- JohnMédiateur
http://www.cbai.be/revuearticle/533/#N1
octobre 2010 | n° 286 | L’homosexualité à l’épreuve des cultures
Sensualités d’antan dans la poésie arabe
Loubna Ben Yaacoub
Quiconque s'est engagé dans la lecture des Mille et Une Nuits (plus particulièrement dans les traductions de Burton ou Madrus) ou dans d’autres œuvres de la poésie arabe classique, a pu s'étonner de l'érotisme débordant de ces textes et des références explicites au désir homosexuel. Jusqu'à la moitié du 19e siècle, la production littéraire semble offrir aux auteurs arabes une grande liberté d'expression pour ce qui concerne les plaisirs charnels et une certaine tolérance dans le traitement de la sensualité homosexuelle masculine.
La poésie amoureuse arabe classique a pu offrir à la sensualité homosexuelle de nombreuses occasions de s’exprimer. "L’adolescent à l’âge de sa première barbe" y fait l’objet d’admiration et d’une attirance passionnée. Certains auteurs mystiques écrivaient leurs vers dans le but de glorifier la beauté de l’œuvre divine incarnée par le bel adolescent; tandis que d’autres poètes esthètes à l’âme raffinée exaltaient l’idéal d’un amour condamné à rester chaste. L’amour pédérastique pouvait bénéficier d’une légitimité littéraire tant que le désir sexuel demeurait inassouvi; et le passage à l’acte était condamné.
Il faut aussi noter que ce sont souvent les mêmes qualités esthétiques qui sont célébrées chez les deux sexes, ce qui laisse à supposer une attraction pour une certaine forme d’androgynie, aussi source d’inspiration créatrice.
Bien entendu, il existait aussi une littérature plus libertine composée de satires et d’anecdotes salaces dans lesquels les auteurs n’hésitaient pas à se moquer des interdits religieux.
Nous parlons d’une période correspondant au Moyen-Âge où la littérature arabe était l’expression d’une civilisation encore confiante et emplie de certitudes quant à sa supériorité sur les autres communautés qu’elle dominait alors. Elle pouvait se permettre ce genre de transgression sans que cela ne représente une menace pour la virilité de ses hommes.
Si l’analyse des productions littéraires peut se révéler précieuse pour la perception des usages et des tabous sexuels propres à une société et un contexte historique particulier, elle ne traduit pas pour autant la réalité des comportements en vigueur dans la population.
Censure et autocensure
Le traitement du désir (homo)sexuel dans la littérature classique induit un contraste surprenant quand on le met en regard avec la censure qui prévaut dans la fiction arabe moderne. Il est vrai que les écrits prémodernes ne s’adressaient qu’à une élite, à un cercle restreint de privilégiés; au moment de leurs créations, il n’existait pas encore d’éditeurs, ni de médias pour distribuer et faire la "publicité" des productions culturelles. Dès que les écrits deviennent accessibles au grand public, l’auteur commencera à s’autocensurer et son éditeur veillera à ne pas choquer l’opinion publique, les prescrits religieux et encore moins les régimes politiques en place.
Mais pour quelques historiens, le mode de diffusion des œuvres littéraires n’explique qu’en partie la frilosité des auteurs modernes à aborder les sujets relatifs à la sexualité et plus encore à l’homosexualité. Pour ce faire, ils avancent la thèse orientaliste [1]: c’est à travers la confrontation à l’Occident et plus précisément dans l’expérience douloureuse de la colonisation qu’il faut chercher la principale cause du revirement de conception et de discours en vigueur dans le monde arabe à propos de la thématique homosexuelle.
Fantasmes et puritanisme
Les représentations culturelles de la sexualité et l’éthique sexuelle sont des critères très prisés par une société lorsqu’elle souhaite porter une appréciation ou un jugement sur une "autre" société. Les récits des voyageurs occidentaux qui, dès le 18e siècle, sont partis à la découverte du Moyen-Orient ou de l’Afrique du Nord, en sont une excellente illustration. Ils regorgent de comptes-rendus détaillés sur les mœurs et les usages dans les rapports intimes pratiqués dans les populations qu’ils ont visitées -souvent en y apportant leur part de fantasmes. Ces mêmes voyageurs sont frappés par la relative acceptation sociale à l’égard de certains comportements homosexuels masculins (par exemple: le travestisme de jeunes hommes en danseuses à l’occasion de festivités), les colonisateurs britanniques évoqueront à cet égard le "vice oriental".
À cette date, l’Europe obéit encore à une éthique puritaine - il faut songer à l’ère victorienne - et les plaisirs de la chair sont passés sous silence, les mœurs arabo musulmanes apparaissent comme licencieuses et décadentes [2]. Très tôt, l’abondance des traductions de textes arabes à caractère érotique, au détriment d’autres écrits plus académiques, participe de cet effort de dénonciation de l’obscénité inhérente à l’Orient - tout en tenant compte du fait que les traducteurs n’hésitent pas à distiller leurs propres imaginaires.
Vocabulaire spécialisé
Avec la domination coloniale, les Arabes finissent par assimiler et par s’approprier la vision occidentale dans leurs représentations de la sexualité. Ils les réinterprétèrent à la lumière des préceptes islamiques et se réinventèrent des traditions et des coutumes rigoristes et pudibondes. Une nouvelle taxinomie sexuelle se constitue alors selon la normativité dominante de l’Europe: ce qui limitera le champ des possibles de genres à une simple dichotomie identitaire hétéro- versus homosexualité. Il faut savoir que la littérature arabe classique ne concevait pas l’homosexualité comme un fait identitaire mais plutôt comme un ensemble de pratiques, d’où une profusion terminologique: liwat (pénétration anale), lûti (sodomite actif), ma’bûn (sodomite passif), mukhannath (effeminé), mu’ajir (prostitué masculin), musahiqa (lesbienne),... [3] En effet, la culture arabo musulmane prémoderne "trace une ligne entre le rôle "insertif" et le rôle "réceptif" (dans la pénétration anale ou vaginale), plus importante que celle qui distingue entre partenaire de même sexe ou partenaires de sexe différent" [4]. Alors que le vocabulaire de l’arabe moderne propose les termes de shudhûdh jinsi (déviation sexuelle) et tout récemment mithliyya jinsiyya (littéralement, homosexualité) plus politiquement corrects qui renvoient à une catégorisation et une identité sexuelle similaire à celle en vigueur dans l’Ouest.
Loubna Ben Yaacoub
Notes
[1] Joseph Massad, Desiring Arabs, University of Chicago Press, 2007.
[2] Depuis la libération sexuelle survenue dans les pays occidentaux, c’est un tout autre portrait qui est dressé des communautés d’appartenance arabo musulmane. Désormais, il leur est reproché leur attitude répressive pour tout ce qui touche à la chair, ce qui tranche terriblement avec l’image d’une culture à l’érotisme exubérant aux premières heures de la colonisation. Il est par ailleurs intéressant de noter comment l’homosexualité est aujourd’hui perçue dans la région moyenne orientale comme une corruption morale venue de l’Ouest.
[3] Frédéric Lagrange, "Male Homosexuality in Modern Arabic Literature", in Imagined Masculinities, London, Saqi Books, 2000.
[4] Frédéric Lagrange, "Khaled El-Rouayheb, Before Homosexuality, in the Arab-Islamic World, 1500-1800", Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 134|2006, document 134-32, mis en ligne le 5 septembre 2006, consulté le 26 septembre 2010. URL: http://assr.revues.org/3513
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"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
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- Reine MargotDemi-dieu
ben oui, ce sont les mouvements islamistes nés de la décolonisation (wahhabisme, frères musulmans) et souvent opposés tragiquement aux dictatures militaires alliées aux occidentaux qui ont radicalisé le discours religieux...
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La famille Bélier
- Palombella RossaNeoprof expérimenté
Tout ceci ressemble beaucoup à ce que les Romains pensaient de la question ; voir le livre passionnant de Florence Dupont, et Thierry Eloy, L'érotisme masculin à Rome aux éditions Belin.
http://www.rue89.com/rue69/2012/01/23/chez-les-romains-le-comble-du-plaisir-est-dans-le-baiser-pas-dans-le-penis-228572
His dictis, lorsque de riches occidentaux (genre Gide etc.) débarquaient en Afrique du Nord cueillir la fleur des "’adolescents à l’âge de leur première barbe", et même en deçà, ça faisait un peu colonialisme sexuel, non ?
http://www.rue89.com/rue69/2012/01/23/chez-les-romains-le-comble-du-plaisir-est-dans-le-baiser-pas-dans-le-penis-228572
His dictis, lorsque de riches occidentaux (genre Gide etc.) débarquaient en Afrique du Nord cueillir la fleur des "’adolescents à l’âge de leur première barbe", et même en deçà, ça faisait un peu colonialisme sexuel, non ?
- User5899Demi-dieu
Oui, peut-être. Mais moi qui ai grandi dans une grande ville méditerranéenne, Marseille pour ne pas la nommer, je puis témoigner du très très vif intérêt de bien des membres des populations d'origine maghrébine pour l'homosexualité :lol:
- EdgarNeoprof expérimenté
Ah , l'Occident, le grand Satan, toujours et encore.
"Toi dont l’œil est sorcier, ô Destin endormi !
Le mystère des cœurs pour toi est sans secret.
Il te suffit de voir pour percer, par magie,
et rendre clair ce qui était discret.(...)
Abu Nawas
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- Marcel KhrouchtchevEnchanteur
Franchement, les bras m'en tombent. De toute façon, tout ce qui va mal dans le monde est de la faute à "l'Occident". Que devons-nous en déduire? Que si les descendants de colonisés sont les victimes, les descendants des colonisateurs sont les coupables? Il n'y a donc aucune chance que ce soit tout simplement l'Islam radical qui soit à l'origine de cette homophobie? De la même manière que les catholiques radicaux sont aussi homophobes?
N'y a-t-il pas une part de responsabilité des homophobes? On va les victimiser aussi?
Non, bien sûr, il faut que ce soit la faute à la colonisation.
Franchement, je considère que la colonisation a été une aventure lamentable. Mais de là à en faire l'explication à tous les problèmes du monde... On a l'impression que ça sert à éviter à certains de réfléchir.
N'y a-t-il pas une part de responsabilité des homophobes? On va les victimiser aussi?
Non, bien sûr, il faut que ce soit la faute à la colonisation.
Franchement, je considère que la colonisation a été une aventure lamentable. Mais de là à en faire l'explication à tous les problèmes du monde... On a l'impression que ça sert à éviter à certains de réfléchir.
- EdgarNeoprof expérimenté
Marcel Khrouchtchev a écrit:Franchement, les bras m'en tombent. De toute façon, tout ce qui va mal dans le monde est de la faute à "l'Occident". Que devons-nous en déduire? Que si les descendants de colonisés sont les victimes, les descendants des colonisateurs sont les coupables? Il n'y a donc aucune chance que ce soit tout simplement l'Islam radical qui soit à l'origine de cette homophobie? De la même manière que les catholiques radicaux sont aussi homophobes?
N'y a-t-il pas une part de responsabilité des homophobes? On va les victimiser aussi?
Non, bien sûr, il faut que ce soit la faute à la colonisation.
Franchement, je considère que la colonisation a été une aventure lamentable. Mais de là à en faire l'explication à tous les problèmes du monde... On a l'impression que ça sert à éviter à certains de réfléchir.
C'est assez commode en effet pour ne pas accuser la bêtise universelle et intemporelle des hommes de toutes couleurs, de toutes confessions et de toutes origines, et proposer en échange une vision idéalisée des autres cultures que la nôtre, une sorte de paradis perdu, surtout en ces temps de doute et de perte de confiance en elle de notre société, qui la minent de l'intérieur.
- Reine MargotDemi-dieu
oui, ça n'empêche pas de considérer la bêtise humaine...pour autant la radicalisation de l'islam est assez récente quand même (le wahabbisme date du 18e)
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- Marcel KhrouchtchevEnchanteur
Reine Margot a écrit:oui, ça n'empêche pas de considérer la bêtise humaine...pour autant la radicalisation de l'islam est assez récente quand même (le wahabbisme date du 18e)
Oui, parfaitement. Et en deux siècles, seul l'Occident est responsable de cette radicalisation islamiste.
Par ailleurs, on remarquera que l'Occident est la principale source de revenus des Etats pétroliers comme l'Arabie Saoudite. Mais j'imagine qu'en leur achetant leur pétrole, les Occidentaux ont un plan diabolique pour asservir et aliéner les pays arabes qui n'ont d'autre choix que de se réfugier dans l'obscurantisme le plus détestable.
- JPhMMDemi-dieu
Plus je lis cette partie, plus elle me semble stupide et nauséabonde.Il faut savoir que la littérature arabe classique ne concevait pas l’homosexualité comme un fait identitaire mais plutôt comme un ensemble de pratiques, d’où une profusion terminologique: liwat (pénétration anale), lûti (sodomite actif), ma’bûn (sodomite passif), mukhannath (effeminé), mu’ajir (prostitué masculin), musahiqa (lesbienne),... [3] En effet, la culture arabo musulmane prémoderne "trace une ligne entre le rôle "insertif" et le rôle "réceptif" (dans la pénétration anale ou vaginale), plus importante que celle qui distingue entre partenaire de même sexe ou partenaires de sexe différent" [4]. Alors que le vocabulaire de l’arabe moderne propose les termes de shudhûdh jinsi (déviation sexuelle) et tout récemment mithliyya jinsiyya (littéralement, homosexualité) plus politiquement corrects qui renvoient à une catégorisation et une identité sexuelle similaire à celle en vigueur dans l’Ouest.
Stupide, puisqu'on pourrait tenir exactement le même discours, mutatis mutandis, à propos de la littérature classique française — quel Extrême-Occident accuser alors d'avoir introduit l'homophobie en France ? d'autant qu'on comprend la difficulté à concevoir un fait identitaire homosexuel à des dates où le mot-même d'homosexualité n'existait pas, ou n'était pas usité... le mot étant nécessaire au concept.
Nauséabonde, car dans les implicites de ses arguments, elle voudrait signifier que l'homophobie est un produit de l'identité sexuelle homosexuelle.
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Labyrinthe où l'admiration des ignorants et des idiots qui prennent pour savoir profond tout ce qu'ils n'entendent pas, les a retenus, bon gré malgré qu'ils en eussent. — John Locke
Je crois que je ne crois en rien. Mais j'ai des doutes. — Jacques Goimard
- JohnMédiateur
Je ne vois pas ce paragraphe comme ça : elle dit simplement qu'on distinguait plutôt les actifs (des hommes) et les passifs (des hommes et des femmes), plutôt que les hétéros et les homos.
C'est d'ailleurs la distinction que Gide fait lui-même dans Corydon (livre par certains côté assez imbuvable d'ailleurs...), et ça recoupe les conceptions antiques.
C'est d'ailleurs la distinction que Gide fait lui-même dans Corydon (livre par certains côté assez imbuvable d'ailleurs...), et ça recoupe les conceptions antiques.
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- JPhMMDemi-dieu
Mais en quoi le lexique de la littérature classique arabe donné diffère-t-il tant des lexiques des littératures classiques européennes (des mêmes époques donc) ? Je ne vois pas en quoi le changement de lexique ici ce serait un argument, puisqu'il ne serait pas argument dans les pays occidentaux (et pour cause).
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- JPhMMDemi-dieu
Et Pascal Quignard aussiJohn a écrit:C'est d'ailleurs la distinction que Gide fait lui-même dans Corydon
(Ok je sors... )
Plus sérieusement, j'ai compris ton argument, et il est vrai que c'est une lecture sans doute plus fidèle à l'esprit.
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- CathEnchanteur
Marcel Khrouchtchev a écrit:Franchement, les bras m'en tombent. De toute façon, tout ce qui va mal dans le monde est de la faute à "l'Occident". Que devons-nous en déduire? Que si les descendants de colonisés sont les victimes, les descendants des colonisateurs sont les coupables? Il n'y a donc aucune chance que ce soit tout simplement l'Islam radical qui soit à l'origine de cette homophobie? De la même manière que les catholiques radicaux sont aussi homophobes?
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Non, bien sûr, il faut que ce soit la faute à la colonisation.
Franchement, je considère que la colonisation a été une aventure lamentable. Mais de là à en faire l'explication à tous les problèmes du monde... On a l'impression que ça sert à éviter à certains de réfléchir.
Oui, je me disais aussi que ça faisait longtemps que l'Occident n'était pas responsable de quelque chose...
- JEMSGrand Maître
Il est bien connu que les pays arabes ont été colonisés bien avant le XIXème siècle . Abou Nawas IXème siècle, Ali Al-Baghdad XIVème siècle sont des preuves que l'amour entre personnes du même sexe n'est pas lié à la transposition des mœurs d'une civilisation.
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