- CarabasVénérable
Bonjour, j'ai un gros doute.
Pour vous, est-ce faux de dire que la personnification du loup dans ce poème contribue à sa glorification?
C'est comme ça que je le comprends, mais quelqu'un me fait douter...
Pour vous, est-ce faux de dire que la personnification du loup dans ce poème contribue à sa glorification?
C'est comme ça que je le comprends, mais quelqu'un me fait douter...
_________________
Les chances uniques sur un million se réalisent neuf fois sur dix.
Terry Pratchett
- CarabasVénérable
Bon, bon, bon, je vois que ça inspire tout le monde.
Je remets le texte :
Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon,
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,
Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. -- Ni le bois, ni la plaine
Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement
La girouette en deuil criait au firmament ;
Car le vent élevé bien au dessus des terres,
N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,
Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête
A regardé le sable en s'y couchant ; Bientôt,
Lui que jamais ici on ne vit en défaut,
A déclaré tout bas que ces marques récentes
Annonçait la démarche et les griffes puissantes
De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.
Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
Nous allions pas à pas en écartant les branches.
Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au delà quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était semblable et semblable la danse ;
Mais les enfants du loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,
Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.
Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa louve reposait comme celle de marbre
Qu'adorait les romains, et dont les flancs velus
Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.
II
J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.
Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux !
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur !
Il disait : " Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. "
En fait, un de mes élèves avait à faire un commentaire sur la 1ere partie de ce texte et son prof lui reproche d'avoir fait un contresens. Pour lui, la figure du loup n'est pas glorifiée. Donc j'avoue ne pas comprendre...
Pour lui, il fallait surtout voir l'allégorie de la destinée humaine dans le destin tragique du loup. Or, je trouve ça tiré par les cheveux et pour moi, la glorification du loup par la personnification, la figure de la louve allaitant Romulus et Rémus, le vocabulaire du courage et de la dignité + tragique + un soupçon de pathétique participent bien de la mise en valeur du loup.
Ou alors je n'ai rien compris.
Et dans ce cas, j'attends vos lumières...
Je remets le texte :
Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon,
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,
Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. -- Ni le bois, ni la plaine
Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement
La girouette en deuil criait au firmament ;
Car le vent élevé bien au dessus des terres,
N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,
Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête
A regardé le sable en s'y couchant ; Bientôt,
Lui que jamais ici on ne vit en défaut,
A déclaré tout bas que ces marques récentes
Annonçait la démarche et les griffes puissantes
De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.
Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
Nous allions pas à pas en écartant les branches.
Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au delà quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était semblable et semblable la danse ;
Mais les enfants du loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,
Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.
Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa louve reposait comme celle de marbre
Qu'adorait les romains, et dont les flancs velus
Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.
II
J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.
Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux !
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur !
Il disait : " Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. "
En fait, un de mes élèves avait à faire un commentaire sur la 1ere partie de ce texte et son prof lui reproche d'avoir fait un contresens. Pour lui, la figure du loup n'est pas glorifiée. Donc j'avoue ne pas comprendre...
Pour lui, il fallait surtout voir l'allégorie de la destinée humaine dans le destin tragique du loup. Or, je trouve ça tiré par les cheveux et pour moi, la glorification du loup par la personnification, la figure de la louve allaitant Romulus et Rémus, le vocabulaire du courage et de la dignité + tragique + un soupçon de pathétique participent bien de la mise en valeur du loup.
Ou alors je n'ai rien compris.
Et dans ce cas, j'attends vos lumières...
_________________
Les chances uniques sur un million se réalisent neuf fois sur dix.
Terry Pratchett
- doctor whoDoyen
Du stoïcisme tragique ? A la Corneille ? Cela allierait les deux, non ?
_________________
Mon blog sur Tintin (entre autres) : http://popanalyse.over-blog.com/
Blog pédagogique : http://pedagoj.eklablog.com
- CarabasVénérable
Oui.
Mais pour le prof, la glorification du loup est clairement un contresens. C'est à ce sujet que j'aimerais votre avis : est-ce vraiment un contresens?
Mais pour le prof, la glorification du loup est clairement un contresens. C'est à ce sujet que j'aimerais votre avis : est-ce vraiment un contresens?
_________________
Les chances uniques sur un million se réalisent neuf fois sur dix.
Terry Pratchett
- VioletEmpereur
Pour moi, le loup symbolise des valeurs :
- la noblesse et la grandeur
- la force et le sens de la lutte
- l’abnégation stoïcienne
C’est une conception du poète romantique qui se dégage ici :
- Celui-ci est un homme en marge de la société. Sa grandeur est aussi un poids à traîner.
- Le loup est à la fois une victime (des chasseurs), mais aussi un modèle par son abnégation stoïcienne.
Je me suis grandement inspirée d'un doc que j'avais trouvé dans la BDD mais je ne peux rendre à César ce qui lui appartient car je n'ai pas noté le pseudo...
- la noblesse et la grandeur
- la force et le sens de la lutte
- l’abnégation stoïcienne
C’est une conception du poète romantique qui se dégage ici :
- Celui-ci est un homme en marge de la société. Sa grandeur est aussi un poids à traîner.
- Le loup est à la fois une victime (des chasseurs), mais aussi un modèle par son abnégation stoïcienne.
Je me suis grandement inspirée d'un doc que j'avais trouvé dans la BDD mais je ne peux rendre à César ce qui lui appartient car je n'ai pas noté le pseudo...
- doctor whoDoyen
D'accord avec violet. Et ces valeurs sont aussi celles du héros tragique, sauf si on ne considère tragique que les héros raciniens.
Les martyres sont tragiques et glorieux.
Les martyres sont tragiques et glorieux.
_________________
Mon blog sur Tintin (entre autres) : http://popanalyse.over-blog.com/
Blog pédagogique : http://pedagoj.eklablog.com
- CarabasVénérable
Ok, merci.
Le problème, c'est que le prof ne voulait pas voir dans le loup une victime...violet a écrit:- Le loup est à la fois une victime (des chasseurs), mais aussi un modèle par son abnégation stoïcienne.
_________________
Les chances uniques sur un million se réalisent neuf fois sur dix.
Terry Pratchett
- JohnMédiateur
Il est pourtant victime des chasseurs :
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
_________________
En achetant des articles au lien ci-dessous, vous nous aidez, sans frais, à gérer le forum. Merci !
"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- CarabasVénérable
Bon, ça me rassure. Je croyais avoir fait un contresens. C'est donc le prof de mon élève qui se trompe sur ce coup-là. Et ce n'est pas mon élève qui a mal compris : j'ai lu sa copie et les commentaires du prof. Il trouve aussi que l'atmosphère au début du texte n'est pas inquiétante.
_________________
Les chances uniques sur un million se réalisent neuf fois sur dix.
Terry Pratchett
- CarabasVénérable
En fait, il trouve que c'est un combat d'égal à égal.John a écrit:Il est pourtant victime des chasseurs :
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Peut-être que les copies viraient un peu trop à la défense des animaux façon "trente millions d'amis".
Mais je suis désolée, pour moi, il y a bien une évolution : on insiste sur les "armes" des loups, les griffes, etc. mais après ils sont en situation de faiblesse...
_________________
Les chances uniques sur un million se réalisent neuf fois sur dix.
Terry Pratchett
- CelebornEsprit sacré
Un combat d'égal à égal ? "Le gibier a sa chance", hahaha... Maintenant, ce n'est pas non plus du Brigitte Bardot. Violet a très bien résumé les choses. je tiens à te remercier Carabas de m'avoir fait redécouvrir le texte de ce poème, que j'avais oublié et qui est vraiment superbe.
_________________
"On va bien lentement dans ton pays ! Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu'on peut pour rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite que ça !" (Lewis Carroll)
Mon Blog
- Cent cinquantenaire de la mort d'Alfred de Vigny - journée d'études le 23/09/2013 rue Chaptal (9e).
- Menaces de mort et agression à l'IUT de Saint-Denis : Jean-Loup Salzmann accablé par un rapport pour son inaction.
- Comment aborder l'oeuvre de Vigny
- Quel dictionnaire de la Bible ? (Vigny)
- Camping une nuit vers Théméricourt, Vigny... (95)
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum