- RobinFidèle du forum
Werner Heisenberg, Prix Nobel de Physique, Physique et Philosophie, la science moderne en révolution, traduit de l'anglais par Jacqueline Hadamard, Ed. Albin Michel, coll. Sciences d'aujourd'hui dirigée par André George.
Edition originale américaine : Physics ans Philosophy, The revolution in Modern Science, 1958, Harper&Brothers, New York
"Les sciences de la nature ne se contentent pas de décrire et d'expliquer la nature ; elles font partie du processus d'interaction entre la nature et nous-mêmes." (Werner Heisenberg)
Quel est le problème ?
Les Présocratiqes ne soulignent pas la distinction entre la matière et l'esprit, le corps et l'âme. Cette distinction commence à apparaître dans la philosophie de Platon et en particulier dans "l'allégorie de la caverne" (République, Livre VII). Le mythe de la caverne établit une distinction très nette entre "la réalité véritable" (les idée, la Vérité, Dieu) et la réalité du monde tel qu'il est perçu par les sens.
Durant deux mille ans (jusqu'à la Renaissance), la réflexion philosophique porta essentiellement sur la question de l'âme, sur les relations de l'âme avec Dieu, sur l'éthique et sur l'interprétation de la Révélation.
C'est à partir de la Renaissance que l'on observe un changement graduel qui entraîne finalement un renouveau d'intérêt pour la Nature. Le grand développement des sciences expérimentales à partir des XVIème et XVIIème siècles, fut précédé et accompagné d'un développement des idées philosophiques en relation proche avec les concepts fondamentaux de la science.
La première grande philosophie de cette nouvelle période de la science fut Descartes (première moitié du XVIIème siècle). Descartes ne part ni le la Révélation, ni des données des sens, mais du "cogito" qui devient alors la première évidence, la seule réalité incontestable (je doute, or douter c'est penser, donc je pense, je suis en tant que pensée : "cogito ergo sum.")
Descartes part de l'existence du moi pour aboutir à l'existence du monde en passant par l'existence de Dieu. le point de départ de Descartes, contrairement aux anciens philosophes grecs n'est pas ue substance ou un principe fondamental, mais la recherche d'une connaissance fondamentale. Pour W. Heisenberg, le triangle "Moi-Dieu-le Monde" "simplifie dangereusement la base du raisonnement. Avec Descartes, en effet, la division entre "matière et esprit", "corps et âme" qui avait débuté dans la philosophie de Platon est maintenant totale. Descartes connaissait l'indéniable nécessité du lien entre Dieu, le moi et le monde, mais par la suite, la philosophie et les sciences expérimentales se développèrent sur la seule base de la distinction entre "res cogitans" et "res extensa", les sciences de la nature concentrant leur intérêt sur la res extensa.
Heisenberg montre que le développement de la physique dans la deuxième moitié du XXème siècle nécessite une remise en cause de ce partage : "Les sciences de la nature ne se contentent pas de décrire et d'expliquer la nature ; elles font partie du processus d'interaction entre la nature et nous-mêmes."
Werner Karl Heisenberg
Fils d'un professeur de grec à l'université de Munich, Werner Heisenberg, après avoir été quelque temps mobilisé, fait ses études dans les circonstances difficiles qui suivent la Première Guerre mondiale. Il fréquente l'université de Munich, où il est l'élève d'Arnold Sommerfeld, puis celle de Göttingen, où il devient, en 1923, assistant de physique auprès de Max Born. De 1924 à 1927, il bénéficie d'une bourse qui lui permet de travailler auprès de Niels Bohr à Copenhague.
Heisenberg renouvelle d'abord la théorie du ferromagnétisme et découvre les formes allotropiques de l'hydrogène. En 1925, il commence à développer une forme de mécanique quantique, appelée « mécanique matricielle », dans laquelle la formulation mathématique est basée sur les fréquences et les amplitudes du rayonnement absorbé et émis par l'atome, ainsi que sur les niveaux en énergie du système atomique.
Il reste surtout connu pour avoir formulé, en 1927, le principe d'incertitude. Celui-ci, lié à l'introduction de la dualité onde-corpuscule, s'exprime par une relation mathématique montrant que, si l'on cherche à préciser la position d'une particule à un instant donné, on commet une erreur croissante sur sa quantité de mouvement, et que, si l'on veut déterminer son énergie plus précisément, il faut opérer sur des temps de plus en plus longs. Cela s'explique par le fait que les opérations de mesure introduisent des perturbations de l'ordre de grandeur de ce que l'on cherche à mesurer. Ce principe a joué un grand rôle dans l'évolution de la mécanique quantique et dans les nouveaux modes de pensée de la philosophie moderne. En physique, il a poussé à admettre l'interprétation probabiliste (dite « de Copenhague ») de la mécanique ondulatoire.
En 1927, Heisenberg rentre en Allemagne, où il est nommé professeur de physique théorique à l'université de Leipzig. À partir de 1929, il travaille avec Wolfgang Pauli à l'élaboration de la théorie quantique des champs. Ses contributions à la mécanique quantique lui valent, en 1932, le prix Nobel de physique, qu'il partage avec Pauli. La même année, après la découverte du neutron par James Chadwick, il élabore le modèle moderne du noyau de l'atome, formé exclusivement d'un assemblage de protons et de neutrons.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Heisenberg, contrairement à la plupart de ses collègues, n'émigre pas aux États-Unis. En 1941, il est nommé directeur de l'Institut de physique Kaiser-Wilhelm (qui sera rebaptisé en 1946 Institut de physique Max-Planck), à Berlin ; il pourrait alors avoir collaboré au programme allemand d'armement nucléaire, mais ce point reste controversé. Fait prisonnier par les Britanniques à la fin de la guerre, il revient en Allemagne en 1946 pour occuper une chaire à l'université de Göttingen ; puis, de 1955 à sa mort, il enseigne à l'université de Munich.
Outre ses travaux déjà mentionnés, qui le placent au premier rang des physiciens théoriciens du XXe siècle, Heisenberg a mené des recherches sur la théorie de la turbulence, la physique des plasmas et les réactions thermonucléaires. Il est aussi l'auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation sur la physique quantique et ses implications philosophiques (Physique et philosophie, la science moderne en révolution, 1958 ; La Partie et le tout, 1972). (Sources : Encyclopédie Larousse)
L'ouvrage Physics and Philosophy, The Revolution in Modern Science reproduit le texte des Gifford Lectures, conférences prononcées par l'auteur à l'université Saint-Andews (Ecosse), durant l'hiver 1955-1956. Le volume fait partie de la collection "World Perspectives" publiée à New York par HARPER & BROTHERS. La collection est dirigée par Ruth Nanda Anshen, assistée par un comité composé de MM. Niels Bohr, Richard Courant, Hu Shih, Ernest Jackh, Robert M. MacIver, Jacques Maritain, J. Robert Oppenheimer, I.I. Rabi, Sarvepalli Radhakrishnan, Alexander Sachs.
Le texte de l'introduction américaine à la collection World Perspective figure à la fin du volume.
Aux élèves : je vous recommande particulièrement la lecture du chapitre V : "Le développement des idées philosophiques depuis Descartes et la nouvelle situation en théorie quantique".
"Quand on parle aujourd'hui de physique, la première pensée va aux armes atomiques. Leur immense influence sur la structure politique du monde dans lequel nous vivons n'est discutée par personne et l'influence de la physique est, de l'avis général, plus forte que jamais. Mais l'aspect politique de la physique moderne est-il réellement l'aspect le plus important ? Que subsistera-t-il de cette influence quand le monde aura adapté sa structure politique aux nouvelles possibilités techniques ?
Pour répondre à ces questions, il faut se souvenir que tout instrument porte en lui l'esprit dans lequel il a été crée. Chaque nation, chaque groupe politique, où qu'il se situe et quelle que soit sa tradition culturelle, est bien obligé de se préoccuper de ces armes nouvelles, de sorte que l'esprit de la physique moderne pénétrera dans les esprits d'un grand nombre de gens s'imbriquant de diverses manières dans les traditions anciennes. Quel sera l'effet de cet impact d'un domaine paticulier des sciences actuelles sur ces diverses traditions, si enracinées et si puissantes ?
Dans les parties du monde où s'est élaborée la science moderne, l'intérêt principal a depuis longtemps été portée vers l'activité pratique, vers l'industrie et la technique, en même temps que vers une analyse rationnelle des conditions externes et internes de cette activité ; dans ces pays-là, les gens n'auront guère de peine à adopter les idées neuves, car ils ont eu le temps de s'adapter insensiblement, palier par palier, aux méthodes de pensée de la science moderne.
Mais dans d'autres parties du monde, ces idées se heurteront aux fondements religieux et philosophique de la culture locale. Or, les résultats obtenus par la physique moderne touchent effectivement à des concepts aussi fondamentaux que l'idée de réalité, celle d'espace et de temps, et cette confrontation peut conduire à une évolution entièrement nouvelle que nous ne pouvons encore prévoir.
Cette rencontre entre la science moderne et les anciennes méthodes de pensée aura comme caractère spécifique son aspect absolument international. Dans ce heurt d'idées, un camp - l'ancienne tradition - aura des points de vue différents dans les diverses régions du monde, alors que l'autre camp aura partout les mêmes conceptions, de sorte que les résultats de cette controverse se répandront dans toutes les régions où se poursuivra la discussion.
C'est pour des raisons de ce genre qu'essayer de discuter les idées de physique moderne dans un langage qui ne soit pas exagérément technique, étudier les conséquences philosophiques, les comparer avec certaines des traditions anciennes est une tâche que l'on peut considérer comme importante.
La meilleurs manière d'aborder les problèmes de physique moderne est peut-être de retracer l'historique du chemin suivi par la théorie quantique. Il est vrai que celle-ci ne représente qu'une très petite partie de la science moderne ; mais c'est dans cette théorie que se sont produits les changements les plus fondamentaux et c'est sous la forme finale de la mécanique quantique que les idées nouvelles de physique atomique se sont concentrées et cristallisées. Ce secteur de la science moderne montre un autre aspect très impressionnant, celui de l'énorme équipement expérimental extrêmement complexe qu'exige la recherche en physique nucléaire.
Mais si l'on ne considère que la technique expérimentale, la physique nucléaire représente l'aboutissement extrême d'une méthode de recherche qui a déterminé le développement de la science moderne depuis Huyghens, Volta et Faraday. De même, on peut dire que la complexité décourageante de certaines parties de la mécanique quantique représente la conséquence extrême des méthodes de Newton, de Gauss ou de Maxwell. Mais le changement apporté au concept de réalité, tel qu'il se manifeste en mécanique quantique, n'est pas seulement une continuation du passé : il semble qu'il y ait une coupure réelle dans la struture de la science. C'est pourquoi le premier des chapitres qui suivent sera consacré à l'étude du développement historique de la théorie des quanta." (Werner Heisenberg)
Table des matières :
Chapitre I : Tradition ancienne et tradition nouvelle
Chapitre II : Historique de la théorie des quanta
Chapitre III : L'interpétation de Copenhague
Chapitre IV : La théorie quantique et les racines de la science atomique
Chapitre V : Le développement des idées philosophiques depuis Descartes et la nouvelle situation de la théorie quantique
Chapitre VI : Rapports entre la théorie quantique et les autres sciences expérimentales
Chapitre VII : Théorie de la relativité
Chapitre VIII : Critiques et contrepropositions à l'interpétation de Copenhague
Chapitre IX : Théorie quantique et structure de la matière
Chapitre X : langage et réalité en physique actuelle
Chapitre XI : Rôle de la physique moderne dans l'évolution actuelle de la pensée humaine
Introduction à l'édition américaine
Edition originale américaine : Physics ans Philosophy, The revolution in Modern Science, 1958, Harper&Brothers, New York
"Les sciences de la nature ne se contentent pas de décrire et d'expliquer la nature ; elles font partie du processus d'interaction entre la nature et nous-mêmes." (Werner Heisenberg)
Quel est le problème ?
Les Présocratiqes ne soulignent pas la distinction entre la matière et l'esprit, le corps et l'âme. Cette distinction commence à apparaître dans la philosophie de Platon et en particulier dans "l'allégorie de la caverne" (République, Livre VII). Le mythe de la caverne établit une distinction très nette entre "la réalité véritable" (les idée, la Vérité, Dieu) et la réalité du monde tel qu'il est perçu par les sens.
Durant deux mille ans (jusqu'à la Renaissance), la réflexion philosophique porta essentiellement sur la question de l'âme, sur les relations de l'âme avec Dieu, sur l'éthique et sur l'interprétation de la Révélation.
C'est à partir de la Renaissance que l'on observe un changement graduel qui entraîne finalement un renouveau d'intérêt pour la Nature. Le grand développement des sciences expérimentales à partir des XVIème et XVIIème siècles, fut précédé et accompagné d'un développement des idées philosophiques en relation proche avec les concepts fondamentaux de la science.
La première grande philosophie de cette nouvelle période de la science fut Descartes (première moitié du XVIIème siècle). Descartes ne part ni le la Révélation, ni des données des sens, mais du "cogito" qui devient alors la première évidence, la seule réalité incontestable (je doute, or douter c'est penser, donc je pense, je suis en tant que pensée : "cogito ergo sum.")
Descartes part de l'existence du moi pour aboutir à l'existence du monde en passant par l'existence de Dieu. le point de départ de Descartes, contrairement aux anciens philosophes grecs n'est pas ue substance ou un principe fondamental, mais la recherche d'une connaissance fondamentale. Pour W. Heisenberg, le triangle "Moi-Dieu-le Monde" "simplifie dangereusement la base du raisonnement. Avec Descartes, en effet, la division entre "matière et esprit", "corps et âme" qui avait débuté dans la philosophie de Platon est maintenant totale. Descartes connaissait l'indéniable nécessité du lien entre Dieu, le moi et le monde, mais par la suite, la philosophie et les sciences expérimentales se développèrent sur la seule base de la distinction entre "res cogitans" et "res extensa", les sciences de la nature concentrant leur intérêt sur la res extensa.
Heisenberg montre que le développement de la physique dans la deuxième moitié du XXème siècle nécessite une remise en cause de ce partage : "Les sciences de la nature ne se contentent pas de décrire et d'expliquer la nature ; elles font partie du processus d'interaction entre la nature et nous-mêmes."
Werner Karl Heisenberg
Fils d'un professeur de grec à l'université de Munich, Werner Heisenberg, après avoir été quelque temps mobilisé, fait ses études dans les circonstances difficiles qui suivent la Première Guerre mondiale. Il fréquente l'université de Munich, où il est l'élève d'Arnold Sommerfeld, puis celle de Göttingen, où il devient, en 1923, assistant de physique auprès de Max Born. De 1924 à 1927, il bénéficie d'une bourse qui lui permet de travailler auprès de Niels Bohr à Copenhague.
Heisenberg renouvelle d'abord la théorie du ferromagnétisme et découvre les formes allotropiques de l'hydrogène. En 1925, il commence à développer une forme de mécanique quantique, appelée « mécanique matricielle », dans laquelle la formulation mathématique est basée sur les fréquences et les amplitudes du rayonnement absorbé et émis par l'atome, ainsi que sur les niveaux en énergie du système atomique.
Il reste surtout connu pour avoir formulé, en 1927, le principe d'incertitude. Celui-ci, lié à l'introduction de la dualité onde-corpuscule, s'exprime par une relation mathématique montrant que, si l'on cherche à préciser la position d'une particule à un instant donné, on commet une erreur croissante sur sa quantité de mouvement, et que, si l'on veut déterminer son énergie plus précisément, il faut opérer sur des temps de plus en plus longs. Cela s'explique par le fait que les opérations de mesure introduisent des perturbations de l'ordre de grandeur de ce que l'on cherche à mesurer. Ce principe a joué un grand rôle dans l'évolution de la mécanique quantique et dans les nouveaux modes de pensée de la philosophie moderne. En physique, il a poussé à admettre l'interprétation probabiliste (dite « de Copenhague ») de la mécanique ondulatoire.
En 1927, Heisenberg rentre en Allemagne, où il est nommé professeur de physique théorique à l'université de Leipzig. À partir de 1929, il travaille avec Wolfgang Pauli à l'élaboration de la théorie quantique des champs. Ses contributions à la mécanique quantique lui valent, en 1932, le prix Nobel de physique, qu'il partage avec Pauli. La même année, après la découverte du neutron par James Chadwick, il élabore le modèle moderne du noyau de l'atome, formé exclusivement d'un assemblage de protons et de neutrons.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Heisenberg, contrairement à la plupart de ses collègues, n'émigre pas aux États-Unis. En 1941, il est nommé directeur de l'Institut de physique Kaiser-Wilhelm (qui sera rebaptisé en 1946 Institut de physique Max-Planck), à Berlin ; il pourrait alors avoir collaboré au programme allemand d'armement nucléaire, mais ce point reste controversé. Fait prisonnier par les Britanniques à la fin de la guerre, il revient en Allemagne en 1946 pour occuper une chaire à l'université de Göttingen ; puis, de 1955 à sa mort, il enseigne à l'université de Munich.
Outre ses travaux déjà mentionnés, qui le placent au premier rang des physiciens théoriciens du XXe siècle, Heisenberg a mené des recherches sur la théorie de la turbulence, la physique des plasmas et les réactions thermonucléaires. Il est aussi l'auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation sur la physique quantique et ses implications philosophiques (Physique et philosophie, la science moderne en révolution, 1958 ; La Partie et le tout, 1972). (Sources : Encyclopédie Larousse)
L'ouvrage Physics and Philosophy, The Revolution in Modern Science reproduit le texte des Gifford Lectures, conférences prononcées par l'auteur à l'université Saint-Andews (Ecosse), durant l'hiver 1955-1956. Le volume fait partie de la collection "World Perspectives" publiée à New York par HARPER & BROTHERS. La collection est dirigée par Ruth Nanda Anshen, assistée par un comité composé de MM. Niels Bohr, Richard Courant, Hu Shih, Ernest Jackh, Robert M. MacIver, Jacques Maritain, J. Robert Oppenheimer, I.I. Rabi, Sarvepalli Radhakrishnan, Alexander Sachs.
Le texte de l'introduction américaine à la collection World Perspective figure à la fin du volume.
Aux élèves : je vous recommande particulièrement la lecture du chapitre V : "Le développement des idées philosophiques depuis Descartes et la nouvelle situation en théorie quantique".
"Quand on parle aujourd'hui de physique, la première pensée va aux armes atomiques. Leur immense influence sur la structure politique du monde dans lequel nous vivons n'est discutée par personne et l'influence de la physique est, de l'avis général, plus forte que jamais. Mais l'aspect politique de la physique moderne est-il réellement l'aspect le plus important ? Que subsistera-t-il de cette influence quand le monde aura adapté sa structure politique aux nouvelles possibilités techniques ?
Pour répondre à ces questions, il faut se souvenir que tout instrument porte en lui l'esprit dans lequel il a été crée. Chaque nation, chaque groupe politique, où qu'il se situe et quelle que soit sa tradition culturelle, est bien obligé de se préoccuper de ces armes nouvelles, de sorte que l'esprit de la physique moderne pénétrera dans les esprits d'un grand nombre de gens s'imbriquant de diverses manières dans les traditions anciennes. Quel sera l'effet de cet impact d'un domaine paticulier des sciences actuelles sur ces diverses traditions, si enracinées et si puissantes ?
Dans les parties du monde où s'est élaborée la science moderne, l'intérêt principal a depuis longtemps été portée vers l'activité pratique, vers l'industrie et la technique, en même temps que vers une analyse rationnelle des conditions externes et internes de cette activité ; dans ces pays-là, les gens n'auront guère de peine à adopter les idées neuves, car ils ont eu le temps de s'adapter insensiblement, palier par palier, aux méthodes de pensée de la science moderne.
Mais dans d'autres parties du monde, ces idées se heurteront aux fondements religieux et philosophique de la culture locale. Or, les résultats obtenus par la physique moderne touchent effectivement à des concepts aussi fondamentaux que l'idée de réalité, celle d'espace et de temps, et cette confrontation peut conduire à une évolution entièrement nouvelle que nous ne pouvons encore prévoir.
Cette rencontre entre la science moderne et les anciennes méthodes de pensée aura comme caractère spécifique son aspect absolument international. Dans ce heurt d'idées, un camp - l'ancienne tradition - aura des points de vue différents dans les diverses régions du monde, alors que l'autre camp aura partout les mêmes conceptions, de sorte que les résultats de cette controverse se répandront dans toutes les régions où se poursuivra la discussion.
C'est pour des raisons de ce genre qu'essayer de discuter les idées de physique moderne dans un langage qui ne soit pas exagérément technique, étudier les conséquences philosophiques, les comparer avec certaines des traditions anciennes est une tâche que l'on peut considérer comme importante.
La meilleurs manière d'aborder les problèmes de physique moderne est peut-être de retracer l'historique du chemin suivi par la théorie quantique. Il est vrai que celle-ci ne représente qu'une très petite partie de la science moderne ; mais c'est dans cette théorie que se sont produits les changements les plus fondamentaux et c'est sous la forme finale de la mécanique quantique que les idées nouvelles de physique atomique se sont concentrées et cristallisées. Ce secteur de la science moderne montre un autre aspect très impressionnant, celui de l'énorme équipement expérimental extrêmement complexe qu'exige la recherche en physique nucléaire.
Mais si l'on ne considère que la technique expérimentale, la physique nucléaire représente l'aboutissement extrême d'une méthode de recherche qui a déterminé le développement de la science moderne depuis Huyghens, Volta et Faraday. De même, on peut dire que la complexité décourageante de certaines parties de la mécanique quantique représente la conséquence extrême des méthodes de Newton, de Gauss ou de Maxwell. Mais le changement apporté au concept de réalité, tel qu'il se manifeste en mécanique quantique, n'est pas seulement une continuation du passé : il semble qu'il y ait une coupure réelle dans la struture de la science. C'est pourquoi le premier des chapitres qui suivent sera consacré à l'étude du développement historique de la théorie des quanta." (Werner Heisenberg)
Table des matières :
Chapitre I : Tradition ancienne et tradition nouvelle
Chapitre II : Historique de la théorie des quanta
Chapitre III : L'interpétation de Copenhague
Chapitre IV : La théorie quantique et les racines de la science atomique
Chapitre V : Le développement des idées philosophiques depuis Descartes et la nouvelle situation de la théorie quantique
Chapitre VI : Rapports entre la théorie quantique et les autres sciences expérimentales
Chapitre VII : Théorie de la relativité
Chapitre VIII : Critiques et contrepropositions à l'interpétation de Copenhague
Chapitre IX : Théorie quantique et structure de la matière
Chapitre X : langage et réalité en physique actuelle
Chapitre XI : Rôle de la physique moderne dans l'évolution actuelle de la pensée humaine
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