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- Spinoza1670Esprit éclairé
J'ajoute une pièce au dossier :
CONFÉRENCE SUR L’ENSEIGNEMENT INTUITIF
PAR M. BUISSON, Inspecteur général de l’instruction publique.
(31 AOÛT 1878)
in Les Conférences pédagogiques faites aux instituteurs délégués à l'Exposition universelle de 1878. Troisième édition. 1880.
On y lit le passage suivant qui tend à faire de la méthode d'écriture-lecture (si le nom n'est pas prononcé, l'idée est là) un cas particulier de la méthode intuitive :
CONFÉRENCE SUR L’ENSEIGNEMENT INTUITIF
PAR M. BUISSON, Inspecteur général de l’instruction publique.
(31 AOÛT 1878)
in Les Conférences pédagogiques faites aux instituteurs délégués à l'Exposition universelle de 1878. Troisième édition. 1880.
On y lit le passage suivant qui tend à faire de la méthode d'écriture-lecture (si le nom n'est pas prononcé, l'idée est là) un cas particulier de la méthode intuitive :
Ferdinand Buisson a écrit:----Pourquoi donc est-il si difficile de développer cette sûreté de coup d’œil intellectuel chez l’enfant ? Pourquoi les maîtres qui s’imposent tant d’efforts pour faciliter l’étude à leurs élèves obtiennent-ils si rarement ce résultat de voir l’intelligence des enfants éveillée, alerte, en plein exercice, en plein mouvement ? C’est peut-être qu’ils se préoccupent trop, disons-le à leur honneur, de procéder dans leur enseignement avec le plus de logique possible. Car enfin, bien que cela semble un paradoxe, il y a deux logiques, il y a la logique naturelle qui est la logique de l’enfant, et puis la logique réfléchie et savante qui est celle de l’adulte. Nous sommes si familiarisés avec cette dernière, que nous nous figurons toujours qu’elle est pour l’enfant ce qu’elle est pour nous-mêmes. En voulez-vous un exemple ou deux.
----Un maître novice veut apprendre à lire à un enfant, il se rappelle aussitôt la fameuse maxime : il faut aller du simple au composé : — le simple, se dit-il, c’est un A, un B, un C; je vais donc apprendre à l’enfant d’abord l’A, le B, le C, toutes les lettres, puis leurs combinaisons deux à deux, trois à trois ; les lettres d’abord, puis les syllabes, puis les mots, puis les phrases. Cette marche est très-logique, elle est progressive, elle va du simple au composé. — Oui pour nous, mais non pour l’enfant, parce que l’enfant ne se meut pas comme nous dans l’abstrait, il ne se reconnaît bien que dans les réalités concrètes, sensibles, dont il a quelque expérience» Les sons pé, a et les signes P, A, lui sont bien moins accessibles que le mot papa. C’est que ce mot éveille une idée, représente quelqu’un à son esprit ; une syllabe coupée dans ce mot, une lettre isolée ne lui dit rien. Ce n’est pas simple pour lui, c’est vide de sens.
----Pour arriver à décomposer le mot en un certain nombre de sons figurés par des signes, il a fallu un travail d’analyse que l’enfant n’a jamais fait et ne peut comprendre. Le point de départ pour lui, l’élément simple, indécomposable, ce dont il a l’intuition parfaitement nette, c’est à la fois l’idée et le mot papa. Eh bien ! la méthode de lecture sera d’autant plus intuitive qu’elle le mettra plus vite en présence de mots réels, très-faciles, très-simples, - mais ayant un sens pour lui, de telle sorte que la lecture, au lieu d’être une suite technique d’exercices vocaux, s’éloigne le moins longtemps possible du langage parlé.
----De même en géographie. C’est dans l’intention de suivre une marche logique que les maîtres et les livres d’autrefois commençaient invariablement par donner à l’enfant la définition de la terre ; puis on lui disait : « Le globe terrestre est divisé en eaux et en terres ; les eaux comprennent telles et telles parties, les terres telles autres, » et ainsi de suite. Ordre très-rationnel pour l’adulte mais l’enfant qui n’a jamais vu ni le globe terrestre, ni l’Océan, ni un détroit, ni un isthme, ni un golfe, ni le reste, ne trouve pas cela si simple que vous le croyez. Ce n’est pas le tout d’aller du simple au composé, il faudrait surtout, et cela importe bien plus, aller du connu à l’inconnu. Or, le connu pour lui, c’est son village ou sa rue, c’est la maison d’école, c’est le ruisseau qui coule près de la porte» la montée de la route où il Va jouer. Partez de là, et guidé par l’intuition, éclairé par l’analogie, il vous suivra sans effort aussi loin que vous voudrez.
----Ainsi, Messieurs, en géographie, en lecture, en calcul, partout la méthode intuitive prend, en quelque sorte, le contre-pied de la méthode didactique faite pour les adultes : elle semble aller au rebours de la logique, parce qu’elle ne traite pas l’enfant comme un homme et le fait marcher de son pas, et non du nôtre.
----Or, qu’y a-t-il de plus nécessaire, de plus légitime que cette condescendance du maître, cette appropriation de l’enseignement à l’état mental de l’élève ? Nous-mêmes, les idées abstraites et générales ne nous sont devenues familières que par une longue habitude, un long effort de concentration intellectuelle. En ce moment, vous me faites l’honneur de m’écouter. Pourquoi ? Parce que je vous parle de choses que vous comprenez et qui vous intéressent. Si l’on vous parlait hébreu ou chinois, vous n’écouteriez pas longtemps avec autant d’attention, Votre esprit ne saurait où se prendre, tandis qu’en ce moment il est très-occupé, il travaille autant que le mien; vous prenez une part active à cette conférence : intérieurement, vous acceptez ou vous rejetez, vous approuvez ou vous blâmez les idées que je soumets. L’enfant aussi sera attentif, et il vous écoutera, sinon très-longtemps, — il ne le peut pas, — du moins très-volontiers toutes les fois qu’il comprendra, toutes les fois que vous lui parlerez de sujets dont il saisit le sens, la liaison, la portée.
----Tel élève, au milieu d’une longue récitation de bé, a, ba, bé, é, bé, ne suit qu’à moitié, tandis qu’il ne perd pas un mot de ce que lui dit tout bas son voisin, lui proposant d’échanger une toupie contre des billes, Mais c’est que cet échange est une affaire sérieuse qui a bien de quoi l’occuper : il comprend ce dont il s’agit là ; pour accepter, ou pour refuser, il fait acte de jugement, de comparaison, de raisonnement et de volonté, au lieu que les syllabes que vous lui faites épeler sont pour lui moins encore que ne serait pour vous un beau discours en chinois. Elles ne disent absolument rien à son imagination, à son cœur, à aucune de ses facultés ; elles n’intéressent absolument que son oreille; il prête donc l’oreille puisqu’il le faut, mais c’est tout ce que vous aurez de lui. Or, il faut que vous en obteniez autre chose : il faut qu’il vous écoute de toute son intelligence.
- Spinoza1670Esprit éclairé
La même semaine, un autre conférencier, B. Berger, avait parlé de l'enseignement de la langue maternelle : L'enseignement de la Langue Maternelle, par B. Berger (Paris, 1878) CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE SUR L’ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE MATERNELLE.
Aujourd'hui je m'occupe d'une conférence de Bréal de 1876 intitulé "L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE FRANCAISE"
Aujourd'hui je m'occupe d'une conférence de Bréal de 1876 intitulé "L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE FRANCAISE"
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
Littérature au primaire - Rédaction au primaire - Manuels anciens - Dessin au primaire - Apprendre à lire et à écrire - Maths au primaire - école : références - Leçons de choses.
- MareuilNeoprof expérimenté
Spinoza, vous êtes un documentaliste génial !
Merci pour tous ces textes.
Merci pour tous ces textes.
- Spinoza1670Esprit éclairé
Ce qui est sûr c'est que le texte de Buisson, lui, est vraiment génial.
Il m'aurait demandé de sauter dans la Seine après son discours que j'y serais peut-être allé.
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
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- doublecasquetteEnchanteur
Spinoza1670 a écrit:
Ce qui est sûr c'est que le texte de Buisson, lui, est vraiment génial.
Il m'aurait demandé de sauter dans la Seine après son discours que j'y serais peut-être allé.
Spinoza1670 a écrit:La même semaine, un autre conférencier, B. Berger, avait parlé de l'enseignement de la langue maternelle : L'enseignement de la Langue Maternelle, par B. Berger (Paris, 1878) CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE SUR L’ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE MATERNELLE.
Aujourd'hui je m'occupe d'une conférence de Bréal de 1876 intitulé "L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE FRANCAISE"
Celui-là aussi est génial ! Je ne l'ai pas lu en entier parce que, je ne sais pas pourquoi, chez moi, le déroulement des pages est insupportablement long et compliqué, mais ce que j'en ai lu me confirme dans l'idée que, quoi qu'on dise, "Lassé, Issa s'assit" et autre "Parti à la mare Paco court sur le pourtour et rit tout le tour", ça amuse peut-être les adultes qui sont heureux de jouer avec la langue mais ce n'est pas forcément l'idéal pour former des élèves qui auront constamment présent à l'esprit qu'on formule clairement ce que l'on écrit afin que celui qui nous lit ait envie de nous comprendre...
- MareuilNeoprof expérimenté
Et voilà donc des textes que madame Chartier n'a pas lus, qui prétend que l'école de Jules Ferry formait 50% d'lllettrés. Des textes d'hier que madame Chartier aurait dû pourtant porter à la connaissance du public d'aujourd'hui. Mais qu'a donc fait madame Chartier de la rémunération que lui donnait l'État pour des "recherches" pédagogiques sinon de faire en sorte que ces textes ne soient pas connus et mieux que leur existence même ne soit pas soupçonnée.
- Spinoza1670Esprit éclairé
Je les mets dans le premier message où il y a la bibliographie. Envoyez-moi les références que je les y mette aussi, que ce soit les "bonnes" ou les "mauvaises".
Attendez de voir le Bréal : c'est de la dynamite métasuperhyperexplosive ! :lecteur:
Je vais juste au bistrot du coin chercher le Monde d'aujourd'hui pour y zieuter le papelard de Baumard sur les avancées scientifiques et les expériences innovantes. (https://www.neoprofs.org/t42216-une-methode-de-lecture-revolutionnaire-en-maternelle#1202126)
Attendez de voir le Bréal : c'est de la dynamite métasuperhyperexplosive ! :lecteur:
Je vais juste au bistrot du coin chercher le Monde d'aujourd'hui pour y zieuter le papelard de Baumard sur les avancées scientifiques et les expériences innovantes. (https://www.neoprofs.org/t42216-une-methode-de-lecture-revolutionnaire-en-maternelle#1202126)
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
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- Spinoza1670Esprit éclairé
La conférence de Bréal est du niveau des deux autres, voire supérieure, c'est vous dire.
Je la mets dans la bibliographie au format word, plus facile à réutiliser (reciter à toutes les sauces) que du pdf.
Extrait : le tout dernier paragraphe :
Michel Bréal, L'Enseignement de la Langue Française (conférence 1876)
Je la mets dans la bibliographie au format word, plus facile à réutiliser (reciter à toutes les sauces) que du pdf.
Extrait : le tout dernier paragraphe :
Lire tout ici :Une fois que l’élève aura pris l’habitude de chercher ce qui est derrière les mots, ce sera pour son esprit un besoin et une règle. Il voudra vérifier ce qu’on lui propose. Vous formerez ainsi les hommes et les femmes d’un pays qui se gouverne lui-même. Il n’est pas surprenant que l’enseignement de la langue, pris dans toute son étendue et dans son vrai sens, se confonde avec l’éducation générale, puisque le langage est le principal instrument de communication entre les hommes, et puisque au moyen de la parole les générations sont solidaires les unes des autres. Voyez quelle chose admirable : à un an, l’enfant bégaye quelques sons et essaye ses premiers pas en trébuchant. Vingt ans après, il pourra prévoir le cours des astres, résoudre en leurs éléments les substances de la nature, et, s’il a appris l’histoire, il a été témoin du passé de l’humanité. Telle est la puissance de l’éducation ! Jusqu’à présent ce fut seulement le lot d’un petit nombre; mais la société fait des efforts pour que le cercle des privilégiés s’élargisse tous les jours, et nous qui, chacun à notre manière, travaillons à cette grande tâche de l’éducation, nous continuerons à chercher les moyens de la rendre plus complète et plus efficace.
Michel Bréal, L'Enseignement de la Langue Française (conférence 1876)
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- Spinoza1670Esprit éclairé
Méthode syllabique et méthode globale : quelques clarifications historiques
Chronique « histoire de l’enseignement » par Anne-Marie CHARTIER et Jean HÉBRARD
intro : Les récents débats, plus ou moins polémiques et relayés par les plus hautes instances ministérielles, sur les méthodes de lecture, nous conduisent à réinterroger leur impact réel sur la maitrise du langage écrit. Parce que les propos les moins autorisés circulent et brouillent la connaissance de cet apprentissage, parce que les antagonismes idéologiques prennent le pas sur la description des pratiques, parce que les discours les plus réactionnaires ou nostalgiques perturbent le dialogue entre les partenaires de l’école, nous avons voulu situer les points de vue développés aujourd’hui en reproduisant l’étude publiée dans un précédent numéro de notre revue, (cf. Le français aujourd’hui, n˚ 90, juin 1990). Cette étude n’a pas pris une ride ; elle décrit de façon claire et argumentée l’évolution des méthodes d’apprentissage de la lecture. Espérons qu’elle pourra remplir cette fonction épistémologique salutaire, indispensable à la clarification des débats en cours.
La rédaction
lire l'article à : http://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2006-2-page-113.htm
Chronique « histoire de l’enseignement » par Anne-Marie CHARTIER et Jean HÉBRARD
intro : Les récents débats, plus ou moins polémiques et relayés par les plus hautes instances ministérielles, sur les méthodes de lecture, nous conduisent à réinterroger leur impact réel sur la maitrise du langage écrit. Parce que les propos les moins autorisés circulent et brouillent la connaissance de cet apprentissage, parce que les antagonismes idéologiques prennent le pas sur la description des pratiques, parce que les discours les plus réactionnaires ou nostalgiques perturbent le dialogue entre les partenaires de l’école, nous avons voulu situer les points de vue développés aujourd’hui en reproduisant l’étude publiée dans un précédent numéro de notre revue, (cf. Le français aujourd’hui, n˚ 90, juin 1990). Cette étude n’a pas pris une ride ; elle décrit de façon claire et argumentée l’évolution des méthodes d’apprentissage de la lecture. Espérons qu’elle pourra remplir cette fonction épistémologique salutaire, indispensable à la clarification des débats en cours.
La rédaction
lire l'article à : http://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2006-2-page-113.htm
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
Littérature au primaire - Rédaction au primaire - Manuels anciens - Dessin au primaire - Apprendre à lire et à écrire - Maths au primaire - école : références - Leçons de choses.
- Spinoza1670Esprit éclairé
Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette page, je mets le lien :
http://education.devenir.free.fr/Lecture.htm
http://education.devenir.free.fr/Lecture.htm
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
Littérature au primaire - Rédaction au primaire - Manuels anciens - Dessin au primaire - Apprendre à lire et à écrire - Maths au primaire - école : références - Leçons de choses.
- SowandiNiveau 10
Merci Spinoza.
A chaque fois que je lis des textes sur l’éducation où l'aspect mécanique et répétitif de l'apprentissage est critiqué (analyse grammaticale, conjugaison, tables...), ça me rappelle cette fameuse phrase d'Einstein que sortent fréquemment mes collégiens : "L'imagination est plus importante que le savoir".
Ouais, c'est ça ! Une bonne excuse pour ne rien faire !
Et qu'aurait fait Einstein de sa vie s'il n'avait pas été foutu de rester assis sur une chaise plus de 5 minutes pour bosser (et en silence) ?
C’était peut-être dur, mais c’était indispensable.
Alors voila, va rattraper le coup maintenant !
Bravo Einstein.
A chaque fois que je lis des textes sur l’éducation où l'aspect mécanique et répétitif de l'apprentissage est critiqué (analyse grammaticale, conjugaison, tables...), ça me rappelle cette fameuse phrase d'Einstein que sortent fréquemment mes collégiens : "L'imagination est plus importante que le savoir".
Ouais, c'est ça ! Une bonne excuse pour ne rien faire !
Et qu'aurait fait Einstein de sa vie s'il n'avait pas été foutu de rester assis sur une chaise plus de 5 minutes pour bosser (et en silence) ?
C’était peut-être dur, mais c’était indispensable.
Alors voila, va rattraper le coup maintenant !
Bravo Einstein.
- MareuilNeoprof expérimenté
Spinoza1670 a écrit:Méthode syllabique et méthode globale : quelques clarifications historiques
Chronique « histoire de l’enseignement » par Anne-Marie CHARTIER et Jean HÉBRARD
intro : Les récents débats, plus ou moins polémiques et relayés par les plus hautes instances ministérielles, sur les méthodes de lecture, nous conduisent à réinterroger leur impact réel sur la maitrise du langage écrit. Parce que les propos les moins autorisés circulent et brouillent la connaissance de cet apprentissage, parce que les antagonismes idéologiques prennent le pas sur la description des pratiques, parce que les discours les plus réactionnaires ou nostalgiques perturbent le dialogue entre les partenaires de l’école, nous avons voulu situer les points de vue développés aujourd’hui en reproduisant l’étude publiée dans un précédent numéro de notre revue, (cf. Le français aujourd’hui, n˚ 90, juin 1990). Cette étude n’a pas pris une ride ; elle décrit de façon claire et argumentée l’évolution des méthodes d’apprentissage de la lecture. Espérons qu’elle pourra remplir cette fonction épistémologique salutaire, indispensable à la clarification des débats en cours.
La rédaction
lire l'article à : http://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2006-2-page-113.htm
On lit donc ceci sous la plume de madame Chartier :
"La réflexion méthodologique des années Jules Ferry combine les avancées antérieures (apprentissage simultané de la lecture et de l’écriture, enseignement collectif sut un matériel standardisé, mise au point de progressions, etc.) et met au point un système d’apprentissage qui va durer près d’un siècle. Aux objectifs limités d’une alphabétisation restreinte (déchiffrage d’un corpus limité de textes par ailleurs transmis oralement), les Républicains ont substitué des objectifs beaucoup plus ambitieux : par une scolarisation généralisée des campagnes, ils veulent éradiquer les valeurs traditionalistes de la culture orale et inculquer, en même temps qu’un nationalisme unificateur, les valeurs nouvelles du progrès, des sciences et de la République. Pour cela, ils disposent des livres, produits en abondance par une édition qu’ils contrôlent indirectement sinon de façon officielle. Mais ils ont besoin que les enfants deviennent des lecteurs efficaces, capables de comprendre ce qu’ils lisent et de transmettre à leurs parents la nouvelle culture que diffuse l’école. Il faut donc asseoir la méthodologie sur les avancées les plus assurées des périodes antérieures. L’article « Lecture » du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire publié sous la direction de Ferdinand Buisson (Hachette, 1882), constitue, dans ce domaine, la doctrine officielle. J. Guillaume, qui en a assuré la rédaction, répertorie les méthodes publiées depuis le XVIIe siècle, pour montrer comment on fait aujourd’hui la synthèse de tous les progrès capitalisés par l’histoire, en réunissant les démarches synthétiques traditionnelles et les démarches analytiques des innovateurs audacieux, mais aussi l’enseignement de la lecture et celui de l’écriture, grâce à la « méthode des mots normaux ». Maurice Block, jeune instituteur de l’école normale d’Auteuil, a écrit sous le pseudonyme de Schüler la Méthode analytique-synthétique d’écriture-lecture combinée avec les leçons de choses et de langue (Hachette) qui peut satisfaire tout le monde. C’est le modèle que J. Guillaume a choisi d’expliquer aux enseignants dans la partie encyclopédique du Dictionnaire."
Ce n'est donc pas par ignorance que madame Chartier écrit en 2003 dans le Monde de l'éducation que l'école de Jules Ferry formait 50% d'illettrés. Et si ce n'est pas par ignorance que les "lecteurs efficaces" sont devenus pour moitié des illettrés, on doit se demander pour quelle raison madame Chartier change l'or en plomb.
- MareuilNeoprof expérimenté
Sowandi a écrit:Merci Spinoza.
A chaque fois que je lis des textes sur l’éducation où l'aspect mécanique et répétitif de l'apprentissage est critiqué (analyse grammaticale, conjugaison, tables...), ça me rappelle cette fameuse phrase d'Einstein que sortent fréquemment mes collégiens : "L'imagination est plus importante que le savoir".
Ouais, c'est ça ! Une bonne excuse pour ne rien faire !
Et qu'aurait fait Einstein de sa vie s'il n'avait pas été foutu de rester assis sur une chaise plus de 5 minutes pour bosser (et en silence) ?
C’était peut-être dur, mais c’était indispensable.
Alors voila, va rattraper le coup maintenant !
Bravo Einstein.
Spinoza, en se contentant de citer des textes sans faire le moindre commentaire - le farceur !- risque d'enduire d'erreur.
La critique de l'apprentissage mécanique faite par Bréal - inventeur de la sémantique et ré-introducteur du marathon aux JO - ne doit pas conduire à penser que les fondateurs de l'Instruction publique tenaient pour rien l'automatisation indispensable d'un certain nombre de choses comme les tables des opérations, les conjugaisons etc. Ne pas apprendre mécaniquement est au contraire pour eux la garantie de l'automatisation.
- MareuilNeoprof expérimenté
Mareuil a écrit:Spinoza1670 a écrit:Méthode syllabique et méthode globale : quelques clarifications historiques
Chronique « histoire de l’enseignement » par Anne-Marie CHARTIER et Jean HÉBRARD
intro : Les récents débats, plus ou moins polémiques et relayés par les plus hautes instances ministérielles, sur les méthodes de lecture, nous conduisent à réinterroger leur impact réel sur la maitrise du langage écrit. Parce que les propos les moins autorisés circulent et brouillent la connaissance de cet apprentissage, parce que les antagonismes idéologiques prennent le pas sur la description des pratiques, parce que les discours les plus réactionnaires ou nostalgiques perturbent le dialogue entre les partenaires de l’école, nous avons voulu situer les points de vue développés aujourd’hui en reproduisant l’étude publiée dans un précédent numéro de notre revue, (cf. Le français aujourd’hui, n˚ 90, juin 1990). Cette étude n’a pas pris une ride ; elle décrit de façon claire et argumentée l’évolution des méthodes d’apprentissage de la lecture. Espérons qu’elle pourra remplir cette fonction épistémologique salutaire, indispensable à la clarification des débats en cours.
La rédaction
lire l'article à : http://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2006-2-page-113.htm
On lit donc ceci sous la plume de madame Chartier :
"La réflexion méthodologique des années Jules Ferry combine les avancées antérieures (apprentissage simultané de la lecture et de l’écriture, enseignement collectif sut un matériel standardisé, mise au point de progressions, etc.) et met au point un système d’apprentissage qui va durer près d’un siècle. Aux objectifs limités d’une alphabétisation restreinte (déchiffrage d’un corpus limité de textes par ailleurs transmis oralement), les Républicains ont substitué des objectifs beaucoup plus ambitieux : par une scolarisation généralisée des campagnes, ils veulent éradiquer les valeurs traditionalistes de la culture orale et inculquer, en même temps qu’un nationalisme unificateur, les valeurs nouvelles du progrès, des sciences et de la République. Pour cela, ils disposent des livres, produits en abondance par une édition qu’ils contrôlent indirectement sinon de façon officielle. Mais ils ont besoin que les enfants deviennent des lecteurs efficaces, capables de comprendre ce qu’ils lisent et de transmettre à leurs parents la nouvelle culture que diffuse l’école. Il faut donc asseoir la méthodologie sur les avancées les plus assurées des périodes antérieures. L’article « Lecture » du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire publié sous la direction de Ferdinand Buisson (Hachette, 1882), constitue, dans ce domaine, la doctrine officielle. J. Guillaume, qui en a assuré la rédaction, répertorie les méthodes publiées depuis le XVIIe siècle, pour montrer comment on fait aujourd’hui la synthèse de tous les progrès capitalisés par l’histoire, en réunissant les démarches synthétiques traditionnelles et les démarches analytiques des innovateurs audacieux, mais aussi l’enseignement de la lecture et celui de l’écriture, grâce à la « méthode des mots normaux ». Maurice Block, jeune instituteur de l’école normale d’Auteuil, a écrit sous le pseudonyme de Schüler la Méthode analytique-synthétique d’écriture-lecture combinée avec les leçons de choses et de langue (Hachette) qui peut satisfaire tout le monde. C’est le modèle que J. Guillaume a choisi d’expliquer aux enseignants dans la partie encyclopédique du Dictionnaire."
Ce n'est donc pas par ignorance que madame Chartier écrit en 2003 dans le Monde de l'éducation que l'école de Jules Ferry formait 50% d'illettrés. Et si ce n'est pas par ignorance que les "lecteurs efficaces" sont devenus pour moitié des illettrés, on doit se demander pour quelle raison madame Chartier change l'or en plomb.
Rappel : voici ce qu'écrit madame Chartier en 2003 :
« En conduisant un enfant sur deux au certificat d'études, l'école de Jules Ferry considérait qu'elle remplissait très bien sa mission. Mais qui était l'autre moitié qui ne pouvait être présentée au certificat ? Des élèves qu'on qualifierait aujourd'hui d'illettrés, certainement. Beaucoup apprenaient le français en apprenant à lire. Il a donc fallu inventer des façons de travailler qui intègrent les élèves lisant et écrivant mal, mais capables de réciter une leçon, de suivre la lecture du maître, de faire du calcul mental, de s'intéresser aux cartes de géographie et aux leçons de sciences. Ces élèves étaient maintenus dans le processus de scolarisation, sans être pour autant autonomes en lecture. »
Allez comprendre...
- SowandiNiveau 10
Mareuil a écrit:Sowandi a écrit:Merci Spinoza.
A chaque fois que je lis des textes sur l’éducation où l'aspect mécanique et répétitif de l'apprentissage est critiqué (analyse grammaticale, conjugaison, tables...), ça me rappelle cette fameuse phrase d'Einstein que sortent fréquemment mes collégiens : "L'imagination est plus importante que le savoir".
Ouais, c'est ça ! Une bonne excuse pour ne rien faire !
Et qu'aurait fait Einstein de sa vie s'il n'avait pas été foutu de rester assis sur une chaise plus de 5 minutes pour bosser (et en silence) ?
C’était peut-être dur, mais c’était indispensable.
Alors voila, va rattraper le coup maintenant !
Bravo Einstein.
Spinoza, en se contentant de citer des textes sans faire le moindre commentaire - le farceur !- risque d'enduire d'erreur.
La critique de l'apprentissage mécanique faite par Bréal - inventeur de la sémantique et ré-introducteur du marathon aux JO - ne doit pas conduire à penser que les fondateurs de l'Instruction publique tenaient pour rien l'automatisation indispensable d'un certain nombre de choses comme les tables des opérations, les conjugaisons etc. Ne pas apprendre mécaniquement est au contraire pour eux la garantie de l'automatisation.
Personnellement, j'aime bien que Spinoza indique des choses à lire sans se sentir obligé de commenter.
Je ne veux pas parler en son nom, mais des fois dans la vie, on a pas un avis ferme et définitif à partager, et ça n’empêche pas de cogiter grave.
(Ouahou ! j’écris avec mon plus beau français ce soir !)
- Spinoza1670Esprit éclairé
Sowandi a écrit:Merci Spinoza.
A chaque fois que je lis des textes sur l’éducation où l'aspect mécanique et répétitif de l'apprentissage est critiqué (analyse grammaticale, conjugaison, tables...), ça me rappelle cette fameuse phrase d'Einstein que sortent fréquemment mes collégiens : "L'imagination est plus importante que le savoir".
Ouais, c'est ça ! Une bonne excuse pour ne rien faire !
Et qu'aurait fait Einstein de sa vie s'il n'avait pas été foutu de rester assis sur une chaise plus de 5 minutes pour bosser (et en silence) ?
C’était peut-être dur, mais c’était indispensable.
Alors voilà, va rattraper le coup maintenant !
Bravo Einstein.
citation de G. Wettstein-Badour, dans Bien parler, bien lire, bien écrire : Donnez toutes leurs chances à vos enfants [feuilleter intro et conclusion en ligne ; je conseille de l'acheter aux parents qui ont des enfants en maternelle et primaire et à ceux dont les enfants ont des difficultés au primaire et au collège] :
Elle parle d'un exercice à faire pratiquer à son enfant (peu importe lequel) et dit :
Wikipedia :Eric Kandel est, avec Arvid Carlsson et Paul Greengard, le co-récipiendaire du prix Nobel de physiologie et de médecine en 2000 pour ses travaux sur les bases moléculaires de la mémoire à court terme et de la mémoire à long terme ainsi que du Prix Wolf d'Israël.(p.46) La durée de ces exercices doit être courte (environ cinq minutes) mais journalière :
Les travaux concernant les conditions d'apprentissage par les neurones ont été couronnés par le prix Nobel attribué à Eric Kandel en 2000. Ce chercheur a montré que les répétitions à intervalles courts d'une même stimulation est une des conditions indispensables à tout apprentissage. Il est navrant, au moment où des scientifiques peuvent justifier ce que l'expérience avait constaté, que les techniques d'apprentissage répétitives soient largement écartées des pédagogies dans le monde scolaire.
La répétition des exercices est une exigence neurologique.
Bibliographie
La Mémoire : de l'esprit aux molécules, Larry R. Squire, Eric R. Kandel, éditions de Boeck, 2002, (ISBN 2-7445-0130-1)
À la recherche de la mémoire, une nouvelle théorie de l'esprit, Eric Kandel, éditions Odile Jacob, 2007, (ISBN 2-7381-1880-1).
Kandel E., 1979. "Les petits systèmes de neurones". Pour la science, n° 25, p. 37-47.
Kandel E. & Hawkins R., 1992, "Les bases biologiques de l'apprentissage". Pour la science, n° 181.
Filmographie
À la recherche de la mémoire – Le Prix Nobel Eric Kandel, un documentaire de Petra Seeger, WDR / ORF / ARTE, 2010 (meilleur documentaire/prix bavarois du film 2010)
Liens externes
(en) Site officiel d'Eric Kandel à l'Université Columbia
(en) Autobiographie sur le site des Prix Nobel
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
Littérature au primaire - Rédaction au primaire - Manuels anciens - Dessin au primaire - Apprendre à lire et à écrire - Maths au primaire - école : références - Leçons de choses.
- MareuilNeoprof expérimenté
Là je vous arrête tout de suite. Je n'aime pas qu'on me trifouille les neurones !
- Spinoza1670Esprit éclairé
Je savais que ça vous plairait.
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
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- MareuilNeoprof expérimenté
Forcément, quand j'étais petit, on m'a dit : "Il ne faut jamais mettre son nez dans les affaires des autres !" Alors qu'est-ce que c'est que cette manie d'aller le mettre dans les crânes des gosses ?
- SowandiNiveau 10
Ah voila !
C'est pour ça que les profs connaissent plein de trucs, ils doivent répéter 50 fois la même chose !
C'est pour ça que les profs connaissent plein de trucs, ils doivent répéter 50 fois la même chose !
- Spinoza1670Esprit éclairé
2 nouveaux textes de bonne qualité contenant des passages sur l'écriture-lecture :
1) Leçons élémentaires de pédagogie pratique (par un inspecteur d’Académie honoraire), Paris, 1880. Chapitre XII, Enseignement de la lecture.
1 : Ses débuts. 2. Phonomimie. 3. Prononciation. 4. Choix des livres de lecture. 5. Direction de la lecture. 6. Avantages que l'on peut tirer d'une lecture bien dirigée.
2) Eugène Brouard et Charles Defodon, Manuel du certificat d'aptitude pédagogique, 1903. Chapitre IV : Modes, méthodes et procédés d’enseignement. Paragraphe 6 : Les petites classes.
1) Leçons élémentaires de pédagogie pratique (par un inspecteur d’Académie honoraire), Paris, 1880. Chapitre XII, Enseignement de la lecture.
1 : Ses débuts. 2. Phonomimie. 3. Prononciation. 4. Choix des livres de lecture. 5. Direction de la lecture. 6. Avantages que l'on peut tirer d'une lecture bien dirigée.
2) Eugène Brouard et Charles Defodon, Manuel du certificat d'aptitude pédagogique, 1903. Chapitre IV : Modes, méthodes et procédés d’enseignement. Paragraphe 6 : Les petites classes.
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
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- Spinoza1670Esprit éclairé
Dans le topic , LouisBarthas a écrit ce message où l'on voit que les méthodes de lecture dites d'écriture-lecture ont été tour à tour appelées méthodes syllabiques, parfois méthodes alphabétiques, aujourd'hui phonémiques-synthétiques.
LouisBarthas a écrit:Il n'existe plus, à ma connaissance, de méthodes alphabétiques au sens strict - appelées aussi B-A BA, avec un apprentissage par tableaux syllabiques - depuis le milieu du XIXe siècle.Mareuil a écrit:Encore un point de vue historique. L'apprentissage par les tableaux de syllabes a eu cours autrefois. Cette méthode est décrite - et critiquée - dans l'article "Lecture" du Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire de Ferdinand Buisson.
Le modèle en était l'"Alphabet chrétien" dans lequel on étudiait d'abord les lettres puis, successivement, les syllabes, les mots et les phrases. La langue écrite était prioritaire sur la langue orale, c'est-à-dire que l'étude des lettres se faisait théoriquement sur le seul plan visuel. Ce n'est que dans un second temps, implicitement par la pratique scolaire, que se réalisait la liaison entre signes sonores et visuels. Il était très difficile de rentrer ainsi dans la lecture mais heureusement celle-ci se faisait à haute voix et la discrimination intense des signes graphiques favorisait leur combinaison.
Il est à signaler que la pratique - très répandue à partir des années 1970 et encore actuellement - de séparer l'oral de l'écrit (simple reconnaissance visuelle de lettres considérées comme des indices, interdiction de la lecture à voix haute) procède de cette vision erronée de séparation entre l'oral et l'écrit.
Cette méthode était en fait l'héritière directe des anciens Grecs et Latins (abecedarii et syllabarii). Elle resta sans concurrence jusqu'au XVIIIe siècle où lui sera opposé la méthode "globale" de Nicolas Adam (1787).
L'alphabet chrétien répondait à la finalité bien précise d'instruire le "pauvre peuple" dans la lecture des livres de piété. En dehors de la tradition grecque et latine, sa permanence jusqu'au XIXe siècle s'explique par le prestige de la langue écrite, véhicule du pouvoir administratif et de la culture, alors que la langue parlée (qui bien souvent n'était que "patois") se limite aux rapports individuels.
Après 1880 se sont répandues des méthodes d'écriture-lecture. Dans la sienne datant de l'époque de Jules Ferry et inspirée du "Quadrille des enfants" de l'abbé Berthaud (1743), Cuissart insiste sur l'importance de l'écriture associée à la lecture : << c'est la meilleure des méthodes... l'écriture vient au secours de la mémoire. L'enfant retiendra la forme d'une lettre quand il l'aura écrite >>.
L'autre aspect positif de cette méthode était que son point de départ n'était pas la lettre mais l'image : l'île pour le i, le nid pour le n, l'usine pour le u, la malle pour le m. C'est grâce à un alphabet à images de ce type, rapporté de la ville dans son village perdu du Lévézou par son père, que l'immense Jean-Henri Fabre parviendra à entrer dans la lecture alors qu'il restait désespérément imperméable à son B-A-BA ("Souvenirs entomologiques, Mon école").
Cuissart insiste sur l'importance de ce départ iconique : << les images plaisent aux enfants, elles attirent leur attention, elles fournissent aux maîtres la matière d'une leçon orale préparatoire ; c'est le moyen de mettre l'enfant en éveil... >>
Ainsi, grâce à l'image qui était associée à un son dont la lettre constituait la transcription, les trois conditions inséparables nécessaires à un bon apprentissage étaient réunies : entendre, écrire, lire.
Par là-même, on revenait à la source de l'écriture alphabétique née au Proche-Orient 1700 ans avant notre ère et dont l'héritage direct est l'hébreu. Car nos lettres sont l'héritage de petits dessins simplifiés datant de plusieurs milliers d'années. Par exemple, le A vient de l'hébreu Aleph qui désignait le boeuf, le dessin du A représentait une tête de boeuf stylisée. Le B vient de Beth, la maison, son dessin stylisait la tente, etc. On peut connaître cette histoire passionnante dans le magnifique livre pour enfants (et adultes !) d'une ancienne institutrice, Nouchka Cauwet, "Ecrire le monde, naissance des alphabets", Belem Editions).
Digne héritier de cette trilogie, s'est rajouté aujourd'hui l'extraordinaire A/Z sensoriel du Dr Zekri-Hurstel, un alphabet où les cinq sens sont sollicités : par exemple l'enfant est face à la lettre C jaune avec Cinq Citrons en Caoutchouc qui sentent le Citron. Le premier Citron est accompagné d'une Craie alors que le Cinquième recèle une Cachette qu'il Cherche. Ou bien le S a le goût du Sucre ou le << Iiih ! >> sonne pour l'Individu Immobile.
La méthode Cuissart, comme celles de Block (1880) et de Schüler, aura une riche filiation avec le Regimbeau, le Pierre-Minet-Martin, le Langlois et surtout le Boscher (1905) qui est encore aujourd'hui utilisé puisqu'il s'en vend des dizaines de milliers d'exemplaires chaque année. C'est avec cette méthode que l'instruction obligatoire de la République alphabétisera la quasi-totalité de la population scolaire. Cet honorable résultat, bien supérieur à celui d'aujourd'hui, montre que les erreurs et les lacunes de la méthode, encore trop héritière du vieil abécédaire syllabique, ne l'emportaient pas sur ses aspects positifs, parmi lesquels l'activité de sélection (que pratiquent dans un second temps tardivement, insuffisamment et de manière isolée les méthodes d'inspiration globale) et l'appui oral ayant pour effet d'organiser les signes lus sur les structures déjà élaborées de la parole (ce que ne font pas les méthodes idéo-visuelles ou indicielles qui proscrivent l'oralisation).
Le terme de "méthode alphabétique" est donc impropre à caractériser une bonne méthode de lecture qui ne doit pas être apparentée au vieil abécédaire des années 1850.
Une bonne méthode de lecture doit être "phonémique-synthétique" c'est-à-dire prenant en compte le lien primordial entre l'oral et l'écrit, associant d'emblée la compréhension au déchiffrage, ce que ne réalisait pas le vieux syllabaire, et respectant la règle de fonctionnement du cerveau qui décompose toujours le mot en éléments simples.
La lecture de tableaux syllabaires, comme cela a été souligné, est un exercice de renforcement et d'acquisition d'automatismes. Il s'apparente aux jeux et exercices répétitifs pratiqués par les sportifs ou aux gammes, exercices techniques et études des musiciens.
Des enregistrements en IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) réalisés chez des violonistes virtuoses ont apporté la preuve que l'entraînement modifie, chez eux, la surface des aires du cerveau correspondant à la motricité de la main gauche. De même que le sport agit sur la morphologie du corps, l'apprentissage détermine la surface des aires cérébrales et la structure des réseaux qui les relient. Le prix Nobel de médecine 2000 a été attribué à Eric Kandel qui a montré que la répétition à intervalles courts d'une même stimulation est une des conditions indispensables à tout apprentissage.
Mareuil a écrit:Votre post mêle beaucoup de choses qui demanderaient à être précisées. Sur l'écriture-lecture, je renvoie au texte que j'ai publié en 2004 L'oeuf du serpent (Voir Site Projet-Slecc : APPRENTISSAGE DE LA LECTURE : LES DÉGÂTS DU RÉVISIONNISME). Quant au fonctionnement du cerveau, à l'IRMF et autres histoires d'aires, cela relève du scientisme le plus vulgaire. Aucun neuro-biologiste n'a formé de violoniste virtuose et aucun n'a pris en mains une classe de GS. Je renvoie sur ce sujet à un texte de Rudolf Bkouche disponible sur le site de Michel Delord : http://michel.delord.free.fr/rb/rb-neurosciences.pdf
Précisions :
- Block ou Schüler, c'est le même.
- Quant à l'image, non ! C'est une leçon de choses qui introduit le mot "île" dans la méthode Block-Schüler. Et ce n'est pas indifférent de distinguer image et chose si on lit Kergomard.
LouisBarthas a écrit:Merci de me signaler ces textes que je lirai.
Je suis d'accord que le métier d'enseignant repose sur des pratiques empiriques et des principes transmis par la tradition, et qu'aucun scientifique ne saura jamais "produire" (terme prisé par les sciences de l'éducation) de grands artistes ou intellectuels. Le scientisme est un danger et on ne doit pas enseigner au nom de la science.
Les pratiques d'écriture-lecture élaborées à la fin du XIXe siècle ne s'appuyaient évidemment pas sur des études du fonctionnement cérébral. Elles ont démontré leur supériorité empiriquement. Ferdinand Buisson l'a dit :
<< Les méthodes à marche analytique sont beaucoup moins nombreuses et n'ont pas reçu du public enseignant un accueil très favorable (...). Avec la méthode analytique-synthétique d'écriture-lecture, combinée avec les leçons de choses et de langue nous sommes arrivés au dernier stade de perfectionnement réalisé par la pédagogie moderne. >>
Je sais que la science actuelle confirme ces constatations : les mots ne sont pas lus comme des images, ce qui invalide le travail par étiquettes et nécessite une parfaite maîtrise du code.
Ce qui me surprend depuis quelque temps, c'est qu'on puisse dénier en partie ces résultats pour justifier le maintien ou le retour à des conceptions globales de la lecture ainsi que le refus de faire acquérir des automatismes aux élèves.
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
Littérature au primaire - Rédaction au primaire - Manuels anciens - Dessin au primaire - Apprendre à lire et à écrire - Maths au primaire - école : références - Leçons de choses.
- adelaideaugustaFidèle du forum
Je retrouve le beau texte de Jean-Henri Fabre dans ses "Souvenirs entomologiques , mon école".
Jean-Henry Fabre (1823-1915) fut d'abord instituteur avant de devenir un grand naturaliste et écrivain (proposé pour le Prix Nobel de littérature), auteur des Souvenirs entomologiques. Il est bien plus connu au Japon où les écoliers étudient ses textes.
Issu d'une famille pauvre du rude plateau rouergat du Lévezou, il décrit dans le chapitre « Mon école » son premier contact avec la lecture. Il commence par décrire son école :
« Avec les sept ans, l'heure est venue d'aller à l'école. (.) Comment appellerai-je la salle où je devais faire connaissance avec l'alphabet ? Le terme juste ne se trouverait pas, car la pièce servait à tout. C'était à la fois, école, cuisine, chambre à coucher, réfectoire, et par moments poulailler, porcherie. »
(.) Que pouvions-nous apprendre à pareille école ? Parlons d'abord des jeunes, dont je faisais partie. Chacun de nous avait, ou plutôt était censé avoir entre les mains un petit livre de deux sous, l'alphabet, imprimé sur papier gris. Cela débutait, sur la couverture, par un pigeon ou quelque chose d'approchant. Venait après une croix, suivie de la série des lettres. La page tournée, se présentait le terrible ba, be, bi, bo ,bu, écueil du plus grand nombre. Ce redoutable feuillet franchi, nous étions censés savoir lire et admis parmi les grands.
Mais pour utiliser le petit livre, fallait-il au moins que le maître s'occupât un peu de nous et nous montrât de quelle manière il fallait s'y prendre. Le loisir manquait au brave homme, trop occupé par les grands. Le fameux alphabet à pigeon nous était imposé uniquement pour nous donner contenance d'écoliers. Nous devions le méditer sur notre banc, le déchiffrer à l'aide du voisin, si par hasard quelques lettres lui étaient connues. Nos méditations n'aboutissaient guère, à tout instant troublées par la visite aux pommes de terre des chaudrons, la dispute entre camarades pour une bille, l'invasion grognante des porcelets, l'arrivée des poussins. Ces distractions aidant, nous attendions avec patience que l'on nous fit sortir. C'était là notre travail le plus sérieux.
(.) Les grands écrivaient. (.) A eux le peu de lumière de la salle, (.) à eux la grande et unique table entourée de bancs. L'école ne fournissant rien, pas même une goutte d'encre, chacun devait arriver avec son complet outillage. L'encrier d'alors, (.) était un long étui de carton divisé en deux étages. Le compartiment supérieur recevait les plumes, venues de l'aile du dindon et de l'oie et taillées avec le canif ; l'inférieur contenait dans une petite fiole un peu d'encre obtenue avec de la suie délayée dans du vinaigre.
(.) Que lisait-on dans mon école ? - Tout au plus, en français, quelques morceaux d'histoire sainte. Le latin revenait plus souvent, pour nous apprendre à chanter à vêpres comme il se doit. Les plus avancés essayaient de déchiffrer le manuscrit, l'acte de vente, grimoire de quelque tabellion. »
Il décrit ensuite son maître à la fois barbier, sonneur de cloches, chantre au lutrin.
« Avec telle école, tel maître, tels exemples, que deviendront mes goûts naissants, à peine indiqués ? En ce milieu, ils doivent périr, étouffés pour toujours. Eh bien, non : le germe est vivace ; il me travaille les veines et n'en sortira plus. Il trouve aliment partout, jusque sur la couverture de mon alphabet de deux sous. Il y a là une rustique image de pigeon que j'étudie, que je médite avec bien plus de zèle que je ne fais de l'ABC.
(.) Ce qui ne progressait pas, c'était la connaissance des lettres, bien négligées pour le pigeon. J'en étais là, toujours inexpert au revêche alphabet, lorsque mon père, par une inspiration fortuite, m'apporta de la ville ce qui devait me donner l'élan dans la voie de la lecture. Malgré son rôle considérable dans mon éveil intellectuel, l'acquisition n'était pas ruineuse, oh ! non. C'était une grande image de six liards, coloriée et subdivisée en compartiments où des animaux de toutes sortes enseignaient la série des lettres par les initiales de leur nom.
(.) Cela débutait par l'âne, la sainte bête. Son nom, à grosse initiale, m'apprenait la lettre A. Le boeuf m'enseignait le B, le canard m'instruisait du C, le dindon faisait sonner le D. Ainsi des autres. Quelques compartiments, il est vrai, manquaient de clarté. J'étais en froideur avec l'hippopotame, le kamichi, le zébu, qui prétendaient me faire dire H, K et Z. Ces animaux étrangers, ne donnant pas à l'abstraction de la lettre l'appui d'une réalité connue, me firent hésiter quelque temps sur leurs récalcitrantes consonnes.
N'importe : le père intervenant dans les cas difficiles, les progrès furent rapides au point qu'en peu de jours je pouvais feuilleter avec fruit mon petit livre à pigeon, jusque-là indéchiffrable. J'étais initié, je savais épeler. Mes parents étaient émerveillés. Ce progrès inattendu, aujourd'hui je me l'explique. L'image révélatrice, me mettant en société des bêtes, concordait avec mes instincts. (.) Par d'autres voies j'y serai parvenu sans doute, mais non avec cette rapidité et cet agrément. »
Jean-Henri Fabre, Souvenirs entomologiques, sixième série, chapitre 4
Voici comment apprit à lire en 1830, dans une école rurale du Massif Central, celui qui deviendra bientôt un grand savant de son temps et dont les travaux continuent d'inspirer ceux de notre époque (voir la longue préface que lui consacre Yves Delange, du Muséum national d'histoire naturelle, dans mon édition de 1989 de chez Robert Laffont).
Pourquoi le petit Fabre n'arrive-t-il pas à apprendre à lire ?
Il a pour tout support un alphabet qui ressemble à l' « Alphabet chrétien» d'une quinzaine de pages, datant du milieu du XIXe siècle, dont J. N. Lalande fait la description dans son chapitre VII de « L'apprentissage de la langue écrite, du b-a ba à la b.d » (PUF, 1985).
Il s'agit de la plus ancienne des méthodes, en usage chez les Grecs et les Latins, et restée sans concurrence jusqu'au XVIIIe siècle où Nicolas Adam invente la méthode globale. C'est en fait la vraie méthode alphabétique (ou syllabique en raison de l'importance accordée à la syllabe).
A la première page des lettres succède la seconde page de syllabes : c'est le b-a ba.
On étudie d'abord les lettres dans l'ordre alphabétique, puis les syllabes, puis les mots d'une syllabe (coq, main, fort), puis les mots de deux syllabes, de trois syllabes avec des espacements intersyllabiques (sé mi nai re / dis ci pli ne), etc.
Enfin viennent les phrases.
La langue écrite est donc présentée comme un système autonome avec ses propres règles de fonctionnement, séparée de la langue orale car le petit Fabre semble incapable de relier ce code écrit aux mots du langage parlé. Les deux codes sont tellement séparés qu'on présente même des séries de syllabes dont certaines ne se prononcent pas de la même façon : CA CE (à lire KE) CI (à lire KI) CO CU ou GA GE GI GO GU.
Ce principe de priorité du code écrit sur le code oral est imputé par J.N. Lalande au prestige de la langue écrite qui est la forme administrative et culturelle du pouvoir à cette époque alors que la masse des gens, illettrée, utilise le patois dans la vie quotidienne. Même s'il n'y fait pas allusion, on peut supposer que J.H. Fabre parle tout le temps occitan: dans l'enquête du Ministère de l'Instruction publique de 1863 sur l'usage de la langue française, aucune des 282 communes de l'Aveyron ne parle le français (Eugen Weber, La fin des terroirs, la modernisation de la France rurale, 1870-1914, Fayard, 1983).
Non seulement Jean-Henri Fabre ne fait pas le rapport entre ce qui est écrit et le langage parlé mais il ne connaît même pas, semble-t-il, la prononciation des lettres puisqu'il est obligé de temps en temps de demander au voisin !
Ce qui l'a sauvé est donc cette fameuse image ramenée de la ville par son père.
Le fait qu'à une lettre soit associé un son, qui est le premier d'une série constituant un mot qu'il connaît, lui permet de relier le langage oral au langage écrit : en voyant la lettre A jointe au dessin de l'âne (ce qui suppose qu'il connaît quand même certains mots de français), il comprend comment ce signe se prononce et donc ce qu'est le langage écrit, transposition de la parole.
Enfin, il est à signaler que son goût pour les animaux l'a beaucoup aidé en motivant son intérêt.
Jean-Henry Fabre (1823-1915) fut d'abord instituteur avant de devenir un grand naturaliste et écrivain (proposé pour le Prix Nobel de littérature), auteur des Souvenirs entomologiques. Il est bien plus connu au Japon où les écoliers étudient ses textes.
Issu d'une famille pauvre du rude plateau rouergat du Lévezou, il décrit dans le chapitre « Mon école » son premier contact avec la lecture. Il commence par décrire son école :
« Avec les sept ans, l'heure est venue d'aller à l'école. (.) Comment appellerai-je la salle où je devais faire connaissance avec l'alphabet ? Le terme juste ne se trouverait pas, car la pièce servait à tout. C'était à la fois, école, cuisine, chambre à coucher, réfectoire, et par moments poulailler, porcherie. »
(.) Que pouvions-nous apprendre à pareille école ? Parlons d'abord des jeunes, dont je faisais partie. Chacun de nous avait, ou plutôt était censé avoir entre les mains un petit livre de deux sous, l'alphabet, imprimé sur papier gris. Cela débutait, sur la couverture, par un pigeon ou quelque chose d'approchant. Venait après une croix, suivie de la série des lettres. La page tournée, se présentait le terrible ba, be, bi, bo ,bu, écueil du plus grand nombre. Ce redoutable feuillet franchi, nous étions censés savoir lire et admis parmi les grands.
Mais pour utiliser le petit livre, fallait-il au moins que le maître s'occupât un peu de nous et nous montrât de quelle manière il fallait s'y prendre. Le loisir manquait au brave homme, trop occupé par les grands. Le fameux alphabet à pigeon nous était imposé uniquement pour nous donner contenance d'écoliers. Nous devions le méditer sur notre banc, le déchiffrer à l'aide du voisin, si par hasard quelques lettres lui étaient connues. Nos méditations n'aboutissaient guère, à tout instant troublées par la visite aux pommes de terre des chaudrons, la dispute entre camarades pour une bille, l'invasion grognante des porcelets, l'arrivée des poussins. Ces distractions aidant, nous attendions avec patience que l'on nous fit sortir. C'était là notre travail le plus sérieux.
(.) Les grands écrivaient. (.) A eux le peu de lumière de la salle, (.) à eux la grande et unique table entourée de bancs. L'école ne fournissant rien, pas même une goutte d'encre, chacun devait arriver avec son complet outillage. L'encrier d'alors, (.) était un long étui de carton divisé en deux étages. Le compartiment supérieur recevait les plumes, venues de l'aile du dindon et de l'oie et taillées avec le canif ; l'inférieur contenait dans une petite fiole un peu d'encre obtenue avec de la suie délayée dans du vinaigre.
(.) Que lisait-on dans mon école ? - Tout au plus, en français, quelques morceaux d'histoire sainte. Le latin revenait plus souvent, pour nous apprendre à chanter à vêpres comme il se doit. Les plus avancés essayaient de déchiffrer le manuscrit, l'acte de vente, grimoire de quelque tabellion. »
Il décrit ensuite son maître à la fois barbier, sonneur de cloches, chantre au lutrin.
« Avec telle école, tel maître, tels exemples, que deviendront mes goûts naissants, à peine indiqués ? En ce milieu, ils doivent périr, étouffés pour toujours. Eh bien, non : le germe est vivace ; il me travaille les veines et n'en sortira plus. Il trouve aliment partout, jusque sur la couverture de mon alphabet de deux sous. Il y a là une rustique image de pigeon que j'étudie, que je médite avec bien plus de zèle que je ne fais de l'ABC.
(.) Ce qui ne progressait pas, c'était la connaissance des lettres, bien négligées pour le pigeon. J'en étais là, toujours inexpert au revêche alphabet, lorsque mon père, par une inspiration fortuite, m'apporta de la ville ce qui devait me donner l'élan dans la voie de la lecture. Malgré son rôle considérable dans mon éveil intellectuel, l'acquisition n'était pas ruineuse, oh ! non. C'était une grande image de six liards, coloriée et subdivisée en compartiments où des animaux de toutes sortes enseignaient la série des lettres par les initiales de leur nom.
(.) Cela débutait par l'âne, la sainte bête. Son nom, à grosse initiale, m'apprenait la lettre A. Le boeuf m'enseignait le B, le canard m'instruisait du C, le dindon faisait sonner le D. Ainsi des autres. Quelques compartiments, il est vrai, manquaient de clarté. J'étais en froideur avec l'hippopotame, le kamichi, le zébu, qui prétendaient me faire dire H, K et Z. Ces animaux étrangers, ne donnant pas à l'abstraction de la lettre l'appui d'une réalité connue, me firent hésiter quelque temps sur leurs récalcitrantes consonnes.
N'importe : le père intervenant dans les cas difficiles, les progrès furent rapides au point qu'en peu de jours je pouvais feuilleter avec fruit mon petit livre à pigeon, jusque-là indéchiffrable. J'étais initié, je savais épeler. Mes parents étaient émerveillés. Ce progrès inattendu, aujourd'hui je me l'explique. L'image révélatrice, me mettant en société des bêtes, concordait avec mes instincts. (.) Par d'autres voies j'y serai parvenu sans doute, mais non avec cette rapidité et cet agrément. »
Jean-Henri Fabre, Souvenirs entomologiques, sixième série, chapitre 4
Voici comment apprit à lire en 1830, dans une école rurale du Massif Central, celui qui deviendra bientôt un grand savant de son temps et dont les travaux continuent d'inspirer ceux de notre époque (voir la longue préface que lui consacre Yves Delange, du Muséum national d'histoire naturelle, dans mon édition de 1989 de chez Robert Laffont).
Pourquoi le petit Fabre n'arrive-t-il pas à apprendre à lire ?
Il a pour tout support un alphabet qui ressemble à l' « Alphabet chrétien» d'une quinzaine de pages, datant du milieu du XIXe siècle, dont J. N. Lalande fait la description dans son chapitre VII de « L'apprentissage de la langue écrite, du b-a ba à la b.d » (PUF, 1985).
Il s'agit de la plus ancienne des méthodes, en usage chez les Grecs et les Latins, et restée sans concurrence jusqu'au XVIIIe siècle où Nicolas Adam invente la méthode globale. C'est en fait la vraie méthode alphabétique (ou syllabique en raison de l'importance accordée à la syllabe).
A la première page des lettres succède la seconde page de syllabes : c'est le b-a ba.
On étudie d'abord les lettres dans l'ordre alphabétique, puis les syllabes, puis les mots d'une syllabe (coq, main, fort), puis les mots de deux syllabes, de trois syllabes avec des espacements intersyllabiques (sé mi nai re / dis ci pli ne), etc.
Enfin viennent les phrases.
La langue écrite est donc présentée comme un système autonome avec ses propres règles de fonctionnement, séparée de la langue orale car le petit Fabre semble incapable de relier ce code écrit aux mots du langage parlé. Les deux codes sont tellement séparés qu'on présente même des séries de syllabes dont certaines ne se prononcent pas de la même façon : CA CE (à lire KE) CI (à lire KI) CO CU ou GA GE GI GO GU.
Ce principe de priorité du code écrit sur le code oral est imputé par J.N. Lalande au prestige de la langue écrite qui est la forme administrative et culturelle du pouvoir à cette époque alors que la masse des gens, illettrée, utilise le patois dans la vie quotidienne. Même s'il n'y fait pas allusion, on peut supposer que J.H. Fabre parle tout le temps occitan: dans l'enquête du Ministère de l'Instruction publique de 1863 sur l'usage de la langue française, aucune des 282 communes de l'Aveyron ne parle le français (Eugen Weber, La fin des terroirs, la modernisation de la France rurale, 1870-1914, Fayard, 1983).
Non seulement Jean-Henri Fabre ne fait pas le rapport entre ce qui est écrit et le langage parlé mais il ne connaît même pas, semble-t-il, la prononciation des lettres puisqu'il est obligé de temps en temps de demander au voisin !
Ce qui l'a sauvé est donc cette fameuse image ramenée de la ville par son père.
Le fait qu'à une lettre soit associé un son, qui est le premier d'une série constituant un mot qu'il connaît, lui permet de relier le langage oral au langage écrit : en voyant la lettre A jointe au dessin de l'âne (ce qui suppose qu'il connaît quand même certains mots de français), il comprend comment ce signe se prononce et donc ce qu'est le langage écrit, transposition de la parole.
Enfin, il est à signaler que son goût pour les animaux l'a beaucoup aidé en motivant son intérêt.
- Spinoza1670Esprit éclairé
3 chapitres de la Pédagogie pratique d'Irénée Carré sur la lecture. (ouvrage disponible sur Gallica)
Le premier est une "lettre à un instituteur" et donnant qq conseils sur la lecture. date : 1870. = (fichier "Carré les méthodes de lecture")
Le deuxième reprend ces conseils mais distingue appellation des lettres et épellation des syllabes et des mots. (date: 1876)
Le troisième est une lettre adressée à I. Carré par un directeur d'école annexe qui lui présente notamment la méthode phonique.
Les chapitres 2 et 3 sont regroupées dans l'autre fichier.
Le premier est une "lettre à un instituteur" et donnant qq conseils sur la lecture. date : 1870. = (fichier "Carré les méthodes de lecture")
Le deuxième reprend ces conseils mais distingue appellation des lettres et épellation des syllabes et des mots. (date: 1876)
Le troisième est une lettre adressée à I. Carré par un directeur d'école annexe qui lui présente notamment la méthode phonique.
Les chapitres 2 et 3 sont regroupées dans l'autre fichier.
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
Littérature au primaire - Rédaction au primaire - Manuels anciens - Dessin au primaire - Apprendre à lire et à écrire - Maths au primaire - école : références - Leçons de choses.
- Spinoza1670Esprit éclairé
Ferdinand Buisson, Rapport sur l’instruction primaire à l’Exposition universelle de Vienne en 1873, CHAPITRE VII, LECTURE, ÉCRITURE ET LANGUE MATERNELLE.
voir l'article de Michel Delord : Dictionnaire de pédagogie d'instruction primaire. Et quelques textes de Ferdinand Buisson.
C'est du lourd.
voir l'article de Michel Delord : Dictionnaire de pédagogie d'instruction primaire. Et quelques textes de Ferdinand Buisson.
C'est du lourd.
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
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- Spinoza1670Esprit éclairé
AFL, 1992 : LES MÉTHODES DE LECTURE AU XIXème SIÈCLE
http://www.lecture.org/revues_livres/actes_lectures/AL/AL37/AL37P45.pdf
http://www.lecture.org/revues_livres/actes_lectures/AL/AL37/AL37P45.pdf
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
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- CNRS - Lecture-écriture : "Décodage, compréhension orale, vocabulaire : trois compétences clés pour favoriser l'apprentissage de la lecture des enfants de CP scolarisés en ZEP".
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