Page 1 sur 3 • 1, 2, 3
- ThalieGrand sage
Vers l'inégalité, mais ensemble
L'OCDE vient de découvrir que l'école française produit des illettrés et reproduit les inégalités. On s'en doutait un peu, et ça ne date pas d'hier. La question revient régulièrement, comme un marronnier. Les réponses sont toujours les mêmes: soit on considère qu'il n'y a pas de problème, circulez, et ceux qui s'inquiètent sont de vieux réacs qui regrettent l'école de papa. Soit on envisage des mesures radicales: plus de notes, ou alors de A à D, à la rigueur. Plus de redoublement. Un travail des enseignants en équipe, des projets d'établissements, and so on, c'est-à-dire, en gros, tout ce qui a si bien marché jusqu'à présent.
Chaque fois qu'on a admis qu'il y avait un problème dans l'enseignement en France, et osé constater que seuls les enfants de la bourgeoisie parvenaient à s'en sortir, on a immanquablement donné les mêmes solutions, répété le mantra: démocratiser, démocratiser, démocratiser. Démocratiser, oui, mais qu'est-ce que ça signifie concrètement?
En France, la démocratisation est une opération très simple: elle consiste à augmenter la quantité de diplômes. L'échec scolaire n'est pas un vrai problème, il suffit de le supprimer par non-redoublement et délivrance du bac à 75% des non-redoublés. Comme ça, on aura l'air démocratique. Tout le monde il réussit, tout le monde il est égal. Que ces diplômes ne recouvrent aucune compétence, c'est accessoire. Qui casse le thermomètre ne voit plus qu'il a la fièvre. Sauf que les bourgeois, comme moi, savent ce que cela vaut. Et ils placent leurs enfants dans l'enseignement privé pour éviter le désastre du public. Enfants qu'on retrouvera dans les grandes écoles, ce qui leur épargnera le naufrage de l'université. Entre mes principes et l'avenir de mes enfants, le choix est vite fait. Je ne vois pas pourquoi ils paieraient toute leur vie pour les errements démagogiques de quelques théoriciens pédagogistes qui ont réussi à ruiner un système qui fonctionnait bien. Je ne vois pas pourquoi je devrais leur faire subir les classes en état d'agitation permanente, l'impossibilité de faire cours, le langage zyva considéré comme norme linguistique, le sympathique débat à la place de l'apprentissage des fondamentaux, le livre jeunesse traduit de l'anglais à la place de Molière et Maupassant.
Maintenant, si on veut démocratiser les grandes écoles, le principe est le même: plaçons-y d'autorité des quotas de prolos. C'est l'idée nouvelle. Ça améliorera les statistiques sociales. Surtout, ne pas se préoccuper de savoir s'il est important d'intégrer une grande école sur le mérite, le savoir, le travail, les capacités. Faudrait-il faire en sorte que les enfants des classes sociales défavorisées acquièrent un savoir? Vous n'avez rien compris: il faut des diplômes. Ce n'est pas parce qu'on a des compétences qu'on obtient un diplôme, renversons le problème : si vous avez un diplôme, c'est bien la preuve que vous avez des compétences. Quant aux dégâts éventuels exercés par les heureux diplômés dans l'exercice d'une profession, ça ne se mesure pas, donc on n'a pas à s'en inquiéter. C'est ainsi, depuis trente ans, qu'on règle les problèmes d'éducation en France, toutes tendances politiques confondues, droite et gauche. J'ai discuté avec des chefs d'entreprise ou des cadres administratifs. Ils s'étonnaient d'avoir pour employés des gens qui ne savaient pas écrire ni compter sans de sérieuses difficultés. Ces sales types ne comprenaient rien à la démocratisation.
Pour mieux comprendre les joies de la «démocratisation» à la française (c'est-à-dire, en gros, à la soviétique: l'important, c'est de sortir des chiffres de production) prenons l'enseigné à l'extrémité de la chaîne d'enseignement, c'est-à-dire à l'université. On n'a pas encore assez démocratisé, c'est entendu, mais ceux qui arrivent jusque là ont été salement démocratisés quand même. Cela apparaît, en fac de lettres, dès les premières copies, avec des dix ou douze fautes d'orthographe par feuillet, un langage à peine compréhensible. Lorsqu'on parle de fautes, c'est du genre «elle surprena», ou «ils ont décidaient», c'est-à-dire celui sur lequel toute réforme de l'orthographe serait impuissante (sauf à décréter qu'un verbe se conjugue comme on veut, et puis zut). Ce n'est même pas de l'inattention: invité à rétablir la bonne orthographe de «ils ont décidaient», un groupe entier d'étudiants en lettres (oui, en lettres, pas en fabrication d'enclumes) éprouve des difficultés. Les propositions fusent, au hasard: «ils ont décider», «ils ont décidés», tout y passe. Ils ne savent pas très bien comment ni pourquoi écrire ceci plutôt que cela. Cela n'a rien d'exceptionnel, bien au contraire. Et tout le monde sait que c'est ainsi. La secrétaire de mon université, qui n'a pas le bac, a obtenu son CAP il y a plus de trente ans et ne fait pas de fautes d'orthographe, le dit sans ambages: l'université est devenue un collège.
Donc: des générations entières de jeunes gens ont réussi à demeurer quinze ans dans le système scolaire sans acquérir la maîtrise des bases de la langue. Ils ont tranquillement passé de classe en classe, obtenu le baccalauréat. Pas de problème. Ils n'avaient aucun besoin de vouloir apprendre, puisqu'ils étaient de toutes façons quasi assurés d'aller jusqu'à la fac sans problème majeur. Les voilà à l'université. Et, bien sûr, c'est à vingt ans que, pour la première fois de leur vie, le couperet tombe: 30% d'échec en première année. Inadmissible, déclarent les gouvernants, il faut trouver une solution. Démocratisons. Débrouillez-vous, universitaires, pour m'emmener 90% de démocratisés jusqu'à la licence. Soyez plus pédagogiques! Travaillez en synergie! Réunissez-vous pour en parler! Changez les modalités de contrôle, modifiez les coefficients, entourez mieux ces petits. Bref: appliquez un sinapisme de moutarde à la double fracture, peu importe, l'important, c'est de sortir de bons chiffres. On y arrivera, Objectif Réussite, Horizon Excellence, et tout ça.
Pourquoi ce désastre de l'école? Pourquoi des centaines de milliers de jeunes sortent-ils de ce système en sachant à peine déchiffrer un texte et manier leur propre langue? Pourquoi après des années d'études sont-ils toujours incapables de maîtriser une langue étrangère? Bien sûr il y a eu les ravages du pédagogisme, le cataclysme de la méthode globale, après laquelle l'orthographe ne repousse plus, l'idée que l'enfant pouvait produire son savoir tout seul, l'obsession de ne surtout pas traumatiser le malheureux apprenant par des notes et des classements. Mais il y a autre chose encore.
J'ai discuté récemment avec une famille indienne du Kerala qui me disait à quel point l'école est importante en Inde. C'est le moyen de s'en sortir. Les écoliers indiens prennent la chose au sérieux. En Corée, au Japon, en Chine, le lettré est un homme respecté, le savoir est vénéré, l'école est faite pour travailler et apprendre, on y acquiert les éléments fondamentaux de la culture nationale. Devinez quelles seront les grandes puissances de demain?
Pour que l'école fonctionne, il faut qu'elle soit objet de désir. Ce n'est plus le cas en France. Le professeur est une sorte de prolo de l'enseignement. Les locaux sont hideux et dégradés. Allez au lycée Jean Vilar de Meaux: on dirait la prison. L'argent roi, la télé, les valeurs de la fringue et de la pub ont totalement ringardisé l'école, le discours dominant dévalorise le savoir dès lors qu'il n'est pas directement utile et rentable. Le jeune français n'a plus envie d'aller au collège, ni de travailler, la culture n'est pas séduisante, le savoir n'est pas sexy. On va en cours comme on se rend à une obligation pénible et ennuyeuse, qui ne sert à rien. Dans le pire des cas, le prof est l'ennemi. Simplement parce qu'il impose des contraintes. L'idée même de contrainte et d'effort est devenue insupportable, quasiment fasciste. C'est parce qu'elle n'est plus objet de désir et d'idéal que l'école meurt.
http://pierre-jourde.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/12/23/vers-l-inegalite-mais-ensemble.html[center]
L'OCDE vient de découvrir que l'école française produit des illettrés et reproduit les inégalités. On s'en doutait un peu, et ça ne date pas d'hier. La question revient régulièrement, comme un marronnier. Les réponses sont toujours les mêmes: soit on considère qu'il n'y a pas de problème, circulez, et ceux qui s'inquiètent sont de vieux réacs qui regrettent l'école de papa. Soit on envisage des mesures radicales: plus de notes, ou alors de A à D, à la rigueur. Plus de redoublement. Un travail des enseignants en équipe, des projets d'établissements, and so on, c'est-à-dire, en gros, tout ce qui a si bien marché jusqu'à présent.
Chaque fois qu'on a admis qu'il y avait un problème dans l'enseignement en France, et osé constater que seuls les enfants de la bourgeoisie parvenaient à s'en sortir, on a immanquablement donné les mêmes solutions, répété le mantra: démocratiser, démocratiser, démocratiser. Démocratiser, oui, mais qu'est-ce que ça signifie concrètement?
En France, la démocratisation est une opération très simple: elle consiste à augmenter la quantité de diplômes. L'échec scolaire n'est pas un vrai problème, il suffit de le supprimer par non-redoublement et délivrance du bac à 75% des non-redoublés. Comme ça, on aura l'air démocratique. Tout le monde il réussit, tout le monde il est égal. Que ces diplômes ne recouvrent aucune compétence, c'est accessoire. Qui casse le thermomètre ne voit plus qu'il a la fièvre. Sauf que les bourgeois, comme moi, savent ce que cela vaut. Et ils placent leurs enfants dans l'enseignement privé pour éviter le désastre du public. Enfants qu'on retrouvera dans les grandes écoles, ce qui leur épargnera le naufrage de l'université. Entre mes principes et l'avenir de mes enfants, le choix est vite fait. Je ne vois pas pourquoi ils paieraient toute leur vie pour les errements démagogiques de quelques théoriciens pédagogistes qui ont réussi à ruiner un système qui fonctionnait bien. Je ne vois pas pourquoi je devrais leur faire subir les classes en état d'agitation permanente, l'impossibilité de faire cours, le langage zyva considéré comme norme linguistique, le sympathique débat à la place de l'apprentissage des fondamentaux, le livre jeunesse traduit de l'anglais à la place de Molière et Maupassant.
Maintenant, si on veut démocratiser les grandes écoles, le principe est le même: plaçons-y d'autorité des quotas de prolos. C'est l'idée nouvelle. Ça améliorera les statistiques sociales. Surtout, ne pas se préoccuper de savoir s'il est important d'intégrer une grande école sur le mérite, le savoir, le travail, les capacités. Faudrait-il faire en sorte que les enfants des classes sociales défavorisées acquièrent un savoir? Vous n'avez rien compris: il faut des diplômes. Ce n'est pas parce qu'on a des compétences qu'on obtient un diplôme, renversons le problème : si vous avez un diplôme, c'est bien la preuve que vous avez des compétences. Quant aux dégâts éventuels exercés par les heureux diplômés dans l'exercice d'une profession, ça ne se mesure pas, donc on n'a pas à s'en inquiéter. C'est ainsi, depuis trente ans, qu'on règle les problèmes d'éducation en France, toutes tendances politiques confondues, droite et gauche. J'ai discuté avec des chefs d'entreprise ou des cadres administratifs. Ils s'étonnaient d'avoir pour employés des gens qui ne savaient pas écrire ni compter sans de sérieuses difficultés. Ces sales types ne comprenaient rien à la démocratisation.
Pour mieux comprendre les joies de la «démocratisation» à la française (c'est-à-dire, en gros, à la soviétique: l'important, c'est de sortir des chiffres de production) prenons l'enseigné à l'extrémité de la chaîne d'enseignement, c'est-à-dire à l'université. On n'a pas encore assez démocratisé, c'est entendu, mais ceux qui arrivent jusque là ont été salement démocratisés quand même. Cela apparaît, en fac de lettres, dès les premières copies, avec des dix ou douze fautes d'orthographe par feuillet, un langage à peine compréhensible. Lorsqu'on parle de fautes, c'est du genre «elle surprena», ou «ils ont décidaient», c'est-à-dire celui sur lequel toute réforme de l'orthographe serait impuissante (sauf à décréter qu'un verbe se conjugue comme on veut, et puis zut). Ce n'est même pas de l'inattention: invité à rétablir la bonne orthographe de «ils ont décidaient», un groupe entier d'étudiants en lettres (oui, en lettres, pas en fabrication d'enclumes) éprouve des difficultés. Les propositions fusent, au hasard: «ils ont décider», «ils ont décidés», tout y passe. Ils ne savent pas très bien comment ni pourquoi écrire ceci plutôt que cela. Cela n'a rien d'exceptionnel, bien au contraire. Et tout le monde sait que c'est ainsi. La secrétaire de mon université, qui n'a pas le bac, a obtenu son CAP il y a plus de trente ans et ne fait pas de fautes d'orthographe, le dit sans ambages: l'université est devenue un collège.
Donc: des générations entières de jeunes gens ont réussi à demeurer quinze ans dans le système scolaire sans acquérir la maîtrise des bases de la langue. Ils ont tranquillement passé de classe en classe, obtenu le baccalauréat. Pas de problème. Ils n'avaient aucun besoin de vouloir apprendre, puisqu'ils étaient de toutes façons quasi assurés d'aller jusqu'à la fac sans problème majeur. Les voilà à l'université. Et, bien sûr, c'est à vingt ans que, pour la première fois de leur vie, le couperet tombe: 30% d'échec en première année. Inadmissible, déclarent les gouvernants, il faut trouver une solution. Démocratisons. Débrouillez-vous, universitaires, pour m'emmener 90% de démocratisés jusqu'à la licence. Soyez plus pédagogiques! Travaillez en synergie! Réunissez-vous pour en parler! Changez les modalités de contrôle, modifiez les coefficients, entourez mieux ces petits. Bref: appliquez un sinapisme de moutarde à la double fracture, peu importe, l'important, c'est de sortir de bons chiffres. On y arrivera, Objectif Réussite, Horizon Excellence, et tout ça.
Pourquoi ce désastre de l'école? Pourquoi des centaines de milliers de jeunes sortent-ils de ce système en sachant à peine déchiffrer un texte et manier leur propre langue? Pourquoi après des années d'études sont-ils toujours incapables de maîtriser une langue étrangère? Bien sûr il y a eu les ravages du pédagogisme, le cataclysme de la méthode globale, après laquelle l'orthographe ne repousse plus, l'idée que l'enfant pouvait produire son savoir tout seul, l'obsession de ne surtout pas traumatiser le malheureux apprenant par des notes et des classements. Mais il y a autre chose encore.
J'ai discuté récemment avec une famille indienne du Kerala qui me disait à quel point l'école est importante en Inde. C'est le moyen de s'en sortir. Les écoliers indiens prennent la chose au sérieux. En Corée, au Japon, en Chine, le lettré est un homme respecté, le savoir est vénéré, l'école est faite pour travailler et apprendre, on y acquiert les éléments fondamentaux de la culture nationale. Devinez quelles seront les grandes puissances de demain?
Pour que l'école fonctionne, il faut qu'elle soit objet de désir. Ce n'est plus le cas en France. Le professeur est une sorte de prolo de l'enseignement. Les locaux sont hideux et dégradés. Allez au lycée Jean Vilar de Meaux: on dirait la prison. L'argent roi, la télé, les valeurs de la fringue et de la pub ont totalement ringardisé l'école, le discours dominant dévalorise le savoir dès lors qu'il n'est pas directement utile et rentable. Le jeune français n'a plus envie d'aller au collège, ni de travailler, la culture n'est pas séduisante, le savoir n'est pas sexy. On va en cours comme on se rend à une obligation pénible et ennuyeuse, qui ne sert à rien. Dans le pire des cas, le prof est l'ennemi. Simplement parce qu'il impose des contraintes. L'idée même de contrainte et d'effort est devenue insupportable, quasiment fasciste. C'est parce qu'elle n'est plus objet de désir et d'idéal que l'école meurt.
http://pierre-jourde.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/12/23/vers-l-inegalite-mais-ensemble.html[center]
- kensingtonEsprit éclairé
Tristement superbe! Merci.
- AugustinBanni
Le bon sens fait tache d'huile mais n'atteint pas la rue de Grenelle, loin s'en faut.
- IphigénieProphète
ah! ces "héritiers"....Enfants qu'on retrouvera dans les grandes écoles, ce qui leur épargnera le naufrage de l'université. Entre mes principes et l'avenir de mes enfants, le choix est vite fait.
Pardon ,rappelez-moi:il a fait quoi,Emmanuel Bourdieu?ah?ou ça?
- VioletEmpereur
Bel article, malheureusement très juste.
- mel93Grand sage
Merci pour cet article pertinent, cependant la conclusion est déprimante, comment améliorer les choses si le problème vient de la société et non de l'école, comment changer la société ?
- ysabelDevin
Bel article, même si c'est bien déprimant..
_________________
« vous qui entrez, laissez toute espérance ». Dante
« Il vaut mieux n’avoir rien promis que promettre sans accomplir » (L’Ecclésiaste)
- PseudoDemi-dieu
mel93 a écrit:Merci pour cet article pertinent, cependant la conclusion est déprimante, comment améliorer les choses si le problème vient de la société et non de l'école, comment changer la société ?
Ben... Y a rien à faire je crois. L'heure est à la décadence sur tous les fronts. Y a plus qu'à jouir en attendant la fin.
- Reine MargotDemi-dieu
complétement d'accord!
_________________
Quand tout va mal, quand il n'y a plus aucun espoir, il nous reste Michel Sardou
La famille Bélier
- InvitéNGrand sage
kensington a écrit:
Tristement superbe! Merci.
+ 1 je partage, encore, le point de vue de kensington
- InvitéNGrand sage
mel93 a écrit:Merci pour cet article pertinent, cependant la conclusion est déprimante, comment améliorer les choses si le problème vient de la société et non de l'école, comment changer la société ?
Comment ? Il faut d'abord se demander : Quoi changer ? Et ensuite : Pourquoi ?
Quand les symptomes sont identifiés, si le bilan global semble négatif, il s'agit de voir ce qu'on veut changer et pourquoi ? Et par quoi on commence ...
Le gros problème c'est cette société disloquée, divisée où des groupes sociaux s'affrontent : difficile de changer la société et de se réconcilier autour d'un objectif commun. Par contre on peut avancer ensemble dans le respect des inégalités et faire les choix les meilleurs pour la "communauté". Je sais je suis restée naive et idéaliste
- mel93Grand sage
Tu es surtout restée très vague, je ne vois pas trop où tu veux en venir...en attendant de comprendre, je me range à la stratégie de Pseudo !
- InvitéNGrand sage
mel93 a écrit:Tu es surtout restée très vague, je ne vois pas trop où tu veux en venir...en attendant de comprendre, je me range à la stratégie de Pseudo !
Oui je sais mais je n'ai pas lu tout l'article et j'ai réagi à ta réaction sachant comment tu réagis et que je suis souvent d'accord avec toi. En fait je m'endors là et ne vais pas tarder à m'endormir si je reste trop longtemps connectée
- Docteur OXGrand sage
Les commentaires sur le blog de Jourde valent le détour...
A lire aussi ce coup de gueule:
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-casse-du-service-public-d-38026
A lire aussi ce coup de gueule:
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-casse-du-service-public-d-38026
- soniechkaNiveau 1
Un très beau texte en effet.
Si vous voulez une vision ironiquement sombre de notre métier, lisez Festins secrets de ce même Pierre Jourde : je me suis régalée !
Si vous voulez une vision ironiquement sombre de notre métier, lisez Festins secrets de ce même Pierre Jourde : je me suis régalée !
_________________
Pour entrer dans le secret des choses, il faut d'abord se donner à elles. Simone de Beauvoir.
- ThalieGrand sage
Lu, très sombre en effet...soniechka a écrit:Un très beau texte en effet.
Si vous voulez une vision ironiquement sombre de notre métier, lisez Festins secrets de ce même Pierre Jourde : je me suis régalée !
J'ai lu tes liens Docteur, ce "Paratonnerre" est horripilant de bêtise.
L'article d'Agoravox est capital même si nous avons souvent parlé ici des beaux projets de l'OCDE. Le début de l'article recense avec beaucoup de vérité ce que nous vivons tous les jours ; j'ai presque envie de l'envoyer à nos parents d'élèves/bisounours mais je crains qu'ils ne me prennent alors pour une taupe du privé.
- kensingtonEsprit éclairé
Ah voilà, il me semblait bien connaître le nom de Pierre Jourde!
C'est parce que j'ai lu justement, il y a un moment déjà, ces Festins secrets. Quelqu'un y avait fait allusion sur le forum, peut-être toi Thalie.
Un univers très sombre oui, voire glauque, mais des pages assez jubilatoires sur l'EN.
C'est parce que j'ai lu justement, il y a un moment déjà, ces Festins secrets. Quelqu'un y avait fait allusion sur le forum, peut-être toi Thalie.
Un univers très sombre oui, voire glauque, mais des pages assez jubilatoires sur l'EN.
- ChocolatGuide spirituel
Thalie a écrit:
Pour que l'école fonctionne, il faut qu'elle soit objet de désir. Ce n'est plus le cas en France. Le professeur est une sorte de prolo de l'enseignement. Les locaux sont hideux et dégradés. Allez au lycée Jean Vilar de Meaux: on dirait la prison. L'argent roi, la télé, les valeurs de la fringue et de la pub ont totalement ringardisé l'école, le discours dominant dévalorise le savoir dès lors qu'il n'est pas directement utile et rentable. Le jeune français n'a plus envie d'aller au collège, ni de travailler, la culture n'est pas séduisante, le savoir n'est pas sexy. On va en cours comme on se rend à une obligation pénible et ennuyeuse, qui ne sert à rien. Dans le pire des cas, le prof est l'ennemi. Simplement parce qu'il impose des contraintes. L'idée même de contrainte et d'effort est devenue insupportable, quasiment fasciste. C'est parce qu'elle n'est plus objet de désir et d'idéal que l'école meurt.
http://pierre-jourde.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/12/23/vers-l-inegalite-mais-ensemble.html[center]
:aao:
_________________
- AbraxasDoyen
Docteur OX a écrit:Les commentaires sur le blog de Jourde valent le détour...
Ça ! On y apprend que "espèce de Finkielkraut" est devenu une injure, à gauche.
Je leur suggère "sale Finkie", qui fait davantage hip-hop, et embellira la chose malodorante qu'ils appellent leur pensée.
- Docteur OXGrand sage
Un autre beau témoignage d'une collègue sur le blog de Paul Villach:
"Un témoignage autobiographique parmi tant d’autres : le mien !
Mon principal, pendant mes dernières années dans un collège défavorisé (avant mon entrée à Clem), me gâtait : sous prétexte que j’étais la prof de Lettres modernes la plus diplômée et la plus expérimentée, il ne me confiait plusque les classes les plus difficiles... peuplées d’élèves dont on savait que très peu d’entre eux passeraient en seconde parce qu’on y avait concentré des illettrés et de la graine de délinquants...les troisièmes sans options particulières (les latinistes étaient systématiquement confiés à une collègue moins gradée, mais prof de lettres classiques (latin et éventuellement, grec)...)
Au début de ma carrière, mes collègues "expérimentés" m’avaient aussi gentiment laissé les classes pénibles, à programme allégé... et se réservaient les classes dites "Camif" (c’est-à-dire composées d’une majorité d’enfants de profs et d’autres bons élèves sans problèmes)...
Autant dire que pendant de longues années, je n’ai pas eu en classe le "gratin" !
Mais on s’attache aux élèves, à la tâche, on y croit tellement que l’on fait tout ce que l’on peut...
... et puis, un jour, insensiblement, on se rend compte que l’on n’a plus le feu sacré... qu’on est usé et désabusé... qu’on perd pied...
On éprouve le sentiment terriblement dévalorisant d’être inutile, de parler dans le vide...
On expérimente sur des élèves cobayes les nouvelles théories des chercheurs en sciences de l’éducation...
On a un inspecteur qui vous "conseille" de faire moins de grammaire et d’orthographe, d’animer vos classes faibles avec plus d’entrain ...
On voit diminuer l’horaire hebdomadaire de cours au profit de l’accompagnement éducatif. Cela signifie, forcément, beaucoup moins de contenu, de culture, au profit du "savoir-être".
On se demande si on est encore un transmetteur de savoir ou un animateur...
On abaisse à contrecoeur ses exigences .
On a un chef d’établissement laxiste ...
On voit de plus en plus de parents qui croient les calomnies anti-profs répandues par certains medias.
On voit les conditions de travail, les effectifs, les contraintes extra-enseignement s’alourdir, les réunions et rencontres se multiplier pour essayer de trouver des solutions aux cas des élèves "décrocheurs "… sans efficacité la plupart du temps .
On n’ose plus prendre de sanctions de peur d’en subir soi-même...
On apprend un jour par les élèves eux-mêmes, hilares, la suppression des redoublements.
On n’ose plus demander aux élèves d’apporter TOUT leur matériel indispensable (Ah ! le fameux poids des cartables !)
On ose à peine rappeler aux élèves (ou leur apprendre) que plus de 200 millions de jeunes aimeraient bien être à leur place et qu’ils portent un fardeau autrement plus lourd qu’un sac à bretelles.
On manque de se faire lapider quand on ose dire que beaucoup de ceux qui sont "en échec scolaire " le sont parce qu’ils ont refusé de faire des efforts, de respecter ce que l’école leur demandait ; quand on ose dire qu’il faut, aussi, qu’ils en acceptent les conséquences et la responsabilité.
On entend des élèves, des grands frères, des géniteurs qui vous menacent si vous faites votre travail... qui consiste aussi à évaluer, voire sanctionner...
On lit des des faits divers qui achèvent de vous décourager : encore un prof tabassé par un parent d’élève, encore une enseignante poignardée par un élève à problèmes...
On remarque une tendance à accepter/demander l’irresponsabilité du coupable, que l’on trouve d’abord à l’école mais aussi dans la société dans son ensemble : celui qui poignarde n’est pas responsable, ce sont forcément les autres, ou le "système" qu’il faut mettre en accusation.
On en a ras le bol de la culpabilisation des victimes et de la victimisation des coupables, ras le bol de la démagogie ambiante qui transforme des jeunes en assistés passifs et rebelles.
On ne peut que constater que l’école, comme ascenseur social est en panne ; que le système scolaire actuel ne fait que reproduire, voire accentuer les inégalités sociales et ne permet pas aux élèves très moyens de s’en sortir.
On éprouve alors un sentiment de vacuité, d’impuissance.
On apprend qu’il faudra bac + 5 à partir de 2010 pour passer les concours de l’Education Nationale... pour servir d’animateur à des jeunes qu’on va laisser demeurer des "sauvageons", prêts pour la pub TV, toutes les propagandes et pour travailler comme des esclaves afin d’engraisser de gros actionnaires qui vivront, eux, à l’abri de la violence générée par cette société dans leurs ghettos pour riches.
Bref, on en a marre de subir des pressions de la part de l’administration, des élèves, des parents quand on fait correctement son travail : préparer, corriger, évaluer, avertir, réprimander le cas échéant, sanctionner quand le dialogue et la négociation ont montré leurs limites.
Alors... Il arive que la coupe déborde tant on se sent stigmatisé. Révolte, lassitude...
On déprime.
On rêve de retraite, mais elle est encore loin... On n’a pas de goût particulier pour l’administratif...On se surprend à penser démission ou congé de longue durée...
On fait une CIP (crise d’identité professionnelle) qui dans les cas extrêmes peut conduire à une TS (tentative de suicide) ;
On finirait par tomber réellement malade. Car, n’en déplaise aux psychiatres de la MGEN, la situation dans les zones difficiles est une condition pathogène. J’ai encore envie de hurler quand je les entends dire que les dépressions d’enseignants sont essentiellement dues à des causes exogènes.
J’ai finalement trouvé il y a quelques années, seule, une solution qui actuellement me convient toujours : un assez "bon" lycée général de centre-ville, avec classes préparatoires aux grandes écoles... à trente kms de chez moi. Tu l’as reconnu, bien sûr. smiley
J’y suis bien et j’y resterai, cré nom de nom !
Je n’oublie jamais, cependant, qu’il n’y a pas L’enseignant, mais LES enseignants... et que pour certains, dans certaines zones difficiles, à proximité de cités sensibles, ce métier est quasiment impossible (voir, oui, le beau film "La Journée de la jupe)."
source: http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/discipline-scolaire-la-france-85626
"Un témoignage autobiographique parmi tant d’autres : le mien !
Mon principal, pendant mes dernières années dans un collège défavorisé (avant mon entrée à Clem), me gâtait : sous prétexte que j’étais la prof de Lettres modernes la plus diplômée et la plus expérimentée, il ne me confiait plusque les classes les plus difficiles... peuplées d’élèves dont on savait que très peu d’entre eux passeraient en seconde parce qu’on y avait concentré des illettrés et de la graine de délinquants...les troisièmes sans options particulières (les latinistes étaient systématiquement confiés à une collègue moins gradée, mais prof de lettres classiques (latin et éventuellement, grec)...)
Au début de ma carrière, mes collègues "expérimentés" m’avaient aussi gentiment laissé les classes pénibles, à programme allégé... et se réservaient les classes dites "Camif" (c’est-à-dire composées d’une majorité d’enfants de profs et d’autres bons élèves sans problèmes)...
Autant dire que pendant de longues années, je n’ai pas eu en classe le "gratin" !
Mais on s’attache aux élèves, à la tâche, on y croit tellement que l’on fait tout ce que l’on peut...
... et puis, un jour, insensiblement, on se rend compte que l’on n’a plus le feu sacré... qu’on est usé et désabusé... qu’on perd pied...
On éprouve le sentiment terriblement dévalorisant d’être inutile, de parler dans le vide...
On expérimente sur des élèves cobayes les nouvelles théories des chercheurs en sciences de l’éducation...
On a un inspecteur qui vous "conseille" de faire moins de grammaire et d’orthographe, d’animer vos classes faibles avec plus d’entrain ...
On voit diminuer l’horaire hebdomadaire de cours au profit de l’accompagnement éducatif. Cela signifie, forcément, beaucoup moins de contenu, de culture, au profit du "savoir-être".
On se demande si on est encore un transmetteur de savoir ou un animateur...
On abaisse à contrecoeur ses exigences .
On a un chef d’établissement laxiste ...
On voit de plus en plus de parents qui croient les calomnies anti-profs répandues par certains medias.
On voit les conditions de travail, les effectifs, les contraintes extra-enseignement s’alourdir, les réunions et rencontres se multiplier pour essayer de trouver des solutions aux cas des élèves "décrocheurs "… sans efficacité la plupart du temps .
On n’ose plus prendre de sanctions de peur d’en subir soi-même...
On apprend un jour par les élèves eux-mêmes, hilares, la suppression des redoublements.
On n’ose plus demander aux élèves d’apporter TOUT leur matériel indispensable (Ah ! le fameux poids des cartables !)
On ose à peine rappeler aux élèves (ou leur apprendre) que plus de 200 millions de jeunes aimeraient bien être à leur place et qu’ils portent un fardeau autrement plus lourd qu’un sac à bretelles.
On manque de se faire lapider quand on ose dire que beaucoup de ceux qui sont "en échec scolaire " le sont parce qu’ils ont refusé de faire des efforts, de respecter ce que l’école leur demandait ; quand on ose dire qu’il faut, aussi, qu’ils en acceptent les conséquences et la responsabilité.
On entend des élèves, des grands frères, des géniteurs qui vous menacent si vous faites votre travail... qui consiste aussi à évaluer, voire sanctionner...
On lit des des faits divers qui achèvent de vous décourager : encore un prof tabassé par un parent d’élève, encore une enseignante poignardée par un élève à problèmes...
On remarque une tendance à accepter/demander l’irresponsabilité du coupable, que l’on trouve d’abord à l’école mais aussi dans la société dans son ensemble : celui qui poignarde n’est pas responsable, ce sont forcément les autres, ou le "système" qu’il faut mettre en accusation.
On en a ras le bol de la culpabilisation des victimes et de la victimisation des coupables, ras le bol de la démagogie ambiante qui transforme des jeunes en assistés passifs et rebelles.
On ne peut que constater que l’école, comme ascenseur social est en panne ; que le système scolaire actuel ne fait que reproduire, voire accentuer les inégalités sociales et ne permet pas aux élèves très moyens de s’en sortir.
On éprouve alors un sentiment de vacuité, d’impuissance.
On apprend qu’il faudra bac + 5 à partir de 2010 pour passer les concours de l’Education Nationale... pour servir d’animateur à des jeunes qu’on va laisser demeurer des "sauvageons", prêts pour la pub TV, toutes les propagandes et pour travailler comme des esclaves afin d’engraisser de gros actionnaires qui vivront, eux, à l’abri de la violence générée par cette société dans leurs ghettos pour riches.
Bref, on en a marre de subir des pressions de la part de l’administration, des élèves, des parents quand on fait correctement son travail : préparer, corriger, évaluer, avertir, réprimander le cas échéant, sanctionner quand le dialogue et la négociation ont montré leurs limites.
Alors... Il arive que la coupe déborde tant on se sent stigmatisé. Révolte, lassitude...
On déprime.
On rêve de retraite, mais elle est encore loin... On n’a pas de goût particulier pour l’administratif...On se surprend à penser démission ou congé de longue durée...
On fait une CIP (crise d’identité professionnelle) qui dans les cas extrêmes peut conduire à une TS (tentative de suicide) ;
On finirait par tomber réellement malade. Car, n’en déplaise aux psychiatres de la MGEN, la situation dans les zones difficiles est une condition pathogène. J’ai encore envie de hurler quand je les entends dire que les dépressions d’enseignants sont essentiellement dues à des causes exogènes.
J’ai finalement trouvé il y a quelques années, seule, une solution qui actuellement me convient toujours : un assez "bon" lycée général de centre-ville, avec classes préparatoires aux grandes écoles... à trente kms de chez moi. Tu l’as reconnu, bien sûr. smiley
J’y suis bien et j’y resterai, cré nom de nom !
Je n’oublie jamais, cependant, qu’il n’y a pas L’enseignant, mais LES enseignants... et que pour certains, dans certaines zones difficiles, à proximité de cités sensibles, ce métier est quasiment impossible (voir, oui, le beau film "La Journée de la jupe)."
source: http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/discipline-scolaire-la-france-85626
- MrHabitué du forum
Très beau texte que celui de Pierre Jourde. D'un cynisme croustillant. J'adore. D'ailleurs, je m'aperçois que je suis un vieux con fasciste ou un japonais (ou peut-être un vieux con fasciste japonais) : j'exige le silence en classe, je donne du travail à la maison et j'ai bien l'intention de faire apprendre des choses à mes élèves...
Je me permets juste un petit bémol sur les quotas d'enfants de pauvres dans les grandes écoles : tant que ces grandes écoles continueront à recruter dans un nombre minimaliste de lycée-et donc d'emblée à exclure les très bons élèves défavorisés-, je serai pour des quotas. Car même dans les publics défavorisés, il y a des élèves rigoureux, travailleurs, qui possèdent un talent et une culture personnelle que l'école publique devrait développer, au lieu de multiplier les dispositifs de pseudo remédiation pour des personnes qu'on devrait simplement mettre au travail.
Je me permets juste un petit bémol sur les quotas d'enfants de pauvres dans les grandes écoles : tant que ces grandes écoles continueront à recruter dans un nombre minimaliste de lycée-et donc d'emblée à exclure les très bons élèves défavorisés-, je serai pour des quotas. Car même dans les publics défavorisés, il y a des élèves rigoureux, travailleurs, qui possèdent un talent et une culture personnelle que l'école publique devrait développer, au lieu de multiplier les dispositifs de pseudo remédiation pour des personnes qu'on devrait simplement mettre au travail.
- sandGuide spirituel
Texte terrible. Si l'on veut continuer à y croire, il faut trouver beaucoup d'énergie en soi !
- DaphnéDemi-dieu
Tout cela est très bien dit et parfaitement exact. Hélas.
- InvitéInvité
"Un témoignage autobiographique parmi tant d’autres : le mien !
Mon principal, pendant mes dernières années dans un collège défavorisé (avant mon entrée à Clem), me gâtait : sous prétexte que j’étais la prof de Lettres modernes la plus diplômée et la plus expérimentée, il ne me confiait plusque les classes les plus difficiles... peuplées d’élèves dont on savait que très peu d’entre eux passeraient en seconde parce qu’on y avait concentré des illettrés et de la graine de délinquants...les troisièmes sans options particulières (les latinistes étaient systématiquement confiés à une collègue moins gradée, mais prof de lettres classiques (latin et éventuellement, grec)...)
Au début de ma carrière, mes collègues "expérimentés" m’avaient aussi gentiment laissé les classes pénibles, à programme allégé... et se réservaient les classes dites "Camif" (c’est-à-dire composées d’une majorité d’enfants de profs et d’autres bons élèves sans problèmes)...
Autant dire que pendant de longues années, je n’ai pas eu en classe le "gratin" !
Mais on s’attache aux élèves, à la tâche, on y croit tellement que l’on fait tout ce que l’on peut...
... et puis, un jour, insensiblement, on se rend compte que l’on n’a plus le feu sacré... qu’on est usé et désabusé... qu’on perd pied...
On éprouve le sentiment terriblement dévalorisant d’être inutile, de parler dans le vide...
On expérimente sur des élèves cobayes les nouvelles théories des chercheurs en sciences de l’éducation...
On a un inspecteur qui vous "conseille" de faire moins de grammaire et d’orthographe, d’animer vos classes faibles avec plus d’entrain ...
On voit diminuer l’horaire hebdomadaire de cours au profit de l’accompagnement éducatif. Cela signifie, forcément, beaucoup moins de contenu, de culture, au profit du "savoir-être".
On se demande si on est encore un transmetteur de savoir ou un animateur...
On abaisse à contrecoeur ses exigences .
On a un chef d’établissement laxiste ...
On voit de plus en plus de parents qui croient les calomnies anti-profs répandues par certains medias.
On voit les conditions de travail, les effectifs, les contraintes extra-enseignement s’alourdir, les réunions et rencontres se multiplier pour essayer de trouver des solutions aux cas des élèves "décrocheurs "… sans efficacité la plupart du temps .
On n’ose plus prendre de sanctions de peur d’en subir soi-même...
On apprend un jour par les élèves eux-mêmes, hilares, la suppression des redoublements.
On n’ose plus demander aux élèves d’apporter TOUT leur matériel indispensable (Ah ! le fameux poids des cartables !)
On ose à peine rappeler aux élèves (ou leur apprendre) que plus de 200 millions de jeunes aimeraient bien être à leur place et qu’ils portent un fardeau autrement plus lourd qu’un sac à bretelles.
On manque de se faire lapider quand on ose dire que beaucoup de ceux qui sont "en échec scolaire " le sont parce qu’ils ont refusé de faire des efforts, de respecter ce que l’école leur demandait ; quand on ose dire qu’il faut, aussi, qu’ils en acceptent les conséquences et la responsabilité.
On entend des élèves, des grands frères, des géniteurs qui vous menacent si vous faites votre travail... qui consiste aussi à évaluer, voire sanctionner...
On lit des des faits divers qui achèvent de vous décourager : encore un prof tabassé par un parent d’élève, encore une enseignante poignardée par un élève à problèmes...
On remarque une tendance à accepter/demander l’irresponsabilité du coupable, que l’on trouve d’abord à l’école mais aussi dans la société dans son ensemble : celui qui poignarde n’est pas responsable, ce sont forcément les autres, ou le "système" qu’il faut mettre en accusation.
On en a ras le bol de la culpabilisation des victimes et de la victimisation des coupables, ras le bol de la démagogie ambiante qui transforme des jeunes en assistés passifs et rebelles.
On ne peut que constater que l’école, comme ascenseur social est en panne ; que le système scolaire actuel ne fait que reproduire, voire accentuer les inégalités sociales et ne permet pas aux élèves très moyens de s’en sortir.
On éprouve alors un sentiment de vacuité, d’impuissance.
On apprend qu’il faudra bac + 5 à partir de 2010 pour passer les concours de l’Education Nationale... pour servir d’animateur à des jeunes qu’on va laisser demeurer des "sauvageons", prêts pour la pub TV, toutes les propagandes et pour travailler comme des esclaves afin d’engraisser de gros actionnaires qui vivront, eux, à l’abri de la violence générée par cette société dans leurs ghettos pour riches.
Bref, on en a marre de subir des pressions de la part de l’administration, des élèves, des parents quand on fait correctement son travail : préparer, corriger, évaluer, avertir, réprimander le cas échéant, sanctionner quand le dialogue et la négociation ont montré leurs limites.
Alors... Il arive que la coupe déborde tant on se sent stigmatisé. Révolte, lassitude...
On déprime.
On rêve de retraite, mais elle est encore loin... On n’a pas de goût particulier pour l’administratif...On se surprend à penser démission ou congé de longue durée...
On fait une CIP (crise d’identité professionnelle) qui dans les cas extrêmes peut conduire à une TS (tentative de suicide) ;
On finirait par tomber réellement malade. Car, n’en déplaise aux psychiatres de la MGEN, la situation dans les zones difficiles est une condition pathogène. J’ai encore envie de hurler quand je les entends dire que les dépressions d’enseignants sont essentiellement dues à des causes exogènes.
J’ai finalement trouvé il y a quelques années, seule, une solution qui actuellement me convient toujours : un assez "bon" lycée général de centre-ville, avec classes préparatoires aux grandes écoles... à trente kms de chez moi. Tu l’as reconnu, bien sûr. smiley
J’y suis bien et j’y resterai, cré nom de nom !
Je n’oublie jamais, cependant, qu’il n’y a pas L’enseignant, mais LES enseignants... et que pour certains, dans certaines zones difficiles, à proximité de cités sensibles, ce métier est quasiment impossible (voir, oui, le beau film "La Journée de la jupe)."
Si proche de mon ressenti. :|
- Reine MargotDemi-dieu
très proche du mien aussi.
_________________
Quand tout va mal, quand il n'y a plus aucun espoir, il nous reste Michel Sardou
La famille Bélier
Page 1 sur 3 • 1, 2, 3
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum