- ParatgeNeoprof expérimenté
John Taylor Gatto est un des critiques les plus féroces de l’École américaine. C’est un enseignant à la retraite avec près de 30 ans d’expérience et auteur de plusieurs ouvrages sur l’éducation. C’est un militant critique de la scolarité obligatoire, de la fracture entre l’adolescence et l’âge adulte et de ce qu’il qualifie de nature hégémonique du discours sur l’éducation et les professions de l’éducation.
Il est l’auteur d’une histoire de l’eneignement américain : The Underground History of American Education :
http://www.johntaylorgatto.com/chapters/index.htm
Contre l’École
http://www.wesjones.com/gatto1.htm
Comment l’éducation publique paralyse nos enfants, et pourquoi.
J’ai enseigné pendant trente ans dans certaines des pires écoles de Manhattan et dans quelques-unes des meilleures et pendant ce temps je suis devenu un expert de l’ennui. L’ennui est partout dans mon monde et si vous demandiez aux enfants, comme je l’ai souvent fait, pourquoi ils s’ennuyaient tant, ils donnaient toujours les mêmes réponses : ils disaient que le travail était stupide, qu’il n’avait pas de sens, qu’ils le savaient déjà. Ils disaient qu’ils voulaient faire quelque chose de réel et non pas simplement s’asseoir. Ils disaient que les enseignants ne semblaient pas en savoir beaucoup sur leurs matières et n’étaient clairement pas intéressés à en apprendre davantage. Et les enfants avaient raison : leurs enseignants s’ennuyaient tout autant qu’eux.
L’ennui est la condition commune des enseignants et toute personne qui a passé du temps dans une salle des professeurs peut témoigner du peu d’énergie, des lamentations, des attitudes découragées qu’on y trouve. Lorsqu’on leur demandait pourquoi ils s’ennuyaient, les enseignants avaient tendance à blâmer les enfants, comme on pouvait s’y attendre. Qui ne s’ennuierait pas à enseigner à des élèves grossiers et intéressés seulement par les notes ? Et encore. Bien sûr, les enseignants sont eux-mêmes les produits des douze mêmes années de programmes scolaires obligatoires qui ennuient si bien leurs élèves et en tant que personnel de l’École ils sont piégés à l’intérieur de structures encore plus rigides que celles imposées aux enfants. Qui, alors, est à blâmer ?
Nous tous. Mon grand-père me l’a appris. Un après-midi quand j’avais sept ans je me suis plaint à lui de m’ennuyer et il m’a frappé fort sur la tête. Il m’a dit que je ne devais plus utiliser ce terme en sa présence, que si je m’ennuyais c’était de ma faute et de personne d’autre. L’obligation de m’amuser et de m’instruire dépendait de moi-même et les gens qui ne le savaient pas étaient des gens infantiles, à éviter si possible. On ne pouvait certainement pas leur faire confiance. Cet épisode m’a guéri de l’ennui pour toujours et ici et là au fil des ans, j’ai été en mesure de répercuter la leçon à quelque élève remarquable. Pour la plupart, cependant, j’ai trouvé que c’était inutile de contester la notion officielle selon laquelle l’ennui et les enfantillages étaient l’état naturel des choses dans la salle de classe. Souvent, je devais défier et même plier la loi pour aider les enfants de sortir de ce piège.
L’empire a contre-attaqué, bien sûr, les adultes infantiles confondent régulièrement l’opposition avec la déloyauté. Une fois, je suis revenu d’un congé de maladie pour découvrir que toutes les preuves de mon autorisation d’absence avaient été volontairement détruites, que mon travail avait pris fin et que je ne possédais même pas une autorisation d’enseigner. Après neuf mois d’efforts tourmentés, j’ai pu récupérer la licence quand une secrétaire de l’école a témoigné en dévoilant le complot à l’œuvre. En attendant, ma famille a souffert plus que je ne veux m’en souvenir. Au moment où j’ai finalement pris ma retraite en 1991, j’avais plus d’une raison suffisante pour penser à nos écoles – avec leur longue durée, les cellules de style prison, l’isolement forcé des élèves et des enseignants – comme à des usines virtuelles d’enfantillage. Mais honnêtement, je ne voyais pas pourquoi elles devaient être comme ça. Ma propre expérience m’avait révélé ce que beaucoup d’autres enseignants doivent apprendre en cours de route, eux aussi, et garder pour eux par crainte de représailles : si nous le voulions nous pourrions facilement et à moindre coût larguer les anciennes structures stupides et aider les enfants à recevoir une éducation plutôt que de simplement recevoir une scolarité. Nous pourrions encourager les meilleures qualités de la jeunesse – la curiosité, l’aventure, la résilience, la capacité de compréhension surprenante – simplement en étant plus souple sur le temps, les textes et les devoirs, en présentant les enfants à des adultes véritablement compétents et en donnant à chaque élève l’autonomie dont il ou elle a besoin afin de prendre des risques de temps en temps.
Mais nous ne le faisons pas. Et plus je me suis demandé pourquoi pas et plus j’ai persisté dans la réflexion sur le « problème » de l’École comme le ferait un ingénieur, moins je comprenais : et s’il n’y avait pas de « problème » avec nos écoles ? Et si elles sont comme elles sont, à ainsi défier le bon sens et une longue expérience dans la façon dont les enfants apprennent des choses, non pas parce qu’elles faisaient quelque chose de mal, mais parce qu’elles faisaient quelque chose de bien ? Est-il possible que George W. Bush ait accidentellement dit la vérité quand il a dit que nous « ne n’abandonnerions aucun enfant » ? Se pourrait-il que nos écoles soient conçues pour s’assurer que pas un seul d’entre eux ne grandisse jamais vraiment ?
Avons-nous vraiment besoin de l’École ? Je ne veux pas dire l’éducation, mais simplement la scolarisation forcée : six cours par jour, cinq jours par semaine, neuf mois par an, pendant douze ans. Cette routine mortelle est-elle vraiment nécessaire ? Et si oui, pour quoi faire ? Ne vous cachez pas derrière la lecture, l’écriture et l’arithmétique comme justification, parce que 2 millions d’heureux d’enfants scolarisés à domicile ont démenti cette justification banale. Même si cela n’existait pas, un nombre considérable de célèbres Américains ne sont jamais passés à travers l’essoreuse de douze ans que nos enfants traversent actuellement et ils s’en sont trouvés bien. George Washington, Benjamin Franklin, Thomas Jefferson, Abraham Lincoln ? Quelqu’un leur a enseigné, bien sûr, mais ils n’étaient pas les produits d’un système scolaire et aucun d’entre eux n’a jamais été « diplômé » d’une école secondaire. Pendant la majeure partie de l’histoire américaine, les enfants ne sont généralement pas allés au lycée, mais les non scolarisés ont réussi à être amiraux, comme Farragut, inventeurs, comme Edison, capitaines d’industrie, comme Carnegie et Rockefeller, écrivains, comme Melville et Twain et Conrad ; et même savants, comme Margaret Mead. En fait, jusqu’à assez récemment les personnes qui avaient atteint l’âge de treize ans n’étaient pas du tout considérées comme des enfants. Ariel Durant, qui a co-écrit une énorme et très bonne histoire du monde en plusieurs volumes avec son mari Will, était mariée et heureuse à quinze ans et qui pourrait raisonnablement prétendre qu’Ariel Durant était une personne sans éducation ? Non scolarisée, peut-être, mais pas sans éducation.
On nous a enseignés (c’est-à-dire scolarisés) dans ce pays à penser à la « réussite » comme synonyme, ou du moins dépendant de « l’École », mais historiquement, ce n’est pas vrai dans les deux sens intellectuel ou financier. Et beaucoup de gens partout dans le monde d’aujourd’hui trouvent un moyen de se former sans avoir recours à un système d’écoles secondaires obligatoires qui trop souvent ressemblent à des prisons. Pourquoi, alors, les Américains confondent-ils l’éducation avec un tel système ? Quel est exactement le but de nos écoles publiques ?
La scolarisation de masse au caractère obligatoire a fait vraiment ses dents aux États-Unis entre 1905 et 1915, même si elle a été conçue beaucoup plus tôt et mise en œuvre pendant la majeure partie du XIXe siècle. La raison invoquée pour cet énorme bouleversement de la vie familiale et des traditions culturelles était, grosso modo, de trois ordres :
1) Pour faire de bonnes personnes.
2) Pour faire de bons citoyens.
3) Pour que chaque personne arrive à son meilleur.
Ces objectifs sont toujours ressassés aujourd’hui régulièrement et la plupart d’entre nous les acceptent sous une forme ou une autre comme une définition convenable de la mission de l’éducation publique, quoique les écoles n’arrivent pas à les réaliser. Mais nous avons tout à fait tort. Pour aggraver notre erreur il y a le fait que notre littérature contient de nombreuses déclarations étonnamment cohérentes sur le véritable but de la scolarité obligatoire. Nous avons, par exemple, le grand H.L. Mencken, qui a écrit dans The American Mercury d’avril 1924 que « l’objectif de l’enseignement public n’est pas de remplir les jeunes de l’espèce de connaissances et d’éveiller leur intelligence… Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. L’objectif... est tout simplement de réduire les individus autant que possible au même niveau en toute sécurité, d’élever et de former une population normalisée, de réprimer la dissidence et l’originalité. C’est son but aux États-Unis… et c’est son but partout ailleurs. »
En raison de la réputation de satiriste de Mencken, nous pourrions être tentés de rejeter ce passage comme un morceau de sarcasme hyperbolique. Son article, cependant, continue et retrouve la trace du modèle de notre propre système éducatif dans l’État militariste de Prusse aujourd’hui disparu, mais qu’on ne doit jamais oublier. Et même s’il était certainement conscient de l’ironie que l’on ait été récemment en guerre avec l’Allemagne, héritière de la pensée et de la culture prussiennes, Mencken était ici parfaitement sérieux. Notre système éducatif est vraiment d’origine prussienne et c’est vraiment inquiétant.
Le fait étrange d’une provenance prussienne de nos écoles apparaît encore et encore, une fois que vous savez le chercher. William James y a fait allusion à plusieurs reprises à la fin du siècle. Orestes Brownson, le héros du livre de Christopher Lasch, Le seul et vrai paradis (1991), a publiquement dénoncé la prussianisation des écoles américaines dès les années 1840. Le « Septième rapport annuel » de Horace Mann au Massachusetts State Board of Education en 1843 est essentiellement un hymne à la terre de Frédéric le Grand et un appel à implanter son École ici. Que la culture prussienne ait pesé lourd en Amérique n’est guère surprenant, compte tenu de notre association précoce avec cet État utopique. Un Prussien servit comme aide de camp de Washington pendant la guerre d’Indépendance et tant d’individus de langue allemande se sont installés ici que vers 1795 le Congrès a examiné la publication d’une édition en langue allemande des lois fédérales. Mais ce qui choque, c’est que nous ayons dû adopter avec tant d’empressement l’un des pires aspects de la culture prussienne : un système éducatif qui vise délibérément à produire des intelligences médiocres, à paralyser la vie intérieure, à nier aux élèves des compétences en leadership appréciables et à s’assurer des citoyens dociles et incomplets – tout ceci afin de rendre la populace « gérable ».
Ce fut par James Bryant Conant – président de Harvard pendant vingt ans, spécialiste des gaz pendant la Première Guerre mondiale, haut-commissaire du projet de bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale, haut-commissaire de la zone américaine en Allemagne après 1945 et vraiment l’un des personnages les plus influents de la XXe siècle – que j’ai d’abord eu vent des objectifs réels de l’École américaine. Sans Conant, nous n’aurions probablement pas le même style et le même degré de tests standardisés dont nous jouissons aujourd’hui, ni nous ne serions gratifiés d’écoles secondaires gargantuesques qui entreposent 2.000 à 4.000 élèves à la fois, comme le fameux lycée de Columbine à Littleton, au Colorado. Peu de temps après que j’ai pris ma retraite de l’enseignement j’ai trouvé le livre de Conant, long comme un essai, L’enfant, le parent et l’État (1959), et j’ai été plus qu’un peu intrigué de lui voir dire en passant que les écoles modernes que nous voyons sont le résultat d’une « révolution » conçue entre 1905 et 1930. Une révolution ? Il refuse de développer, mais il dirige les curieux et les ignorants vers le livre paru en 1918 d’Alexander Inglis, Principes de l’enseignement secondaire, dans lequel « on voyait cette révolution à travers les yeux d’un révolutionnaire. »
Inglis, dont une conférence sur l’éducation à Harvard porte le nom, est parfaitement clair en montrant que la scolarité obligatoire sur ce continent était faite pour ce qu’elle avait été pour la Prusse des années 1820 : une cinquième colonne dans l’émergence du mouvement démocratique qui menaçait de donner aux paysans et aux prolétaires une voix à la table des négociations. La scolarité obligatoire, moderne, industrialisée, était conçue pour faire une sorte d’incision chirurgicale dans l’unité potentielle de ces classes inférieures. Divisez les enfants par disciplines, par classes, par classements constants à des tests et par beaucoup d’autres moyens plus subtils, et il était peu probable que la masse ignorante de l’humanité, séparée dans l’enfance, ne serait jamais réintégrée dans un ensemble dangereux.
Inglis décompose le but – le but réel – de la scolarité moderne en six fonctions de base, dont chacune d’elles suffit à faire dresser les cheveux sur la tête de ceux assez innocents pour croire aux trois objectifs traditionnels énumérés plus haut :
1) La fonction correctrice ou adaptative. Les écoles doivent établir des habitudes fixes de réaction à l’autorité. Ceci, bien sûr, exclut complètement le jugement critique. Ceci détruit également à peu près complètement l’idée que les matières utiles ou intéressantes devraient être enseignées, parce qu’on ne peut pas tester l’obéissance réflexe avant qu’on sache si on peut faire apprendre et faire faire aux enfants des choses stupides et ennuyeuses.
2) La fonction d’intégration. Ceci pourrait bien être appelé « fonction de conformité » parce que son intention est de rendre les enfants aussi semblables que possible. Les gens qui se conforment sont prévisibles et c’est d’une grande utilité pour ceux qui souhaitent exploiter et manipuler une main-d’œuvre importante.
3) La fonction de diagnostic et de directive. L’École a pour but de déterminer le bon rôle social de chaque élève. Ceci se fait en consignant des preuves mathématiquement et de façon anecdotique dans des dossiers cumulatifs. Comme dans « votre dossier permanent ». Oui, vous en avez un.
4) La fonction de différenciation. Une fois leur rôle social « diagnostiqué », les enfants doivent être triés par rôle et formés uniquement aussi loin que leur destination dans la machine sociale le mérite – et pas plus loin. Tant pis pour les enfants et leurs possibilités.
5) La fonction de sélection. Il ne s’agit pas d’un choix humain du tout mais de la théorie de Darwin sur la sélection naturelle appliquée à ce qu’il appelle « les races favorisées ». En bref, l’idée est de faire avancer les choses en essayant consciemment d’améliorer le cheptel reproducteur. Les écoles sont censées marquer les inaptes – avec de mauvaises notes, des classes de rattrapage et d’autres sanctions – assez clairement pour que leurs pairs les acceptent comme inférieurs et les écartent efficacement de la loterie de la reproduction. C’est ce que toutes ces petites humiliations à partir de la première année étaient destinées à faire : séparer le bon grain de l’ivraie.
6) La fonction propédeutique. Le système sociétal sous-entendu par ces règles fait qu’il faudra un groupe d’élite de gardiens. À cette fin, on apprendra tranquillement à une petite fraction des enfants à gérer ce projet de longue haleine, à comment surveiller et contrôler une population délibérément abêtie et à qui on a enlevé les griffes afin que le gouvernement puisse agir sans être contesté et que les sociétés puissent ne manquent jamais de main-d’œuvre docile.
Ce qui, malheureusement, est le but de l’enseignement public obligatoire dans ce pays. Et de peur que vous preniez Inglis pour un original isolé ayant un sentiment un peu trop cynique sur l’entreprise éducative, vous devriez savoir qu’il n’était pas le seul à défendre ces idées. Conant lui-même, s’appuyant sur les idées de Horace Mann et d’autres, fit campagne sans relâche pour un système scolaire américain conçu dans le même sens. Des hommes tel que George Peabody, qui a financé la cause de la scolarité obligatoire dans tout le Sud, ont bien sûr compris que le système prussien était utile pour non seulement créer un électorat sans danger et une main-d’œuvre servile, mais aussi un troupeau virtuel de consommateurs stupides. Avec le temps un grand nombre de géants de l’industrie en sont venus à reconnaître les énormes profits à faire en cultivant et en gardant un tel troupeau au moyen de l’enseignement public, notamment Andrew Carnegie et John D. Rockefeller.
Maintenant vous avez les sources. Maintenant, vous savez. Nous n’avons pas besoin de la conception de Karl Marx d’une lutte de grande envergure entre les classes pour voir qu’il est dans l’intérêt de la gestion complexe, économique ou politique, de crétiniser les gens, de les démoraliser, de les diviser entre eux et de les jeter s’ils ne sont pas conformes. La notion de classe peut servir de cadre à la proposition, comme quand Woodrow Wilson, alors président de l’Université de Princeton, déclara ce qui suit à la New York Teachers Association School en 1909 : « Nous voulons qu’une catégorie de personnes aient une éducation libérale et nous voulons qu’une autre classe de personnes, une classe beaucoup plus vaste, par nécessité, dans chaque société, renonce aux privilèges d’une éducation libérale et s’adapte à exercer certaines tâches manuelles difficiles. » Mais les mobiles derrière ces décisions répugnantes qui provoquent ces fins n’ont pas besoin d’être basés du tout sur la classe. Ils peuvent provenir purement de la peur ou de la croyance maintenant familière que « l’efficacité » est la vertu suprême, plutôt que l’amour, la liberté, le rire ou l’espoir. Par-dessus tout, ils peuvent provenir de la simple cupidité.
Il y avait d’immenses fortunes à faire, après tout, dans une économie fondée sur la production de masse et organisée pour favoriser la grande entreprise plutôt que la petite entreprise ou la ferme familiale. Mais la production de masse nécessite la consommation de masse et au début du XXe siècle, la plupart des Américains considéraient à la fois non naturel et peu judicieux d’acheter des choses dont ils n’avaient pas réellement besoin. La scolarité obligatoire fut une aubaine de ce point de vue. L’École n’avait pas à former les enfants directement à penser qu’ils devraient consommer sans arrêt, parce qu’elle a fait quelque chose d’encore mieux : elle les a encouragés à ne pas penser du tout. Et ceci en a fait des cibles faciles pour une autre grande invention de l’ère moderne – le marketing.
Maintenant, vous n’avez besoin d’avoir étudié le marketing pour savoir qu’il y a deux groupes de personnes qui peuvent toujours être convaincues de consommer plus que ce dont elles ont besoin : les drogués et les enfants. L’École a fait un très bon travail pour transformer nos enfants en drogués mais elle a fait un travail spectaculaire en transformant nos enfants en enfants. Encore une fois, ce n’est pas un hasard. Les théoriciens de Platon à Rousseau jusqu’à notre propre Dr Inglis savaient que si les enfants pouvaient être cloîtrés avec d’autres enfants, dépouillés de responsabilité et d’indépendance, encouragés à développer seulement les émotions banales de la cupidité, de l’envie, de la jalousie, de la peur, ils vieilliraient, mais ne grandiraient jamais vraiment. Dans l’édition de 1934 de son ouvrage bien connu Public Education in the United States, Ellwood P. Cubberley a détaillé et a salué la façon dont la stratégie des élargissements successifs de l’École avait allongé l’enfance de deux à six ans et la scolarisation forcée à cette époque était encore tout à fait nouvelle. Ce même Cubberley – qui était doyen de la faculté d’éducation de Stanford, rédacteur de manuels scolaires à Houghton Mifflin, ami de Conant et correspondant à Harvard – a écrit ce qui suit dans l’édition de 1922 de son livre Public School Administration : « Nos Écoles sont... des usines dans lesquelles les produits bruts (les enfants) sont à mettre en forme et à façonner... Et c’est l’affaire de l’École de construire ses élèves selon les spécifications établies. »
Il est parfaitement évident en voyant notre société actuelle de comprendre ce qu’étaient ces spécifications. La maturité a maintenant été bannie de presque chaque aspect de nos vies. Les lois sur le divorce faciles ont supprimé la nécessité de travailler à des relations ; le crédit facile a éliminé la nécessité de maîtriser ses finances ; le divertissement facile a supprimé la nécessité d’apprendre à se divertir ; les réponses faciles ont supprimé la nécessité de poser des questions. Nous sommes devenus une nation d’enfants, heureux d’abandonner nos jugements et nos volontés aux exhortations politiques et aux flatteries commerciales qui insulteraient de véritables adultes. Nous achetons des téléviseurs, puis nous achetons des choses que nous voyons à la télévision. Nous achetons des ordinateurs, puis nous achetons des choses que nous voyons sur l’ordinateur. Nous achetons des chaussures de sport à 150 $ que nous en ayons besoin ou pas et quand elles tombent trop tôt en morceaux nous en achetons une autre paire. Nous roulons en 4x4 et nous croyons au mensonge selon lequel ils constituent une sorte d’assurance-vie, même quand on se retrouve sur le toit. Et, pire que tout, nous ne sourcillons pas quand Ari Fleischer nous dit de « faire attention à ce que vous dites » même si on se rappelle qu’on nous a dit quelque part à l’école que l’Amérique est le pays de la liberté. Nous achetons tout simplement celui-là aussi. Notre École, comme prévu, y a veillé.
Maintenant, les bonnes nouvelles. Une fois que vous comprenez la logique derrière l’École moderne, ses ruses et ses pièges sont assez faciles à éviter. L’École forme les enfants à être des employés et des consommateurs ; apprenez aux vôtres à être des leaders et des aventuriers. L’École forme les enfants à obéir par réflexe ; ; apprenez aux vôtres à penser de façon critique et indépendante. Les enfants bien scolarisés ont un seuil d’ennui bas ; aidez les vôtres à développer une vie intérieure afin qu’ils ne s’ennuient jamais. Incitez-les à prendre la substance sérieuse, la substance adulte dans l’histoire, la littérature, la philosophie, la musique, l’art, l’économie, la théologie – tous les trucs que les enseignants savent bien qu’il faut éviter. Défiez vos enfants avec beaucoup de solitude afin qu’ils puissent apprendre à jouir de leur propre compagnie, à mener des dialogues intérieurs. Les gens bien scolarisés sont conditionnés à craindre d’être seuls et ils cherchent la compagnie constante à travers la télévision, l’ordinateur, le téléphone portable et à travers des amitiés superficielles et rapidement acquises et rapidement abandonnées. Vos enfants doivent avoir une vie plus profonde et ils le peuvent.
Mais d’abord, il faut prendre conscience de ce que nos écoles sont vraiment : des laboratoires d’expérimentation sur de jeunes esprits, des centres de dressage aux habitudes et aux attitudes que la société capitaliste exige. L’éducation obligatoire ne sert qu’accessoirement les enfants ; son but réel est de les transformer en serviteurs. Ne laissez pas vos propres enfants prolonger leur enfance, pas même d’un jour. Si David Farragut pouvait prendre le commandement d’un navire de guerre britannique capturé alors qu’il était un préadolescent, si Thomas Edison pouvait publier un journal grand format à l’âge de douze ans, si Benjamin Franklin au même âge pouvait lui-même être apprenti chez un imprimeur (alors que lui-même était soumis à un programme d’études qui étoufferait un diplômé de Yale d’aujourd’hui), on ne sait jamais ce que vos propres enfants pourraient faire. Après une longue vie et trente ans dans les tranchées des écoles publiques, j’en ai conclu que le génie est aussi commun que la saleté. Nous ne supprimons notre génie que parce que nous n’avons pas encore trouvé la façon de gérer une population d’hommes et de femmes instruits. La solution, je pense, est simple et glorieuse. Qu’ils se débrouillent eux-mêmes.
Il est l’auteur d’une histoire de l’eneignement américain : The Underground History of American Education :
http://www.johntaylorgatto.com/chapters/index.htm
Contre l’École
http://www.wesjones.com/gatto1.htm
Comment l’éducation publique paralyse nos enfants, et pourquoi.
J’ai enseigné pendant trente ans dans certaines des pires écoles de Manhattan et dans quelques-unes des meilleures et pendant ce temps je suis devenu un expert de l’ennui. L’ennui est partout dans mon monde et si vous demandiez aux enfants, comme je l’ai souvent fait, pourquoi ils s’ennuyaient tant, ils donnaient toujours les mêmes réponses : ils disaient que le travail était stupide, qu’il n’avait pas de sens, qu’ils le savaient déjà. Ils disaient qu’ils voulaient faire quelque chose de réel et non pas simplement s’asseoir. Ils disaient que les enseignants ne semblaient pas en savoir beaucoup sur leurs matières et n’étaient clairement pas intéressés à en apprendre davantage. Et les enfants avaient raison : leurs enseignants s’ennuyaient tout autant qu’eux.
L’ennui est la condition commune des enseignants et toute personne qui a passé du temps dans une salle des professeurs peut témoigner du peu d’énergie, des lamentations, des attitudes découragées qu’on y trouve. Lorsqu’on leur demandait pourquoi ils s’ennuyaient, les enseignants avaient tendance à blâmer les enfants, comme on pouvait s’y attendre. Qui ne s’ennuierait pas à enseigner à des élèves grossiers et intéressés seulement par les notes ? Et encore. Bien sûr, les enseignants sont eux-mêmes les produits des douze mêmes années de programmes scolaires obligatoires qui ennuient si bien leurs élèves et en tant que personnel de l’École ils sont piégés à l’intérieur de structures encore plus rigides que celles imposées aux enfants. Qui, alors, est à blâmer ?
Nous tous. Mon grand-père me l’a appris. Un après-midi quand j’avais sept ans je me suis plaint à lui de m’ennuyer et il m’a frappé fort sur la tête. Il m’a dit que je ne devais plus utiliser ce terme en sa présence, que si je m’ennuyais c’était de ma faute et de personne d’autre. L’obligation de m’amuser et de m’instruire dépendait de moi-même et les gens qui ne le savaient pas étaient des gens infantiles, à éviter si possible. On ne pouvait certainement pas leur faire confiance. Cet épisode m’a guéri de l’ennui pour toujours et ici et là au fil des ans, j’ai été en mesure de répercuter la leçon à quelque élève remarquable. Pour la plupart, cependant, j’ai trouvé que c’était inutile de contester la notion officielle selon laquelle l’ennui et les enfantillages étaient l’état naturel des choses dans la salle de classe. Souvent, je devais défier et même plier la loi pour aider les enfants de sortir de ce piège.
L’empire a contre-attaqué, bien sûr, les adultes infantiles confondent régulièrement l’opposition avec la déloyauté. Une fois, je suis revenu d’un congé de maladie pour découvrir que toutes les preuves de mon autorisation d’absence avaient été volontairement détruites, que mon travail avait pris fin et que je ne possédais même pas une autorisation d’enseigner. Après neuf mois d’efforts tourmentés, j’ai pu récupérer la licence quand une secrétaire de l’école a témoigné en dévoilant le complot à l’œuvre. En attendant, ma famille a souffert plus que je ne veux m’en souvenir. Au moment où j’ai finalement pris ma retraite en 1991, j’avais plus d’une raison suffisante pour penser à nos écoles – avec leur longue durée, les cellules de style prison, l’isolement forcé des élèves et des enseignants – comme à des usines virtuelles d’enfantillage. Mais honnêtement, je ne voyais pas pourquoi elles devaient être comme ça. Ma propre expérience m’avait révélé ce que beaucoup d’autres enseignants doivent apprendre en cours de route, eux aussi, et garder pour eux par crainte de représailles : si nous le voulions nous pourrions facilement et à moindre coût larguer les anciennes structures stupides et aider les enfants à recevoir une éducation plutôt que de simplement recevoir une scolarité. Nous pourrions encourager les meilleures qualités de la jeunesse – la curiosité, l’aventure, la résilience, la capacité de compréhension surprenante – simplement en étant plus souple sur le temps, les textes et les devoirs, en présentant les enfants à des adultes véritablement compétents et en donnant à chaque élève l’autonomie dont il ou elle a besoin afin de prendre des risques de temps en temps.
Mais nous ne le faisons pas. Et plus je me suis demandé pourquoi pas et plus j’ai persisté dans la réflexion sur le « problème » de l’École comme le ferait un ingénieur, moins je comprenais : et s’il n’y avait pas de « problème » avec nos écoles ? Et si elles sont comme elles sont, à ainsi défier le bon sens et une longue expérience dans la façon dont les enfants apprennent des choses, non pas parce qu’elles faisaient quelque chose de mal, mais parce qu’elles faisaient quelque chose de bien ? Est-il possible que George W. Bush ait accidentellement dit la vérité quand il a dit que nous « ne n’abandonnerions aucun enfant » ? Se pourrait-il que nos écoles soient conçues pour s’assurer que pas un seul d’entre eux ne grandisse jamais vraiment ?
Avons-nous vraiment besoin de l’École ? Je ne veux pas dire l’éducation, mais simplement la scolarisation forcée : six cours par jour, cinq jours par semaine, neuf mois par an, pendant douze ans. Cette routine mortelle est-elle vraiment nécessaire ? Et si oui, pour quoi faire ? Ne vous cachez pas derrière la lecture, l’écriture et l’arithmétique comme justification, parce que 2 millions d’heureux d’enfants scolarisés à domicile ont démenti cette justification banale. Même si cela n’existait pas, un nombre considérable de célèbres Américains ne sont jamais passés à travers l’essoreuse de douze ans que nos enfants traversent actuellement et ils s’en sont trouvés bien. George Washington, Benjamin Franklin, Thomas Jefferson, Abraham Lincoln ? Quelqu’un leur a enseigné, bien sûr, mais ils n’étaient pas les produits d’un système scolaire et aucun d’entre eux n’a jamais été « diplômé » d’une école secondaire. Pendant la majeure partie de l’histoire américaine, les enfants ne sont généralement pas allés au lycée, mais les non scolarisés ont réussi à être amiraux, comme Farragut, inventeurs, comme Edison, capitaines d’industrie, comme Carnegie et Rockefeller, écrivains, comme Melville et Twain et Conrad ; et même savants, comme Margaret Mead. En fait, jusqu’à assez récemment les personnes qui avaient atteint l’âge de treize ans n’étaient pas du tout considérées comme des enfants. Ariel Durant, qui a co-écrit une énorme et très bonne histoire du monde en plusieurs volumes avec son mari Will, était mariée et heureuse à quinze ans et qui pourrait raisonnablement prétendre qu’Ariel Durant était une personne sans éducation ? Non scolarisée, peut-être, mais pas sans éducation.
On nous a enseignés (c’est-à-dire scolarisés) dans ce pays à penser à la « réussite » comme synonyme, ou du moins dépendant de « l’École », mais historiquement, ce n’est pas vrai dans les deux sens intellectuel ou financier. Et beaucoup de gens partout dans le monde d’aujourd’hui trouvent un moyen de se former sans avoir recours à un système d’écoles secondaires obligatoires qui trop souvent ressemblent à des prisons. Pourquoi, alors, les Américains confondent-ils l’éducation avec un tel système ? Quel est exactement le but de nos écoles publiques ?
La scolarisation de masse au caractère obligatoire a fait vraiment ses dents aux États-Unis entre 1905 et 1915, même si elle a été conçue beaucoup plus tôt et mise en œuvre pendant la majeure partie du XIXe siècle. La raison invoquée pour cet énorme bouleversement de la vie familiale et des traditions culturelles était, grosso modo, de trois ordres :
1) Pour faire de bonnes personnes.
2) Pour faire de bons citoyens.
3) Pour que chaque personne arrive à son meilleur.
Ces objectifs sont toujours ressassés aujourd’hui régulièrement et la plupart d’entre nous les acceptent sous une forme ou une autre comme une définition convenable de la mission de l’éducation publique, quoique les écoles n’arrivent pas à les réaliser. Mais nous avons tout à fait tort. Pour aggraver notre erreur il y a le fait que notre littérature contient de nombreuses déclarations étonnamment cohérentes sur le véritable but de la scolarité obligatoire. Nous avons, par exemple, le grand H.L. Mencken, qui a écrit dans The American Mercury d’avril 1924 que « l’objectif de l’enseignement public n’est pas de remplir les jeunes de l’espèce de connaissances et d’éveiller leur intelligence… Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. L’objectif... est tout simplement de réduire les individus autant que possible au même niveau en toute sécurité, d’élever et de former une population normalisée, de réprimer la dissidence et l’originalité. C’est son but aux États-Unis… et c’est son but partout ailleurs. »
En raison de la réputation de satiriste de Mencken, nous pourrions être tentés de rejeter ce passage comme un morceau de sarcasme hyperbolique. Son article, cependant, continue et retrouve la trace du modèle de notre propre système éducatif dans l’État militariste de Prusse aujourd’hui disparu, mais qu’on ne doit jamais oublier. Et même s’il était certainement conscient de l’ironie que l’on ait été récemment en guerre avec l’Allemagne, héritière de la pensée et de la culture prussiennes, Mencken était ici parfaitement sérieux. Notre système éducatif est vraiment d’origine prussienne et c’est vraiment inquiétant.
Le fait étrange d’une provenance prussienne de nos écoles apparaît encore et encore, une fois que vous savez le chercher. William James y a fait allusion à plusieurs reprises à la fin du siècle. Orestes Brownson, le héros du livre de Christopher Lasch, Le seul et vrai paradis (1991), a publiquement dénoncé la prussianisation des écoles américaines dès les années 1840. Le « Septième rapport annuel » de Horace Mann au Massachusetts State Board of Education en 1843 est essentiellement un hymne à la terre de Frédéric le Grand et un appel à implanter son École ici. Que la culture prussienne ait pesé lourd en Amérique n’est guère surprenant, compte tenu de notre association précoce avec cet État utopique. Un Prussien servit comme aide de camp de Washington pendant la guerre d’Indépendance et tant d’individus de langue allemande se sont installés ici que vers 1795 le Congrès a examiné la publication d’une édition en langue allemande des lois fédérales. Mais ce qui choque, c’est que nous ayons dû adopter avec tant d’empressement l’un des pires aspects de la culture prussienne : un système éducatif qui vise délibérément à produire des intelligences médiocres, à paralyser la vie intérieure, à nier aux élèves des compétences en leadership appréciables et à s’assurer des citoyens dociles et incomplets – tout ceci afin de rendre la populace « gérable ».
Ce fut par James Bryant Conant – président de Harvard pendant vingt ans, spécialiste des gaz pendant la Première Guerre mondiale, haut-commissaire du projet de bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale, haut-commissaire de la zone américaine en Allemagne après 1945 et vraiment l’un des personnages les plus influents de la XXe siècle – que j’ai d’abord eu vent des objectifs réels de l’École américaine. Sans Conant, nous n’aurions probablement pas le même style et le même degré de tests standardisés dont nous jouissons aujourd’hui, ni nous ne serions gratifiés d’écoles secondaires gargantuesques qui entreposent 2.000 à 4.000 élèves à la fois, comme le fameux lycée de Columbine à Littleton, au Colorado. Peu de temps après que j’ai pris ma retraite de l’enseignement j’ai trouvé le livre de Conant, long comme un essai, L’enfant, le parent et l’État (1959), et j’ai été plus qu’un peu intrigué de lui voir dire en passant que les écoles modernes que nous voyons sont le résultat d’une « révolution » conçue entre 1905 et 1930. Une révolution ? Il refuse de développer, mais il dirige les curieux et les ignorants vers le livre paru en 1918 d’Alexander Inglis, Principes de l’enseignement secondaire, dans lequel « on voyait cette révolution à travers les yeux d’un révolutionnaire. »
Inglis, dont une conférence sur l’éducation à Harvard porte le nom, est parfaitement clair en montrant que la scolarité obligatoire sur ce continent était faite pour ce qu’elle avait été pour la Prusse des années 1820 : une cinquième colonne dans l’émergence du mouvement démocratique qui menaçait de donner aux paysans et aux prolétaires une voix à la table des négociations. La scolarité obligatoire, moderne, industrialisée, était conçue pour faire une sorte d’incision chirurgicale dans l’unité potentielle de ces classes inférieures. Divisez les enfants par disciplines, par classes, par classements constants à des tests et par beaucoup d’autres moyens plus subtils, et il était peu probable que la masse ignorante de l’humanité, séparée dans l’enfance, ne serait jamais réintégrée dans un ensemble dangereux.
Inglis décompose le but – le but réel – de la scolarité moderne en six fonctions de base, dont chacune d’elles suffit à faire dresser les cheveux sur la tête de ceux assez innocents pour croire aux trois objectifs traditionnels énumérés plus haut :
1) La fonction correctrice ou adaptative. Les écoles doivent établir des habitudes fixes de réaction à l’autorité. Ceci, bien sûr, exclut complètement le jugement critique. Ceci détruit également à peu près complètement l’idée que les matières utiles ou intéressantes devraient être enseignées, parce qu’on ne peut pas tester l’obéissance réflexe avant qu’on sache si on peut faire apprendre et faire faire aux enfants des choses stupides et ennuyeuses.
2) La fonction d’intégration. Ceci pourrait bien être appelé « fonction de conformité » parce que son intention est de rendre les enfants aussi semblables que possible. Les gens qui se conforment sont prévisibles et c’est d’une grande utilité pour ceux qui souhaitent exploiter et manipuler une main-d’œuvre importante.
3) La fonction de diagnostic et de directive. L’École a pour but de déterminer le bon rôle social de chaque élève. Ceci se fait en consignant des preuves mathématiquement et de façon anecdotique dans des dossiers cumulatifs. Comme dans « votre dossier permanent ». Oui, vous en avez un.
4) La fonction de différenciation. Une fois leur rôle social « diagnostiqué », les enfants doivent être triés par rôle et formés uniquement aussi loin que leur destination dans la machine sociale le mérite – et pas plus loin. Tant pis pour les enfants et leurs possibilités.
5) La fonction de sélection. Il ne s’agit pas d’un choix humain du tout mais de la théorie de Darwin sur la sélection naturelle appliquée à ce qu’il appelle « les races favorisées ». En bref, l’idée est de faire avancer les choses en essayant consciemment d’améliorer le cheptel reproducteur. Les écoles sont censées marquer les inaptes – avec de mauvaises notes, des classes de rattrapage et d’autres sanctions – assez clairement pour que leurs pairs les acceptent comme inférieurs et les écartent efficacement de la loterie de la reproduction. C’est ce que toutes ces petites humiliations à partir de la première année étaient destinées à faire : séparer le bon grain de l’ivraie.
6) La fonction propédeutique. Le système sociétal sous-entendu par ces règles fait qu’il faudra un groupe d’élite de gardiens. À cette fin, on apprendra tranquillement à une petite fraction des enfants à gérer ce projet de longue haleine, à comment surveiller et contrôler une population délibérément abêtie et à qui on a enlevé les griffes afin que le gouvernement puisse agir sans être contesté et que les sociétés puissent ne manquent jamais de main-d’œuvre docile.
Ce qui, malheureusement, est le but de l’enseignement public obligatoire dans ce pays. Et de peur que vous preniez Inglis pour un original isolé ayant un sentiment un peu trop cynique sur l’entreprise éducative, vous devriez savoir qu’il n’était pas le seul à défendre ces idées. Conant lui-même, s’appuyant sur les idées de Horace Mann et d’autres, fit campagne sans relâche pour un système scolaire américain conçu dans le même sens. Des hommes tel que George Peabody, qui a financé la cause de la scolarité obligatoire dans tout le Sud, ont bien sûr compris que le système prussien était utile pour non seulement créer un électorat sans danger et une main-d’œuvre servile, mais aussi un troupeau virtuel de consommateurs stupides. Avec le temps un grand nombre de géants de l’industrie en sont venus à reconnaître les énormes profits à faire en cultivant et en gardant un tel troupeau au moyen de l’enseignement public, notamment Andrew Carnegie et John D. Rockefeller.
Maintenant vous avez les sources. Maintenant, vous savez. Nous n’avons pas besoin de la conception de Karl Marx d’une lutte de grande envergure entre les classes pour voir qu’il est dans l’intérêt de la gestion complexe, économique ou politique, de crétiniser les gens, de les démoraliser, de les diviser entre eux et de les jeter s’ils ne sont pas conformes. La notion de classe peut servir de cadre à la proposition, comme quand Woodrow Wilson, alors président de l’Université de Princeton, déclara ce qui suit à la New York Teachers Association School en 1909 : « Nous voulons qu’une catégorie de personnes aient une éducation libérale et nous voulons qu’une autre classe de personnes, une classe beaucoup plus vaste, par nécessité, dans chaque société, renonce aux privilèges d’une éducation libérale et s’adapte à exercer certaines tâches manuelles difficiles. » Mais les mobiles derrière ces décisions répugnantes qui provoquent ces fins n’ont pas besoin d’être basés du tout sur la classe. Ils peuvent provenir purement de la peur ou de la croyance maintenant familière que « l’efficacité » est la vertu suprême, plutôt que l’amour, la liberté, le rire ou l’espoir. Par-dessus tout, ils peuvent provenir de la simple cupidité.
Il y avait d’immenses fortunes à faire, après tout, dans une économie fondée sur la production de masse et organisée pour favoriser la grande entreprise plutôt que la petite entreprise ou la ferme familiale. Mais la production de masse nécessite la consommation de masse et au début du XXe siècle, la plupart des Américains considéraient à la fois non naturel et peu judicieux d’acheter des choses dont ils n’avaient pas réellement besoin. La scolarité obligatoire fut une aubaine de ce point de vue. L’École n’avait pas à former les enfants directement à penser qu’ils devraient consommer sans arrêt, parce qu’elle a fait quelque chose d’encore mieux : elle les a encouragés à ne pas penser du tout. Et ceci en a fait des cibles faciles pour une autre grande invention de l’ère moderne – le marketing.
Maintenant, vous n’avez besoin d’avoir étudié le marketing pour savoir qu’il y a deux groupes de personnes qui peuvent toujours être convaincues de consommer plus que ce dont elles ont besoin : les drogués et les enfants. L’École a fait un très bon travail pour transformer nos enfants en drogués mais elle a fait un travail spectaculaire en transformant nos enfants en enfants. Encore une fois, ce n’est pas un hasard. Les théoriciens de Platon à Rousseau jusqu’à notre propre Dr Inglis savaient que si les enfants pouvaient être cloîtrés avec d’autres enfants, dépouillés de responsabilité et d’indépendance, encouragés à développer seulement les émotions banales de la cupidité, de l’envie, de la jalousie, de la peur, ils vieilliraient, mais ne grandiraient jamais vraiment. Dans l’édition de 1934 de son ouvrage bien connu Public Education in the United States, Ellwood P. Cubberley a détaillé et a salué la façon dont la stratégie des élargissements successifs de l’École avait allongé l’enfance de deux à six ans et la scolarisation forcée à cette époque était encore tout à fait nouvelle. Ce même Cubberley – qui était doyen de la faculté d’éducation de Stanford, rédacteur de manuels scolaires à Houghton Mifflin, ami de Conant et correspondant à Harvard – a écrit ce qui suit dans l’édition de 1922 de son livre Public School Administration : « Nos Écoles sont... des usines dans lesquelles les produits bruts (les enfants) sont à mettre en forme et à façonner... Et c’est l’affaire de l’École de construire ses élèves selon les spécifications établies. »
Il est parfaitement évident en voyant notre société actuelle de comprendre ce qu’étaient ces spécifications. La maturité a maintenant été bannie de presque chaque aspect de nos vies. Les lois sur le divorce faciles ont supprimé la nécessité de travailler à des relations ; le crédit facile a éliminé la nécessité de maîtriser ses finances ; le divertissement facile a supprimé la nécessité d’apprendre à se divertir ; les réponses faciles ont supprimé la nécessité de poser des questions. Nous sommes devenus une nation d’enfants, heureux d’abandonner nos jugements et nos volontés aux exhortations politiques et aux flatteries commerciales qui insulteraient de véritables adultes. Nous achetons des téléviseurs, puis nous achetons des choses que nous voyons à la télévision. Nous achetons des ordinateurs, puis nous achetons des choses que nous voyons sur l’ordinateur. Nous achetons des chaussures de sport à 150 $ que nous en ayons besoin ou pas et quand elles tombent trop tôt en morceaux nous en achetons une autre paire. Nous roulons en 4x4 et nous croyons au mensonge selon lequel ils constituent une sorte d’assurance-vie, même quand on se retrouve sur le toit. Et, pire que tout, nous ne sourcillons pas quand Ari Fleischer nous dit de « faire attention à ce que vous dites » même si on se rappelle qu’on nous a dit quelque part à l’école que l’Amérique est le pays de la liberté. Nous achetons tout simplement celui-là aussi. Notre École, comme prévu, y a veillé.
Maintenant, les bonnes nouvelles. Une fois que vous comprenez la logique derrière l’École moderne, ses ruses et ses pièges sont assez faciles à éviter. L’École forme les enfants à être des employés et des consommateurs ; apprenez aux vôtres à être des leaders et des aventuriers. L’École forme les enfants à obéir par réflexe ; ; apprenez aux vôtres à penser de façon critique et indépendante. Les enfants bien scolarisés ont un seuil d’ennui bas ; aidez les vôtres à développer une vie intérieure afin qu’ils ne s’ennuient jamais. Incitez-les à prendre la substance sérieuse, la substance adulte dans l’histoire, la littérature, la philosophie, la musique, l’art, l’économie, la théologie – tous les trucs que les enseignants savent bien qu’il faut éviter. Défiez vos enfants avec beaucoup de solitude afin qu’ils puissent apprendre à jouir de leur propre compagnie, à mener des dialogues intérieurs. Les gens bien scolarisés sont conditionnés à craindre d’être seuls et ils cherchent la compagnie constante à travers la télévision, l’ordinateur, le téléphone portable et à travers des amitiés superficielles et rapidement acquises et rapidement abandonnées. Vos enfants doivent avoir une vie plus profonde et ils le peuvent.
Mais d’abord, il faut prendre conscience de ce que nos écoles sont vraiment : des laboratoires d’expérimentation sur de jeunes esprits, des centres de dressage aux habitudes et aux attitudes que la société capitaliste exige. L’éducation obligatoire ne sert qu’accessoirement les enfants ; son but réel est de les transformer en serviteurs. Ne laissez pas vos propres enfants prolonger leur enfance, pas même d’un jour. Si David Farragut pouvait prendre le commandement d’un navire de guerre britannique capturé alors qu’il était un préadolescent, si Thomas Edison pouvait publier un journal grand format à l’âge de douze ans, si Benjamin Franklin au même âge pouvait lui-même être apprenti chez un imprimeur (alors que lui-même était soumis à un programme d’études qui étoufferait un diplômé de Yale d’aujourd’hui), on ne sait jamais ce que vos propres enfants pourraient faire. Après une longue vie et trente ans dans les tranchées des écoles publiques, j’en ai conclu que le génie est aussi commun que la saleté. Nous ne supprimons notre génie que parce que nous n’avons pas encore trouvé la façon de gérer une population d’hommes et de femmes instruits. La solution, je pense, est simple et glorieuse. Qu’ils se débrouillent eux-mêmes.
- C'est pas fauxEsprit éclairé
Qu'est-ce qu'il a contre Elton John, ce Taylor Gatto ? :lecteur:
- Luigi_BGrand Maître
Curieuse façon de régler ses comptes avec une école produit de la société "capitaliste"...L’École forme les enfants à être des employés et des consommateurs ; apprenez aux vôtres à être des leaders et des aventuriers.
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LVM Dernier billet : "Une École si distante"
- Presse-puréeGrand sage
Merci pour ce texte, Paratge, je ne connaissais pas cette référence.
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Homines, dum docent, discunt.Sénèque, Epistulae Morales ad Lucilium VII, 8
"La culture est aussi une question de fierté, de rapport de soi à soi, d’esthétique, si l’on veut, en un mot de constitution du sujet humain." (Paul Veyne, La société romaine)
"Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres". La Boétie
"Confondre la culture et son appropriation inégalitaire du fait des conditions sociales : quelle erreur !" H. Pena-Ruiz
"Il vaut mieux qu'un élève sache tenir un balai plutôt qu'il ait été initié à la philosophie: c'est ça le socle commun" un IPR
- MoonchildSage
Oui, effectivement. Ce texte est assez déroutant car le bilan sur le rôle de l'école n'est sans doute pas totalement dénué de fondement (en même temps, dire qu'une éducation de masse relève davantage du formatage que de l'émancipation, c'est un peu enfoncer une porte ouverte) mais la réponse proposée semble tout bonnement délirante.Luigi_B a écrit:Curieuse façon de régler ses comptes avec une école produit de la société "capitaliste"...L’École forme les enfants à être des employés et des consommateurs ; apprenez aux vôtres à être des leaders et des aventuriers.
- RobinFidèle du forum
Ce texte est un ramassis de sottises condensées, contrairement à Meirieu qui a au moins l'habileté de les distiller. Ceci dit Gatto est plus franc du collier avec son éloge pur et simple de l'ignorance et de la barbarie. Car enfin les dealers et les gangsters ne sont-ils pas aussi, à leur manière, des "leaders" et des "aventuriers" ?
Si les petits Américains s'ennuient à l'école, c'est parce qu'ils n'y apprennent rien. J'ai fait une partie de mes études à Saint-Cloud, au lycée public (de garçons) A. Dumas et il y avait le lycée américain pas très loin et je sais ce dont je parle. Mais le père de mon copain Nicolas Alwright ("Sacré Bouteille"), pourtant très "engagé", s'était bien gardé d'y mettre ses deux fils qui ne me donnaient pas l'impression de "s'ennuyer".
Aux États-Unis, dans les années 60, quand les parents voulaient donner une éducation convenable à leurs enfants et leur éviter de s'ennuyer, ils le mettaient dans une école privée catholique, pas dans une "public school".
Comme l'a bien montré Hannah Arendt dans La crise de l’Éducation, le système américain n'a rien à voir avec l'idée délirante d'un complot capitaliste échafaudé par J.T. Gatto, mais avec le "melting pot" et la nécessité de fondre les nouveaux arrivants dans une nation en leur dispensant une sorte de "socle commun". Pour ce faire, les responsables ont importé d'Europe les théories des pédagogistes (autoconstruction des savoirs, bannissement du par cœur, socialisation...)
Le niveau était devenu si catastrophique dans les années 80 que Reagan qui n'était pourtant pas un "intellectuel" fut obligé de tirer la sonnette d'alarme avec le rapport "A Nation at Risk" (Une nation en péril)
Mais les Européens et en particulier les Français, ont ensuite imité le modèle américain, à partir des années 75 avec la Réforme Haby... pour aboutir au collège unique où les élèves n’apprennent (presque) plus rien et qui distille effectivement la violence, la vulgarité et l'ennui.
" As implied by the title of the report, the commission's charter responds to T. H. Bell's observation that the United States' educational system was failing to meet the national need for a competitive workforce. Among other things, the charter required the commission to assess the "quality of teaching and learning" at the primary, secondary, and postsecondary levels, in both the public and private spheres; and to compare "American schools and colleges with those of other advanced nations." The report was primarily authored by James J. Harvey, who synthesized the feedback from the commission members and the memorable language in the opening pages: "the educational foundations of our society are presently being eroded by a rising tide of mediocrity that threatens our very future as a Nation and a people" and the statement, "If an unfriendly foreign power had attempted to impose on America the mediocre educational performance that exists today, we might well have viewed it as an act of war."
"Les fondements éducatifs de notre société sont actuellement attaqués par une marée montante de médiocrité qui menace l'avenir du peuple et de la nation et si une puissance ennemie avait essayé d'imposer à l'Amérique la médiocrité des performances du système actuel, nous aurions pu y voir une déclaration de guerre."
Si les petits Américains s'ennuient à l'école, c'est parce qu'ils n'y apprennent rien. J'ai fait une partie de mes études à Saint-Cloud, au lycée public (de garçons) A. Dumas et il y avait le lycée américain pas très loin et je sais ce dont je parle. Mais le père de mon copain Nicolas Alwright ("Sacré Bouteille"), pourtant très "engagé", s'était bien gardé d'y mettre ses deux fils qui ne me donnaient pas l'impression de "s'ennuyer".
Aux États-Unis, dans les années 60, quand les parents voulaient donner une éducation convenable à leurs enfants et leur éviter de s'ennuyer, ils le mettaient dans une école privée catholique, pas dans une "public school".
Comme l'a bien montré Hannah Arendt dans La crise de l’Éducation, le système américain n'a rien à voir avec l'idée délirante d'un complot capitaliste échafaudé par J.T. Gatto, mais avec le "melting pot" et la nécessité de fondre les nouveaux arrivants dans une nation en leur dispensant une sorte de "socle commun". Pour ce faire, les responsables ont importé d'Europe les théories des pédagogistes (autoconstruction des savoirs, bannissement du par cœur, socialisation...)
Le niveau était devenu si catastrophique dans les années 80 que Reagan qui n'était pourtant pas un "intellectuel" fut obligé de tirer la sonnette d'alarme avec le rapport "A Nation at Risk" (Une nation en péril)
Mais les Européens et en particulier les Français, ont ensuite imité le modèle américain, à partir des années 75 avec la Réforme Haby... pour aboutir au collège unique où les élèves n’apprennent (presque) plus rien et qui distille effectivement la violence, la vulgarité et l'ennui.
" As implied by the title of the report, the commission's charter responds to T. H. Bell's observation that the United States' educational system was failing to meet the national need for a competitive workforce. Among other things, the charter required the commission to assess the "quality of teaching and learning" at the primary, secondary, and postsecondary levels, in both the public and private spheres; and to compare "American schools and colleges with those of other advanced nations." The report was primarily authored by James J. Harvey, who synthesized the feedback from the commission members and the memorable language in the opening pages: "the educational foundations of our society are presently being eroded by a rising tide of mediocrity that threatens our very future as a Nation and a people" and the statement, "If an unfriendly foreign power had attempted to impose on America the mediocre educational performance that exists today, we might well have viewed it as an act of war."
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