- Docteur OXGrand sage
http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/11/29/ados-zero-de-lecture_1797771_3260.html
Francine et Léa sont des prodiges. Petite, Francine aimait les "livres un peu âgés" (pour les grands). Elle a continué : aujourd'hui, à 13 ans, elle fait partie de Lékri Dézados, le club de lecture des bibliothèques de Montreuil. Léa en est membre également. Agée de "12 ans et demi", la collégienne assure dévorer "au moins dix livres par mois" - et plus encore pendant les vacances. Des oiseaux rares, foi de statistiques ! A moins que Francine et Léa, le temps passant, ne finissent par rentrer dans le rang, se détournant, comme la majorité de leurs congénères, de leur juvénile passion papivore ?
Toutes les études sociologiques le disent : arrivés à l'adolescence, les jeunes "décrochent", les livres leur tombent des mains. Adieu Harry Potter, dégagés Buffy et ses vampires, Fantômette ou Sabrina ! Place aux copains, à la musique, aux longues séances devant l'ordinateur... Selon une enquête réalisée sous l'égide du ministère de la culture et de la communication, ceux - celles, surtout - qui affirment "lire des livres tous les jours" ne sont que 33,5 % à 11 ans, ce maigre pourcentage dégringolant à 9 % quand ils arrivent à 17 ans. A cet âge, les filles sont deux fois plus nombreuses à lire que les garçons. Pire : 14,5 % des enfants de 11 ans disent "ne jamais ou presque jamais lire un livre" et ils sont, catastrophe ! 46,5 %, six ans plus tard, à témoigner sans fard de leur désintérêt.
Menée auprès de 4 000 jeunes, interrogés tous les deux ans, de 2002 à 2008 (à 11 ans, 13 ans, 15 ans, puis 17 ans), cette enquête pionnière a fait l'objet d'un commentaire éclairant des sociologues Christine Détrez et Sylvie Octobre, publié dans Lectures et lecteurs à l'heure d'Internet (sous la direction de Christophe Evans, Cercle de la librairie, 2011). "Avec l'avancée en âge, les enfants lisent moins et se détournent des lieux et supports de lecture - et l'adolescence apparaît comme le moment-clé de cet éloignement", observent les auteurs.
Ce phénomène de désaffection est-il nouveau ? L'angoisse qu'il suscite chez nombre de parents et de grands-parents a été décuplée par la révolution Internet. La montée du chômage et les incertitudes qui pèsent sur l'avenir des jeunes générations ont encore aggravé le trouble. Les discours de déploration à l'encontre de "ces ados qui ne lisent plus" font florès. Il n'y a pourtant pas très longtemps que la société des adultes s'intéresse à cette curieuse tribu : "Il faut attendre 1972 (...) pour que les adolescents apparaissent comme une catégorie spécifique, au même titre que les enfants, les personnes âgées, les malades et les immigrés", rappelle la sociologue Bernadette Seibel, dans la revue Lecture Jeune (n° 212, décembre 2004). Avant-guerre et jusque dans les années 1950, c'est-à-dire à une époque où "la majorité des enfants entraient en apprentissage ou dans la vie active à 14 ans", peu de gens se souciaient de savoir si les jeunes, en particulier ceux des classes populaires, "lisaient et, moins encore, ce qu'ils lisaient", insiste Mme Seibel.
Paradoxe : la massification scolaire - notamment marquée par la généralisation de l'accès à l'enseignement secondaire et par l'extension de la scolarité au collège après 1976 - s'est accompagnée d'une baisse de la lecture des livres. "Depuis une trentaine d'années, c'est un fait : chaque génération lit moins que la précédente", confirme au "Monde des livres" Sylvie Octobre, qui poursuit ses recherches au département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture.
Tout en estimant que "la question des motifs profonds de cette baisse de la lecture littéraire reste entière", la spécialiste de l'édition et des bibliothèques Martine Poulain avance une explication : dans les années 1980-1990 existait un "espoir" que la politique menée en faveur du livre (loi Lang, etc.), associée à la démocratisation de l'école et de l'université, allait entraîner une "forte fréquentation" du livre. "C'est le cas, d'une certaine manière, mais en même temps, le livre s'est extraordinairement dévalué ou banalisé", ajoute la sociologue, dont les propos, comme ceux d'Olivier Donnat et d'autres professionnels du livre, sont publiés dans Les Mutations de la lecture (sous la direction d'Olivier Bessard-Banquy), ouvrage que viennent d'éditer les Presses universitaires de Bordeaux.
Il n'empêche : on vend beaucoup de livres pour les enfants ou les ados ! "Les pavés, ça marche", confirme Quentin Frachon, de la librairie Folies d'encre, à Montreuil. "Pierre Bottero, ça se vend tout seul, pas besoin de faire de réclame", renchérit Céline Bouillin, de la librairie lyonnaise Passages. Les performances de l'édition jeunesse en témoignent : le chiffre d'affaires est passé de 203 millions d'euros en 2000 à 372,8 millions d'euros en 2011. Aujourd'hui encore, plus d'un livre acheté sur cinq est un livre jeunesse. Est-il lu, pour autant ? Car ce sont, le plus souvent, les parents qui achètent - non les ados...
Ces bonnes performances pourraient être, par ailleurs, fortement écornées dans un proche avenir. Aggravation de la crise économique oblige : "On souffre moins que les libraires généralistes, mais quand même : depuis ces deux dernières années, notre chiffre d'affaires a baissé d'environ 8 %", relève la patronne de la jolie librairie lyonnaise A pleine page, nichée dans le quartier huppé de la presqu'île. Moins bien situées, d'autres librairies jeunesse ont subi des reculs de "près de 20 %" durant la même période. A l'instar, vraisemblablement, de nombreuses librairies de l'Hexagone.
La faute aux "décrocheurs" ? L'idée que des ados lecteurs arrêtent de l'être laisse perplexes Sybille Lesourd et Aude Revol, professeurs de lettres modernes à Montreuil. La première enseigne au collège Fabien, la seconde au collège Politzer. "Dire que les ados décrochent ? J'ai parfois l'impression qu'ils n'ont pas accroché du tout. Qu'ils vivent dans un monde sans livres", remarque Sybille Lesourd. La faute à pas d'chance ? "L'amour des livres, c'est comme pour le théâtre : pour que les enfants aiment ça, il faut qu'ils se rendent compte que les adultes autour d'eux y trouvent plaisir. Pas forcément les parents, bien sûr. Mais ça aide...", souligne la jeune femme.
Elle-même donne l'exemple et ça marche : non seulement, ses élèves de 3e CHAM (chant, art et musique) lisent, mais, en prime, ils écrivent - un roman policier, en l'occurrence, Tu et moi, qu'ils ont rédigé collectivement "à la manière des auteurs oulipiens" et imprimé à quelques dizaines d'exemplaires. Une exception ? Pas forcément.
Certes, le genre et la classe sociale jouent un rôle majeur dans le rapport des adolescents à la lecture - ce qu'une enquête britannique, Young People's Reading and Writing ("Lecture et écriture des jeunes gens"), financée par le National Literacy Trust, non encore traduite en français, montre avec éclat. Pour "trouver le chemin du livre", selon le mot de la sociologue Michèle Petit, auteur de L'Art de lire ou comment résister à l'adversité (Belin, 2008), mieux vaut être blanche et bien portante, que pauvre et de sexe masculin... Mais la mue qui est en train de s'opérer, boostée par Internet et le numérique, ne dépend pas de ces seuls paramètres.
"Le rapport des élites aux livres et à la lecture a changé, relève Sylvie Octobre. L'essentiel, aujourd'hui, quand on veut dominer, ce n'est pas de lire ou d'avoir beaucoup lu, mais d'être capable, dans un système d'hyperinformation, de repérer ce qui va vous servir. Lire Kant ou Flaubert, cela reste utile. Mais ce n'est plus suffisant." La manière de lire, elle aussi, a changé - radicalement : avec le numérique, la lecture devient fragmentaire, non linéaire. Hugo, Balzac ou Racine y survivront-ils ?
"Quand j'ai demandé à mes élèves de 5e s'ils préféraient lire sur papier ou s'asseoir devant un écran (pour des chats, des jeux, etc.), ils ont choisi l'écran à 99,9 %", soupire Aude Revol. Non pas, précise aussitôt l'enseignante, que ses élèves - de milieu populaire et d'ascendance étrangère, en majorité - ne lisent pas. "Les filles lisent des magazines, les garçons des mangas", indique-t-elle. Mais cette pâle nourriture risque d'en faire des "adultes désarmés", qui se feront facilement "exploiter". Surtout, se désole l'enseignante, "ils se privent d'un bonheur qu'ils n'imaginent pas".
Ce bonheur, Francine et Léa ne sont pas prêtes à y renoncer. Francine, qui a grandi dans une famille où on ne lit pas, "aime bien cette solitude, tenir un livre, tourner les pages" - et on devine que ça durera. Pour l'instant, elle relit sa série de BD culte des "Dracula". Quant à Léa, elle "commence à conseiller un peu" sa mère, qu'elle initie aux romans fantasy. Des prodiges, pas d'erreur. A moins que le vent tourne ? Rendez-vous le jour de leurs 17 ans...
Catherine Simon
- ClarinetteGrand Maître
Rien de bien étonnant dans cet article, malheureusement.
En revanche, une remarque, "elle fait partie de Lékri Dézados, le club de lecture des bibliothèques de Montreuil" : ça m'énerve, ça !
En revanche, une remarque, "elle fait partie de Lékri Dézados, le club de lecture des bibliothèques de Montreuil" : ça m'énerve, ça !
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