- NoukaExpert
Salut !
J'ai 2 demandes particulières en fait !
La 1ère concerne mes 4ème qui sont des petits lecteurs mais je ne veux pas baisser les bras. On a travaillé sur la Vénus d'ille et je voudrais en prolongement pendant les vacances leur donner à lire des petites nouvelles fantastiques. J'ai déjà choisi le Veston ensorcelé et Fond d'écran. J'en cherche un 3ème qui soit photocopiable sur une feuille recto verso et qui soit une bonne petite nouvelle qui laisse bien le doute final. Je pense à du Maupassant mais je n'en ai pas dans mon ordi.
La 2ème concerne mes 6ème avec qui j'achève le conte. Je leur ai fait lire les Légendes de la mer de Clavel et comme j'attaque la poésie ou les Fables à la rentrée je pensais leur donner des petits contes traditionnels sympa pendant les vacances, des contes de Noël ?????
Auriez-vous des idées à me suggérer ?
Merci bien !
Peggy
J'ai 2 demandes particulières en fait !
La 1ère concerne mes 4ème qui sont des petits lecteurs mais je ne veux pas baisser les bras. On a travaillé sur la Vénus d'ille et je voudrais en prolongement pendant les vacances leur donner à lire des petites nouvelles fantastiques. J'ai déjà choisi le Veston ensorcelé et Fond d'écran. J'en cherche un 3ème qui soit photocopiable sur une feuille recto verso et qui soit une bonne petite nouvelle qui laisse bien le doute final. Je pense à du Maupassant mais je n'en ai pas dans mon ordi.
La 2ème concerne mes 6ème avec qui j'achève le conte. Je leur ai fait lire les Légendes de la mer de Clavel et comme j'attaque la poésie ou les Fables à la rentrée je pensais leur donner des petits contes traditionnels sympa pendant les vacances, des contes de Noël ?????
Auriez-vous des idées à me suggérer ?
Merci bien !
Peggy
- InvitéInvité
Curieusement, il n'existe pas à ma connaissance de recueil de contes de Noël intéressants... J'en ai cherché vainement. Certes, tu trouves "les Trois messes basses" de Daudet ou "le Conte de Noël" de Dickens, mais c'est à peu près tout.
Nous avons découvert par un envoi de spécimen les "Contes des cataplasmes" de Vercors : c'est très bien ; ce mince recueil se partage en quatre contes qui suivent les aventures de trois frères. C'est inspiré de la mythologie et des contes traditionnels du Berry.
Nous avons découvert par un envoi de spécimen les "Contes des cataplasmes" de Vercors : c'est très bien ; ce mince recueil se partage en quatre contes qui suivent les aventures de trois frères. C'est inspiré de la mythologie et des contes traditionnels du Berry.
- SydneyNiveau 10
Dans un vide-grenier, j'avais acheté un recueil Contes de Noël (que je n'ai pas eu le temps de lire) mais les contes ont l'air bien et variés (avec des contes de Toyat, Hoffmann, Boileau-Narcejac, Daudet, Dickens, Supervielle...) Classiques Hatier Oeuvres et thèmes, Contes de Noël.
Sydney
Sydney
- NoukaExpert
Merci pour ces idées... Mais pour tout de suite je cherche plutôt quelques textes que je pourrais leur photocopier et pas leur faire acheter, c'est vraiment pour la transition.
Mais je retiens les idées.
Peggy
Mais je retiens les idées.
Peggy
- retraitéeDoyen
J'ai travaillé cette nouvelle fantastique, qui a beaucoup plu.
UN VIEUX MÉLOMANE.
Peu avant cette dernière guerre, mon cousin Paul, qui avait achevé très honorablement ses études de lettres à l’université de Toulouse, vint passer une semaine de juillet à Paris, qu’il n’avait jusqu’alors fait que frôler en allant chez nos parents de Lille.
Il descendit à l’hôtel, n’ayant qu’un seul désir : danser le quadrille de la liberté, lui qui, à longueur d’année, subissait la discipline et la morosité des siens, confinés dans leur rythme provincial. Aussi, avec sagesse, se garda-t-il de nous faire savoir qu’il se trouvait dans la capitale, s’épargnant ainsi de rébarbatifs dîners familiaux.
Délivré d’obligations-sangsues, il s’offrit de larges tranches de la capitale et, malgré la chaleur caniculaire, visita tant et plus de monuments, musées ou vieux quartiers, comblant ainsi un sérieux retard de connaissances.
Une fin d’après-midi, épuisé par de longues marches, veste sous le bras, chemise ouverte, il arriva trop tard au musée Rodin. On fermait les portes. Tant pis, tant mieux, il reviendrait le lendemain, plus dispos. Et, flânant encore sur sa lancée, il alla s’asseoir sur un des bancs publics de la voisine avenue de Breteuil, face au tombeau de l’Empereur et à l’ombre poussiéreuse des platanes en torpeur.
Un vieux monsieur se trouvait là, digne à faire statue, joues roses, rasées comme de tout de suite et poudrées par là-dessus. Un de ces coquets vieillards d’alors qui, n’ayant pas perdu l’esprit de leur jeunesse, continuaient à se vêtir selon leur cœur d’antan, sans souci du qu’en jugera-t-on et fidèle à des élégances surannées, modes fossiles du siècle dernier, le temps n’ayant passé que pour les autres.
Celui-ci tenait du gros moineau savant et respectable, aux ailes repliées : cette jaquette de gros drap noir, pantalon de laine souris épaisse à rayures sombres, gilet de tapisserie à fleurs d’où s’échappait un bref jabot grisâtre, guêtres et gants beiges çà et là verdis, le chef ponctué d’un haut-de-forme coquinement penché un rien sur le côté pour rompre la sévérité de l’ensemble. Vêtements d’hiver, trop chauds pour cette saison de plomb fondant, mais que le monsieur portait sans paraître en souffrir, à l’aise comme dans de l’alpaga.
Mon cousin Paul n’eut guère le temps de se reposer, ni de méditer l’enrichissement de sa journée, car son voisin, qui devait s’ennuyer dans sa carapace d’étoffes vieilles d’au moins trois quarts de siècle, lui adressa la parole et sut tout de suite l’intéresser à sa personne en lui parlant musique.
C’était viser juste, et digne d’une voyance d’extra lucide, Paul étant déjà à l’époque un mélomane averti. Aussi répondit-il à l’appel de conversation et leurs goûts furent à ce point identiques, jusque dans leurs nuances les plus subtiles, que mon cousin se flatta d’avoir eu la belle chance des humbles : celle de rencontrer la lumière divine, en l’occurrence un mélomane de grande classe, comprenant non seulement le caractère de chaque instrument, mais capable d’être orchestre à lui seul, à la fois triangle et chef.
Surcroît de générosité des dieux : l’inconnu offrait le soir même, en son domicile, à quelques pas de là, une collation pour l’oreille, petit concert de musique de chambre où seraient jouées des œuvres rares, sinon inconnues. Et il proposa à Paul de passer d’abord chez divers commerçants voisins, d’y faire quelques emplettes alimentaires, viandes froides, fromages et vins, afin de se briser l’appétit, comme ça, sur un coin de table à la façon des amis de toujours qui n’ont pas à se gêner entre eux, lui célibataire et sans bonne.
Si cette invitation n’avait pas été formulée, mon cousin l’eût provoquée par n’importe quel chemin, même avec inconvenance, car le vieux monsieur avait suffisamment soulevé le voile sur le programme et souligné les qualités de ce quatuor à cordes, jadis célèbre mais déjà oublié, et qui ne jouait plus à présent que par faveur et pour l’âme d’un auditoire de mélomanes choisis.
Le dîner fut un enchantement et passa telle une fugue de Jean Sébastien. Il ne mit aucun d’eux dans l’embarras d’avoir à manger sur la table de bois blanc de l’étroite cuisine, au milieu d’une odeur de lait brûlé et de chocolat cramé. Repas plein d’érudition et de jovialité, où l’amphitryon, noble d’une épaisse et blanche chevelure de prophète, ne mesura pas ses gestes, lui toujours le premier à lever son verre, bordeaux qu’ils burent jusqu’au tanin.
Laissant la vaisselle pour plus tard, ils n’eurent qu’à passer au salon, vaste et confortable de fauteuils, de canapés et de meubles luxueux qui confessaient l’aisance matérielle de l’hôte.
Et les musiciens, et les invités- à –entendre arrivèrent, ponctuels, telle une clé de sol, présentés aussitôt à mon cousin Paul avec tous les compliments dus à une présence d’honneur, ce qui le gêna. Moins cependant que son croissant trouble de surprise en voyant ces vieux couples affables mais comme absents ; ou ces hommes seuls, discrets et graves, tous amis et relations de son hôte et qui paraissaient sortis de quelque musée Grévin ou Tussaud, certains de démarches raides, d’autres la peau parcheminée ou fardée à leur croire des visages de cire — effet que la lumière discrète et pastellisée accentuait encore.
Tous étaient vêtus selon des modes défuntes et très lointaines : dames en cascades de dentelles vieillottes, jaunies ; en satin gonflé de fronces pesantes, ou alourdi de grosses fleurs d’organdi, et messieurs en épaisses redingotes noires ou jaquettes de draps désuets toutes plus ou moins froissées. Une vingtaine de personnes qui ne faisaient pas plus de bruit que le zéphyr levé n’en produisait dans les feuillages de l’avenue sur laquelle donnait l’une des fenêtres ouvertes, et où mon cousin plaça sa chaise afin de fumer sans indisposer personne, mais avant tout pour mieux observer cet étrange public.
Pendant le concert qui dura des heures, ils se tinrent immobiles sur les sièges de tapisserie qui semblaient de leur temps et décorés à leur assortiment et dont le compte, à une place près, correspondait à leur nombre. Absorbés par la musique, ils ne s’animaient que pour de brefs applaudissements du bout des doigts. Cependant, leurs sens étaient tendus à passion vers les musiciens qui se livraient à un petit ballet de mouvements rigoureux jusqu’à en paraître glacials, mais donnait naissance à des harmonies diaphanes et oniriques dont la qualité égalait, sinon surpassait, celle des plus grands.
Aussi Paul, ne reconnaissant dans ces singulières musiques aucune facture d’auteurs connus, se sentit très vite comme nu de culture musicale.
La soirée, ou plus précisément la nuit, se termina tard, presque à l’aube. Chacun repartit aussi légèrement que discrètement, laissant un souvenir d’irréels frôlements d’étoffes et de murmures émus à mon cousin qui s’attarda, à dessein de questionner son hôte et d’en apprendre, tant sur le concert que sur l’auditoire.
Mais, le maître de maison étant las et en besoin de sommeil, Paul n’osa l’importuner, remettant à plus tard de parfaire ses connaissances et de satisfaire sa curiosité. Ils se séparèrent donc les derniers sur la promesse tout à la fois formelle et vague de se revoir aussi vite que cela serait possible.
Mon cousin rentra à pied à son hôtel, rue Saint-Sulpice, se faisant plusieurs fois bousculer ou heurtant lui-même les passants, tant il allait comme en une ivresse seconde, dans ce fluide état que provoque l’après-coup des moments exceptionnels qui, alors, donnent à en douter.
Il dormit, roulé dans un souple sommeil, encore bercé par ces musiques inoubliables, et ne se réveilla qu’à midi. Selon une bien mauvaise habitude, il prit une cigarette qui guettait patiemment son vice. Mais il ne trouva pas le briquet d’or plein, cadeau de ses parents au nouveau licencié.
Se souvenant alors qu’il l’avait oublié là-bas, posé sur le plancher devant la fenêtre, il jugea que, par la force d’une volonté inconnue, le vieux mélomane et lui étaient destinés à se revoir.
Paul alla donc, l’après-midi, avenue de Breteuil où il retrouva sans peine l’immeuble divin.
Dans la pénombre coutumière aux vieux bâtiments, il monta au second étage et reconnut l’endroit, aidé par les mauvais plis du tapis de ce palier, qui l’avaient déjà fait trébucher la veille au même endroit.
Il sonna et attendit. Comme on ne venait pas, il insista longuement, tenant compte qu’un sommeil de vieillard qui a passé une nuit blanche devait ressembler à celui de la mort. Mais il s’avisa que, peut-être, la sonnette ne marchait pas. Il frappa à plusieurs reprises d’un doigt vif et, il faut le reconnaître, avec impatience, secouant bientôt la porte, inquiet qu’il ne fût arrivé quelque chose de fâcheux à son nouvel ami.
Enfin, devant le silence intérieur, il redescendit, se promettant de revenir plus tard et d’insister encore plus énergiquement.
Il pensa alors qu’il devait être allé sur le banc providentiel. Mais mon cousin n’eut pas le loisir de s’y rendre. Au bas de l’escalier, la concierge, hargneuse, lui barra le passage et l’accusa d’avoir tenté de fracturer la porte du second !
Paul eut un sursaut, indigné, d’autant que deux sergents de ville arrivaient, certainement appelés au téléphone par cette femme agressive, qui, le désignant, affirma :
— C’est lui, je l’ai vu, il a voulu forcer la porte . . . Il ne se doutait pas que je le guettais.
Et sans plus, on le conduisit au commissariat, tout proche.
Là, il fut mis en présence d’un inspecteur de police qui, sans la moindre politesse, lui demanda sèchement de s’expliquer sur l’effraction qu’il projetait aux dépens de la loi et de la justice.
Ahuri, Paul ne put tout de suite articuler de défense, si bien que le policier s’emporta et exigea qu’il lui explique pourquoi il s’était livré à un acte aussi préjudiciable pour lui.
Comprenant qu’il était victime d’une méprise, mon cousin réussit à retrouver son aplomb, et décrivit les circonstances que nous connaissons, précisant qu’il désirait reprendre sans tarder son briquet en or auquel il tenait.
L’inspecteur montra un mouvement d’irritation et entraîna Paul dans le bureau voisin, chez le commissaire à qui il déclara que l’affaire X . . . avait enfin des chances de sortir de l’impasse et de repartir dans une nouvelle direction grâce à un complice, là, ci-devant venu avec la plus grande imprudence chercher sans doute quelque document caché qui aurait échappé aux perquisitions. Et il ajouta que le suspect était un roublard affirmant avec audace de fallacieux prétextes qu’il résuma du reste au commissaire et que Paul s’empressa d’approuver de toute sa bonne foi, puisque telle était la vérité.
Le commissaire, moins sanguin que son subordonné, usa de manières plus posées et, ayant offert un siège à mon cousin, s’intéressa à ses propos.
— Ainsi, vous avez passé la soirée d’hier dans cet appartement, en compagnie d’un vieux monsieur mélomane qui offrait un concert à ses amis, tous gens honnêtes et que, je le suppose, vous êtes prêt à cautionner sans, bien sûr, savoir qui ils sont. . . D’autre part, vous y auriez oublié votre briquet, prétendez-vous ?
— Absolument, affirma Paul.
— Et . . . vous êtes entré facilement . . . Rien n’a empêché la porte de s’ouvrir ?
— Non, mon hôte a donné deux tours de clef et elle s’est ouverte . . .
— Bien, bien . . . , coupa le commissaire qui, lui aussi, commençait à montrer de l’agacement, et vous pouvez me décrire l’intérieur : meubles, décorations ?
Mon cousin ne remarqua pas le bref échange de sourires qu’eurent les deux hommes et fit scrupuleusement les descriptions demandées, heureux d’être enfin écouté sans interruption, les promenant tel un guide, ne leur épargnant aucun des détails restés dans sa mémoire. Et il allait parler des deux chandeliers de bronze élancés de longues chimères dressées, dont les griffes devaient avoir, à la longue, rayé le dessus d’acajou du Pleyel à queue, lorsque le commissaire l’arrêta net et inclina du chef avec une condescendance ironique.
— Mes compliments, jeune homme, vous avez une belle mémoire, mais permettez-moi de revenir à la réalité des lieux. Et d’abord : comment avez-vous pu pénétrer par une porte sur laquelle nous avons posé les scellés, voici un an ?
— Les scellés ! Quels scellés ?
Là, le commissaire s’emporta d’une traite :
— Ceux qui ont été mis par acte de justice afin de préserver les droits des victimes d’un jeune escroc libanais, le propriétaire, et qui habitait là mais qui, malheureusement, a disparu après de graves abus de confiance.
Et, prenant une rapide décision, il se leva, fit signe à l’inspecteur de le suivre.
Ils n’eurent qu’une centaine de mètres à parcourir pour se trouver devant l’immeuble qui, pour Paul, était celui d’un charmant vieux mélomane et, pour la police, celui d’un jeune escroc libanais.
Arrivé au pied de l’escalier, le commissaire, sans doute par déformation professionnelle – ainsi que pour une reconstitution de délit – demanda à mon cousin de les conduire de la façon exacte dont ce mélomane nocturne l’avait lui-même fait . . .
Parvenu devant la porte, et la concierge ayant mis la lumière, Paul, consterné, vit ces plaques de cire rouge craquelée qu’il n’avait pas remarquées la veille mais qui, de toute évidence, devaient déjà s’y trouver depuis longtemps, à cheval sur l’huisserie et renforcées de rubans verts aux extrémités nouées, elles aussi tenues par la cire, portant l’empreinte profonde d’un cachet sévère et significatif : scellés que l’inspecteur brisa aussitôt que le commissaire les eut fait constater à mon cousin, ouvrant ensuite la porte sur un couloir sombre qu’il éclaira avec une torche électrique.
Paul, sidéré, reconnut les lieux, mais ils étaient totalement vides. Une couche de poussière vierge recouvrait partout le sol de sa grisaille. Il n’y avait aucune trace de pas !
— Alors ? railla le commissaire.
— Mais ! mais ! hoqueta mon cousin, mais c’est pourtant bien ce couloir . . . je le reconnais . . . Là se trouvait une console ! . . . Ici, sur ce mur, un Gobelin ! . . . Je l’affirme . . . Je ne suis tout de même pas fou !
Cependant, il commençait à douter de sa raison et ne voulut pas accepter d’avoir rêvé cette nuit : musique et personnages. Prenant la torche des mains du policier, il les entraîna à la cuisine où il avait mangé avec l’inconnu et qu’il reconnut aussitôt.
Elle était également déserte ! Pas la moindre vaisselle ! Pas le plus petit soupçon d’une odeur de lait brûlé, ni de chocolat cramé !
Il se précipita au salon tout aussi vite et, tandis qu’il promenait la lumière crue devant les fenêtres closes sur les persiennes fermées, il éclaira au sol un objet qui brilla soudain.
– Là ! Là ! exulta mon cousin, que voyez-vous là ? Ne vous l’avais-je pas affirmé ? . . . Et n’était-ce pas la raison de mon retour ici ? . . .
Allant ramasser l’objet brillant, posé sur la poussière, le commissaire dut reconnaître que ce briquet en or massif appartenait bien à Paul, puisqu’il portait son nom gravé en belle ronde . . .
Claude SEIGNOLLE
UN VIEUX MÉLOMANE.
Peu avant cette dernière guerre, mon cousin Paul, qui avait achevé très honorablement ses études de lettres à l’université de Toulouse, vint passer une semaine de juillet à Paris, qu’il n’avait jusqu’alors fait que frôler en allant chez nos parents de Lille.
Il descendit à l’hôtel, n’ayant qu’un seul désir : danser le quadrille de la liberté, lui qui, à longueur d’année, subissait la discipline et la morosité des siens, confinés dans leur rythme provincial. Aussi, avec sagesse, se garda-t-il de nous faire savoir qu’il se trouvait dans la capitale, s’épargnant ainsi de rébarbatifs dîners familiaux.
Délivré d’obligations-sangsues, il s’offrit de larges tranches de la capitale et, malgré la chaleur caniculaire, visita tant et plus de monuments, musées ou vieux quartiers, comblant ainsi un sérieux retard de connaissances.
Une fin d’après-midi, épuisé par de longues marches, veste sous le bras, chemise ouverte, il arriva trop tard au musée Rodin. On fermait les portes. Tant pis, tant mieux, il reviendrait le lendemain, plus dispos. Et, flânant encore sur sa lancée, il alla s’asseoir sur un des bancs publics de la voisine avenue de Breteuil, face au tombeau de l’Empereur et à l’ombre poussiéreuse des platanes en torpeur.
Un vieux monsieur se trouvait là, digne à faire statue, joues roses, rasées comme de tout de suite et poudrées par là-dessus. Un de ces coquets vieillards d’alors qui, n’ayant pas perdu l’esprit de leur jeunesse, continuaient à se vêtir selon leur cœur d’antan, sans souci du qu’en jugera-t-on et fidèle à des élégances surannées, modes fossiles du siècle dernier, le temps n’ayant passé que pour les autres.
Celui-ci tenait du gros moineau savant et respectable, aux ailes repliées : cette jaquette de gros drap noir, pantalon de laine souris épaisse à rayures sombres, gilet de tapisserie à fleurs d’où s’échappait un bref jabot grisâtre, guêtres et gants beiges çà et là verdis, le chef ponctué d’un haut-de-forme coquinement penché un rien sur le côté pour rompre la sévérité de l’ensemble. Vêtements d’hiver, trop chauds pour cette saison de plomb fondant, mais que le monsieur portait sans paraître en souffrir, à l’aise comme dans de l’alpaga.
Mon cousin Paul n’eut guère le temps de se reposer, ni de méditer l’enrichissement de sa journée, car son voisin, qui devait s’ennuyer dans sa carapace d’étoffes vieilles d’au moins trois quarts de siècle, lui adressa la parole et sut tout de suite l’intéresser à sa personne en lui parlant musique.
C’était viser juste, et digne d’une voyance d’extra lucide, Paul étant déjà à l’époque un mélomane averti. Aussi répondit-il à l’appel de conversation et leurs goûts furent à ce point identiques, jusque dans leurs nuances les plus subtiles, que mon cousin se flatta d’avoir eu la belle chance des humbles : celle de rencontrer la lumière divine, en l’occurrence un mélomane de grande classe, comprenant non seulement le caractère de chaque instrument, mais capable d’être orchestre à lui seul, à la fois triangle et chef.
Surcroît de générosité des dieux : l’inconnu offrait le soir même, en son domicile, à quelques pas de là, une collation pour l’oreille, petit concert de musique de chambre où seraient jouées des œuvres rares, sinon inconnues. Et il proposa à Paul de passer d’abord chez divers commerçants voisins, d’y faire quelques emplettes alimentaires, viandes froides, fromages et vins, afin de se briser l’appétit, comme ça, sur un coin de table à la façon des amis de toujours qui n’ont pas à se gêner entre eux, lui célibataire et sans bonne.
Si cette invitation n’avait pas été formulée, mon cousin l’eût provoquée par n’importe quel chemin, même avec inconvenance, car le vieux monsieur avait suffisamment soulevé le voile sur le programme et souligné les qualités de ce quatuor à cordes, jadis célèbre mais déjà oublié, et qui ne jouait plus à présent que par faveur et pour l’âme d’un auditoire de mélomanes choisis.
Le dîner fut un enchantement et passa telle une fugue de Jean Sébastien. Il ne mit aucun d’eux dans l’embarras d’avoir à manger sur la table de bois blanc de l’étroite cuisine, au milieu d’une odeur de lait brûlé et de chocolat cramé. Repas plein d’érudition et de jovialité, où l’amphitryon, noble d’une épaisse et blanche chevelure de prophète, ne mesura pas ses gestes, lui toujours le premier à lever son verre, bordeaux qu’ils burent jusqu’au tanin.
Laissant la vaisselle pour plus tard, ils n’eurent qu’à passer au salon, vaste et confortable de fauteuils, de canapés et de meubles luxueux qui confessaient l’aisance matérielle de l’hôte.
Et les musiciens, et les invités- à –entendre arrivèrent, ponctuels, telle une clé de sol, présentés aussitôt à mon cousin Paul avec tous les compliments dus à une présence d’honneur, ce qui le gêna. Moins cependant que son croissant trouble de surprise en voyant ces vieux couples affables mais comme absents ; ou ces hommes seuls, discrets et graves, tous amis et relations de son hôte et qui paraissaient sortis de quelque musée Grévin ou Tussaud, certains de démarches raides, d’autres la peau parcheminée ou fardée à leur croire des visages de cire — effet que la lumière discrète et pastellisée accentuait encore.
Tous étaient vêtus selon des modes défuntes et très lointaines : dames en cascades de dentelles vieillottes, jaunies ; en satin gonflé de fronces pesantes, ou alourdi de grosses fleurs d’organdi, et messieurs en épaisses redingotes noires ou jaquettes de draps désuets toutes plus ou moins froissées. Une vingtaine de personnes qui ne faisaient pas plus de bruit que le zéphyr levé n’en produisait dans les feuillages de l’avenue sur laquelle donnait l’une des fenêtres ouvertes, et où mon cousin plaça sa chaise afin de fumer sans indisposer personne, mais avant tout pour mieux observer cet étrange public.
Pendant le concert qui dura des heures, ils se tinrent immobiles sur les sièges de tapisserie qui semblaient de leur temps et décorés à leur assortiment et dont le compte, à une place près, correspondait à leur nombre. Absorbés par la musique, ils ne s’animaient que pour de brefs applaudissements du bout des doigts. Cependant, leurs sens étaient tendus à passion vers les musiciens qui se livraient à un petit ballet de mouvements rigoureux jusqu’à en paraître glacials, mais donnait naissance à des harmonies diaphanes et oniriques dont la qualité égalait, sinon surpassait, celle des plus grands.
Aussi Paul, ne reconnaissant dans ces singulières musiques aucune facture d’auteurs connus, se sentit très vite comme nu de culture musicale.
La soirée, ou plus précisément la nuit, se termina tard, presque à l’aube. Chacun repartit aussi légèrement que discrètement, laissant un souvenir d’irréels frôlements d’étoffes et de murmures émus à mon cousin qui s’attarda, à dessein de questionner son hôte et d’en apprendre, tant sur le concert que sur l’auditoire.
Mais, le maître de maison étant las et en besoin de sommeil, Paul n’osa l’importuner, remettant à plus tard de parfaire ses connaissances et de satisfaire sa curiosité. Ils se séparèrent donc les derniers sur la promesse tout à la fois formelle et vague de se revoir aussi vite que cela serait possible.
Mon cousin rentra à pied à son hôtel, rue Saint-Sulpice, se faisant plusieurs fois bousculer ou heurtant lui-même les passants, tant il allait comme en une ivresse seconde, dans ce fluide état que provoque l’après-coup des moments exceptionnels qui, alors, donnent à en douter.
Il dormit, roulé dans un souple sommeil, encore bercé par ces musiques inoubliables, et ne se réveilla qu’à midi. Selon une bien mauvaise habitude, il prit une cigarette qui guettait patiemment son vice. Mais il ne trouva pas le briquet d’or plein, cadeau de ses parents au nouveau licencié.
Se souvenant alors qu’il l’avait oublié là-bas, posé sur le plancher devant la fenêtre, il jugea que, par la force d’une volonté inconnue, le vieux mélomane et lui étaient destinés à se revoir.
Paul alla donc, l’après-midi, avenue de Breteuil où il retrouva sans peine l’immeuble divin.
Dans la pénombre coutumière aux vieux bâtiments, il monta au second étage et reconnut l’endroit, aidé par les mauvais plis du tapis de ce palier, qui l’avaient déjà fait trébucher la veille au même endroit.
Il sonna et attendit. Comme on ne venait pas, il insista longuement, tenant compte qu’un sommeil de vieillard qui a passé une nuit blanche devait ressembler à celui de la mort. Mais il s’avisa que, peut-être, la sonnette ne marchait pas. Il frappa à plusieurs reprises d’un doigt vif et, il faut le reconnaître, avec impatience, secouant bientôt la porte, inquiet qu’il ne fût arrivé quelque chose de fâcheux à son nouvel ami.
Enfin, devant le silence intérieur, il redescendit, se promettant de revenir plus tard et d’insister encore plus énergiquement.
Il pensa alors qu’il devait être allé sur le banc providentiel. Mais mon cousin n’eut pas le loisir de s’y rendre. Au bas de l’escalier, la concierge, hargneuse, lui barra le passage et l’accusa d’avoir tenté de fracturer la porte du second !
Paul eut un sursaut, indigné, d’autant que deux sergents de ville arrivaient, certainement appelés au téléphone par cette femme agressive, qui, le désignant, affirma :
— C’est lui, je l’ai vu, il a voulu forcer la porte . . . Il ne se doutait pas que je le guettais.
Et sans plus, on le conduisit au commissariat, tout proche.
Là, il fut mis en présence d’un inspecteur de police qui, sans la moindre politesse, lui demanda sèchement de s’expliquer sur l’effraction qu’il projetait aux dépens de la loi et de la justice.
Ahuri, Paul ne put tout de suite articuler de défense, si bien que le policier s’emporta et exigea qu’il lui explique pourquoi il s’était livré à un acte aussi préjudiciable pour lui.
Comprenant qu’il était victime d’une méprise, mon cousin réussit à retrouver son aplomb, et décrivit les circonstances que nous connaissons, précisant qu’il désirait reprendre sans tarder son briquet en or auquel il tenait.
L’inspecteur montra un mouvement d’irritation et entraîna Paul dans le bureau voisin, chez le commissaire à qui il déclara que l’affaire X . . . avait enfin des chances de sortir de l’impasse et de repartir dans une nouvelle direction grâce à un complice, là, ci-devant venu avec la plus grande imprudence chercher sans doute quelque document caché qui aurait échappé aux perquisitions. Et il ajouta que le suspect était un roublard affirmant avec audace de fallacieux prétextes qu’il résuma du reste au commissaire et que Paul s’empressa d’approuver de toute sa bonne foi, puisque telle était la vérité.
Le commissaire, moins sanguin que son subordonné, usa de manières plus posées et, ayant offert un siège à mon cousin, s’intéressa à ses propos.
— Ainsi, vous avez passé la soirée d’hier dans cet appartement, en compagnie d’un vieux monsieur mélomane qui offrait un concert à ses amis, tous gens honnêtes et que, je le suppose, vous êtes prêt à cautionner sans, bien sûr, savoir qui ils sont. . . D’autre part, vous y auriez oublié votre briquet, prétendez-vous ?
— Absolument, affirma Paul.
— Et . . . vous êtes entré facilement . . . Rien n’a empêché la porte de s’ouvrir ?
— Non, mon hôte a donné deux tours de clef et elle s’est ouverte . . .
— Bien, bien . . . , coupa le commissaire qui, lui aussi, commençait à montrer de l’agacement, et vous pouvez me décrire l’intérieur : meubles, décorations ?
Mon cousin ne remarqua pas le bref échange de sourires qu’eurent les deux hommes et fit scrupuleusement les descriptions demandées, heureux d’être enfin écouté sans interruption, les promenant tel un guide, ne leur épargnant aucun des détails restés dans sa mémoire. Et il allait parler des deux chandeliers de bronze élancés de longues chimères dressées, dont les griffes devaient avoir, à la longue, rayé le dessus d’acajou du Pleyel à queue, lorsque le commissaire l’arrêta net et inclina du chef avec une condescendance ironique.
— Mes compliments, jeune homme, vous avez une belle mémoire, mais permettez-moi de revenir à la réalité des lieux. Et d’abord : comment avez-vous pu pénétrer par une porte sur laquelle nous avons posé les scellés, voici un an ?
— Les scellés ! Quels scellés ?
Là, le commissaire s’emporta d’une traite :
— Ceux qui ont été mis par acte de justice afin de préserver les droits des victimes d’un jeune escroc libanais, le propriétaire, et qui habitait là mais qui, malheureusement, a disparu après de graves abus de confiance.
Et, prenant une rapide décision, il se leva, fit signe à l’inspecteur de le suivre.
Ils n’eurent qu’une centaine de mètres à parcourir pour se trouver devant l’immeuble qui, pour Paul, était celui d’un charmant vieux mélomane et, pour la police, celui d’un jeune escroc libanais.
Arrivé au pied de l’escalier, le commissaire, sans doute par déformation professionnelle – ainsi que pour une reconstitution de délit – demanda à mon cousin de les conduire de la façon exacte dont ce mélomane nocturne l’avait lui-même fait . . .
Parvenu devant la porte, et la concierge ayant mis la lumière, Paul, consterné, vit ces plaques de cire rouge craquelée qu’il n’avait pas remarquées la veille mais qui, de toute évidence, devaient déjà s’y trouver depuis longtemps, à cheval sur l’huisserie et renforcées de rubans verts aux extrémités nouées, elles aussi tenues par la cire, portant l’empreinte profonde d’un cachet sévère et significatif : scellés que l’inspecteur brisa aussitôt que le commissaire les eut fait constater à mon cousin, ouvrant ensuite la porte sur un couloir sombre qu’il éclaira avec une torche électrique.
Paul, sidéré, reconnut les lieux, mais ils étaient totalement vides. Une couche de poussière vierge recouvrait partout le sol de sa grisaille. Il n’y avait aucune trace de pas !
— Alors ? railla le commissaire.
— Mais ! mais ! hoqueta mon cousin, mais c’est pourtant bien ce couloir . . . je le reconnais . . . Là se trouvait une console ! . . . Ici, sur ce mur, un Gobelin ! . . . Je l’affirme . . . Je ne suis tout de même pas fou !
Cependant, il commençait à douter de sa raison et ne voulut pas accepter d’avoir rêvé cette nuit : musique et personnages. Prenant la torche des mains du policier, il les entraîna à la cuisine où il avait mangé avec l’inconnu et qu’il reconnut aussitôt.
Elle était également déserte ! Pas la moindre vaisselle ! Pas le plus petit soupçon d’une odeur de lait brûlé, ni de chocolat cramé !
Il se précipita au salon tout aussi vite et, tandis qu’il promenait la lumière crue devant les fenêtres closes sur les persiennes fermées, il éclaira au sol un objet qui brilla soudain.
– Là ! Là ! exulta mon cousin, que voyez-vous là ? Ne vous l’avais-je pas affirmé ? . . . Et n’était-ce pas la raison de mon retour ici ? . . .
Allant ramasser l’objet brillant, posé sur la poussière, le commissaire dut reconnaître que ce briquet en or massif appartenait bien à Paul, puisqu’il portait son nom gravé en belle ronde . . .
Claude SEIGNOLLE
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