la loghorrée de Des Forêts "Le bavard" et son intrigue quasi absente... 


Dans un dernier point j'ai rappelé,la rupture qui se crée au début du XXe siècle sur le roman mimétique et j'ai rebondie sur le titre de l'extrait de la citation. Pourquoi évoqué l'essai? Parce que l'essai devient comme le roman au siècle précédent, l'objet d'expression privilégié au XXe siècle et se fait d'ailleurs plus littéraire....

Bref des arguments de ce style.... Qu'en pensez-vous? Ca se tient ou pas?
Je suis surtout partie du principe qu'il fallait être simple et tenter d'être clair...en regard du sujet dont lexique m'a paru pompeux.
J'ai aussi composé en novembre, je pense que concernant le roman on aura fait le tour de la question cette année!
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par Sei Jeu 20 Juin 2013, 18:39
Je trouve que consacrer toute une partie à interroger le sujet est une idée humble et intelligente, qui rend grâce à ce sujet difficile, non pas tant à gloser, qu'à comprendre avec précision.

Tu peux aller regarder ce que d'autres ont fait ici :

https://www.neoprofs.org/t61441-epreuve-de-lettres-modernes-de-ce-jour

Pour ma part, je me reconnais dans la manière dont tu as composé, même si, évidemment, aucune dissertation ne ressemble exactement à sa voisine.

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par abricotedapi Jeu 20 Juin 2013, 19:01
ANCIEN FRANÇAIS

Allez, je vous tape le texte d'ancien français :

Et quant la nape fu ostee,
de sa main qu'il ot grant et lee
fiert si sa feme en la face
que des doiz i parut la trace,
puis l'a prise par les chevox.
Li vilains, qui mout estoit fox,
l'a batue tot autresi
con s'el l'eüst bien deservi ;
puis si s'en va les chans arer,
et cele remest a plorer.
"Lasse, fet el, que feré
et conment me consellerai ?
Lasse, fet el, maleüree,
lasse, por quoi fui onques nee ?
Diex, con sui ore malbaillie !
Diex, con m'a mes peres traïe,
qui m'a donee a cest vilein !
Cuidoie ge morir de fein ?
Certes, j'oi bien el cuer la rage,
quant j'ostriai le mariage.
Diex, por quoi fu ma mere morte ?"
[Einsi cele se desconforte,
si a ploré au lonc du jour,
que le vilein vint de labour :
au pié sa fame se chaoit,
por Dex merci si li crioit :
"Dame, fet il, por Deu, merci !
Tot ce m'a fet fere Anemi.
De ce que batue vos ai
et de quantque mesfet vos ai
j'en sui dolenz et repentans."]
Tant li dist le vilein puans
que la dame lors li pardone
et a mengier tantost li done
de quantqu'ele a apareillé.
Quant il orent assez mengié,
couchier alerent tot en pes.
Do Mire de Brai, Fabliaux du Moyen Âge, t.1, éd. Ph. Ménard, Genève, Droz, 1979, vers 73-109.
Je vous mets des repères en gras.

TRADUCTION ET LEXIQUE : Traduire les vers 22 à 31 (de Einsi cele se desconforte à repentans). Justifiez la traduction de merci aux vers 26 et 27, en vous appuyant sur une étude lexicologique précise.

PHONETIQUE ET GRAPHIE : Expliquez l'origine des différentes graphies de e et leur évolution dans les mots suivants : nee (v.14), du latin nata ; mere (v.21), du latin mater et pes (v.37), du latin pacem.

MORHO-SYNTAXE : Donnez les paradigmes complets correspondants aux formes cele (v.10 et 22) et cest (v.17), retracez l'évolution du système des démonstratifs jusqu'en FM et commentez l'emploi des formes du texte.

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par abricotedapi Jeu 20 Juin 2013, 19:02
Et pour ma part, j'ai été contente de l'épreuve de langue, je n'ai rien trouvé de difficile. J'ai toujours aimé cette épreuve de toute façon.
Quant à la dissertation, je n'aime pas cette épreuve et ce sujet m'a paru aussi pompeux que les autres... mais je préfère le sujet de novembre.

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par Sei Jeu 20 Juin 2013, 19:19
Merci Abricote ! Very Happy

J'aime aussi ENORMEMENT la grammaire, et cela a été une vraie et belle découverte. :aat: Débutante cette année, j'ai mis longtemps avant de bien comprendre l'épreuve, car les compétences requises sont très variées et le vocabulaire savant ainsi que la logique grammaticale sont un coup de main à prendre, mais mes efforts ont payé, et mon dernier devoir rendu au CNED était excellent. Pour cette épreuve proprement dite, je n'y ai pas trouvé de difficultés particulières, le texte de Céline se laissait aisément aborder d'un point de vue stylistique, mais je me suis plantée lamentablement, je suis à fouetter.

En revanche, j'ai de grosses difficultés en ancien français. Je débute également et, sans professeur, j'ai trouvé cela difficile. J'ai trouvé du plaisir à lire Tristan et Iseult dans le texte et à travailler le vocabulaire, mais j'ai vomi phonétique, syntaxe, etc. La nuit, je rêvais d'évolutions phonétiques, sans pour autant parvenir à un véritable esprit de synthèse. Il m'aurait fallu une année de plus pour atteindre un niveau correct, et, peu avant le CAPES, me rendant compte de mon très mauvais niveau, j'ai préféré me concentrer sur la grammaire. C'est dommage, car le sujet d'ancien français ne semblait pas difficile, et je pense que nombreux y ont gagné des points. J'ai traité deux questions sur les trois, mais très mal, juste histoire de gratter quelques points.
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par abricotedapi Jeu 20 Juin 2013, 19:31
C'est vrai que l'AF seul, ça doit être dur, il y a peu de livres clairs... J'ai eu la chance d'avoir un enseignant génial en AF, j'ai bien compris la langue et je l'ai adorée avec lui. Par contre, la phonétique, c'était avec un autre enseignant et j'ai eu beaucoup de mal avec le latin... Je trouve même ça assez difficile.

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par Sei Jeu 20 Juin 2013, 19:42
Ben... j'ai mis du temps à trouver un livre clair pour la phonétique, mais le Précis de Laborderie est franchement pas mal. Mais j'ai raaaaamé quand même.

J'aurais aimé avoir un prof pour entrer dans la langue, pour y avoir un accès par le biais de quelqu'un intéressé. Cela m'a fait prendre conscience de la NECESSITE absolue des enseignants (en Suisse, ils veulent faire étudier les lycéens en autonomie).

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par Bobby-Cowen Jeu 20 Juin 2013, 20:42
Habituellement, sortant des épreuves - concours ou autres - je me barre en courant pour éviter de discuter de mes copies... parce que vos avis me font peur ! rien qu'à vous lire, là, je vois que je n'ai absolument pas le niveau...
dire que j'ai eu un blanc en grammaire française et que j'ai mis trois lignes sur les déterminants avant la toute fin de l'épreuve ; dire que j'ai quand même fait un "bon" truc en compo (mais rien d'aussi travaillé que Sachaelle 😢) ; dire que je me suis plantée en phonétique...

Bon, en fait, hein, j'attends même pas les résultats en juillet, je me réinscris en septembre. Je referai plonger les stats' ! Embarassed
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par sachaelle Jeu 20 Juin 2013, 21:13
No panic!!!! 
1. Je n'ai pas ouvert un bouquin pour les écrits, donc ma dissert et loin d'être "travaillée" et d'ailleurs je ne vois pas pourquoi j'ai parlé de la nouvelle dans une dissert qui traite du roman!

2. J'ai fait l'impasse sur l'AF à la session de novembre et je suis quand même admissible à l'oral la semaine prochaine ce qui est un comble!

A mon avis tu as VRAIMENT toutes tes chances Bobby!
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par Nadejda Jeu 20 Juin 2013, 21:59
Bobby-Cowen a écrit:Habituellement, sortant des épreuves - concours ou autres - je me barre en courant pour éviter de discuter de mes copies... parce que vos avis me font peur ! rien qu'à vous lire, là, je vois que je n'ai absolument pas le niveau...
dire que j'ai eu un blanc en grammaire française et que j'ai mis trois lignes sur les déterminants avant la toute fin de l'épreuve ; dire que j'ai quand même fait un "bon" truc en compo (mais rien d'aussi travaillé que Sachaelle 😢) ; dire que je me suis plantée en phonétique...

Bon, en fait, hein, j'attends même pas les résultats en juillet, je me réinscris en septembre. Je referai plonger les stats' ! Embarassed

Tu verras bien ! Et puis en lisant les autres on trouve toujours qu'on aurait pu parler de ceci, cela... Le sujet de dissert pouvait du reste donner lieu à beaucoup de développements différents.

Pour compléter ce que j'avais déjà écrit sur l'autre topic :

J'ai aussi insisté sur cette idée de forme qui semble être la référence pour juger de la qualité d'un roman (et que Segalen raille un peu). La forme trop mécanique, parfois artificielle avec ses rebondissements improbables, et qui s'essouffle un peu trop vite ou devient rapidement illisible (comme pour les romans-fleuves du XVIIe siècle). Mais c'est en jouant peut-être avec cet informe, en l'éprouvant que le roman s'affranchit de cette définition rigide : en brouillant bien sûr les genres (au point qu'on parle aujourd'hui davantage de "récit") mais aussi en ne faisant plus du temps l'instrument d'une structure mais l'objet même qui pèse sur la forme (de Proust à Joyce avec ses monologues étirés qui font éclater les ficelles romanesques et tirent vers l'épiphanie poétique), en risquant à tout instant de faire imploser la forme (j'ai parlé de Bolano par exemple dont les romans se désossent, plongent dans le Mal qu'ils scrutent ; même chose chez Lowry) ou, de façon plus critique et ludique à la fois, et ce dès les origines (la satura, Don Quichotte, Rabelais et ses parodies burlesques), en dévoilant l'envers du décor, si je puis dire, en jouant avec les codes romanesques attendues dont ont peut-être abusé les auteurs de romans baroques et héroïques puis réalistes / naturalistes : Sterne, Diderot etc. Et de là vient le plaisir du texte, de ce jeu avec une matière pesante et des recettes éprouvées. C'est ce qui le renouvelle (et Segalen était contemporain de ces métamorphoses). On a trop voulu codifier le roman après l'avoir décrié au XVIIe siècle, et c'est précisément parce qu'on le soupçonnait d'être trop souple, "bâtard" (disait Baudelaire, je crois). Peu importe qu'il soit parfois mal fichu, court, long ou mené sur 300 pages, son triomphe ne s'évalue pas à l'aune de tels critères. Mais j'aime les romans mal foutus, faut dire.
Mon plan plus précis :

I (Pour justifier la définition donnée par Segalen du roman, même s'il le juge sévèrement) Le roman tire d'abord sa substance et sa force de sa composition strictement romanesque (mécanique et ouverte à l'imaginaire), longuement dépliée jusqu'à l'essoufflement
1. La fortune éditoriale et critique du roman tient à son pouvoir de raconter de longues histoires
fiction < fingo, ere, fictum = feindre
- Dépaysement à suivre une machine bien huilée avec de multiples rebondissements, cf. les romans de cape et d'épée de Dumas avec force épisodes et "coups de théâtre", cf. aussi l'émerveillement du jeune Sartre (dans les Mots) en lisant Zévaco
- Agrément à voir des destins s'accomplir, aller jusqu'au bout contrairement à la vie, où tout n'est pas si linéaire (c'est ce qu'explique Camus dans L'Homme révolté)
- Tout cela repose sur un pacte de lecture fondé sur l'illusion romanesque, le fait de croire à une logique concurrente mais supposée proche de la nôtre (jusqu'au risque du don quichottisme / bovarysme)
2. Conditions minimales à la qualification d'un texte comme roman
Repartie de la définition de Huet ("histoires feintes d'aventures amoureuses écrites en prose et avec art pour le plaisir et l'instruction des lecteurs") : cadre qui servira à juger la qualité des romans de l'âge classique mais aussi au-delà de cette époque
Des modèles ont contribué à faire croire à la nécessité de la durée, d'un cadre spatio-temporel, d'une certaine profusion
- L'héritage baroque et précieux, ex. L'Astrée et avant, dès le XIVe siècle (mais traduit au XVIe siècle) les romans de chevalerie Amadis de Gaule, précurseur des romans-fleuves qui auraient pu attirer les reproches de Segalen
- Le primat réaliste, voire naturaliste, comme manière de justifier la nécessité du genre romanesque et sa réussite (alors que rien n'est moins sûr pour Segalen)
- Le calque sur la conversation (comme dans Clélie) et les ressorts psychologiques s'insérant dans la "suite des causes et effets" mais sans toujours beaucoup de vraisemblance
3. D'où un risque d'artificialité
- Le roman a été longtemps décrié, et ce dès l'âge classique (Sorel, Lenglet-Dufresnoy, l'Abbé Porée, Rousseau y compris au sein de ses propres romans) : en plus du soupçon d'immoralité qui pesait sur lui, on l'accusait d'être mal façonné, artificiel, invraisemblable, ridicule (ce que montre Furetière avec le personnage de Javotte)
- Illusion dont ne sont pas du reste dupes les réalistes eux-mêmes, "illusionnistes de talent" selon Maupassant, lui qui insistait sur la nécessité de faire des choix et de non d'ambitionner des oeuvres totalisantes à l'exemple des sommes balzacienne et zolienne (dans lesquelles le projet a pu devenir "formule médiocre", prétexte, se prêtant mal à des métamorphoses ("transsubstantiation") en d'autres genres, comme l'envisageait Balzac avec ses études philosophiques et analytiques)
- Le reproche que fait Segalen sera repris par les surréalistes dont Breton dans son Manifeste de 1924 : il y critique l'imagerie de "cartes postales" des romans réalistes et envisage un autre romanesque, fait d'errances

II Mais ce que reproche Segalen au genre romanesque tel qu'il subsiste dans l'imaginaire collectif vient peut-être d'une confusion entre roman comme genre et romanesque (l'idée de "formule", de "suite de causes et d'effets" etc.) : le roman s'éprouve en se soustrayant à toute règle attendue
1. Même les romanciers répondant le mieux à la définition de roman ne peuvent se satisfaire de la seule conduite d'une intrigue rondement menée, sur une certaine longueur
Il subsiste toujours un risque de lassitude à ne se contenter que d'une définition aussi restrictive du roman, à sa formulation paresseuse
- Dès 1678 avec La Princesse de Clèves, des modèles concurrents au roman viennent se fondre en lui et le recomposer, comme la nouvelle historique (ou chronique), certes déjà présents dans les romans héroïques mais souvent mal reliés à l'ensemble. C'est ainsi que le genre et l'histoire littéraire évoluent.
- En retour, le roman tire son triomphe du miroir déformé qu'il offre à la société. La grossièreté raillée par Segalen était peut-être une qualité dans la mesure où elle propose seulement un canevas au roman. C'est en accueillant d'autres formes et sous-genres, en se libérant de sa logique de causalité que le roman peut contrer sa nature laborieuse, roborative
2. C'est même en menaçant de se rompre que le roman se renouvelle et prouve sa grandeur
- Il est nécessaire que le romancier reste assez indifférent à la définition minimale de roman afin que son oeuvre ne ressemble pas à l'image caricaturale que donne Segalen du roman : d'où une déconstruction de la logique (par ex. de l'ordre chronologique) dans les romans-mondes et romans-monstres du XXe siècle tirant vers l'épiphanie poétique (ex. Joyce et Lowry)
- Le temps n'est plus un instrument dont on a besoin mais l'objet même du récit, ex. déjà chez Flaubert avec sa fameuse ellipse dans L'Education sentimentale, puis chez Proust (je crois que c'est plutôt ici que j'avais parlé des monologues joyciens étirant anormalement le roman autour du temps, de la simple parole, comme dans le monologue de Molly) Dans W., Perec fait du temps (l'enfance heureuse) un absent, un trou qu'il s'agit de combler par l'écriture au travers d'un récit rétrospectif envisagé comme un geste archéologique et d'une fable dystopique
- Relâchement maximal de la trame romanesque chez Bolano (j'ai parlé de mon impression de lectrice : à lire ses gros romans on a l'impression que le roman menace de basculer dans le trou noir du Mal que l'écrivain scrute dans 2666 et les Détectives sauvages) . Le roman perd son ossature, "se désosse"

III Au-delà des évolutions du genre, inévitables pour ce "genre bâtard" (Baudelaire), le roman se juge aussi peut-être en fonction du jeu à l'origine de son écriture — là résident peut-être sa réussite et le pied-de-nez à la définition trop restrictive qui lui colle à la peau. Le roman essaie toujours de jouer avec les codes attendus, qu'il reprend et dépasse. Il réfléchit en permanence sur elle-même au sein d'un cadre rigide devenu terrain d'expérimentation d'une langue et d'une forme
1. La critique du roman dans le roman lui-même
- Jeu sur l'artificialité et les conventions romanesques (la linéarité, les rebondissements etc.) dès la naissance du roman (la satura, Don Quichotte...) comme si ce jeu était consubstantiel au genre (ce qu'ont oublié certains romanciers ? sauf quand ils se font entendre par leur voix ironique)
ex. prologue de Gargantua, double lecture (roman comique avec les chansons à boire, tradition carnavalesque... mais aussi parodie burlesque de roman de chevalerie et de valeurs contraires à l'esprit humaniste)
- Pied-de-nez ironique, intervention auctoriale chez Sterne (nombreuses prises de parole de l'auteur + la page noire pour figurer le deuil) et Diderot dans Jacques le Fataliste (qui contre justement le fatalisme par de fréquentes remises en question de l'intrigue)
- Caractère contestable de l'idée d'irréversibilité de l'intrigue, par ex. (me suis fait plaisir) dans le récent livre de Jean-Marie Dallet, Ce que disent les morts et les vivants dans lequel le narrateur mène par le bout du nez du lecteur, lui faisant croire à une belle et touchante histoire d'amour... jusqu'à la toute dernière phrase, obligeant à tout reconsidérer (« Et même si je ne vous ai jamais rencontrée, même si tout cela relève du roman, je veux vous dire encore une fois avant de me taire, avant d’écrire le mot fin, Ma Chérie, mon amour. »)
2. "Aventure d'une écriture" qui prévaut ainsi sur la nécessité d'une forme impeccablement maîtrisée
- Après guerre, constat d'une sorte d'impossibilité et d'obscénité de la fiction traditionnelle : le regard se déplace des personnages (pantins) aux objets, rejouant ainsi autrement le réalisme : la perspective phénoménologique propre à un certain "nouveau roman" se teinte de fantastique par son refus de la tradition réaliste et de l'illusion romanesque
- Au point que ce soit le point de vue qui devient l'épreuve de l'écriture, comme chez Beckett dans sa trilogie romanesque (il n'y a plus seulement transsubstantiation en d'autres genres mais retournement complet des conditions d'accomplissement du genre romanesque)
3. Prospective : fusion de plus en plus saillante entre les genres, la critique se cristallisant sur l'idée d'indistinction générique
Et le roman réfléchissant davantage sa propre forme (rien de commun entre les gros romans du XIXe siècle et les gros pavés américains post-modernes, Pynchon, Gass, Gaddis, Vollmann...) : la métafiction a déstructuré la forme et empêché toute saisie du genre par un cadre critique ferme.
Dans le domaine français le roman se réduit à des formes courtes et perd même son nom de roman (concurrence du mot "récit" pour parler d'un roman qu'on ne sait trop comment qualifier, à mi-chemin de l'essai, du journal, de la prose poétique). Perte définitive de naïveté, désenchantement quant à l'idée de fiction.

Merde, c'est un peu long. :lol:


Dernière édition par Nadejda le Jeu 20 Juin 2013, 22:12, édité 1 fois
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Sujets du CAPES externe de lettres modernes / Juin 2013 Empty Re: Sujets du CAPES externe de lettres modernes / Juin 2013

par thrasybule Jeu 20 Juin 2013, 22:08
Nadejda, je trouve ça super bien.
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Sujets du CAPES externe de lettres modernes / Juin 2013 Empty Re: Sujets du CAPES externe de lettres modernes / Juin 2013

par Sei Ven 21 Juin 2013, 12:06
Même avis que Trasybule, Nadejda ! Very Happy

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Sujets du CAPES externe de lettres modernes / Juin 2013 Empty Re: Sujets du CAPES externe de lettres modernes / Juin 2013

par Bobby-Cowen Ven 21 Juin 2013, 12:48
Avec ça, je descends dans les rues pour manifester si vous n'êtes pas parmi les premières au classement cette année ! Chapeau !
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