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John
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Médiateur

Victor Hugo, Aux feuillantines : Enquête d'Anne Ubersfeld, contre-enquête de René Pommier Empty Victor Hugo, Aux feuillantines : Enquête d'Anne Ubersfeld, contre-enquête de René Pommier

par John 06/04/10, 04:02 pm
Que se passait-il aux Feuillantines ?

Extrait du site de René Pommier : http://rene.pommier.free.fr/Feuillantines.htm

"Pendant bien longtemps nous avons cru naïvement qu'aucun commentaire de texte ne pouvait être à la fois aussi puissamment comique et aussi intensément consternant que les Pensées sur le Cantique des Cantiques de sainte Thérèse d'Avila. Rien ne nous paraissait, en effet, aussi désopilant et aussi désolant en même temps que de voir cet esprit supérieur, (nous voulions en croire Simone de Beauvoir), ce docteur de l'Eglise, assisté par le Saint Esprit, buter dès le début sur le premier verset (« Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche ! »), jubiler de n'y rien comprendre (« Je ne comprends pas cela et je trouve un grand plaisir à ne le point comprendre [1] »), s'extasier longuement sur ce qui devrait l'offusquer et répéter inlassablement une formule doublement pléonastique dont la clarté n'a d'égale que la banalité, mais qui lui semble chargée d'un sens religieux si profond et si dense qu'elle se sent incapable de jamais l'entrevoir. A tel point que nous en venions parfois à nous demander, en lisant ces lignes s'il n'y avait pas effectivement lieu de chercher, derrière une sottise aussi insolite, quelque chose de surnaturel.

....Nous aurions eu grand tort. En effet, si de nous jours le souffle de l'Esprit Saint est devenu singulièrement languissant, les sciences humaines ont bien pris la relève et jamais sans doute on ne s'était autant acharné à faire dire aux textes ce qu'ils n'ont jamais dit, quand ce n'est pas le contraire de ce qu'ils disent. Mais, plutôt que de chercher un sens religieux caché dans des chants d'un amour tout profane, la mode est maintenant de découvrir à tout prix des "connotations" érotiques dans les textes les plus innocents. Le vent de divagation, s'il n'a peut-être jamais soufflé aussi fort, a bien changé de direction. Pour s'en assurer, il suffit de lire quelques-unes des stupidités suffocantes qui constituent le principal tribut de la psychanalyse aux études littéraires. C'est pourquoi, si nous avions aujourd'hui à décerner le prix de la glose la plus grotesque, de l'exégèse la plus inepte, de l'interprétation la plus extravagante dont un texte ait jamais fait l'objet, ce n'est plus à Thérèse d'Avila que nous donnerions la palme : nous la donnerions sans hésiter un seul instant à madame Annie Ubersfeld pour son article "Le livre et la plume", publié dans le numéro 6 de la revue Romantisme.

....Ce commentaire consternant est consacré au poème des Contemplations : Aux Feuillantines. On pourrait être surpris qu'une poésie aussi limpide d'un auteur aussi peu sibyllin que Victor Hugo ait pu susciter les élucubrations les plus ahurissantes. Mais, s'il est vrai que pendant longtemps les auteurs difficiles et notamment les poètes réputés obscurs, comme Mallarmé, ont été les principales victimes du délire d'interprétation, il y a déjà bien longtemps qu'il n'épargne plus personne et il semble même qu'il prenne de plus en plus volontiers pour cibles les textes les plus simples. A vrai dire cette évolution se comprend aisément : s'il était normal que le délire d'interprétation frappât d'abord les textes qui s'y prêtaient le mieux, une surenchère naturelle devait progressivement l'amener à frapper aussi, voire à frapper surtout, ceux qui s'y prêtaient le moins. Il est relativement facile de faire dire tout ce que l'on veut à un texte nébuleux qui n'a cessé de donner lieu à des interprétations divergentes. C'est en revanche particulièrement difficile lorsqu'il s'agit d'un texte absolument transparent qui n'a jamais posé à qui que ce soit le plus petit problème d'interprétation, que depuis des générations et même depuis des siècles tous les lecteurs sans exception ont compris immédiatement sans avoir à faire le plus petit effort. Mais c'est en même temps ce qu'il y a de plus tentant pour tous ceux (et ils sont de plus en plus nombreux) qu'une prodigieuse présomption et un monstrueux snobisme ont persuadés que jamais personne n'avait su lire avant eux.

....S'il est un poème qui a toujours semblé tout à fait innocent à tout le monde, s'il est un poème qui a toujours paru parfaitement transparent à tous les lecteurs, c'est bien Aux Feuillantines, poème dans lequel Victor Hugo nous raconte comment, lorsqu'ils étaient « tout enfants », ses deux frères et lui ont, un jour, interrompu leurs jeux pour lire dans une vieille Bible illustrée l'histoire de Joseph, celle de Ruth et de Booz et celle du bon Samaritain. Mais c'est précisément cette innocence et cette « plate transparence [2] » qui ont intrigué Mme Ubersfeld. Elle s'est étonnée aussi de découvrir que ce poème était « curieusement non-théologique [3] ». Bref, très vite, il lui a paru « trop neutre pour être honnête [4] ». Certes elle aurait pu se dire que cette innocence, cette transparence et ce caractère « non-théologique » s'expliquaient tout naturellement par le fait que ce poème évoquait de jeunes enfants. Mais fort heureusement, comme beaucoup d'autres, Mme Unbersfeld a appris, grâce à Roland Barthes sans doute, à ne pas se laisser enfermer dans de « fausses évidences » qui prétendent entraver l'extravagance et qui portent une insupportable atteinte à la liberté de divagation. Sa méfiance ainsi éveillée, elle n'a pas tardé à déceler dans ce poème en apparence si limpide un certain nombre de « signes biographiques », de « clins d'Sil » et à se rendre compte que tout nous invitait à considérer ce texte comme un « palimpseste » ou un « rébus » et à y lire « un message occulté » et « une autre histoire du moi [5] ».

....A ceux qui s'étonneraient de cette « occultation » et qui en demanderaient les raisons, Victor Hugo n'ayant guère l'habitude de s'exprimer d'une manière énigmatique, Mme Ubersfeld répond sans la moindre hésitation : « Bien évidemment cette occultation est le produit d'une censure [6] ». Elle avoue, en revanche, ne pas pouvoir déterminer si cette censure est « celle qu'imposent les conditions idéologiques du XIX° siècle et/ou celle qui ferme la porte aux pulsions du moi [7] ». Qu'importe ? on ne saurait douter qu'il y ait censure puisque aussi bien « la thématique de la censure, de la critique pudibonde, envahit les textes des Contemplations qui renvoient à la poétique [8] ». Et Mme Ubersfeld d'évoquer la Réponse à un acte d'accusation, A propos d'Horace et de faire remarquer que « tout le poème Quelques mots à un autre (I, 26) est construit sur l'assimilation de la liberté littéraire et de la liberté sexuelle, dans la même attaque rhétorique contre une "censure" ambivalente [9] ». Mais si Mme Ubersfeld a été intriguée par le « fonctionnement du texte » de Victor Hugo, quant à nous, ce qui nous intrigue, ce qui nous inquiète, pour le fonctionnement de la tête de Mme Ubersfeld, c'est que, pour prouver que ce poème est « le produit d'une censure », elle aille citer, et avec insistance, les textes même dans lesquels Victor Hugo a condamné la censure avec l'éloquence la plus véhémente. Bien entendu il peut arriver que l'on pratique soi-même, surtout si c'est inconsciemment, ce que l'on condamne chez les autres avec la plus grande énergie. Le fait que Victor Hugo ait condamné la censure ne serait donc pas une raison suffisante pour écarter a priori l'hypothèse de Mme Ubersfeld. Mais c'est encore beaucoup moins une raison pour l'adopter, à moins d'avoir recours à une logique tout à fait insolite."

La suite sur : http://rene.pommier.free.fr/Feuillantines.htm

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Victor Hugo, Aux feuillantines : Enquête d'Anne Ubersfeld, contre-enquête de René Pommier Empty Re: Victor Hugo, Aux feuillantines : Enquête d'Anne Ubersfeld, contre-enquête de René Pommier

par Thalie 06/04/10, 06:03 pm
Je connais, j'adore ! Very Happy où comment tailler un short à la célèbre Anne Ubersfeld !

(au fait, j'ai ses trois "géniaux" bouquins Lire le théâtre I,II, III si certains sont intéressés, je peux m'en séparer avec douleur mais je peux)
Clarianz
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Victor Hugo, Aux feuillantines : Enquête d'Anne Ubersfeld, contre-enquête de René Pommier Empty Re: Victor Hugo, Aux feuillantines : Enquête d'Anne Ubersfeld, contre-enquête de René Pommier

par Clarianz 09/04/10, 12:40 pm
c'était une lecture bien agréable! Merci!

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