- Docteur OXGrand sage
http://www.marianne.net/Fracture-numerique-ou-desastre-scolaire_a225137.html
C’est peu dire que tous ceux qui se préoccupent depuis de nombreuses années du désastre scolaire attendaient beaucoup de Vincent Peillon, depuis longtemps prédestiné, sans vrai concurrent chez les socialistes, au poste de Ministre de l’Education auquel il semblait s’être préparé à temps plein dans l’opposition.
C’est peu dire aussi que leur déception est pour l’instant à la mesure de ce vibrant espoir. Depuis sa nomination, l’agrégé de philosophie témoigne plus de l’immense plaisir que lui procure l’exercice de cette belle fonction ministérielle que du souci de s’affronter aux dilemmes qu’elle a pour devoir de résoudre.
La semaine qui vient de s’écouler en offre une troublante illustration. Alors que la publication d’une nouvelle enquête internationale atteste à nouveau d’une chute de qualité très inquiétante de l’enseignement du français, le ministre a préféré concentrer ses propos sur l’équipement en tablettes numériques des écoles.
Réalisé tous les cinq ans par l’Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire, le programme international de recherche en lecture scolaire (Pirls) atteste d’un effondrement de la capacité de lecture des écoliers français qui descendent à la 29ème place sur 45 pays. Cette étude montre que d’autres pays, antérieurement mal classés, ont su inverser la tendance alors que la France s’enfonce dans l’illettrisme scolarisé. Plus grave, l’étude révèle que ces mauvaises performances ne s’expliquent plus seulement par les mauvais résultats des mauvais élèves, mais que la baisse de qualité atteint aujourd’hui les bons, moins nombreux et moins performants. L’élite se réduit : alors qu’en 2001 7% des écoliers français (contre 9% en moyenne en Europe) accédaient à une « compréhension approfondie des textes », ils ne sont plus que 5%. Leurs faibles performances reflètent l’évolution de l’enseignement de français : ils réussissent à 67% les QCM et à 40% les exercices d’expression. « Plus la réponse attendue doit être élaborée, plus le score des élèves français diminue », notent les enquêteurs qui soulignent que les élèves français font partie de ceux qui rendent leur copie avec le plus de réponses manquantes et de « blancs » ou qui abandonnent le plus fréquemment les épreuves.
Immédiatement, l’immarcescible machine à se cacher les yeux qu’est depuis quelques décennies l’institution scolaire s’est mise en route. Sous plusieurs formes. La plus répandue, la plus traditionnelle et la plus efficace ? Faire semblant de ne rien avoir entendu. La plus militante ? Assurer qu’il faut continuer comme avant ainsi que l’a merveilleusement résumé Jean-Paul Delahaye, Directeur de l’Enseignement scolaire au Ministère, interrogé par Le Monde sur ces piteux résultats de l’enquête Pirls : « Nous avons là la preuve manifeste qu’il faut réfléchir à une notation plus constructive, moins de sanctions et plus largement, changer le rapport à l’école ». Les notes sont mauvaises ? Il faut les adoucir, puis supprimer les redoublements et abaisser le niveau des examens, ce qui est la ligne depuis des années.
Vincent Peillon, plutôt que de se saisir de cette enquête dramatique et d’ouvrir le débat, a donc préféré se concentrer sur son « Plan pour le numérique à l’école » pour réduire la « fracture numérique ». Le ministre est sûr du succès : le numérique tout le monde y baigne et personne n’est contre. La technologie ne peut que faciliter le travail des élèves et des enseignants. Mais elle ne peut malheureusement que venir en aval d’un travail d’acquisition des bases qui se dégrade, du fait de mauvaises méthodes ou de réduction des temps d’apprentissage. Contrairement à ce que pensent les adeptes de la pensée magique, ce qui ne marche pas sur le papier ne marchera pas mieux sur des tablettes rutilantes.
L’effondrement de la lecture est d’abord la conséquence logique de l’effondrement de …l’enseignement de la lecture. Il y a quarante ans, l’élève de CP bénéficiait de 15 heures de français, contre 9 en 2006. En moyenne, un bachelier d’aujourd’hui aura reçu dans son parcours scolaire 800 heures de français en moins que ses parents. Voilà pourquoi ceux-ci se désolent aujourd’hui de trouver des fautes d’orthographe et de grammaire dans les cahiers de correspondance des jeunes enseignants de leurs enfants...
Antoine Prost, le grand historien du système éducatif, en a fait depuis longtemps le constat : « Soyons sérieux, nous prétendons vouloir que nos enfants apprennent plus et mieux et nous avons fait jusqu’ici tout ce qu’il fallait pour qu’ils apprennent moins, et moins bien. Les élèves ne passent pas plus de temps en classe aujourd’hui en cinq années d’école primaire qu’ils n’en passaient en quatre ans il y a une génération. C’est comme si l’on avait obligé tous les élèves à sauter une classe. Nous avons organisé l’échec »
Le Monde, qui consacre une page à l’enquête Pirls l’accompagne d’un mini-article sur une institutrice de CM1, très motivée, qui réussit le prodige de « transformer en lecteurs des écoliers qui avaient traversé CP, CE1 et CE2 sans accrocher avec cet apprentissage ». Et le quotidien de nous confier : « Elle a un vrai secret, c’est d’en faire bien plus en lecture que ce que requièrent les programmes ». Tiens, tiens…
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