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Robin
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Sigmund Freud, L'avenir d'une illusion, explication d'un extrait Empty Sigmund Freud, L'avenir d'une illusion, explication d'un extrait

par Robin Jeu 9 Aoû - 21:32
L'Avenir d'une illusion est un ouvrage de Sigmund Freud, paru en 1927 sous le titre original Die Zukunft einer Illusion.

« Prenons en considération la genèse psychique des représentations religieuses. Celles-ci, qui se donnent pour des dogmes, ne sont pas des précipités d’expériences ni des résultats d’une pensée, ce sont des illusions, des accomplissements des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus urgents de l’humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs. »

Sigmund Freud

"Une illusion n'est pas la même chose qu'une erreur, une illusion n'est pas non plus nécessairement une erreur. L'opinion d'Aristote, d'après laquelle la vermine serait engendrée par l'ordure (...) était une erreur (...), alors que c'était une illusion de la part de Christophe Colomb, quand il croyait avoir trouvé une nouvelle route maritime des Indes. La part de désir que comportait cette erreur est manifeste (...) Ce qui caractérise l'illusion, c'est d'être dérivée des désirs humains ; elle se rapproche par là de l'idée délirante en psychiatrie (...)

L'idée délirante est essentiellement - nous soulignons ce caractère - en contradiction avec la réalité ; l'illusion n'est pas forcément fausse, c'est-à-dire irréalisable ou en contradiction avec la réalité. Une jeune fille de condition modeste peut par exemple se créer l'illusion qu'un prince va venir la chercher pour l'épouser. Or ceci est possible ; quelques cas de ce genre se sont réellement présentés. Que le Messie vienne et fonde un âge d'or, voilà qui est beaucoup moins vraisemblable : suivant l'attitude personnelle de celui qui est appelé à juger de cette croyance, il la classera parmi les illusions ou parmi les équivalents d'une idée délirante. (...) Ainsi nous appelons illusion une croyance quand, dans la motivation de celle-ci, la réalisation d'un désir est prévalente, et nous ne tenons pas compte, ce faisant, des rapports de cette croyance à la réalité, tout comme l'illusion elle-même renonce à être confirmée par le réel."

Sigmund Freud, L'Avenir d'une illusion (1948)

1.- Vermine : insectes parasites (poux, punaises)
2.- prévalente : principale


I/ Compréhension :

1) Expliquez l'exemple de Christophe Colomb (l.4) : qu'a-t-il fait ? S'agissait-il d'une erreur ? d'une illusion ?

2) Sur quels points essentiels Freud distingue-t-il l'illusion de l'erreur et de l'idée délirante ?

3) "Ce qui caractérise l'illusion, c'est d'être dérivée des désirs humains" (l. 6-7). Pour quelle raison les hommes désirent-ils l'illusion ? Quel est ici le sens du mot "désir" ?

4) Expliquez l'exemple de la jeune fille épousée par un prince : que sert-il à illustrer ? S'agit-il d'une idée contradictoire ? d'une illusion ? Vous justifierez votre réponse.

5) Expliquez la fin du texte : "l'illusion elle-même renonce à être confirmée par le réel".

6) Dressez la liste de tous les exemples proposés dans le texte. Précisez à quoi sert chacun d'eux.

7) Exposez l'idée principale de ce texte et montrez comment chaque étape du raisonnement enrichit ou précise la notion d'illusion.

II/ Réflexion :

8) Pourquoi une illusion n'est-elle pas "nécessairement une erreur" ?

9) Montrez en quoi une illusion se définit avant tout par son utilité et par la fonction qu'elle occupe chez celui qui la subit.

10) Toute croyance est-elle illusoire ?

Eléments de réponses :

1) Christophe Colomb cherchait une voie maritime vers les Indes, plus sûre et plus rapide que la voie terrestre. Il ignorait l'existence d'un continent entre l'Europe et l'Inde, plus tard baptisé Amérique.

Christophe Colomb se trompait ; on pourrait donc considérer qu'il était dans l'erreur. Pour S. Freud, cependant, Christophe Colomb était plutôt dans l'illusion et il va expliquer pourquoi.

2) Contrairement à l'idée délirante, l'illusion n'est pas irréalisable. Christophe Colomb n'était pas fou, son idée était parfaitement censée et logique dans le contexte des connaissances de son époque et l'hypothèse (exacte) de la rotondité de la terre.

L'illusion et l'idée délirante ont cependant un point commun qui, selon Freud, les distingue toutes deux de l'erreur, elles sont dérivées du désir humain. Le philosophe grec Aristote (- IVème siècle avant J.-C.) pensait que les insectes parasites naissaient spontanément de la décomposition de la matière (théorie de la génération spontanée). Louis Pasteur démontra expérimentalement, plusieurs siècles plus tard, que cette théorie qui a longtemps prévalu était fausse.

Cependant, la théorie de la génération spontanée d'Aristote n'était pas motivée par la réalisation d'un désir, mais provenait d'une erreur concernant l'origine, la causalité d'un phénomène. Christophe Colomb, lui, désirait ardemment démontrer la possibilité de gagner les Indes par voie maritime ; ce n'était pas seulement une erreur, c'était une illusion.

3) Comme le montre Platon dans Le mythe de la caverne (République, Livre VII), les prisonniers enchaînés ne savent pas qu'ils vivent dans l'illusion (ils prennent les ombres projetées sur la paroi de la caverne pour les objets eux-mêmes) ; seul le prisonnier qui a vu les objets, le feu, la lumière, le soleil, sait que les ombres et les échos sont des illusions ; les prisonniers tiennent à leurs illusions parce qu'elles leur apportent des satisfactions. Ils ont acquis des connaissances à leur sujet, ils se décernent des honneurs les uns aux autres en fonction de ces connaissances.

Platon suggère que la relation à la vérité n'est pas une relation purement intellectuelle. Freud ne dit pas autre chose quand il montre que l'illusion est générée par le désir.

Une erreur est plus facile à corriger qu'une illusion : dans l'erreur, seul l'intellect est engagé, alors que dans l'illusion et dans l'idée délirante, c'est toute la vie affective d'une personne.

4) L'exemple de la jeune fille de milieu modeste qui rêve d'être épousée par un prince n'est pas une idée délirante, car le souhait de cette jeune fille n'est pas foncièrement irréalisable : il existe des cas de ce genre, même s'ils sont rares. Ce n'est pas non plus une erreur, mais bien une illusion car ce rêve, ce fantasme, exprime le désir profond de la jeune fille, il est intimement lié à sa vie affective.

5) Ce qui distingue l'illusion de l'idée délirante est le caractère irréalisable de l'idée délirante ; contrairement à l'idée délirante, l'illusion est éventuellement réalisable. Mais l'illusion, comme l'idée délirante, ont une origine commune : le désir humain et toutes deux refusent d'être confirmées par le réel.

Par exemple, la jeune fille rêvera toute sa vie qu'un prince va venir l'épouser ou que son époux est un prince et qu'elle est une princesse et dans ce cas, on pourra dire que l'illusion de départ (rêver d'être épousée par un prince) se transformera en idée délirante.

Dans le Mythe de la caverne, les prisonniers enchaînés se moquent du prisonnier délivré, ils refusent de le croire quand il parle des objets réels, de la lumière et du soleil et ils veulent même le mettre à mort car il dérange l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes et du monde.

6) L'exemple d'Aristote (la théorie de la "génération spontanée") sert à montrer ce qu'est une erreur, l'exemple de Christophe Colomb sert à distinguer l'illusion de l'erreur, l'exemple de la jeune fille à distinguer l'illusion de l'idée délirante et enfin le millénarisme (la croyance que le Messie viendra régner sur la Terre pendant mille ans) à montrer ce qu'est une idée délirante.

7) L'idée principale de ce texte est la distinction entre l'erreur et l'illusion. L'erreur relève de l'entendement, l'illusion relève du désir. L'idée délirante diffère de l'illusion par son caractère irréalisable, mais toutes deux ont la même origine : le désir. On parle d'illusion, quand, dans la motivation d'une croyance, la réalisation d'un désir est prévalent et ne tient pas compte de la réalité.

8) L'une des définitions de la vérité est l'adéquation entre l'entendement et les choses ("adequatio rei et intellectus") ; pour Aristote et pour Thomas d'Aquin, philosophe et théologien du XIIIème siècle, la vérité et l'erreur ne résident pas dans la perception des choses, mais dans le jugement que je porte sur elles.

Une perception n'est ni vraie, ni fausse, elle est. Par exemple, je perçois le soleil plus grand à l'horizon qu'au zénith, c'est une illusion car le soleil ne grandit pas à mesure qu'il "se couche", autre exemple : je perçois la Terre comme étant plate et je vois le soleil tourner autour de la Terre, ce sont des illusions et non des erreurs.

Troisième exemple, donné par Descartes : un bâton plongé dans l'eau m'apparaît brisé, ce n'est pas une erreur, mais une illusion. Si je dis "le soleil me semble plus grand à l'horizon", "il me semble tourner autour de la Terre", le bâton me semble brisé", je ne fais que dire la vérité sur la manière dont je perçois le monde, dont le monde m'apparaît en vertu de la constitution de mon entendement et de mes sens et, en ce qui concerne le bâton brisé, des lois de la réfraction de lumière.

L'erreur apparaît si et seulement si je porte un jugement sur ce que je perçois, si j'affirme que ma perception des choses correspond effectivement à la réalité, si je dis par exemple que le soleil grandit à l'horizon, que la Terre est plate, que le Soleil tourne autour de la Terre et qu'un bâton plongé dans l'eau "est" effectivement brisé.

Puisque la vérité est l'accord entre l'esprit et les choses, l'erreur est dans le jugement et non dans les choses.

9) Il arrive à chacun d'entre nous d'être convaincu de quelque chose au point d'être persuadé que notre point de vue ne peut qu'être vrai pour autrui. Il nous arrive bien souvent aussi de nous rendre compte qu'autrui ne nous comprend pas, qu'il a sa propre vérité. Cette expérience du "malentendu", ou, pour reprendre un concept jadis à la mode, de "l'incommunicabilité des consciences" survient le plus souvent dans des situations de conflits d'intérêt et/ou affectifs avec des proches.

Il n'y aurait donc pas de vérité en soi, mais des points de vues différents, souvent divergents ; loin d'être une réalité purement "intellectuelle", objective, transparente, la notion de vérité, en dehors du domaine de la science (et encore !) s'enracine dans nos intérêts particuliers, nos désirs enfouis, dans des stratégies d'évitement ou d’auto-justification inconscients au nom de la haute idée que l'on se fait de soi-même et de ses droits (le "narcissisme") et de l'idée que l'on se fait des autres (la rivalité mimétique), et relève de la passion plutôt que de la raison.

La distinction que fait Freud entre l'illusion et l'erreur peut nous aider à comprendre ce phénomène et d'éviter de nous enferrer dans des conflits interminables.

La psychanalyse freudienne ne se satisfait pas du fonctionnement ordinaire de l'inconscient (si peu extraordinaire que l'on finit, ordinairement, par en tomber malade), elle cherche à faire la lumière et à rendre conscient ce qui ne l'était pas ("Là où c'était, je dois advenir", dit Freud)

Si l'un des deux interlocuteurs a accepté de faire la vérité sur lui-même, le point de vue qu'il a sur autrui sera aussi plus "vrai" parce que, comme le dit L’Évangile, il aura "commencé à enlever la poutre qui est dans son oeil".

Bien entendu, il est possible, il est même plus que probable qu'autrui ne soit pas disposé à comprendre notre point de vue, c'est-à-dire à cheminer vers cette vérité qui n'est ni la mienne, ni la sienne, mais qui est "entre nous" et qu'il veuille demeurer dans l'illusion, au sens que Freud donne à ce terme, c'est-à-dire dans la justification plus ou moins inconsciente de ses intérêts personnels et de ses désirs. Si le dialogue se réduit à un monologue, si le malentendu l'emporte, nous aurons pris tous les risques, mais en échange, nous aurons au moins gagné le fait d'être un peu plus libres en renonçant en partie à nos illusions.

10) Toute croyance est-elle illusoire ? La thèse principale de L’avenir d'une illusion de S. Freud réside dans l'affirmation du caractère illusoire des croyances, en particulier des croyances religieuses.

Dire que les croyances religieuses sont "Illusoires" ne veut pas dire qu'elles sont "fausses". Freud ne s'intéresse pas à la question de l'existence de Dieu, mais à l'origine de la croyance religieuse : le besoin de croire en un être supérieur. Ce besoin, selon Freud, a pour origine la faiblesse de l'enfant humain, entièrement dépendant des soins de ses parents pendant plusieurs années et le besoin de cet enfant, devenu adulte, de recourir à de nouvelles figures parentales.

Nous ne croyons pas en Dieu parce que nous savons que Dieu existe, mais parce que nous en avons besoin. La croyance correspond donc à la définition de l'illusion donnée par Freud dans le texte que nous avons étudié : "Ainsi, nous appelons illusion une croyance quand, dans la motivation de celle-ci, la réalisation d'un désir est prévalente, et nous ne tenons pas compte, ce faisant, des rapports de cette croyance à la réalité, tout comme l'illusion elle-même renonce à être confirmée par le réel.

La question de la religion est englobée dans une problématique plus vaste qui est celle de l'avenir de la culture occidentale :

« Comme pour l'humanité dans son ensemble, la vie pour l'individu est lourde à supporter. La culture à laquelle il participe lui impose un lot de privations, les autres hommes lui dispensent un degré de souffrance, soit malgré les prescriptions de la culture, soit par suite de l'imperfection de cette culture. S'y ajoute ce que la nature, non soumise à la contrainte, lui inflige comme dommages et qu'il appelle destin.

Un état d'attente angoissée permanent et une grave atteinte au narcissisme naturel devraient être la conséquence de cet état. Comment l'individu réagit aux dommages causés par la culture et par les autres, nous le savons déjà ; il développe, à la mesure de ces dommages, une résistances contre les dispositifs de cette culture, une hostilité à la culture." (S. Freud, L'Avenir d'une illusion, trad. Anne Balseinte, Jean-Gilbert Delarbre, Daniel Hartmann, PUF coll. "Quadrige Grands textes", 2004)

Contrairement à Marx et à Feuerbach, Freud ne croit pas à la disparition prochaine de la religion en fonction des progrès de la science et de la raison et de la mise en place d'un système social et politique qui rendrait la religion superflue.

Il croit au contraire à la prolifération du religieux, en raison de la fragilité constitutive de la psyché humaine, des "dommages causés par la culture" et de la nécessité de se défendre contre les surpuissances de la nature et du destin".

Mais cette prolifération du religieux constitue à son tour une menace contre la culture et l'intégrité humaine. En admettant que toute croyance soit illusoire et s'il faut admettre que le besoin de croire est constitutif de la psyché humaine, il conviendrait d'éprouver constamment nos croyances afin, comme le dit Max Scheler, à défaut de ne croire en rien, de croire en un Dieu vivant plutôt qu'en une idole.

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