- LNSAGNiveau 10
Quelqu'un aurait-il quelques extraits de La Tragédie grecque de J. de Romilly, parce que je ne parviens pas à remettre la main sur l'exemplaire que j'ai...
Je cherche notamment quelques définitions de la tragédie, et les passages qui parlent de l'épopée.
Je cherche notamment quelques définitions de la tragédie, et les passages qui parlent de l'épopée.
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« Ce que j'appelle culture, c'est ce fonds de savoirs plus anciens que nous qui sont notre plus grand secours contre les usines à rêve du monde actuel. » A. Malraux
- thrasybuleDevin
Désole, je l'ai laissé au lycéeLNSAG a écrit:Quelqu'un aurait-il quelques extraits de La Tragédie grecque de J. de Romilly, parce que je ne parviens pas à remettre la main sur l'exemplaire que j'ai...
Je cherche notamment quelques définitions de la tragédie, et les passages qui parlent de l'épopée.
- KilmenyEmpereur
Il me semble qu'il y a des extraits dans le manuel 2° d'Hélène Sabbah
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Un petit clic pour les animaux : http://www.clicanimaux.com/catalog/accueil.php?sites_id=1
- LNSAGNiveau 10
Arf, je n'utilise pas celui-ci...
Bon, je verrai s'il est au CDI demain sinon. Merci quand même !
Bon, je verrai s'il est au CDI demain sinon. Merci quand même !
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« Ce que j'appelle culture, c'est ce fonds de savoirs plus anciens que nous qui sont notre plus grand secours contre les usines à rêve du monde actuel. » A. Malraux
- IphigénieProphète
ce n'est pas grand chose,mais ça correspond peut-être aux passages que tu cherches:
http://www2b.ac-lille.fr/weblettres/productions/Phedre/Romilly.htm
http://www.aplettres.org/index.htm
(tu vas sur le lien SEL puis dans conférences,et tu as une conf de Jacqueline sur Homère)
http://www2b.ac-lille.fr/weblettres/productions/Phedre/Romilly.htm
http://www.aplettres.org/index.htm
(tu vas sur le lien SEL puis dans conférences,et tu as une conf de Jacqueline sur Homère)
- Invité13Habitué du forum
Voici ce sur quoi je travaille avec les élèves en module
Jacqueline de Romilly - La tragédie grecque
Conditions de représentation
On n'allait pas au théâtre, chez les Grecs, comme on peut y aller de nos jours – en choisissant son jour et son spectacle, et en assistant à une représentation répétée chaque jour tout au long de l'année. Il y avait deux fêtes annuelles où se donnaient des tragédies. Chaque fête comportait un concours, qui durait trois jours; et, chaque jour, un auteur, sélectionné longtemps à l'avance, faisait représenter, à la suite, trois tragédies. La représentation était prévue et organisée par les soins de l'Etat, puisque c'était un haut magistrat de la cité qui devait choisir les poètes et choisir, également, les citoyens riches chargés de pourvoir à tous les frais. Enfin, le jour de la représentation, tout le peuple était invité à venir au spectacle: dès l'époque de Périclès, les citoyens pauvres pouvaient même toucher, à cet effet, une petite allocation.
Par suite, ce spectacle revêtait le caractère d'une manifestation nationale. Et le fait explique à coup sûr certains traits dans l'inspiration même des auteurs de tragédies. Ceux-ci s'adressaient toujours à un très large public, réuni pour une occasion solennelle: il est normal qu'ils aient cherché à l'atteindre et à l'intéresser. Ils écrivaient donc en citoyens s'adressant à des citoyens. (...)
Entrée dans la vie athénienne par l'effet d'une décision officielle, s'insérant dans toute une politique d'expansion populaire, la tragédie apparaît liée, dès ses débuts, à l'activité civique. Et ce lien ne pouvait que se resserrer lorsque ce peuple, ainsi réuni au théâtre, fut devenu l'arbitre de ses propres destinées. Il explique que le genre tragique soit lié à l'épanouissement politique. Et il explique la place qu'occupent, dans les tragédies grecques, les problèmes nationaux de la guerre et de la paix, de la justice et du civisme. Par l'importance qu'ils leur accordent, les grands poètes se situent bien, ici encore, dans le prolongement de l'impulsion première.
La vision de l'homme et du monde: les oracles.
Imprécis, obscurs, souvent trompeurs, les oracles laissent donc place à l'espérance et à l'erreur. Et on peut même dire plus ; car ils semblent si bien calculés pour tromper, qu'ils suggèrent avec force que la divinité a pris plaisir à se jouer de l'homme.(...)
Ce jeu de l'homme et des dieux, jalonné d'oracles propres à semer l'erreur, est, on le sait, l'idée maîtresse d'Oedipe-Roi. Mais il serait faux de penser qu'elle n'apparaît que là. En fait toute la dramaturgie de Sophocle repose sur l'idée que l'homme est le jouet de ce qu'on pourrait appeler l'ironie du sort. (...)
Très souvent, l'homme se précipite vers sa perte par l'effort même qu'il fait pour y échapper: Déjanire cause ainsi la mort de celui qui lui est cher par la drogue qui aurait dû, selon elle, le lui attacher pour toujours.1 Et même lorsque les choses ne vont pas jusque-là, il y a, sans nul doute, une ironie du sort dans le fait qu'un homme s'imagine pouvoir triompher au moment précis où sa perte va être consommée. Du point de vue dramatique, le contraste avive la surprise: du point de vue de la pensée, il fait ressortir de façon tragique, l'aveuglement et l'ignorance de ceux qui sont ainsi trompés. (...)
Le destin
A vrai dire, on peut remarquer que, dans Oedipe-Roi, on ne s'interroge jamais sur la raison de ce qui arrive à Oedipe et devait lui arriver. Sophocle ne cherche nullement à expliquer la sévérité du sort fait à Oedipe en remontant à une faute originelle qu'aurait commise Laïos2: cette idée n'a ici aucune place. Il ne cherche pas non plus à l'expliquer par une faute qu'aurait commise Oedipe lui-même; et c'est en vain que les commentateurs se sont efforcés de chercher au héros quelque défaut qui expliquerait tout. Il n'y a rien à expliquer, aux yeux de Sophocle: il n'y a pas d'explication, mais pas non plus de question. Les choses sont ainsi, tout simplement.
De fait, quand ils parlent de destin, les Grecs désignaient surtout la réalité, dans la mesure où elle échappe à l'homme. (...) Sophocle se contente de montrer l'impuissance de l'homme, qui ne peut l'influencer à son gré. Et en disant qu'elle est déterminée à l'avance, il ne fait que traduire l'expérience de cette impuissance en termes plus forts. De fait, tous les commentaires faits au cours de la pièce sur le sort d'Oedipe consistent à y voir une illustration éclatante de l'instabilité pesant sur les hommes en général. (...)
Ainsi s'explique que la souveraineté du destin puisse ne s'accompagner d'aucune révolte. Au contraire, la connaissance de la faiblesse de l'homme laisse place, chez Sophocle, à une double confiance, dans l'homme et dans les dieux.
Le destin n'étant pas une condamnation délibérée, l'homme n'en tire pas l'idée qu'il n'a qu'à laisser faire. Ce qui lui arrive constitue une épreuve; mais il lui reste encore à définir sa valeur dans la façon dont il réagit à cette épreuve. Il peut, dans l'adversité choisir la voie la plus haute (...) Et si rien ne reste à espérer, il y a encore une haute dignité à se retrancher soi-même du monde. C'est ce que font bien des héroïnes silencieuses, qui partent se tuer sans un mot de plainte – comme Déjanire, comme Jocaste, comme Eurydice3. (...) Et, d'une certaine façon, c'est ce que fait Oedipe, en se crevant les yeux.
Les héros
Il n'est pas de théâtre où l'on trouve autant d'innocents écrasés et détruits. Il n'est pas de théâtre où s'expriment autant de souffrances, physiques ou morales. Et pourtant c'est un théâtre qui fait aimer l'homme et aimer la vie.
On y admire l'homme en la personne des héros qui poussent si loin le courage; on y aime la vie où chacun s'efforce d'agir pour le mieux.4
Construite autour d'un acte à accomplir, la tragédie implique une affirmation de l'homme. (...) Car on lutte, dans la tragédie. On tente de bien faire. Et tout ce que l'on fait, en bien ou en mal, se révèle particulièrement lourd de conséquences. (...)
En outre, dans la mesure même où l'homme se heurte à des obstacles auxquels il ne peut rien, il s'en trouve lui-même comme grandi et innocenté. (...) Et si l'on a volontiers parlé de fatalité, à propos de la tragédie, c'est en partie parce que les malheurs rapportés dans les pièces semblent résulter beaucoup plus de la condition humaine que de la noirceur même de ceux qui en sont les victimes ou les agents. Qu'ils subissent un sort voulu par les dieux, qu'ils paient la faute de leurs pères, ou qu'ils paient leur propre imprudence, il y a toujours en eux une part d'innocence. Et même lorsqu'ils sont présentés comme coupables, même lorsque leurs passions les entraînent, ils ne le sont que parce que l'erreur est le lot de l'homme, ou parce qu'ils répondent à des souffrances qui sont également le lot de l'homme. (...)
Même lorsqu'un homme est abattu par la volonté d'un dieu, s'il appartient à la tragédie, il a une certaine façon d'être abattu qui garde de la grandeur; car il préserve une part d'honneur la plus haute possible.
Annexes
Antigone – Sophocle
CHANT DU CHOEUR
Beaucoup de choses sont admirables, mais rien n'est plus admirable que l'homme. Il est porté par le Notos5 orageux à travers la sombre mer, au milieu de flots qui grondent autour de lui ; il dompte, d'année en année, sous les socs tranchants, la plus puissante des Déesses, Gaia6, immortelle et infatigable, et il la retourne à l'aide du cheval.
L'homme, plein d'adresse, enveloppe, dans ses filets faits de cordes, la race des légers oiseaux et les bêtes sauvages et la génération marine de la mer ; et il asservit par ses ruses la bête farouche des montagnes ; et il met sous le joug le cheval chevelu et l'infatigable taureau montagnard, et il les contraint de courber le cou.
Il s'est donné la parole et la pensée rapide et les lois des cités, et il a mis ses demeures à l'abri des gelées et des pluies fâcheuses. Ingénieux en tout, il ne manque jamais de prévoyance en ce qui concerne l'avenir. Il n'y a que le Hadès auquel il ne puisse échapper, mais il a trouvé des remèdes aux maladies dangereuses.
Plus intelligent en inventions diverses qu'on ne peut l'espérer, il fait tantôt le bien, tantôt le mal, violant les lois de la patrie et le droit sacré des Dieux. (...)
Oedipe à Colone – Sophocle
LE CHOEUR.
Étranger, tu es dans une contrée célèbre par ses coursiers, dans le plus beau séjour de ce pays, tu es sur le sol du blanc Colone. Ici de nombreux rossignols font entendre leurs plaintes mélodieuses dans des vallons toujours verts, sous l'ombrage du lierre noirâtre, et dans ces bois sacrés, inaccessibles, impénétrables au jour, où les arbres chargés de fruits sont respectés des orages, et où, dans ses joyeux transports, Bacchus aime à errer au milieu du cortège de ses divines nourrices.
Chaque jour la rosée du ciel y fait fleurir le narcisse aux belles grappes, et le safran doré, couronne antique des deux grandes déesses. La source du Céphise y verse à flots pressés une onde qui ne dort jamais; et sans cesse son eau limpide court à travers la plaine et féconde au loin les campagnes. Ni les choeurs des Muses, ni Vénus aux rênes d'or ne dédaignent ces lieux.
Là croit un arbre que n'a jamais produit l'Asie, ni la grande île de Pélops, habitée par les Doriens, un arbre qui vient de lui-même, sans culture, l'effroi des lances ennemies et qui fleurit à une très grande hauteur dans ce pays; l'olivier à la feuille bleuâtre qui ombrage le berceau de l'enfance, élève dans cette contrée ses rameaux vigoureux.
Les chefs ennemis, jeunes ou vieux, ne pourront jamais l'arracher ni le détruire; Zeus Morios et Athéna aux yeux bons veillent sans cesse sur leur arbre chéri.
Il reste encore à dire un des plus beaux titres de gloire de cette auguste cité, don précieux d'un dieu puissant, l'art d'élever, de conduire les coursiers, et celui de voguer sur les mers. Fils de Saturne, souverain Poséidon, c'est toi qui l'as élevée à ce degré de gloire; c'est grâce à toi qu'Athènes a connu la première le frein qui dompte les coursiers, et que le vaisseau poussé par la rame que gouverne une main habile vogue sur les flots avec rapidité, émule des Néréides aux pieds agiles.
Jacqueline de Romilly - La tragédie grecque
Conditions de représentation
On n'allait pas au théâtre, chez les Grecs, comme on peut y aller de nos jours – en choisissant son jour et son spectacle, et en assistant à une représentation répétée chaque jour tout au long de l'année. Il y avait deux fêtes annuelles où se donnaient des tragédies. Chaque fête comportait un concours, qui durait trois jours; et, chaque jour, un auteur, sélectionné longtemps à l'avance, faisait représenter, à la suite, trois tragédies. La représentation était prévue et organisée par les soins de l'Etat, puisque c'était un haut magistrat de la cité qui devait choisir les poètes et choisir, également, les citoyens riches chargés de pourvoir à tous les frais. Enfin, le jour de la représentation, tout le peuple était invité à venir au spectacle: dès l'époque de Périclès, les citoyens pauvres pouvaient même toucher, à cet effet, une petite allocation.
Par suite, ce spectacle revêtait le caractère d'une manifestation nationale. Et le fait explique à coup sûr certains traits dans l'inspiration même des auteurs de tragédies. Ceux-ci s'adressaient toujours à un très large public, réuni pour une occasion solennelle: il est normal qu'ils aient cherché à l'atteindre et à l'intéresser. Ils écrivaient donc en citoyens s'adressant à des citoyens. (...)
Entrée dans la vie athénienne par l'effet d'une décision officielle, s'insérant dans toute une politique d'expansion populaire, la tragédie apparaît liée, dès ses débuts, à l'activité civique. Et ce lien ne pouvait que se resserrer lorsque ce peuple, ainsi réuni au théâtre, fut devenu l'arbitre de ses propres destinées. Il explique que le genre tragique soit lié à l'épanouissement politique. Et il explique la place qu'occupent, dans les tragédies grecques, les problèmes nationaux de la guerre et de la paix, de la justice et du civisme. Par l'importance qu'ils leur accordent, les grands poètes se situent bien, ici encore, dans le prolongement de l'impulsion première.
La vision de l'homme et du monde: les oracles.
Imprécis, obscurs, souvent trompeurs, les oracles laissent donc place à l'espérance et à l'erreur. Et on peut même dire plus ; car ils semblent si bien calculés pour tromper, qu'ils suggèrent avec force que la divinité a pris plaisir à se jouer de l'homme.(...)
Ce jeu de l'homme et des dieux, jalonné d'oracles propres à semer l'erreur, est, on le sait, l'idée maîtresse d'Oedipe-Roi. Mais il serait faux de penser qu'elle n'apparaît que là. En fait toute la dramaturgie de Sophocle repose sur l'idée que l'homme est le jouet de ce qu'on pourrait appeler l'ironie du sort. (...)
Très souvent, l'homme se précipite vers sa perte par l'effort même qu'il fait pour y échapper: Déjanire cause ainsi la mort de celui qui lui est cher par la drogue qui aurait dû, selon elle, le lui attacher pour toujours.1 Et même lorsque les choses ne vont pas jusque-là, il y a, sans nul doute, une ironie du sort dans le fait qu'un homme s'imagine pouvoir triompher au moment précis où sa perte va être consommée. Du point de vue dramatique, le contraste avive la surprise: du point de vue de la pensée, il fait ressortir de façon tragique, l'aveuglement et l'ignorance de ceux qui sont ainsi trompés. (...)
Le destin
A vrai dire, on peut remarquer que, dans Oedipe-Roi, on ne s'interroge jamais sur la raison de ce qui arrive à Oedipe et devait lui arriver. Sophocle ne cherche nullement à expliquer la sévérité du sort fait à Oedipe en remontant à une faute originelle qu'aurait commise Laïos2: cette idée n'a ici aucune place. Il ne cherche pas non plus à l'expliquer par une faute qu'aurait commise Oedipe lui-même; et c'est en vain que les commentateurs se sont efforcés de chercher au héros quelque défaut qui expliquerait tout. Il n'y a rien à expliquer, aux yeux de Sophocle: il n'y a pas d'explication, mais pas non plus de question. Les choses sont ainsi, tout simplement.
De fait, quand ils parlent de destin, les Grecs désignaient surtout la réalité, dans la mesure où elle échappe à l'homme. (...) Sophocle se contente de montrer l'impuissance de l'homme, qui ne peut l'influencer à son gré. Et en disant qu'elle est déterminée à l'avance, il ne fait que traduire l'expérience de cette impuissance en termes plus forts. De fait, tous les commentaires faits au cours de la pièce sur le sort d'Oedipe consistent à y voir une illustration éclatante de l'instabilité pesant sur les hommes en général. (...)
Ainsi s'explique que la souveraineté du destin puisse ne s'accompagner d'aucune révolte. Au contraire, la connaissance de la faiblesse de l'homme laisse place, chez Sophocle, à une double confiance, dans l'homme et dans les dieux.
Le destin n'étant pas une condamnation délibérée, l'homme n'en tire pas l'idée qu'il n'a qu'à laisser faire. Ce qui lui arrive constitue une épreuve; mais il lui reste encore à définir sa valeur dans la façon dont il réagit à cette épreuve. Il peut, dans l'adversité choisir la voie la plus haute (...) Et si rien ne reste à espérer, il y a encore une haute dignité à se retrancher soi-même du monde. C'est ce que font bien des héroïnes silencieuses, qui partent se tuer sans un mot de plainte – comme Déjanire, comme Jocaste, comme Eurydice3. (...) Et, d'une certaine façon, c'est ce que fait Oedipe, en se crevant les yeux.
Les héros
Il n'est pas de théâtre où l'on trouve autant d'innocents écrasés et détruits. Il n'est pas de théâtre où s'expriment autant de souffrances, physiques ou morales. Et pourtant c'est un théâtre qui fait aimer l'homme et aimer la vie.
On y admire l'homme en la personne des héros qui poussent si loin le courage; on y aime la vie où chacun s'efforce d'agir pour le mieux.4
Construite autour d'un acte à accomplir, la tragédie implique une affirmation de l'homme. (...) Car on lutte, dans la tragédie. On tente de bien faire. Et tout ce que l'on fait, en bien ou en mal, se révèle particulièrement lourd de conséquences. (...)
En outre, dans la mesure même où l'homme se heurte à des obstacles auxquels il ne peut rien, il s'en trouve lui-même comme grandi et innocenté. (...) Et si l'on a volontiers parlé de fatalité, à propos de la tragédie, c'est en partie parce que les malheurs rapportés dans les pièces semblent résulter beaucoup plus de la condition humaine que de la noirceur même de ceux qui en sont les victimes ou les agents. Qu'ils subissent un sort voulu par les dieux, qu'ils paient la faute de leurs pères, ou qu'ils paient leur propre imprudence, il y a toujours en eux une part d'innocence. Et même lorsqu'ils sont présentés comme coupables, même lorsque leurs passions les entraînent, ils ne le sont que parce que l'erreur est le lot de l'homme, ou parce qu'ils répondent à des souffrances qui sont également le lot de l'homme. (...)
Même lorsqu'un homme est abattu par la volonté d'un dieu, s'il appartient à la tragédie, il a une certaine façon d'être abattu qui garde de la grandeur; car il préserve une part d'honneur la plus haute possible.
Annexes
Antigone – Sophocle
CHANT DU CHOEUR
Beaucoup de choses sont admirables, mais rien n'est plus admirable que l'homme. Il est porté par le Notos5 orageux à travers la sombre mer, au milieu de flots qui grondent autour de lui ; il dompte, d'année en année, sous les socs tranchants, la plus puissante des Déesses, Gaia6, immortelle et infatigable, et il la retourne à l'aide du cheval.
L'homme, plein d'adresse, enveloppe, dans ses filets faits de cordes, la race des légers oiseaux et les bêtes sauvages et la génération marine de la mer ; et il asservit par ses ruses la bête farouche des montagnes ; et il met sous le joug le cheval chevelu et l'infatigable taureau montagnard, et il les contraint de courber le cou.
Il s'est donné la parole et la pensée rapide et les lois des cités, et il a mis ses demeures à l'abri des gelées et des pluies fâcheuses. Ingénieux en tout, il ne manque jamais de prévoyance en ce qui concerne l'avenir. Il n'y a que le Hadès auquel il ne puisse échapper, mais il a trouvé des remèdes aux maladies dangereuses.
Plus intelligent en inventions diverses qu'on ne peut l'espérer, il fait tantôt le bien, tantôt le mal, violant les lois de la patrie et le droit sacré des Dieux. (...)
Oedipe à Colone – Sophocle
LE CHOEUR.
Étranger, tu es dans une contrée célèbre par ses coursiers, dans le plus beau séjour de ce pays, tu es sur le sol du blanc Colone. Ici de nombreux rossignols font entendre leurs plaintes mélodieuses dans des vallons toujours verts, sous l'ombrage du lierre noirâtre, et dans ces bois sacrés, inaccessibles, impénétrables au jour, où les arbres chargés de fruits sont respectés des orages, et où, dans ses joyeux transports, Bacchus aime à errer au milieu du cortège de ses divines nourrices.
Chaque jour la rosée du ciel y fait fleurir le narcisse aux belles grappes, et le safran doré, couronne antique des deux grandes déesses. La source du Céphise y verse à flots pressés une onde qui ne dort jamais; et sans cesse son eau limpide court à travers la plaine et féconde au loin les campagnes. Ni les choeurs des Muses, ni Vénus aux rênes d'or ne dédaignent ces lieux.
Là croit un arbre que n'a jamais produit l'Asie, ni la grande île de Pélops, habitée par les Doriens, un arbre qui vient de lui-même, sans culture, l'effroi des lances ennemies et qui fleurit à une très grande hauteur dans ce pays; l'olivier à la feuille bleuâtre qui ombrage le berceau de l'enfance, élève dans cette contrée ses rameaux vigoureux.
Les chefs ennemis, jeunes ou vieux, ne pourront jamais l'arracher ni le détruire; Zeus Morios et Athéna aux yeux bons veillent sans cesse sur leur arbre chéri.
Il reste encore à dire un des plus beaux titres de gloire de cette auguste cité, don précieux d'un dieu puissant, l'art d'élever, de conduire les coursiers, et celui de voguer sur les mers. Fils de Saturne, souverain Poséidon, c'est toi qui l'as élevée à ce degré de gloire; c'est grâce à toi qu'Athènes a connu la première le frein qui dompte les coursiers, et que le vaisseau poussé par la rame que gouverne une main habile vogue sur les flots avec rapidité, émule des Néréides aux pieds agiles.
- Invité13Habitué du forum
J'ai aussi un texte de Lacarrière que j'aime beaucoup. Je vous mets un extrait, si vous voulez je l'ai en entier.
Introduction aux œuvres complètes de Sophocle – Jacques Lacarrière
Edition Philippe Lebaud
Ce texte présente l’œuvre de Sophocle, écrivain grec du Vè siècle avant J.-C.
Certains mythes, qui inspirèrent des pièces aujourd'hui perdues, atteignaient un niveau d'horreur et d'épouvante difficilement supportable. Je n'en citerai qu'un seul exemple : celui d'Atrée et de Thyeste. L'histoire des Atrides qui régnèrent sur Mycènes débuta par un infanticide atroce. Atrée, fondateur de la dynastie, vouait à son frère Thyeste une haine irréductible : thème qu'on retrouve dans beaucoup de mythes grecs, comme celui des Labdacides dans les Sept contre Thèbes d'Eschyle et Oedipe à Colone de Sophocle, avec l'affrontement des deux fils d'Oedipe, Etéocle et Polynice. Atrée servit donc un jour à son frère, au cours d'un banquet mémorable, les chairs de ses enfants. Quand Thyeste se fut régalé, Atrée fit apporter un plat recouvert d'un linge et dit à son frère de regarder ce qu'il cachait. Thyeste souleva le linge et découvrit les têtes et les bras de ses trois enfants. Vision si horrible que le Soleil lui-même vacilla dans le ciel et recula sur son orbite. Tels étaient les mythes dont s'inspirèrent les Tragiques; histoires si chargées d'horreur et d'épouvante que les astres eux-mêmes frissonnaient dans le ciel.
(…)
Mais à partir de ces données sinistres, la tragédie opère un choix, une analyse, une interprétation, je dirai une décantation. Son but n'est pas uniquement de montrer cet enchaînement de massacres et d'horreurs, de reprendre ce long chemin de sang qui jalonne l'histoire humaine, mais avant tout de les comprendre et de les conjurer. Elle propose une méditation, une réflexion, une sagesse. Elle met à nu les mécanismes de la terreur pour la muer en pitié, dévoile les ténèbres de l'inconscient pour découvrir les lumières de la conscience, dévêt l'homme de ses illusions pour mieux le vêtir de raison et de lucidité. En montrant dans ses œuvres et par l'exemple des mythes les tendances profondes du cœur humain, Sophocle se livre à cette catharsis, à cette épuration de l'âme dont parle Aristote et qui fait jaillir la lumière des ténèbres.
Donc, au fond le problème est simple. Le poète tragique opère à la façon d'un chirurgien de l'âme : il circonscrit, réduit, extirpe ce cancer inhérent à l'homme, que les mythes se contentent de révéler. Et ses instruments de ''travail'', ces scalpels avec lesquels le poète purifie l'inconscient humain, sont ceux de la terreur et de la pitié. Révéler la terreur pour la muer en pitié, c'est-à-dire en conscience.
Introduction aux œuvres complètes de Sophocle – Jacques Lacarrière
Edition Philippe Lebaud
Ce texte présente l’œuvre de Sophocle, écrivain grec du Vè siècle avant J.-C.
Certains mythes, qui inspirèrent des pièces aujourd'hui perdues, atteignaient un niveau d'horreur et d'épouvante difficilement supportable. Je n'en citerai qu'un seul exemple : celui d'Atrée et de Thyeste. L'histoire des Atrides qui régnèrent sur Mycènes débuta par un infanticide atroce. Atrée, fondateur de la dynastie, vouait à son frère Thyeste une haine irréductible : thème qu'on retrouve dans beaucoup de mythes grecs, comme celui des Labdacides dans les Sept contre Thèbes d'Eschyle et Oedipe à Colone de Sophocle, avec l'affrontement des deux fils d'Oedipe, Etéocle et Polynice. Atrée servit donc un jour à son frère, au cours d'un banquet mémorable, les chairs de ses enfants. Quand Thyeste se fut régalé, Atrée fit apporter un plat recouvert d'un linge et dit à son frère de regarder ce qu'il cachait. Thyeste souleva le linge et découvrit les têtes et les bras de ses trois enfants. Vision si horrible que le Soleil lui-même vacilla dans le ciel et recula sur son orbite. Tels étaient les mythes dont s'inspirèrent les Tragiques; histoires si chargées d'horreur et d'épouvante que les astres eux-mêmes frissonnaient dans le ciel.
(…)
Mais à partir de ces données sinistres, la tragédie opère un choix, une analyse, une interprétation, je dirai une décantation. Son but n'est pas uniquement de montrer cet enchaînement de massacres et d'horreurs, de reprendre ce long chemin de sang qui jalonne l'histoire humaine, mais avant tout de les comprendre et de les conjurer. Elle propose une méditation, une réflexion, une sagesse. Elle met à nu les mécanismes de la terreur pour la muer en pitié, dévoile les ténèbres de l'inconscient pour découvrir les lumières de la conscience, dévêt l'homme de ses illusions pour mieux le vêtir de raison et de lucidité. En montrant dans ses œuvres et par l'exemple des mythes les tendances profondes du cœur humain, Sophocle se livre à cette catharsis, à cette épuration de l'âme dont parle Aristote et qui fait jaillir la lumière des ténèbres.
Donc, au fond le problème est simple. Le poète tragique opère à la façon d'un chirurgien de l'âme : il circonscrit, réduit, extirpe ce cancer inhérent à l'homme, que les mythes se contentent de révéler. Et ses instruments de ''travail'', ces scalpels avec lesquels le poète purifie l'inconscient humain, sont ceux de la terreur et de la pitié. Révéler la terreur pour la muer en pitié, c'est-à-dire en conscience.
- LNSAGNiveau 10
Merci iphigénie !
Sel ?
Sel ?
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« Ce que j'appelle culture, c'est ce fonds de savoirs plus anciens que nous qui sont notre plus grand secours contre les usines à rêve du monde actuel. » A. Malraux
- LNSAGNiveau 10
Briséis, pourrais-tu m'envoyer le texte complet par mail ?
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- IphigénieProphète
"Sauvegarde des ens littéraires":c'est un site devenu "archéologique "...mais qui contient quelques textes de conférences intéressantes!LNSAG a écrit:Merci iphigénie !
Sel ?
- IphigénieProphète
sur la tragédie il y a aussi l'ouvrage de Steiner:La mort de la tragédie qui est d'une intelligence lumineuse.
- LNSAGNiveau 10
Merci !
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« Ce que j'appelle culture, c'est ce fonds de savoirs plus anciens que nous qui sont notre plus grand secours contre les usines à rêve du monde actuel. » A. Malraux
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