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Robin
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par Robin Jeu 9 Aoû 2012 - 13:16
Un homme politique connu pour son franc parler avait coutume de dire qu'en politique les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Dans la vie courante, promettre quelque chose que l'on sait ne pas ne pas pouvoir ou ne pas vouloir tenir, s'appelle un mensonge et le mensonge n'est pas considéré comme une "vertu". Ce qui est considéré comme un vice dans la vie privée serait-il une vertu dans la vie politique ? poser une telle question, c'est admettre la possibilité d'une double "morale", une morale privée et une morale publique, une morale privée où le mensonge serait un vice et une "morale" politique où il serait une vertu. Le mensonge est-il une vertu politique ? Nous réfléchirons dans un premier temps sur la question du mensonge en général, puis nous examinerons les rapports entre le mensonge et la politique. Nous réfléchirons enfin sur la légitimité d'une "double morale".

Du bas latin mentire, le mensonge est une assertion clairement contraire à la vérité, faite dans l'intention de tromper. Le mensonge est proscrit dans le Décalogue ("Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain."). Emmanuel Kant pose la question de savoir si on a le droit de mentir dans certaines circonstances ou si l'on doit s'abstenir de mentir, quelles que soient les circonstances (doit-on dire la vérité à un malade ou dire un mensonge "de finesse" pour éviter un mal ?).

Pour Kant, il faut obéir à l'impératif catégorique qui prescrit une action comme nécessaire en elle-même, et non à l'impératif hypothétique qui subordonne l'action à une fin extérieure (l'intérêt, la diplomatie, la prudence) et donc proscrire le mensonge en toutes circonstances.

"Et si tout le monde en faisait autant ?" Une morale qui admettrait le mensonge détruirait le lien social.

Nietzsche a souligné la relation essentielle entre la morale et la mémoire. La survie de la société repose sur la capacité des hommes (au moins d'une majorité d'entre eux) à tenir leurs engagements.

La question du mensonge est liée au langage, comme celle de la vérité. "Le langage a été donné à l'homme pour dissimuler sa pensée (on pourrait ajouter "pour mentir") disait, non sans cynisme un homme célèbre pour sa longévité politique : Talleyrand. "Dès que le rôle du langage est en jeu, fait remarquer Hannah Arendt dans le Prologue de Condition de l'Homme moderne, le problème devient politique par définition, puisque c'est le langage qui fait de l'homme un animal politique."

On peut utiliser le langage pour exercer un pouvoir sur autrui, pour le convaincre ou pour le persuader (les deux fonctions de la rhétorique), indépendamment ou non du souci de la vérité. Quand le langage se dissocie du souci de vérité, on parle de "sophistique". Les Sophistes grecs se faisaient forts de démontrer n'importe quel point de vue et préparaient les jeunes gens à prendre la parole dans les assemblées. Il s'agissait non pas de leur apprendre à chercher la vérité, mais l'efficacité, sans se soucier des moyens pour y parvenir, y compris le recours au mensonge.

Quel que soit le régime politique, démocratique ou autoritaire, les hommes politiques prononcent des discours, expliquent et justifient leur action, soulignent plus ou moins discrètement leurs réussites, s'excusent (beaucoup plus rarement) de leurs échecs et font des promesses. "En politique, les promesses n'engagent que ceux qui y croient." : cette justification du mensonge en politique a le mérite de la sincérité. Elle dévoile les "dessous des cartes", ce que tous les hommes politiques savent, mais qu'ils se gardent généralement de dire.

"Comment prendre le pouvoir et le conserver ?" Tel est, pour Machiavel, la question politique par excellence. L’État est réduit à des mécanismes de conquête et de conservation, et la politique aux techniques qui permettent de gouverner.

Machiavel sépare le politique du religieux et enlève à l’État toute substance morale. Dans la mesure où l'homme d’État doit se soucier de la "marche des choses", il n'a pas à s'inquiéter de conformer son action à une norme morale. Il suffirait que cette norme soit contraire aux circonstances pour conduire l’État à sa perte. Machiavel est ainsi amené à condamner tout projet politique fondé sur un projet moral et toute réflexion sur la cité idéale.

Machiavel ne prône pas pour autant l'immoralisme en politique. Il ne dit pas que les gouvernants doivent opprimer et mentir, mais que dans leurs jugements et leurs actes, ils ne doivent pas tenir compte de considérations morales. Politique et morale sont deux domaines distincts. Un État peut recourir à des méthodes scélérates pour se maintenir, mais il doit s'en abstenir s'il n'en a pas besoin. Cette aptitude à s'adapter à la "fortune" en utilisant éventuellement la ruse, le mensonge et la tromperie, Machiavel l'appelle justement la "virtu" (expression que l'on a traduit assez improprement par le mot "vertu"). A la question "le mensonge est-il une vertu en politique ?", Machiavel répondrait donc : oui.

Machiavel pense que "la fin justifie les moyens", que l'unité et la stabilité de l’État sont des valeurs absolues.

Le réalisme politique de Machiavel s'appuie sur une vision pessimiste de l'homme : les hommes sont méchants, inconstants et déraisonnables, incapables de tenir leurs engagements. S'ils étaient raisonnables, il serait possible de les gouverner par les lois, mais parce qu'ils ne le sont pas, le Prince doit "faire la bête" : "être fort comme le lion et rusé comme le renard".

Cette conception de la politique selon laquelle la fin (la conservation du pouvoir) justifie les moyens ne justifie-t-elle pas à l'époque moderne cette pratique généralisée du mensonge que Machiavel ne pouvait prévoir, sous la forme du marketing politique, de la propagande et de l'endoctrinement ? "Un mensonge répété dix fois reste un mensonge ; répété dix mille fois, il devient une vérité." (Adolf Hitler)

En accusant les Juifs d'être responsables de tous les maux, les nazis justifient la solution finale, en faisant endosser aux nazis l'assassinat, sur son ordre, de 22 000 officiers et étudiants polonais à Katyne, Staline se donne les moyens d'annexer plus facilement la Pologne. En prétendant que S. Hussein est en train de se doter de l'arme atomique, les Américains justifient la guerre en Irak.

Des affirmations telles que "l'Union européenne nous préserve de la guerre" ou "L'Union européenne a été faite pour contrecarrer l'impérialisme américain" ou des assertions grossièrement approximatives telles que : "la France est trop petite pour s'en sortir toute seule" ont pour fonction de légitimer des pertes toujours plus grandes de souveraineté au profit d'un Empire technocratique supra-national censé assurer la paix (la prospérité, l'indépendance face à la puissance américaine, etc.)

Hannah Arendt dans son Essai intitulé "Du mensonge à la violence" explique comment, durant la Guerre du Vietnam, le mensonge délibéré a été érigé comme instrument politique.

Les systèmes totalitaires, les technocraties mentent à grande échelle et s'en prennent au langage. En altérant le langage (la grammaire, le vocabulaire, la syntaxe, l'orthographe...), on appauvrit et on altère la pensée.

L'allemand permet de créer des mots composés et les nazis ne se sont pas privés de cette possibilité pour inventer des mots au service de leur propagande. Il y a donc eu une langue nazie.

Ce sont les particularités de cette « novlangue » que Victor Klemperer a consciencieusement notées pendant les années du nazisme, ce qui lui servait aussi à garder son esprit critique et à résister individuellement à l'emprise du régime hitlérien.

Klemperer souligne dans ses carnets toutes les possibilités d'asservir la langue, et donc la pensée au profit de la manipulation des masses.

George Orwell note de son côté dans 1984 que l'on peut faire dire n'importe quoi aux mots : "La Paix c'est la Guerre", "Le Mensonge, c'est la Vérité"...

L'anthropologie de Machiavel semble en contradiction avec l'idée d'une double morale. S'il est vrai que les hommes sont essentiellement et incurablement méchants, inconstants, déraisonnables et incapables de tenir leurs engagements, à quoi sert de leur demander de ne pas mentir ? Si on promulgue des normes morales, c'est que l'on estime que les hommes sont capables de tenir leurs engagements (ce qu'ils font, en effet, généralement, comme le fait remarquer Nietzsche) et bien qu'ils ne soient pas toujours "désintéressés", ils ne sont pas absolument "méchants", inconstants et déraisonnables.

Peut-on considérer par ailleurs que le but suprême de l'action politique soit la stabilité de l’État ? Toute autre est la conception de Platon dans La République. Le but de la politique n'est pas la simple conservation de la cité, mais de permettre aux hommes qui la composent de mener la vie la meilleure possible.

A l'anthropologie pessimiste de Machiavel et à sa conception cyclique de l'Histoire, on opposera l'optimisme mesuré de Spinoza et la croyance de la Philosophie des Lumières dans la "perfectibilité" de l'homme ou encore la conception augustinienne de l'homme, créature déchue, mais susceptible de se dépasser et d'accéder au salut et à la plénitude de l'être absolu et donc à une relativisation du politique à travers la théorie des "deux cités" (la cité terrestre et la cité céleste), alors que la vision machiavélienne risque d'aboutir à l'idée qu'il n'y a rien au-dessus de l’État et que la politique relève exclusivement de la technique.

Comment expliquer que le mensonge qui détruit toute possibilité de vie sociale soit considéré tantôt comme un mal et tantôt comme un bien ? Machiavel a répondu à cette question en prétendant que la fin justifiait les moyens, le but de la politique étant la conquête et la conservation du pouvoir. Cette conception de la politique ne justifie-t-elle pas la pratique généralisée du mensonge sous la forme de l'endoctrinement, du marketing politique et de la propagande, mais ne conduit-elle pas aussi à la défiance de la "société civile" vis-à-vis du politique et par conséquent, à terme, à la disparition de sa légitimité ?









Dernière édition par Robin le Dim 12 Aoû 2012 - 21:14, édité 1 fois
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par Invité Jeu 9 Aoû 2012 - 13:45
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par Robin Dim 12 Aoû 2012 - 16:51
Will.T a écrit:Bac Philo 2012 : Le mensonge est-il une vertu politique ? 52353

Hannah Arendt explique à partir d'un cas historique particulier : la Guerre du Vietnam, le rôle du mensonge en politique à l'époque moderne (Du mensonge à la violence, Essais de politique contemporaine, Calmann-Lévy, AGORA, Presses Pocket) : "Des documents du Pentagone, ainsi qu'il arrive fréquemment dans l'Histoire, écrit-elle, des lecteurs différents pourront tirer des enseignements fort divers. Les uns estiment qu'ils viennent enfin de comprendre que le Vietnam représentait l'aboutissement "logique" de la guerre froide ou de l'idéologie anticommuniste ; d'autres, qu'il s'agit là d'une occasion unique de comprendre le processus où s'empêtrent les décisions gouvernementales ; mais la plupart se retrouvent d'accord pour penser que le problème fondamental posé par ces documents est celui de la tromperie (...) (Chapitre I, p. 7-8 "Du mensonge en politique")
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