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- Ruggera7Neoprof expérimenté
C'est le questionnaire de la page 133 du TDL 6è (1 p.133) que j'évoquais, dans laquelle on demande bien qui est le dieu originel...
- V.MarchaisEmpereur
C'est vrai que la formulation ne fait pas dans la nuance mais bon, "Quel est le principe originel ?" en 6e, je ne suis pas sûre que ça passe. Encore une fois, c'est une opinion personnelle, mais je ne pense pas que ces distinctions soient très importantes à ce niveau, ce qui n'empêche pas, à un élève qui pose une question précise sur le sujet, de répondre clairement.
- RuthvenGuide spirituel
J'ai un bout de cours sur la question :
Le discours hésiodique à la croisée des entités personnelles et naturelles
Si le discours des Présocratiques porte sur la phusis, qui est, apparemment dégagée de la personnalisation théologique, Hésiode reste pris dans l'ambiguïté son discours porte à la fois sur des réalités naturelles et sur des entités divines, cosmogonie et théogonie sont chez lui indissociables. Penser les dieux c'est aussi penser le monde; il n'y a cependant pas de pensée du kosmos au sens d'univers ordonné chez Hésiode, puisqu'il n'élucide pas les relations entre les éléments constitutifs de l'univers, ou pour le dire autrement le monde n'est pas pensé comme système. Si l'organisation du monde hésiodique se fait selon une structuration précise, notamment une loi de contradistinction ou encore de résidence et de résident, il n'y a pas encore de pensée de l'organisation en tant que telle. Hésiode explore sans cesse la tension entre phusis et theos, ou plutôt il est le lieu à partir duquel cette tension va se déployer. Ce passage des noms divins à la nomination neutre des principes va être constitutif de la philosophie. L'ambiguïté des principes dans l'approche hésiodique réside dans la forte sexualisation de chacune des entités (excepté, peut-être, Chaos qui demeure neutre): cette sexualisation permet d'expliquer un mode d'engendrement mais fait du principe une personne ou tout au moins une puissance. Hésiode ne manie donc pas encore des concepts. Comme le note J.P.Vernant, Les origines de la pensée grecque p.116, "malgré l'effort de délimitation conceptuelle qui se marque, la pensée d'Hésiode reste prisonnière de son cadre mythique. Ouranos, Gaia, Pontos sont bien des réalités physiques, dans leur aspect concret de ciel, de terre, de mer; mais ils sont en même temps des divinités qui agissent, s'unissent et se reproduisent à la façon des hommes. Jouant sur deux plans, la pensée appréhende le même phénomène, par exemple la séparation de la terre et des eaux, simultanément comme fait nature dans le monde visible et comme enfantement divin dans un temps primordial."
Cette ambiguïté entre dieu et puissance naturelle se redouble lorsque l'on se penche sur le catalogue des enfants de nuit: il ne s'agit plus véritablement d'entités naturelles mais de concepts ou de préconcepts, des noms qui désignent des puissances agissantes. Comme le note C.Ramnoux, dans La nuit et les enfants de la nuit p.66, "une partie de l'abstraction philosophique serait née de la dédivinisation du nom des Puissances. A côté des histoires des dieux et de la genèse du monde, qui sont en quelque sorte les deux premières strates du discours hésiodique, se trouvent ce que C.Ramnoux nomme "les proto-discours de la phusis: noms à signification de choses et noms à signification d'expérience." Le passage progressif "de l'épiphanie au phénomène" constituera l'émergence de la neutralité philosophique."Choses au monde et expérience vécue gardent longtemps un pouvoir de fascination: du divin se montre encore avec la solidité de Terre, et l'envoûtement du Sommeil. Au fur et à mesure que les choses perdent leur rayonnement épiphanique, les noms deviennent des noms communs. Ou bien ils se dédoublent: d'un côté le nom commun, de l'autre un signe et rien qu'un signe, libre pour chiffrer l'inconnu."(C.Ramnoux p.89)
Sur l'interprétation de Chaos chez les philosophes, j'ai ceci :
On remarquera que les premiers élément qui interviennent dans la Théogonie forment une triade incoordonnée: il advint Chaos puis ensuite Gaia et Eros; aucun rapport de subordination n'est instauré entre les éléments premiers; il n'y a pas de principe d'où tout découle, à partir duquel provient le multiple. Cette pluralité originelle qui renforce encore la notion de facticité a posé problème aux philosophes. Il semble que l'on ait tenté de systématiser cette lecture en faisant dépendre de Chaos deux doublets, l'un négatif (Nuit-Erèbe), l'autre positif (Terre-Eros). On trouverait un indice de cette lecture dans le texte platonicien: en effet dans le Banquet, Phèdre rapproche la cosmogonie hésiodique de la réorganisation que le généalogiste Acousilaos lui imposa. Peut-être en interrogeant le sens de ces entités, pourra-t-on comprendre leur organisation?
(a) Chaos
Chaos a diversement été interprété. La philosophie se projetant rétrospectivement dans un texte qui n'abordait pas les problèmes conceptuellement a hésité entre trois interprétations: le lieu vide, l'eau ou encore la matière confuse.
(i) L'espace
La première interprétation a été le fait d'Aristote en Physique 208b27-209a2: il s'agit bien de penser le lieu indépendamment de tout corps, c'est-à-dire ce qui est la condition de possibilité de tout corps. En posant cet espace vide à l'origine du monde, Hésiode rend possible son remplissement. Cette interprétation est évidemment anachronique; l'interrogation sur cette abstraction qu'est l'espace n'interviendra en effet qu'avec les Eléates. En posant en premier cette abstraction, on risque d'ailleurs de manquer et de pervertir le principe, comme le remarque Plotin (Ennéade VI, 8, 11): alors que le lieu est le terme ultime de la procession (cf. II, 4, 12 l.11-12: l'espace est après la matière et les corps), c'est souvent à travers lui (comme à travers le temps) que nous nous représentons spontanément l'existence des choses (c'est là aussi le mode de fonctionnement du mythe sur lequel nous reviendrons). La théologie négative permet de se déprendre de la représentation mythique et de la fiction des poètes. En effet, Plotin présente ici une critique d'une certaine forme de théologie traditionnelle, celle présente dans la Théogonie. Il la réfère d'emblée au domaine de l'imagination; en effet, en rendant possible une représentation du principe, cette théologie ne peut pas aller au-delà du domaine de l'image, par nature inadéquate; elle confère de l'extension à ce qui n'en a point. Il est vrai que le sensible nous semble être à portée de la main alors que la recherche de l'intelligible conduit à la fatigue; une représentation spatiale ne requiert pas le travail de l'ascèse du dépouillement nécessaire au cheminement vers l'un. La négation du lieu est radicale; la théologie poétique, qui recourt à des images, est radicalement fausse en elle-même, il est nécessaire d'effectuer un travail interprétatif pour en tirer une vérité. Un discours qui ne se veut pas symbolique niera donc le fondement même de la représentation imaginative "cause de la difficulté". Présupposer l'existence primordiale du lieu c'est s'engager dans une voie où les problèmes se multiplieront sans avoir de solution, notamment le problème de l'origine et de la provenance.
(ii) La confusion de la matière
Cette interprétation est d'origine stoïcienne, sans doute; elle est présentée par Lucien dans ses Amours 32. Ce sens n'est vraisemblablement pas le sens hésiodique: en effet, aucun des préplatoniciens n'utilisera ce terme pour désigner le mélange originel des éléments. Comme le remarque R.Sorel Les cosmogonies grecques p.27:"les Stoïciens ont mis le désordre dans le chaos: devenu synonyme de confusion, le mot n'ouvre plus sur la possibilité de l'ordre cosmique mais renferme des genres débraillés. (...) La racine archaïque était tranchée, laissant enfoui le sens premier dont l'insistance à évoquer à la fois la fulgurante contemporanéité et la complémentarité du Chaos avec l'ordre cosmique est totalement étrangère à l'antithèse chaos-kosmos qu'implique l'assimilation chaos-désordre. Les stoïciens repoussent leur chaos dans une antériorité étrangère à l'ordre cosmique alors qu'Hésiode plaçait le sien à la poussée même du processus d'ordonnancement du monde."
(iii) L'eau
C'est encore une interprétation stoïcienne qui repose sur un rapprochement entre chaos et le verbe chéesthai qui signifie verser. En faisant du premier principe l'eau, cette interprétation se rapproche d'Homère qui fait d'Océan la genesis de tout ou encore de Thalès. Cette lecture est évidemment irrecevable, elle est étymologiquement injustifiée et l'eau trouve sa place ensuite dans la généalogie hésiodique.
(iv) La faille
On trouve dans chaos la racine cha qui signifie "être béant". Chaos serait une ouverture. Laquelle? l'espace qui sépare le ciel et la terre? Mais lorsqu'advient le Chaos, terre et ciel ne sont pas différenciés, il faudrait alors comprendre la séparation du Gaia et de Ouranos comme une répétition mythique de la séparation cosmogonique initiale. R.Sorel a une formulation extrêmement pertinente:"Ni vide, ni air, ni désordre, ni fluide, ni gouffre vissé jusqu'au tréfonds de la terre, le Chaos des Muses n'a d'autre particularité que de laisser s'ouvrir le monde. Fente naissant en premier, il permet au cosmos d'advenir et de s'ordonner. Il échappe à la représentation. Il ouvre. Les Muses se sont bien gardées de flanquer Chaos d'une épithète, indiquant ainsi qu'il est impossible d'en saisir le contour." Le chaos n'est pas négativité; il est cette force confuse à partir de laquelle les réalités apparaissent. L'origine nommée demeure cependant inqualifiable, le point aveugle à partir de quoi tout se déploie. Cette question de l'origine innommable et nécessaire sera centrale dans l'élaboration du questionnement philosophique (cf. M.Loreau "La philosophie comme construction nécessaire du mythe d'origine" in Le temps de la réflexion n°1, 1980).
Le discours hésiodique à la croisée des entités personnelles et naturelles
Si le discours des Présocratiques porte sur la phusis, qui est, apparemment dégagée de la personnalisation théologique, Hésiode reste pris dans l'ambiguïté son discours porte à la fois sur des réalités naturelles et sur des entités divines, cosmogonie et théogonie sont chez lui indissociables. Penser les dieux c'est aussi penser le monde; il n'y a cependant pas de pensée du kosmos au sens d'univers ordonné chez Hésiode, puisqu'il n'élucide pas les relations entre les éléments constitutifs de l'univers, ou pour le dire autrement le monde n'est pas pensé comme système. Si l'organisation du monde hésiodique se fait selon une structuration précise, notamment une loi de contradistinction ou encore de résidence et de résident, il n'y a pas encore de pensée de l'organisation en tant que telle. Hésiode explore sans cesse la tension entre phusis et theos, ou plutôt il est le lieu à partir duquel cette tension va se déployer. Ce passage des noms divins à la nomination neutre des principes va être constitutif de la philosophie. L'ambiguïté des principes dans l'approche hésiodique réside dans la forte sexualisation de chacune des entités (excepté, peut-être, Chaos qui demeure neutre): cette sexualisation permet d'expliquer un mode d'engendrement mais fait du principe une personne ou tout au moins une puissance. Hésiode ne manie donc pas encore des concepts. Comme le note J.P.Vernant, Les origines de la pensée grecque p.116, "malgré l'effort de délimitation conceptuelle qui se marque
Cette ambiguïté entre dieu et puissance naturelle se redouble lorsque l'on se penche sur le catalogue des enfants de nuit: il ne s'agit plus véritablement d'entités naturelles mais de concepts ou de préconcepts, des noms qui désignent des puissances agissantes. Comme le note C.Ramnoux, dans La nuit et les enfants de la nuit p.66, "une partie de l'abstraction philosophique serait née de la dédivinisation du nom des Puissances. A côté des histoires des dieux et de la genèse du monde, qui sont en quelque sorte les deux premières strates du discours hésiodique, se trouvent ce que C.Ramnoux nomme "les proto-discours de la phusis: noms à signification de choses et noms à signification d'expérience." Le passage progressif "de l'épiphanie au phénomène" constituera l'émergence de la neutralité philosophique."Choses au monde et expérience vécue gardent longtemps un pouvoir de fascination: du divin se montre encore avec la solidité de Terre, et l'envoûtement du Sommeil. Au fur et à mesure que les choses perdent leur rayonnement épiphanique, les noms deviennent des noms communs. Ou bien ils se dédoublent: d'un côté le nom commun, de l'autre un signe et rien qu'un signe, libre pour chiffrer l'inconnu."(C.Ramnoux p.89)
Sur l'interprétation de Chaos chez les philosophes, j'ai ceci :
On remarquera que les premiers élément qui interviennent dans la Théogonie forment une triade incoordonnée: il advint Chaos puis ensuite Gaia et Eros; aucun rapport de subordination n'est instauré entre les éléments premiers; il n'y a pas de principe d'où tout découle, à partir duquel provient le multiple. Cette pluralité originelle qui renforce encore la notion de facticité a posé problème aux philosophes. Il semble que l'on ait tenté de systématiser cette lecture en faisant dépendre de Chaos deux doublets, l'un négatif (Nuit-Erèbe), l'autre positif (Terre-Eros). On trouverait un indice de cette lecture dans le texte platonicien: en effet dans le Banquet, Phèdre rapproche la cosmogonie hésiodique de la réorganisation que le généalogiste Acousilaos lui imposa. Peut-être en interrogeant le sens de ces entités, pourra-t-on comprendre leur organisation?
(a) Chaos
Chaos a diversement été interprété. La philosophie se projetant rétrospectivement dans un texte qui n'abordait pas les problèmes conceptuellement a hésité entre trois interprétations: le lieu vide, l'eau ou encore la matière confuse.
(i) L'espace
La première interprétation a été le fait d'Aristote en Physique 208b27-209a2: il s'agit bien de penser le lieu indépendamment de tout corps, c'est-à-dire ce qui est la condition de possibilité de tout corps. En posant cet espace vide à l'origine du monde, Hésiode rend possible son remplissement. Cette interprétation est évidemment anachronique; l'interrogation sur cette abstraction qu'est l'espace n'interviendra en effet qu'avec les Eléates. En posant en premier cette abstraction, on risque d'ailleurs de manquer et de pervertir le principe, comme le remarque Plotin (Ennéade VI, 8, 11): alors que le lieu est le terme ultime de la procession (cf. II, 4, 12 l.11-12: l'espace est après la matière et les corps), c'est souvent à travers lui (comme à travers le temps) que nous nous représentons spontanément l'existence des choses (c'est là aussi le mode de fonctionnement du mythe sur lequel nous reviendrons). La théologie négative permet de se déprendre de la représentation mythique et de la fiction des poètes. En effet, Plotin présente ici une critique d'une certaine forme de théologie traditionnelle, celle présente dans la Théogonie. Il la réfère d'emblée au domaine de l'imagination; en effet, en rendant possible une représentation du principe, cette théologie ne peut pas aller au-delà du domaine de l'image, par nature inadéquate; elle confère de l'extension à ce qui n'en a point. Il est vrai que le sensible nous semble être à portée de la main alors que la recherche de l'intelligible conduit à la fatigue; une représentation spatiale ne requiert pas le travail de l'ascèse du dépouillement nécessaire au cheminement vers l'un. La négation du lieu est radicale; la théologie poétique, qui recourt à des images, est radicalement fausse en elle-même, il est nécessaire d'effectuer un travail interprétatif pour en tirer une vérité. Un discours qui ne se veut pas symbolique niera donc le fondement même de la représentation imaginative "cause de la difficulté". Présupposer l'existence primordiale du lieu c'est s'engager dans une voie où les problèmes se multiplieront sans avoir de solution, notamment le problème de l'origine et de la provenance.
(ii) La confusion de la matière
Cette interprétation est d'origine stoïcienne, sans doute; elle est présentée par Lucien dans ses Amours 32. Ce sens n'est vraisemblablement pas le sens hésiodique: en effet, aucun des préplatoniciens n'utilisera ce terme pour désigner le mélange originel des éléments. Comme le remarque R.Sorel Les cosmogonies grecques p.27:"les Stoïciens ont mis le désordre dans le chaos: devenu synonyme de confusion, le mot n'ouvre plus sur la possibilité de l'ordre cosmique mais renferme des genres débraillés. (...) La racine archaïque était tranchée, laissant enfoui le sens premier dont l'insistance à évoquer à la fois la fulgurante contemporanéité et la complémentarité du Chaos avec l'ordre cosmique est totalement étrangère à l'antithèse chaos-kosmos qu'implique l'assimilation chaos-désordre. Les stoïciens repoussent leur chaos dans une antériorité étrangère à l'ordre cosmique alors qu'Hésiode plaçait le sien à la poussée même du processus d'ordonnancement du monde."
(iii) L'eau
C'est encore une interprétation stoïcienne qui repose sur un rapprochement entre chaos et le verbe chéesthai qui signifie verser. En faisant du premier principe l'eau, cette interprétation se rapproche d'Homère qui fait d'Océan la genesis de tout ou encore de Thalès. Cette lecture est évidemment irrecevable, elle est étymologiquement injustifiée et l'eau trouve sa place ensuite dans la généalogie hésiodique.
(iv) La faille
On trouve dans chaos la racine cha qui signifie "être béant". Chaos serait une ouverture. Laquelle? l'espace qui sépare le ciel et la terre? Mais lorsqu'advient le Chaos, terre et ciel ne sont pas différenciés, il faudrait alors comprendre la séparation du Gaia et de Ouranos comme une répétition mythique de la séparation cosmogonique initiale. R.Sorel a une formulation extrêmement pertinente:"Ni vide, ni air, ni désordre, ni fluide, ni gouffre vissé jusqu'au tréfonds de la terre, le Chaos des Muses n'a d'autre particularité que de laisser s'ouvrir le monde. Fente naissant en premier, il permet au cosmos d'advenir et de s'ordonner. Il échappe à la représentation. Il ouvre. Les Muses se sont bien gardées de flanquer Chaos d'une épithète, indiquant ainsi qu'il est impossible d'en saisir le contour." Le chaos n'est pas négativité; il est cette force confuse à partir de laquelle les réalités apparaissent. L'origine nommée demeure cependant inqualifiable, le point aveugle à partir de quoi tout se déploie. Cette question de l'origine innommable et nécessaire sera centrale dans l'élaboration du questionnement philosophique (cf. M.Loreau "La philosophie comme construction nécessaire du mythe d'origine" in Le temps de la réflexion n°1, 1980).
- RuthvenGuide spirituel
Sur la place de Chaos dans les généalogies
I.) La généalogie
(1) Les familles de la Théogonie
Le système est indissociable de la relation qui s'instaure entre les éléments; c'est par la relation même qu'un système s'instaure. Or ce qu'il faut ici relier c'est un écart temporel; c'est le modèle généalogique, le modèle de la filiation qui satisfait le mieux aux exigences de la relation et de la mise en ordre. La généalogie est une organisation du donné au moyen d'une appartenance à un même genos. On distingue, dans la Théogonie, trois grandes familles (et peut-être une quatrième dont Hésiode n'évoquerait que deux membres mais des doutes subsistent sur la possible interpolation de ces vers): la lignée issue de Chaos, puis de Nuit qui est une lignée indépendante et qui ne se mêlera jamais avec les autres familles. C.Ramnoux a consacré une étude profonde à La Nuit et les enfants de la nuit dans la tradition grecque. De l'union de Gaia avec deux de ses fils, Ouranos et Pontos naissent deux familles les Ouranides et les Pontides. Entre ces deux familles, ont lieu un certains nombres de mariages, surtout entre les Océanides et la première génération des Pontides (Doris avec Nérée, Electre avec Thaumas), mais aussi entre Eurybié (Pontide) et Crios (Ouranide).
(2) La généalogie et la relation rationnelle
Cette pratique de la généalogie est évoquée et nommée par Platon; c'est une pratique de poète, de ceux qu'Aristote nommera les theologoi mais ce n'est pas une pratique arbitraire, le schème de la parenté instruit à la fois une relation d'identité et de différence. La relation généalogique recèle en son fond une dimension logique, c'est une mise en ordre du réel. Platon, dans le Théétète montre l'association entre la généalogie et l'étymologie. Attardons-nous sur l'exemple qu'il propose. La filiation d'Iris et de Thaumas est selon lui une bonne filiation; elle est évoquée en Théogonie v.265-266 et au v.780. La vérité de la filiation se fonde aux yeux de Platon dans la filiation conceptuelle: Thaumas est l'étonnement, Iris, puisque Platon fait dériver son nom du verbe eiro (Cratyle 408b dans un passage, il est vrai, mal attesté) est la personnification mythique de la philosophie. Derrière une filiation réelle, Platon lit une filiation symbolique qui lie adéquatement deux concepts.
(a) Génération et analogie
Le schème de parenté est un schème ambigu: comme l'a montré West, en s'appuyant sur un étude de la progéniture de Nuit, plusieurs types de logiques ont influencé la composition des généalogies:
1. Elle est mère du Jour, parce que le Jour la suit, paraît après elle.
2. Elle est la mère de la Mort, parce que les deux sont d'une nature semblable.
3. Elle est la mère du Sommeil, parce que le Sommeil est le frère de la Mort, et parce qu'il advient la nuit.
4. Elle est la mère des Rêves, parce qu'ils viennent la Nuit.
5. Elle est la mère de Discorde, Douleur, Nemesis, Vieillesse, Conflit parce qu'ils sont sombres et mortifères.
6. Elle est la mère des Hespérides, parce qu'elles vivent à l'extrême orient, là où elle agit.
7. Elle est la mère des Moires et des Kères, parce qu'ils ont des affinités avec la Mort.
8. Elle est la mère de Tromperie et de Bonne Entente, parce qu'on les accomplit la nuit.
Eris est la mère de la guerre parce qu'elle la cause. La filiation ici a le double sens d'une filiation réelle et celle de concepts. Il y a des affinités, génériques, entre les entités, qui ont aussi un sens conceptuel. La génération est aussi bien procréation que provenance; elle est ambivalente puisqu'elle concerne aussi bien des personnes que des concepts.
(b) Exigence de symétrie
L'élaboration des généalogies requiert aussi une systématicité quasi-mathématique: les Ouranides comportent six titans masculins (Océanos, Coios, Crios, Hypérion, Japet, Cronos; Cronos et Japet sont les seuls titans cités par Homère), six titans féminins (Théia, Rhéia, Thémis, Mnémosyne, Phoibè, Téthys), trois cyclopes et trois cent-bras. Coios, Crios, Theia et Phoibè sont des noms qui apparaissent pour la première fois.
II) Vers la différenciation
Le processus de la Théogonie est un processus qui va du désordre vers l'ordre, de la fusion à la différenciation. Comme l'écrit Jankelevitch (Philosophie première p.220):" La théogonie d'Hésiode, malgré son titre, n'est pas une genèse du divin (au sens boehmiste), mais une genèse divine, ou mieux une cosmogonie allant de la "rudis indigestaque moles" au pluriel olympien et de la cacophonie originelle à l'euphonie et à la symphonie (...) Cette généalogie est une évolution immanente et graduelle à partir de l'informe ou de la nébuleuse primitive, nébuleuse qui est moins Néant que Béant; les générations successives de ce lignage, depuis Chaos jusqu'aux êtres lumineux en passant par Erèbe et la Nuit, marquent autant de progrès dans un processus continu de détermination et de personnalisation." La clarté n'est pas originelle, c'est sur un fond de désordre que peu à peu émerge la clarté par engendrement ou filiation. Cet engendrement n'est pas univoque, même s'il s'agit de la transmission d'une puissance qui implique une différenciation par rapport à son ou ses géniteurs.
(1) Le double engendrement
On distingue, en gros, deux manières d'engendrer dans la Théogonie: la parthénogenèse, sans union ni amour, où un être donne naissance à un autre à partir de lui-même et l'accouplement. La parthénogenèse caractérise essentiellement la première génération des dieux (Chaos, Gaia), éventuellement la seconde (Pontos enfante Nérée) et la lignée de Chaos (il faudra justifier les cas d'Athéna et d'Héphaïstos), l'accouplement apparaît dès la deuxième génération; ces deux modes d'engendrement sont eux-mêmes dans un rapport de hiérarchisation: l'accouplement; qui présuppose l'union d'amour, est une forme plus achevée de l'engendrement que la parthénogenèse.
(a) Parthénogenèse
Si Eros est bien une entité primordiale qui n'a de rapport avec aucun autre dieu, car il préside à toute union. C'est par la présence d'Eros que se justifie le déploiement d'entités nouvelles à partir des entités primordiales.
(i) Parthénogenèse et création
En effet, à partir des entités primordiales -Chaos, Gaia et éventuellement Tartare- se développent l'ensemble des êtres à partir d'une poussée essentielle qui n'a rien à voir avec le geste de création tel que le judaïsme l'a pensé. Jankelevitch a clairement exposé la différence entre la création biblique et l'engendrement hésiodique (Philosophie première p.220-221):"Le chaos de la Théogonie n'a pas l'idée de créer quelque chose, ne décide pas lui-même que la lumière sera, et ceci d'un seul coup, mais il "engendre" l'Erèbe et la ténébreuse Nuit qui à leur tour engendreront le Jour et l'Ether: ce n'est pas l'apparition miraculeuse et géniale de la lumière qui, illuminant le vide (car il n'y a pas encore d'objets à éclairer), refoule du même coup les ténèbres et divise le jour d'avec la nuit; c'est plutôt la force génésique qui se transmet, comme une hérédité latente, et sans décrets foudroyants, de génération en génération; peu à peu illuminées, les formes de l'être se succèdent ainsi généalogiquement, ou mieux s'enchaînent spontanément sur fond et substrat de pré-être." On ne peut parler de création parce qu'il n'y pas un surgissement instantané d'une réalité nouvelle instaurée par une volonté différente d'elle; la parthénogenèse est en quelque sorte un processus naturel par lequel une entité pose à partir d'elle un être différent d'elle et qui se détermine par cette opposition.
Cette parthénogenèse n'explique d'ailleurs pas la facticité des réalités primordiales; en effet le texte hésiodique dit clairement:"Aux tout premiers temps, naquit Chaos, et ensuite Gaia (...) et Eros" (v.116-120) Il n'y a pas une genèse systématique à partir d'une seule entité; Gaia ne naît pas de Chaos, elle naît seulement après lui; l'ordre qui est instauré au début de la Théogonie n'est même pas un ordre généalogique, c'est un ordre chronologique qui ne rend en rien raison de l'apparition des entités. Le premier à apparaître est Chaos, Chaos n'est pas éternel au sens où il n'aurait pas d'origine; Hésiode est très clair, il emploie le verbe gignomai a l'aoriste, ce verbe est employé certes comme substitut du verbe être, mais avant tout comme signifiant naître. On remarquera que le nom genesis a la même racine. Nous sommes dans l'ordre de la facticité pure, injustifiable et injustifiée. Le concept de causa sui sera une tentative philosophique pour résoudre cette facticité originelle du principe.
Le partage de l'univers est parthénogénétique; la dimension proprement cosmogonique de la théogonie est ce moment où la différenciation des êtres ne s'opère pas par union sexuelle mais par distinction progressive (Terre, Ciel, Mer). Ce type de différenciation ne suppose pas une personnalité des entités divines, ou plutôt l'existence des entités en tant que personne n'est pas nécessairement impliquée dans la parthénogenèse. La partition originelle de l'univers est nécessairement parthénogénétique, la terre est le sol commun.
(ii) Deux remarques
La filiation parthénogénétique est aussi une filiation sans amour; la lignée de Chaos puis de Nuit est sans amour; c'est une lignée essentiellement négative, mortifère. Seuls Ether et Hémèrè sont enfantés par Nuit et Erèbe avec amour. En effet, la puissance lumineuse, essentiellement bonne, ne peut naître sans amour. Il est à noter que ce recours à l'amour (v.125) dans la lignée de Nuit a été suspecté d'interpolation.
Enfin il faut remarquer que l'engendrement des dieux se termine par une parthénogénèse: Zeus enfante Athèna-Tritogénie de son crâne, mais après avoir avalé Métis - on ne peut donc pas parler de parthénogénèse. Héra enfante Héphaïstos par jalousie, sans amour; mais Héphaïstos naît après les différenciations originelles, c'est un dieu qui naît infirme et laid; le temps de la parthénogénèse est définitivement clos.
(b) Accouplement
Le second type d'engendrement va de pair avec une forte personnalisation des êtres en jeu. Le schème sexuel organise le panthéon; Couloubaritsis a montré comme le schème de la parenté unifiait et régularisait l'expérience. Si ce schème organise, il n'en reste pas moins limité; cette organisation n'atteint pas un universel; l'union sexuelle explique peut-être l'apparition de nouveau dieu mais ne justifie en rien leur existence. Ce schème est en fait indissociable des mythes de succession: une organisation généalogique permet de comprendre le conflit des générations comme un conflit pour la légitimité du pouvoir: Cronos contre Ouranos, Zeus contre Cronos.
L'union organise le cosmos en série hiérarchique à condition cependant qu'elle ne soit pas union permanente: Ouranos couché en permanence sur Gaia n'a pas à proprement parler d'activité royale; il couvre Gaia sans laisser la possibilité à sa progéniture de voir le jour; Ouranos refuse la différenciation qui doit naître de son union. Puisqu'elle ne peut s'opérer convenablement, cette différenciation a lieu violemment par la castration d'Ouranos qui délie le ciel et la terre. A partir de cette séparation, qui a encore une valeur cosmogonique, l'émergence de la progéniture d'Ouranos est possible. L'union doit donc conduire à une séparation inévitable, naturelle ou violente; l'union est ce à partir de quoi du nouveau peut apparaître dans l'univers.
Ce n'est, cependant, que par une union particulière que Zeus peut mettre fin à cette série potentiellement infinie du conflit entre le fils et le père. En s'appropriant Métis, fille de Tèthys et d'Okéanos, non seulement en l'épousant mais encore en l'avalant, Zeus a un pouvoir assuré; son mariage avec Thémis lui conférera une légitimité. Comme l'ont noté Detienne et Vernant dans Les ruses de l'intelligence. La métis des grecs :"Si est la première épouse de Zeus, celle qu'il mène à son lit aussitôt terminée la guerre contre les Titans, aussitôt proclamé son titre de roi des dieux, c'est que ce mariage marque le couronnement de sa victoire et consacre sa primauté de monarque. Point de souveraineté en effet sans Mètis. Sans le secours de la déesse, sans l'appui des armes de ruse dont dispose sa science magique, le pouvoir suprême ne saurait ni se conquérir, ni s'exercer, ni se conserver."
I.) La généalogie
(1) Les familles de la Théogonie
Le système est indissociable de la relation qui s'instaure entre les éléments; c'est par la relation même qu'un système s'instaure. Or ce qu'il faut ici relier c'est un écart temporel; c'est le modèle généalogique, le modèle de la filiation qui satisfait le mieux aux exigences de la relation et de la mise en ordre. La généalogie est une organisation du donné au moyen d'une appartenance à un même genos. On distingue, dans la Théogonie, trois grandes familles (et peut-être une quatrième dont Hésiode n'évoquerait que deux membres mais des doutes subsistent sur la possible interpolation de ces vers): la lignée issue de Chaos, puis de Nuit qui est une lignée indépendante et qui ne se mêlera jamais avec les autres familles. C.Ramnoux a consacré une étude profonde à La Nuit et les enfants de la nuit dans la tradition grecque. De l'union de Gaia avec deux de ses fils, Ouranos et Pontos naissent deux familles les Ouranides et les Pontides. Entre ces deux familles, ont lieu un certains nombres de mariages, surtout entre les Océanides et la première génération des Pontides (Doris avec Nérée, Electre avec Thaumas), mais aussi entre Eurybié (Pontide) et Crios (Ouranide).
(2) La généalogie et la relation rationnelle
Cette pratique de la généalogie est évoquée et nommée par Platon; c'est une pratique de poète, de ceux qu'Aristote nommera les theologoi mais ce n'est pas une pratique arbitraire, le schème de la parenté instruit à la fois une relation d'identité et de différence. La relation généalogique recèle en son fond une dimension logique, c'est une mise en ordre du réel. Platon, dans le Théétète montre l'association entre la généalogie et l'étymologie. Attardons-nous sur l'exemple qu'il propose. La filiation d'Iris et de Thaumas est selon lui une bonne filiation; elle est évoquée en Théogonie v.265-266 et au v.780. La vérité de la filiation se fonde aux yeux de Platon dans la filiation conceptuelle: Thaumas est l'étonnement, Iris, puisque Platon fait dériver son nom du verbe eiro (Cratyle 408b dans un passage, il est vrai, mal attesté) est la personnification mythique de la philosophie. Derrière une filiation réelle, Platon lit une filiation symbolique qui lie adéquatement deux concepts.
(a) Génération et analogie
Le schème de parenté est un schème ambigu: comme l'a montré West, en s'appuyant sur un étude de la progéniture de Nuit, plusieurs types de logiques ont influencé la composition des généalogies:
1. Elle est mère du Jour, parce que le Jour la suit, paraît après elle.
2. Elle est la mère de la Mort, parce que les deux sont d'une nature semblable.
3. Elle est la mère du Sommeil, parce que le Sommeil est le frère de la Mort, et parce qu'il advient la nuit.
4. Elle est la mère des Rêves, parce qu'ils viennent la Nuit.
5. Elle est la mère de Discorde, Douleur, Nemesis, Vieillesse, Conflit parce qu'ils sont sombres et mortifères.
6. Elle est la mère des Hespérides, parce qu'elles vivent à l'extrême orient, là où elle agit.
7. Elle est la mère des Moires et des Kères, parce qu'ils ont des affinités avec la Mort.
8. Elle est la mère de Tromperie et de Bonne Entente, parce qu'on les accomplit la nuit.
Eris est la mère de la guerre parce qu'elle la cause. La filiation ici a le double sens d'une filiation réelle et celle de concepts. Il y a des affinités, génériques, entre les entités, qui ont aussi un sens conceptuel. La génération est aussi bien procréation que provenance; elle est ambivalente puisqu'elle concerne aussi bien des personnes que des concepts.
(b) Exigence de symétrie
L'élaboration des généalogies requiert aussi une systématicité quasi-mathématique: les Ouranides comportent six titans masculins (Océanos, Coios, Crios, Hypérion, Japet, Cronos; Cronos et Japet sont les seuls titans cités par Homère), six titans féminins (Théia, Rhéia, Thémis, Mnémosyne, Phoibè, Téthys), trois cyclopes et trois cent-bras. Coios, Crios, Theia et Phoibè sont des noms qui apparaissent pour la première fois.
II) Vers la différenciation
Le processus de la Théogonie est un processus qui va du désordre vers l'ordre, de la fusion à la différenciation. Comme l'écrit Jankelevitch (Philosophie première p.220):" La théogonie d'Hésiode, malgré son titre, n'est pas une genèse du divin (au sens boehmiste), mais une genèse divine, ou mieux une cosmogonie allant de la "rudis indigestaque moles" au pluriel olympien et de la cacophonie originelle à l'euphonie et à la symphonie (...) Cette généalogie est une évolution immanente et graduelle à partir de l'informe ou de la nébuleuse primitive, nébuleuse qui est moins Néant que Béant; les générations successives de ce lignage, depuis Chaos jusqu'aux êtres lumineux en passant par Erèbe et la Nuit, marquent autant de progrès dans un processus continu de détermination et de personnalisation." La clarté n'est pas originelle, c'est sur un fond de désordre que peu à peu émerge la clarté par engendrement ou filiation. Cet engendrement n'est pas univoque, même s'il s'agit de la transmission d'une puissance qui implique une différenciation par rapport à son ou ses géniteurs.
(1) Le double engendrement
On distingue, en gros, deux manières d'engendrer dans la Théogonie: la parthénogenèse, sans union ni amour, où un être donne naissance à un autre à partir de lui-même et l'accouplement. La parthénogenèse caractérise essentiellement la première génération des dieux (Chaos, Gaia), éventuellement la seconde (Pontos enfante Nérée) et la lignée de Chaos (il faudra justifier les cas d'Athéna et d'Héphaïstos), l'accouplement apparaît dès la deuxième génération; ces deux modes d'engendrement sont eux-mêmes dans un rapport de hiérarchisation: l'accouplement; qui présuppose l'union d'amour, est une forme plus achevée de l'engendrement que la parthénogenèse.
(a) Parthénogenèse
Si Eros est bien une entité primordiale qui n'a de rapport avec aucun autre dieu, car il préside à toute union. C'est par la présence d'Eros que se justifie le déploiement d'entités nouvelles à partir des entités primordiales.
(i) Parthénogenèse et création
En effet, à partir des entités primordiales -Chaos, Gaia et éventuellement Tartare- se développent l'ensemble des êtres à partir d'une poussée essentielle qui n'a rien à voir avec le geste de création tel que le judaïsme l'a pensé. Jankelevitch a clairement exposé la différence entre la création biblique et l'engendrement hésiodique (Philosophie première p.220-221):"Le chaos de la Théogonie n'a pas l'idée de créer quelque chose, ne décide pas lui-même que la lumière sera, et ceci d'un seul coup, mais il "engendre" l'Erèbe et la ténébreuse Nuit qui à leur tour engendreront le Jour et l'Ether: ce n'est pas l'apparition miraculeuse et géniale de la lumière qui, illuminant le vide (car il n'y a pas encore d'objets à éclairer), refoule du même coup les ténèbres et divise le jour d'avec la nuit; c'est plutôt la force génésique qui se transmet, comme une hérédité latente, et sans décrets foudroyants, de génération en génération; peu à peu illuminées, les formes de l'être se succèdent ainsi généalogiquement, ou mieux s'enchaînent spontanément sur fond et substrat de pré-être." On ne peut parler de création parce qu'il n'y pas un surgissement instantané d'une réalité nouvelle instaurée par une volonté différente d'elle; la parthénogenèse est en quelque sorte un processus naturel par lequel une entité pose à partir d'elle un être différent d'elle et qui se détermine par cette opposition.
Cette parthénogenèse n'explique d'ailleurs pas la facticité des réalités primordiales; en effet le texte hésiodique dit clairement:"Aux tout premiers temps, naquit Chaos, et ensuite Gaia (...) et Eros" (v.116-120) Il n'y a pas une genèse systématique à partir d'une seule entité; Gaia ne naît pas de Chaos, elle naît seulement après lui; l'ordre qui est instauré au début de la Théogonie n'est même pas un ordre généalogique, c'est un ordre chronologique qui ne rend en rien raison de l'apparition des entités. Le premier à apparaître est Chaos, Chaos n'est pas éternel au sens où il n'aurait pas d'origine; Hésiode est très clair, il emploie le verbe gignomai a l'aoriste, ce verbe est employé certes comme substitut du verbe être, mais avant tout comme signifiant naître. On remarquera que le nom genesis a la même racine. Nous sommes dans l'ordre de la facticité pure, injustifiable et injustifiée. Le concept de causa sui sera une tentative philosophique pour résoudre cette facticité originelle du principe.
Le partage de l'univers est parthénogénétique; la dimension proprement cosmogonique de la théogonie est ce moment où la différenciation des êtres ne s'opère pas par union sexuelle mais par distinction progressive (Terre, Ciel, Mer). Ce type de différenciation ne suppose pas une personnalité des entités divines, ou plutôt l'existence des entités en tant que personne n'est pas nécessairement impliquée dans la parthénogenèse. La partition originelle de l'univers est nécessairement parthénogénétique, la terre est le sol commun.
(ii) Deux remarques
La filiation parthénogénétique est aussi une filiation sans amour; la lignée de Chaos puis de Nuit est sans amour; c'est une lignée essentiellement négative, mortifère. Seuls Ether et Hémèrè sont enfantés par Nuit et Erèbe avec amour. En effet, la puissance lumineuse, essentiellement bonne, ne peut naître sans amour. Il est à noter que ce recours à l'amour (v.125) dans la lignée de Nuit a été suspecté d'interpolation.
Enfin il faut remarquer que l'engendrement des dieux se termine par une parthénogénèse: Zeus enfante Athèna-Tritogénie de son crâne, mais après avoir avalé Métis - on ne peut donc pas parler de parthénogénèse. Héra enfante Héphaïstos par jalousie, sans amour; mais Héphaïstos naît après les différenciations originelles, c'est un dieu qui naît infirme et laid; le temps de la parthénogénèse est définitivement clos.
(b) Accouplement
Le second type d'engendrement va de pair avec une forte personnalisation des êtres en jeu. Le schème sexuel organise le panthéon; Couloubaritsis a montré comme le schème de la parenté unifiait et régularisait l'expérience. Si ce schème organise, il n'en reste pas moins limité; cette organisation n'atteint pas un universel; l'union sexuelle explique peut-être l'apparition de nouveau dieu mais ne justifie en rien leur existence. Ce schème est en fait indissociable des mythes de succession: une organisation généalogique permet de comprendre le conflit des générations comme un conflit pour la légitimité du pouvoir: Cronos contre Ouranos, Zeus contre Cronos.
L'union organise le cosmos en série hiérarchique à condition cependant qu'elle ne soit pas union permanente: Ouranos couché en permanence sur Gaia n'a pas à proprement parler d'activité royale; il couvre Gaia sans laisser la possibilité à sa progéniture de voir le jour; Ouranos refuse la différenciation qui doit naître de son union. Puisqu'elle ne peut s'opérer convenablement, cette différenciation a lieu violemment par la castration d'Ouranos qui délie le ciel et la terre. A partir de cette séparation, qui a encore une valeur cosmogonique, l'émergence de la progéniture d'Ouranos est possible. L'union doit donc conduire à une séparation inévitable, naturelle ou violente; l'union est ce à partir de quoi du nouveau peut apparaître dans l'univers.
Ce n'est, cependant, que par une union particulière que Zeus peut mettre fin à cette série potentiellement infinie du conflit entre le fils et le père. En s'appropriant Métis, fille de Tèthys et d'Okéanos, non seulement en l'épousant mais encore en l'avalant, Zeus a un pouvoir assuré; son mariage avec Thémis lui conférera une légitimité. Comme l'ont noté Detienne et Vernant dans Les ruses de l'intelligence. La métis des grecs :"Si
- RuthvenGuide spirituel
Les éléments primordiaux et la cosmogonie (v.116-138) (trad. A.Bonnafé en Rivages Poche)
En vérité, aux tout premiers temps, naquit Chaos, l'Abîme-Béant (½toi mn prètista C£oj gšnet'), et ensuite (aÙt¦r œpeita)
Gaia, la Terre aux larges flancs - universel séjour à jamais stable
[des immortels maîtres des cimes de l'Olympe neigeux-
les étendues brumeuses du Tartare, au fin fond du sol aux larges routes,]
et Eros, celui qui est le plus beau d'entre les dieux immortels
(il est l'Amour qui rompt les membres) et qui, de tous les dieux et de tous les humains,
dompte, au fond des poitrines, l'esprit et le sage vouloir.
De l'Abîme-Béant (™k C£eoj), ce furent Erèbe l'Obscur et Nyx, la Nuit noire qui naquirent (™gšnonto)
et, de la Nuit, à leur tour, Clair-Eclat et Journée, Ether et Hèmérè,
[qu'elle enfanta (tške), devenue grosse de son union de bonne entente (filÒthti mige‹sa) avec Erèbe Obscur.]
Quant à la Terre, en premier lieu (prîton), elle fit naître (™ge…nato), égal à elle-même,
(il fallait qu'il pût la cacher, l'envelopper entièrement) Ouranos le Ciel étoilé,
afin qu'il fût, pour les dieux bienheureux, séjour à jamais stable;
puis elle fit naître (ge…nato) Ouréa les hauts Monts, gîtes gracieux de déesses
-des Nymphes qui habitent les monts coupés de ravins -
et elle enfanta (tšken) aussi l'étendue stérile du large qui se gonfle et fait rage,
Pontos, le Flot-Marin- tou cela sans bonne entente source de désir (¥ter filÒthtoj ™fimšrou). Mais ensuite, (aÙt¦r œpeita)
au lit du Ciel, elle enfanta le Fleuve-Océan, Océanos aux profonds tourbillons
Coös, Crios, Hypérion Qui-parcourt -les-hauteurs et Japet,
Théia la Divine, Rhéia, Thémis Just-Coutume et Mémoire (Mnèmosyne)
Phoïbè la Lumineuse, toute d'or couronnée, et Tèthys qui inspire l'amour.
Et après eux, bon cadet, naquit Cronos aux idées retorses,
le plus terrible des enfants - et il se prit de haine pour son géniteur vigoureux.
En vérité, aux tout premiers temps, naquit Chaos, l'Abîme-Béant (½toi mn prètista C£oj gšnet'), et ensuite (aÙt¦r œpeita)
Gaia, la Terre aux larges flancs - universel séjour à jamais stable
[des immortels maîtres des cimes de l'Olympe neigeux-
les étendues brumeuses du Tartare, au fin fond du sol aux larges routes,]
et Eros, celui qui est le plus beau d'entre les dieux immortels
(il est l'Amour qui rompt les membres) et qui, de tous les dieux et de tous les humains,
dompte, au fond des poitrines, l'esprit et le sage vouloir.
De l'Abîme-Béant (™k C£eoj), ce furent Erèbe l'Obscur et Nyx, la Nuit noire qui naquirent (™gšnonto)
et, de la Nuit, à leur tour, Clair-Eclat et Journée, Ether et Hèmérè,
[qu'elle enfanta (tške), devenue grosse de son union de bonne entente (filÒthti mige‹sa) avec Erèbe Obscur.]
Quant à la Terre, en premier lieu (prîton), elle fit naître (™ge…nato), égal à elle-même,
(il fallait qu'il pût la cacher, l'envelopper entièrement) Ouranos le Ciel étoilé,
afin qu'il fût, pour les dieux bienheureux, séjour à jamais stable;
puis elle fit naître (ge…nato) Ouréa les hauts Monts, gîtes gracieux de déesses
-des Nymphes qui habitent les monts coupés de ravins -
et elle enfanta (tšken) aussi l'étendue stérile du large qui se gonfle et fait rage,
Pontos, le Flot-Marin- tou cela sans bonne entente source de désir (¥ter filÒthtoj ™fimšrou). Mais ensuite, (aÙt¦r œpeita)
au lit du Ciel, elle enfanta le Fleuve-Océan, Océanos aux profonds tourbillons
Coös, Crios, Hypérion Qui-parcourt -les-hauteurs et Japet,
Théia la Divine, Rhéia, Thémis Just-Coutume et Mémoire (Mnèmosyne)
Phoïbè la Lumineuse, toute d'or couronnée, et Tèthys qui inspire l'amour.
Et après eux, bon cadet, naquit Cronos aux idées retorses,
le plus terrible des enfants - et il se prit de haine pour son géniteur vigoureux.
- Ruggera7Neoprof expérimenté
Mon dieu (c'est le cas de le dire) , voilà de quoi me cultiver et m'aider à préciser toutes ces notions qui me passionnent...
Je vous remercie sincèrement, bonne soirée à tous!
Je vous remercie sincèrement, bonne soirée à tous!
- IphigénieProphète
bon,les sixièmes,vous avez pigé?
(et on voudrait qu'ils fassent du grec????)
Mais non,Ruthen,je plaisante,c'est très intéressant,mais à lire à tête reposée effectivement!....
(et on voudrait qu'ils fassent du grec????)
Mais non,Ruthen,je plaisante,c'est très intéressant,mais à lire à tête reposée effectivement!....
- AudreyOracle
iphigénie a écrit:bon,les sixièmes,vous avez pigé?
(et on voudrait qu'ils fassent du grec????)
Mais non,Ruthen,je plaisante,c'est très intéressant,mais à lire à tête reposée effectivement!....
Mais non voyons... en 3è, il faut qu'ils participent à un "atelier latin/grec"! Voilà ce que m'a dit mon principal adjoint ce matin...
Bref, merci Ruthven, c'est super intéressant... et je suis contente, ma première réponse n'était pas à côté de la plaque!
- JPhMMDemi-dieu
Audrey a écrit:Mais non voyons... en 3è, il faut qu'ils participent à un "atelier latin/grec"! Voilà ce que m'a dit mon principal adjoint ce matin...
_________________
Labyrinthe où l'admiration des ignorants et des idiots qui prennent pour savoir profond tout ce qu'ils n'entendent pas, les a retenus, bon gré malgré qu'ils en eussent. — John Locke
Je crois que je ne crois en rien. Mais j'ai des doutes. — Jacques Goimard
- AudreyOracle
ouais.... j'ai réagi de façon un peu vive du coup. Il a compris que je ne me laisserai pas faire. J'ai carrément dit: "Si je dois lever une armée, je préfère le savoir maintenant pour être dans les temps."
- thrasybuleDevin
J"avais pas vu le cours de Ruthven: c'est super, merci!
- AzadHabitué du forum
Ce topic me rappelle une question que je me suis toujours posée : les premiers êtres vraiment créés sont les Titans et les Géants. Pourquoi change-t-on l'appellation "Titans" en "Dieux"... dès lors que Zeus prend le pouvoir ? N'est-il pas un Titan lui aussi ?
- AudreyOracle
Il est fils d'un titan et d'une titanide, donc, oui, ça paraît logique qu'il en soit un... je pense que le nom "dieu" n'est pas forcément lié à la nature, mais à la fonction...
- AzadHabitué du forum
AH ! Une réponse intelligente à cette question que je traîne comme un boulet ! Un mot Audrey : respect
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