- Luigi_BGrand Maître
J'apprends aujourd'hui avec beaucoup de tristesse le décès d’Évelyne Martini, inspectrice de lettres pour qui j'avais une grande admiration.
Ses obsèques seront célébrées demain, mercredi 27 mars, à 15 heures en l’église Sainte-Marie des Batignolles à Paris 17e.
Je reproduis ici le dernier texte qu'elle a publié, le 31 janvier dernier, sur ce blog de "La Croix" consacré à l'école :
Ses obsèques seront célébrées demain, mercredi 27 mars, à 15 heures en l’église Sainte-Marie des Batignolles à Paris 17e.
Je reproduis ici le dernier texte qu'elle a publié, le 31 janvier dernier, sur ce blog de "La Croix" consacré à l'école :
La joie du maître
Une salle de classe, un « groupe-classe » ( comme on dit dans le jargon pédagogique ), une classe – pour reprendre la métonymie courante qui met en scène le contenant pour le contenu – c’est tout à la fois un lieu et un temps d’expérience de la menace et d’attente du miracle. Là se trouvent réunis, mis ensemble, des enfants ou des adolescents qui – sauf cas très particuliers – ne se sont pas choisis, sont aux prises chacun avec son histoire personnelle, et doivent s’en remettre à des adultes pas forcément consentants. La classe est miroir de pulsions et de passions, de transferts et de contre-transferts. Censée les contenir, les dissoudre et les faire évoluer implicitement.
Sans doute est-il possible de relever le défi. Mais imaginer que l’École – en la classe et par les rencontres vécues dans les classes – soit automatiquement civilisatrice, c’est se leurrer et s’aveugler. En classe il y a d’abord, et d’emblée, du danger. Abel et Caïn s’y croisent et s’y meurtrissent, orgueil et jalousie (parfois déguisés en « saine émulation ») investissent les cœurs et chacun sait obscurément que le Paradis s’est éloigné.
Pourtant la classe est aussi – grande espérance ! – le lieu du travail. Tout ce qui est donné là – les individus avec leurs situations diverses et aléatoires, les projets, les exigences – va être soumis au travail et à son pouvoir transformateur. Les égos vont se contraindre, les certitudes se fendre, les impulsions s’émousser. Pour que cette alchimie opère, ou que le miracle ait lieu, quelques conditions sont nécessaires, que l’on ne déclinera pas ici intégralement. Parmi elles, je distingue une forme d’état intérieur, chez l’enseignant, que j’aime à appeler « la joie du maître ». Pas seulement son excellence, sa compétence particulière – même s’ils constituent, ne l’oublions pas, le point de départ non négociable. Mais, les englobant et les dépassant, cette sécurité intérieure non spectaculaire, qui s’appuie sur un équilibre toujours relatif des forces propres à la personne, sur l’authenticité de son travail sur elle-même et sur une réaffirmation modeste de la conviction (pas forcément religieuse , la conviction – simplement humaniste parfois, mais d’un humanisme spirituel et espérant). Stabilité intérieure qu’il me paraît juste de désigner ici comme « joie ».
Seule cette joie se tient sûre d’elle devant les tentatives récurrentes du narcissisme, les relances toujours possibles de l’agressivité et de la colère. Sans la « joie d’être là » du maître, la classe reste plus ou moins soumise au désordre et à la loi du plus fort. Cette joie n’exclut ni les pertes d’entrain ni les petitesses passagères, car la joie du maître ne fait pas de lui un saint. Mais elle est l’arrière-fond qui tient ensemble les grandeurs comme les maladresses du professeur, le tient lui-même, et donne à voir à ses élèves un modèle – non parfait, mais congruent – d’humanité.
S’il advient, en outre, que ce maître congruent ait pour spécialité la littérature, nous pouvons frôler le miracle. Avec la littérature, nous voilà revenus aux passions, voire au pathos, à l’exubérance des émotions humaines et à leurs capacités destructrices et rédemptrices. Un des contenus les plus privilégiés qui soient pour ce qui est de la formation des esprits et pour leur accès à une première forme de maturité, en ce qu’il rend plus intelligible – par la distance et l’excellence de l’écriture - la vie de chacun à chacun, hors la classe et dans la classe.
Entre la logique brouillonne et souvent guerrière des relations humaines intra-scolaires et le bonheur d’entrer, par la littérature, dans une compréhension approfondie de ce que nous sommes, s’impose la joie du maître – plus importante que les meilleures des réformes -puissance de bonté qui dénoue les crispations de la tête et du coeur et qui éclaire les voies de la liberté intérieure.
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LVM Dernier billet : "Une École si distante"
- philannDoyen
Poups a écrit:Très beau texte !
Pareil!
- LédisséEsprit sacré
Magnifique en effet. Merci Luigi.
Un bel esprit qui s'est éteint là.
Un bel esprit qui s'est éteint là.
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Life is what happens to you while you're making other plans. John Lennon
Life is not governed by will or intention. Life is a question of nerves, and fibres, and slowly built-up cells in which thought hides itself and passion has its dreams. Oscar Wilde
Bien que femme, je me suis permis_ / demandé_ / rendu_ compte / fait_ désirer... etc._
- Invité24Vénérable
Magnifique texte.
Depuis qu'il a été posté je l'ai lu plusieurs fois, je le trouve tjs aussi juste.
Depuis qu'il a été posté je l'ai lu plusieurs fois, je le trouve tjs aussi juste.
- LilypimsGrand sage
philann a écrit:Poups a écrit:Très beau texte !
Pareil!
Je trouve aussi.
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