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par John Dim 12 Fév 2012 - 11:30
71 % des Américains pensent que leur pays est en déclin.

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2012/02/11/les-etats-unis-au-defi-du-declin_1641378_3222.html

Les Etats-Unis au défi du déclin

LE MONDE CULTURE ET IDEES | 11.02.12 | 11h07

Insidieusement depuis la crise financière, le "déclinisme" s'est introduit dans le débat public américain.

Perché à 1 500 mètres d'altitude dans les neiges des Alpes suisses, Davos est un bon endroit pour jauger la puissance américaine. Chaque année, depuis quarante et un ans, à l'initiative d'un ancien professeur de l'université de Genève, Klaus Schwab, l'élite des riches et puissants de la planète s'y retrouve, volontairement captive, pour un brainstorming collectif de quatre jours. Pour enrichir le débat, quelques contestataires triés sur le volet sont conviés. Naturellement, depuis sa création, le Forum économique mondial de Davos a été dominé par les Américains, qui fournissent les plus forts contingents de riches et de puissants.

Bien sûr, les années 2000 ont vu le Forum s'ouvrir aux nouveaux venus de la mondialisation triomphante - Chinois, Indiens, Brésiliens, Turcs. Leur irruption a transformé la physionomie, autant que la vie nocturne, de ce rassemblement. Mais, fondamentalement, Davos restait un événement occidental, façonné par la pensée, les valeurs et les succès de l'Amérique. En 2008 et 2009, la crise financière s'est évidemment imposée aux discussions, mais les optimistes pouvaient à la rigueur n'y voir qu'un épisode conjoncturel. L'élargissement du cercle aux nouveaux venus confirmait, lui, la réussite du modèle américain, dont s'inspirait le monde émergent. Davos 2012, à première vue, ne devait pas échapper à la règle, même si les Chinois, retenus chez eux par l'arrivée de l'année du Dragon, étaient venus peu nombreux.

PARFUM DE DÉSESPÉRANCE

Pourtant, en cette fin janvier, de tables rondes en dîners-débats, il flotte sur la station de la montagne magique comme un parfum de désespérance. Une impression d'essoufflement, une envie d'innovation insatisfaite. La reprise économique qui se profile aux Etats-Unis ne change rien au fond. Etendue à l'Europe, la crise, clairement, est désormais systémique : le capitalisme est malade, l'Occident mal en point. Le combat des "99 % contre le 1 %" est devenu le symbole d'un niveau d'inégalité intolérable. Dans les années 1970, l'écart entre les plus bas et les plus hauts salaires d'une entreprise américaine était de 40 ; en 2007, il était passé à 400. La technologie semble avoir creusé le fossé et profite d'abord aux gens instruits. Interpellés, les riches et les puissants sont à court d'idées. On attend en vain l'étincelle. Nouriel Roubini, l'économiste qui, lui, ne se prive jamais de répondre depuis qu'il a prédit la crise américaine des subprimes, crie sa consternation face à l'absence de leader dans ce monde en désarroi : "Ce n'est plus le G20, raille-t-il, c'est le G zéro."

Le malaise explose au cours d'un dîner qui a pour thème "L'identité américaine au XXIe siècle". Il y a là des élus des deux chambres du Congrès, démocrates et républicains, deux gouverneurs, un membre de l'administration Obama, quelques PDG, des universitaires, que nous ne nommerons pas pour respecter les règles de Davos. Curieusement, très peu d'étrangers : l'identité américaine n'intéresserait-elle donc plus que les Américains ? Pour lancer le débat, chacun doit prendre brièvement la parole et proposer un mot, un seul, qui définisse à ses yeux l'identité américaine. Le résultat est assez attendu : "liberté", "ouverture", "opportunité". Un élu évoque le concept de déclin ; son mot à lui, ce sera "prise de conscience". La discussion, cependant, reste superficielle, parsemée de bons mots entre amis et de platitudes sur "la plus grande nation de la Terre".

"NOTRE SYSTÈME POLITIQUE EST BRISÉ"

Quand soudain, un petit homme met les pieds dans le plat. "Moi mon mot, dit-il, c'est "dysfonctionnel". Notre système politique est brisé. Or le mot qui définit les Etats-Unis, ce devrait être "coopération". Comment allez-vous vous y prendre pour vous mettre d'accord ?", lance-t-il à l'adresse des membres du Congrès. Cette fois-ci, on entre dans le vif du sujet. Le mot que personne n'a prononcé, bien qu'il soit dans toutes les têtes, c'est "gridlock", le blocage, le mot qui, aujourd'hui, définit Washington.

Un PDG relève qu'il y a dix ans ce dîner se serait tenu dans une salle beaucoup plus grande. "Maintenant les gens vont aux dîners des Chinois, des Indiens, des Brésiliens. Là, on nous a mis dans une salle plus petite pour qu'elle ait l'air plus remplie."

Les uns après les autres, les orateurs conviennent que "nous avons un problème aux Etats-Unis", que "le système est paralysé", qu'il faut "remettre l'économie et le rêve américains sur les rails". Ils accusent la toute-puissance des groupes de pression, l'incapacité du Congrès à produire des compromis. Au moment de se séparer, un des intervenants résume, réaliste : "Ce n'était pas une discussion très stimulante."

71 % DES AMÉRICAINS PENSENT QUE LEUR PAYS EST EN DÉCLIN

Insidieusement depuis la crise financière, le "déclinisme" s'est introduit dans le débat public américain. Appuyée par une abondante littérature, l'idée a fait son chemin dans l'opinion publique : selon un sondage publié en octobre par le magazine Time, 71 % des Américains pensent que leur pays est en déclin. Une idée que relayait d'ailleurs Freedom, le roman de Jonathan Franzen, publié aux Etats-Unis en septembre 2010 (éditons de l'Olivier, 2011). Ce roman, qui a remporté un immense succès, scrutait les dérives de la société américaine, et la fragmentation des idéaux sous l'effet de l'argent et du consumérisme.

Zbigniew Brzezinski, le vieux sage de la géopolitique américaine, ancien conseiller du président Carter pour la sécurité nationale, s'attaque à la question dans son dernier livre, Strategic Vision : America and the Crisis of Global Power ("Une vision stratégique, l'Amérique et la crise du pouvoir mondial", Basic Books, 2012). Il commence par souligner que la mode du déclin américain n'est pas nouvelle : lorsque les Soviétiques ont lancé Spoutnik, leur premier satellite en orbite, en 1957, et après le fiasco du Vietnam, les Etats-Unis ont cédé au doute. Dans les années 1980, l'invasion des grandes entreprises japonaises a créé une psychose qui n'est pas sans similitude avec celle de l'ascension de la Chine aujourd'hui. Chaque fois, relève Zbigniew Brzezinski, les Etats-Unis ont repris le dessus. L'intellectuel néoconservateur Robert Kagan réfute d'ailleurs brillamment la thèse du déclin dans un ouvrage tout juste publié, The World America Made ("Le monde que l'Amérique a fait") dont on dit qu'il est le livre de chevet de Barack Obama.

Le génie américain fonctionnera-t-il encore cette fois-ci ? Le concept actuel du déclin américain a deux dimensions : extérieure (qui s'explique par "the rise of the rest" - "l'ascension du reste du monde", selon l'expression de Fareed Zakaria -, et en particulier de la Chine) et intérieure, largement causée par le blocage institutionnel du système politique, qui prive l'exécutif américain des moyens d'agir. Barack Obama peut décider de faire tuer Ben Laden, mais il n'a pas les moyens de moderniser le réseau ferroviaire.

ASCENSION DE LA CHINE

La prédiction de Goldman Sachs selon laquelle la Chine, en termes de PIB, deviendra la première économie mondiale, devant les Etats-Unis, en 2027, a d'abord frappé les esprits. Elle date cependant d'avant la crise financière, et les Américains s'habituent maintenant à l'idée que cette échéance pourrait arriver plus tôt que prévu. Déjà, dans le classement annuel des dix premières entreprises mondiales que fait Fortune, trois entreprises chinoises talonnent trois entreprises américaines.

Alors, on se rassure. L'ascension de la Chine n'est pas forcément synonyme de déclin des Etats-Unis : ceux-ci garderont la prééminence dans la bataille des idées, des valeurs, de l'innovation et du pouvoir intellectuel. Rien, pourtant, n'est si sûr.


ESSOUFFLEMENT DE "LA FORMULE AMÉRICAINE"

Les Américains sont des gens qui ne regardent pas un problème sans chercher la solution. Comme Brzezinski, Thomas Friedman et Michael Mandelbaum, auteurs d'un autre livre récent sur le déclinisme, That Used to Be Us - How America Fell Behind in the World It Invented and How We Can Come Back ("Avant, c'était nous - Comment l'Amérique s'est laissé distancer dans le monde qu'elle a inventé, et comment elle peut revenir", Farrar, Straus & Giroux, 2011), cherchent donc la sortie du tunnel. Eux plaident pour une rénovation de "la formule américaine" qui a fait le succès des Etats-Unis depuis leur fondation, mais qui s'est essoufflée depuis les années 1990. Elle passe, nécessairement, par un retour aux sources fondamentales du credo américain et par la création d'un troisième parti politique pour sortir Washington de l'impasse.

Car c'est bien là que se situe l'origine du déclin. Pour Robert Lawrence, professeur à Harvard, "le problème du déclin américain est un problème d'institutions politiques. Notre processus est dysfonctionnel à cause de l'extrémisme et de la polarisation qui se sont emparés de la vie politique".

Dans la revue Foreign Affairs, George Packer, journaliste au New Yorker, analyse les fondements de ce qu'il appelle "le contrat brisé" et remonte à l'année 1978. Jusque-là, il existait dans la politique, les médias et les affaires des forces modératrices, dit-il. "Cela s'appelait l'establishment et ça n'existe plus." Cet arrangement, qu'il baptise "démocratie des classes moyennes", consistait en un "contrat non écrit entre le monde du travail, les employeurs et le gouvernement, entre l'élite et les masses".

Mais, pour George Packer, la rébellion des années 1960 puis le ralentissement économique consécutif au choc pétrolier des années 1970 ont érodé la confiance et affolé les patrons. Convaincu que le capitalisme était menacé, le monde des affaires s'est organisé, a financé des lobbies et des think tanks qui sont vite devenus des acteurs politiques. L'establishment s'est trouvé dépassé par les groupes de pression, les campagnes de communication massives (par téléphone, par courrier ou à la télévision). Les élus ont compris que, pour être réélus, il fallait de l'argent - de plus en plus d'argent -, et ils sont partis à la pêche aux fonds à Wall Street et auprès des grandes entreprises.

En 1978, l'adoption d'une série de lois a consacré l'emprise de l'argent sur la politique. Pour George Packer, "l'argent organisé et le mouvement conservateur ont saisi ce moment pour entreprendre un transfert massif, générationnel, de la richesse du pays vers les Américains les plus riches".

Toujours dans Foreign Affairs, d'autres intellectuels, Francis Fukuyama - qui, après avoir annoncé la fin de l'Histoire, pose à présent la question de "l'avenir de l'Histoire : la démocratie libérale peut-elle survivre au déclin de la classe moyenne ?" - et Charles Kupchan, qui décrypte "le malaise démocratique", font des analyses proches de celle de Packer.

LA HAUTE TECHNOLOGIE, TOUJOURS EN POINTE

L'humeur, certes, est moins sombre dans la Silicon Valley. Jimmy Wales, fondateur et PDG de Wikipedia, présent à Davos, lève un sourcil curieux : "Déclin ? Que voulez-vous dire ?" On lui explique rapidement, il capte, réfléchit trois secondes et répond : "Vous savez, je suis américain. Alors je n'y crois pas. Peut-être est-ce vrai en termes de budget militaire. Mais pour l'innovation, la haute technologie, ce sont toujours les Etats-Unis qui fournissent le meilleur environnement intellectuel et juridique."

Beaucoup aimeraient avoir la belle assurance du patron de Wikipedia. Même Sheryl Sandberg, la directrice générale de Facebook, se rend compte que la machine a des ratés. "Facebook et les autres, dit-elle, nous pourrions embaucher des milliers d'ingénieurs, mais nous ne les trouvons pas. Donc nous nous tournons vers l'immigration. Pour former des ingénieurs, la Chine et l'Inde sont meilleures que nous. Si nous ne réglons pas ce problème, les Etats-Unis perdront leur avance en technologie."

Ce n'est pas faute d'avoir averti, pourtant. Dès 2007, un important rapport élaboré par plusieurs instituts scientifiques publics, "Rising above the gathering storm" ("S'élever au-dessus de la tempête qui menace") tire le signal d'alarme. Il appelle l'Etat fédéral à investir d'urgence dans l'éducation mathématique et scientifique, dans la recherche ; à recruter et retenir les meilleurs étudiants américains et étrangers. Le rapport fait beaucoup de bruit, mais quelques mois plus tard Lehman Brothers fait faillite. La crise des subprimes éclate. L'argent du contribuable servira à renflouer les banques, pas les écoles.


LES CERVEAUX DÉSERTENT LES ETATS-UNIS

A Davos, au cours du dîner américain, le gouverneur d'un Etat de la Nouvelle-Angleterre interpelle l'assistance : "Y a-t-il ici quelqu'un qui soit contre l'idée de donner une carte verte (titre de séjour) à tous les étudiants étrangers qui obtiennent un doctorat d'une université américaine ?" Tout le monde sait que la force de l'Amérique a été d'attirer les meilleurs cerveaux du monde entier dans ses universités, de les former, puis de les garder. La Silicon Valley, les Prix Nobel, c'est cette manne-là.

Mais aujourd'hui, confrontés aux problèmes bureaucratiques de l'immigration et aspirés par la dynamique du monde émergent, les cerveaux repartent et vont nourrir l'innovation ailleurs. Les participants au dîner de Davos sont tous d'accord : il faut les retenir. "Et pourtant, tonne le gouverneur, nous sommes incapables de voter cette mesure au Congrès. Parce que, derrière, il y a toute la démagogie sur l'immigration." Grippé par la polarisation, le système est en panne.

Pendant ce temps, l'aile droite du Parti républicain livre une guerre idéologique surréaliste à la science, au changement climatique, au travail d'expérimentation. Les Etats-Unis sont leaders dans le domaine des biotechnologies, mais d'autres pays, la Chine, Singapour, Taïwan, sont en train de les rattraper.

LA MONDIALISATION SE RETOURNE CONTRE SON INITIATEUR

Il est là, le vrai défi du déclin américain. Pourquoi la mort de Steve Jobs, le 5 octobre, a-t-elle soulevé tant d'émotion ? Parce que, dans la morosité ambiante, les Américains n'ont pu s'empêcher de se demander si ce "héros américain" ne risquait pas d'être le dernier d'une magnifique lignée d'inventeurs. Trois mois plus tard, le New York Times publiait une enquête bouleversante sur la fabrication des produits Apple en Chine. Le premier article, "Comment les Etats-Unis ont perdu le travail de l'iPhone", montrait que, faute d'ingénieurs et de techniciens qualifiés, de souplesse manufacturière et de main-d'oeuvre bon marché rapidement disponible, la production de l'iPhone, inventé aux Etats-Unis, avait totalement échappé aux Américains et était assurée par des ouvriers chinois dans des conditions parfois inhumaines. Partie des Etats-Unis, fruit du credo économique américain, la mondialisation a soudain l'air de se retourner contre eux.


De l'évolution de la Chine dépend, de fait, la supériorité de la grande idée occidentale. L'ascension de la classe moyenne conduira-t-il à l'ouverture politique, ou le parti unique réussira-t-il à maintenir son contrôle, produisant ainsi un modèle alternatif ? Sans attendre la réponse, Barack Obama, succédant à George Bush qui voyait dans les Etats-Unis le pays "choisi par Dieu et par l'Histoire pour servir de modèle au monde", veut, lui, plus modestement, que l'Amérique reste "la nation indispensable".„ p
Sylvie Kauffmann

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par neomath Dim 12 Fév 2012 - 12:15
A Davos, au cours du dîner américain, le gouverneur d'un Etat de la Nouvelle-Angleterre interpelle l'assistance : "Y a-t-il ici quelqu'un qui soit contre l'idée de donner une carte verte (titre de séjour) à tous les étudiants étrangers qui obtiennent un doctorat d'une université américaine ?" Tout le monde sait que la force de l'Amérique a été d'attirer les meilleurs cerveaux du monde entier dans ses universités, de les former, puis de les garder. La Silicon Valley, les Prix Nobel, c'est cette manne-là.

Mais aujourd'hui, confrontés aux problèmes bureaucratiques de l'immigration et aspirés par la dynamique du monde émergent, les cerveaux repartent et vont nourrir l'innovation ailleurs. Les participants au dîner de Davos sont tous d'accord : il faut les retenir. "Et pourtant, tonne le gouverneur, nous sommes incapables de voter cette mesure au Congrès. Parce que, derrière, il y a toute la démagogie sur l'immigration."

Comme une étrange sensation de déjà vu ....
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par Condorcet Dim 12 Fév 2012 - 22:50
La fuite des cerveaux dans les pays censés être les plus développés devrait constituer un sujet d'inquiétude majeur. Pourquoi tel élève des Ponts choisit-il d'exercer ses talents dans une banque ? Pourquoi nos filières scientifiques universitaires se dépeuplent-elles ? Concernant le spectre du déclin inhérent au statut de grande puissance, il se traduit dans une course aux armements qui n'a guère de sens après l'effondrement de l'URSS et un impérialisme redoublé alors même que les instruments de la puissance (monnaie, avance technique, influence culturelle...) fléchissent.
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