- Docteur OXGrand sage
Rédactrice : Laurence De Cock
A ce jour, malgré le passage dans certains établissements d’IPR et une demande de remontée de terrain faite par la DGESCO[1], nous ne savons toujours pas précisément quelles sont les modalités exactes de la nouvelle épreuve. Nous sommes à 6 mois de l’épreuve anticipée d’histoire-géographie en 1ère S issue de la réforme du lycée et de la suppression de notre matière en Terminale scientifique.
Le cadre général de l’épreuve a été publié au BOEN le 3 février 2011, mais nous attendons toujours une lettre de cadrage sur la nature des sujets susceptibles de faire l’objet d’une évaluation.
Traditionnellement, l’Inspection Générale, la première année de mise en œuvre d’un nouveau programme, publie, dès la fin de l’année scolaire précédente, des « sujets-alpha » susceptibles d’aiguiller les enseignants pour leur préparation méthodologique. Des sujets ont ainsi circulé dès juin dernier sur le site de l’académie de Paris[2], mais ont, semble-t-il, été désavoués par l’Inspection générale. Cette incertitude (aucune annonce officielle de l’Inspection) est symptomatique du flou dans lequel nous naviguons tous à quelques mois du Bac et alors que le premier trimestre s’est achevé pour tous les élèves de 1èreS.
Précisons en outre que ces sujets restent aujourd’hui en ligne, visibles par collègues, élèves et parents soucieux d’anticiper une épreuve et qui seraient passés entre les mailles du filet de l’information « informelle » de leur invalidité.
Mais de quoi se soucier alors que nous préparons des élèves au Bac depuis de nombreuses années pour la plupart d’entre nous ?
Nous sommes confrontés à une triple nouveauté : nouveaux programmes, nouvelle épreuve pour une nouvelle classe d’âge.
Reprenons alors les éléments un à un :
Des nouveaux programmes :
Ces programmes ne sont pas simplement nouveaux par leur contenu. Ils le sont surtout dans leur forme. Combinant questions générales et « études », ils reposent – dans leur philosophie au moins – sur une démarche dite inductive qui permet d’ « entrer » dans un thème à partir d’un cas singulier[3]. Cette nouvelle écriture scolaire de l’histoire n’est pas inintéressante en soi et entre en continuité et cohérence avec les nouveaux programmes de collège. Elle oblige en outre, en histoire comme en géographie, à des variations d’échelles : dans le temps comme dans l’espace, nous sommes amenés à des jeux d’aller-retour entre zoom et appréhension panoramique d’un objet. Pourquoi pas. Octroyons nous tout de même la possibilité de revendiquer un peu de temps pour s’approprier la démarche et la rendre intelligible aux élèves.
Les programmes sont notre matière première, ils sont ce à partir de quoi s’invente et se bricole une situation d’enseignement. La règle de ce jeu créatif que certains nomment encore la « liberté pédagogique » repose sur une appropriation scientifique, critique et didactique du programme[4]. Vaste gageure dans un contexte de suppression de la formation continue des enseignants, de multiplication des activités acronymes dans les lycées (AP, EE, TPE, HDA)[5], de réécriture précipitée de programmes conformes à la nouvelle maquette du lycée, et surtout de la mise en place d’une épreuve anticipée du Bac pour une seule filière de 1ère.
On ne s’étonnera pas que, dans ce contexte, la plupart des collègues revendique à ce jour un retard de près de deux semaines (au bas mot) dans la progression annuelle… On ne s’étonnera pas non plus que nous soyons finalement tous contraints à une pratique purement magistrale incompatible avec la démarche inductive. On ne s’étonnera pas enfin de notre relative impatience face à l’absence de consignes claires pour le Bac.
Une nouvelle épreuve et de nombreuses questions
Passons rapidement sur les contingences de structures en rappelant tout de même la variété des situations selon les lycées et les choix « autonomes » faits par les directions : classes mixtes 1ère ES, L, S ; heures méthodologiques attribuées aux 1ère S, dédoublement des classes en 1ère et/ou en Seconde etc. Toutes ces politiques différenciées auront des effets très importants sur la préparation des élèves. Parmi les aberrations rencontrées, on peut pointer l’exemple d’un lycée cette année où une 1ère S (à effectif déjà réduit) dispose de 6h de préparation (horaires normaux, AP et dédoublement) tandis que dans beaucoup d’autres, les 1ère S sont immergées dans une classe ES, L, S (horaires planchers 4h) et ne bénéficient d’aucun dispositif d’accompagnement relatif à la singularité de leur situation. Ces choix locaux sont lourds de sens quant aux conditions de préparation de l’épreuve.
Mais la nouvelle épreuve, dans sa mouture actuelle, soulève bien d’autres questions, notamment méthodologiques. Les informations glanées ci et là insistent sur la facilité de la composition (qui ne sera plus qu’une simple restitution du cours) et sur un questionnement si directif sur les documents que les élèves n’auront qu’à suivre docilement la consigne. Il faut « rassurer » tout le monde nous dit-on… Nous ne savons pas quel collègue se sentirait « rassuré » par la dénaturation de sa discipline au Baccalauréat, mais nous sommes assurés d’avoir bien peu de réponses précises à des questions aussi basiques que :
- D’une manière générale, les sujets d’études en histoire sont-ils susceptibles de tomber en composition sachant que le « sujet-alpha » sur l’ économie-monde britannique aurait été invalidé ?
- Même question pour les études de cas en géographie
- Compte tenu du libellé du programme, y’a-t-il une différence de statut entre les études sur l’Algérie et l’Inde et celles sur la guerre froide et les nouvelles conflictualités ?
- Doit-on préparer nos élèves à des questions comparatives ? (sur les guerres notamment, par le prisme de la violence)
- Quels sont les schémas et croquis susceptibles de tomber au Bac ? (Sur les fiches ressources, seuls font l’objet d’une mention spéciale les croquis suivants : “potentialités et contraintes du territoire français”, “organisation des réseaux de transport en France et leurs connexions avec l’Europe et le monde”, “disparités et inégalités socio-spatiales dans l’UE”, “la Northern Range”). Sur quels croquis les élèves disposeront-ils de fond de carte ?
- Quel est le niveau de précision attendu pour le vocabulaire relatif aux aménagements du territoire en géographie ? Certains d’entre nous ont le sentiment de former des fonctionnaires territoriaux à l’usage d’une « novlangue géographique » : SCOT, PLU, PCET, CUCS, SRADDT…
- Enfin, comment accompagner méthodologiquement les élèves cette année alors même que l’articulation entre les sujet d’études et les thèmes est si peu limpide ? Qu’est-ce qu’une composition sinon une démarche de généralisation argumentée et problématisée ? Les études sont-elles alors destinées à fournir « arguments », « illustrations » ou « objets de connaissance » ? Si l’étude fait l’objet d’une composition, quelle est la pertinence pédagogique de l’accoler à un thème ? Doit-on suggérer à nos élèves de ne « ficher » que les études pour le Bac ?
De nouveaux publics à évaluer, l’accentuation des inégalités scolaires
Il ne faut pas oublier qu’au cœur de toutes ces questions et des critiques très précises qui alourdissent nos enseignements (et notre moral en passant), se trouve la connaissance précise que nous avons du profil d’une classe de 1ère aujourd’hui.
Il n’est sans doute pas inutile alors de rappeler quelques évidences :
- Dans de nombreux établissements en France aujourd’hui, les élèves de 1ère ne savent pas prendre des notes ; sur un programme aussi lourd, c’est un facteur très discriminant de progression.
- Dans les lycées des quartiers populaires, le passage à l’écrit est sans doute la difficulté la plus importante à laquelle nous sommes confrontés. La fin de 1ère, pour la plupart d’entre eux, sera très prématurée pour envisager une production écrite répondant aux critères requis d’un examen terminal
- On nous rétorquera immédiatement qu’ils ont le Bac français. Mais pour des raisons inhérentes au cloisonnement disciplinaire et à la didactique de l’histoire-géographie, la production écrite fluide et libre n’est pas au cœur de nos disciplines qui restent très contraintes par des critères méthodologiques stricts : problématique, plan, arguments, typologie, vocabulaire scientifique etc… Qu’on s’en défende, qu’on le déplore peut-être, c’est bel et bien la culture disciplinaire qui nous a formés et que nous transmettons. Il n’est donc pas étonnant de constater les disparités dans le rapport à l’écrit des lycéens. Des disparités par disciplines certes, mais accentuées par les inégalités sociales selon une logique qu’il est inutile de rappeler[6].
- En outre, il est erroné/dépassé de continuer à prétendre que les « bons élèves » vont en S, qu’ils sont « bons partout » et que cette épreuve anticipée de les défavorisera pas. Au contraire, il est très fréquent (et les conseils de classe actuels le confirment) de suggérer une orientation en filière scientifique à des élèves qui peinent dans les matières littéraires mais se montrent plus à l’aise dans les disciplines scientifiques. Ces élèves se trouveront confrontés à deux épreuves littéraires anticipées en fin de 1ère alors qu’ils auraient largement bénéficié d’une année supplémentaire de formation.
Contrairement aux arguments développés par le ministère lors de la suppression de l’histoire-géographie en Terminale S, Cette épreuve anticipée a donc tous les risques d’accentuer les inégalités scolaires et de privilégier les élèves issus des catégories sociales les plus favorisées.
En attendant, de nombreux collègues confrontés à ces nouvelles injonctions, non contents de devoir enseigner un programme qu’ils ont largement contesté, se sentent très inconfortablement mis en situation de devoir préparer à une épreuve dont ils sont encore forcés d’imaginer la teneur.
Terminons donc par le rappel d’un basique calendrier scolaire :
- Fin des conseils de classe du premier trimestre et premiers avis sur l’orientation
- Réunion avec les parents d’élèves de Seconde et de 1ère pour un point sur ce qui attend leurs enfants
- “Vacances”
- Premiers “Bacs blancs” dès la rentrée…
Meilleurs voeux (…)
http://aggiornamento.hypotheses.org/651
- CondorcetOracle
La variation d'échelles en histoire, connais pas !
- User7674Érudit
Article écrit par mon ancienne formatrice iufm...
- JohnMédiateur
C'est une vraie question ?- D’une manière générale, les sujets d’études en histoire sont-ils susceptibles de tomber en composition sachant que le « sujet-alpha » sur l’ économie-monde britannique aurait été invalidé ?
- Même question pour les études de cas en géographie
La réponse me semble évidemment oui !
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