- SicretteNiveau 10
Bonjour
je veux faire avec ma première STG une séquence argumentative sur la condition féminine comme objet de lutte, sur la libération des femmes et les combats pour y parvenir.
Je pensais travailler sur :
- Molière un extrait des femmes savantes
- Voltaire "Femmes soyez soumises" mais je n'arrive pas à retrouver le texte // Rousseau il me semble qu'il y a un texte qui répond plus ou moins à celui de Voltaire. Si vous pouviez m'éclairer
- un extrait du deuxième sexe de Beauvoir
Il me manque un texte: j'avais pensé à Yourcenar, éventuellement un texte où elle remet en cause le féminisme. Mais je ne suis pas très convaincue si vous avez des idées...
J'ai donné en lecture complémentaire la joueuse d'échecs de Bertina Henrichs
Par contre je manque d'idées pour les documents complémentaires et pour un DM type bac. J'aurais également souhaité travailler sur des extraits de films mais je manque d'inspirations. L'idéal aurait été des extraits de La joueuse d'échecs mais il n'est pas encore sorti en DVD.
Voilà je suis preneuse de toutes vos idées. Merci
je veux faire avec ma première STG une séquence argumentative sur la condition féminine comme objet de lutte, sur la libération des femmes et les combats pour y parvenir.
Je pensais travailler sur :
- Molière un extrait des femmes savantes
- Voltaire "Femmes soyez soumises" mais je n'arrive pas à retrouver le texte // Rousseau il me semble qu'il y a un texte qui répond plus ou moins à celui de Voltaire. Si vous pouviez m'éclairer
- un extrait du deuxième sexe de Beauvoir
Il me manque un texte: j'avais pensé à Yourcenar, éventuellement un texte où elle remet en cause le féminisme. Mais je ne suis pas très convaincue si vous avez des idées...
J'ai donné en lecture complémentaire la joueuse d'échecs de Bertina Henrichs
Par contre je manque d'idées pour les documents complémentaires et pour un DM type bac. J'aurais également souhaité travailler sur des extraits de films mais je manque d'inspirations. L'idéal aurait été des extraits de La joueuse d'échecs mais il n'est pas encore sorti en DVD.
Voilà je suis preneuse de toutes vos idées. Merci
- AbraxasDoyen
Lettre 81 des Liaisons !
http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre2245.html#page_244
http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre2245.html#page_244
- SicretteNiveau 10
Merci Abraxas. Je poursuis mes recherches et je voulais travailler sur la lettre 34 des Lettres d'une péruvienne de Françoise de Gaffigny. Mais je ne parviens pas à trouver le texte sur le net. Si quelqu'un l'a je suis preneuse.
En documents complémentaires je pensais travailler sur un GT autour des premières féministes et un autre GT sur le contrepoint du sujet avec Rousseau, les yeux ouverts de Yourcenar qui critique un certain féminisme mais je n'ai que ces deux textes en tête...
En documents complémentaires je pensais travailler sur un GT autour des premières féministes et un autre GT sur le contrepoint du sujet avec Rousseau, les yeux ouverts de Yourcenar qui critique un certain féminisme mais je n'ai que ces deux textes en tête...
- CelebornEsprit sacré
J'avais monté une séquence sur la place de la femme dans la société en seconde. Dans les textes que j'ai utilisés, je conseille le préambule de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d'Olympe de Gouges ("Homme, es-tu capable d'être juste ? C'est une femme qui t'en fais la question..."). Mes élèves avaient beaucoup aimé l'histoire de la soeur de Shakespeare dans Une Chambre à soi de Woolf (qui attribue à Shakespeare une sœur aussi géniale que lui et imagine son destin, pas aussi génial, pour le coup).
Pour le film, j'étudiais un extrait du Déclin de l'empire américain, grande discussion entre amis enseignants en université, passage où l'une des nanas réplique à l'un de ses potes qui se moque de toutes ces femmes qui vont à des cours du soir que c'est pour elles un moyen de s'en sortir. Elle explique qu'à cause de sa maternité et de sa vie de "vraie femme", elle n'est pas protégée comme les mecs et n'a pas le même salaire. Ça flashe-back ensuite sur l'un des cours du soir qu'elle donne (devant quasi uniquement des femmes) sur les témoignages historiques plus nombreux sur les vainqueurs que sur les vaincus, et donc plus nombreux sur les hommes que sur les femmes. Bon, ça a l'air un peu compliqué comme ça, mais à voir, c'est très bien !
edit : pour les contrepoints, on peut farfouiller dans Les Jeunes Filles de Montherlant, chef-d'œuvre de misogynie. J'aime beaucoup également un extrait d'Hygiène de l'assassin de Nothomb (oui, je sais... ^^) dans lequel l'écrivain explique que "la femme est inférieure à l'homme, ça coule de source : il suffit de voir combien elle est laide"
Pour le film, j'étudiais un extrait du Déclin de l'empire américain, grande discussion entre amis enseignants en université, passage où l'une des nanas réplique à l'un de ses potes qui se moque de toutes ces femmes qui vont à des cours du soir que c'est pour elles un moyen de s'en sortir. Elle explique qu'à cause de sa maternité et de sa vie de "vraie femme", elle n'est pas protégée comme les mecs et n'a pas le même salaire. Ça flashe-back ensuite sur l'un des cours du soir qu'elle donne (devant quasi uniquement des femmes) sur les témoignages historiques plus nombreux sur les vainqueurs que sur les vaincus, et donc plus nombreux sur les hommes que sur les femmes. Bon, ça a l'air un peu compliqué comme ça, mais à voir, c'est très bien !
edit : pour les contrepoints, on peut farfouiller dans Les Jeunes Filles de Montherlant, chef-d'œuvre de misogynie. J'aime beaucoup également un extrait d'Hygiène de l'assassin de Nothomb (oui, je sais... ^^) dans lequel l'écrivain explique que "la femme est inférieure à l'homme, ça coule de source : il suffit de voir combien elle est laide"
_________________
"On va bien lentement dans ton pays ! Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu'on peut pour rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite que ça !" (Lewis Carroll)
Mon Blog
- AbraxasDoyen
Le Grief des dames, Marie de Gournay. Indispensable.
http://fr.wikisource.org/wiki/Grief_des_dames
http://fr.wikisource.org/wiki/Grief_des_dames
- henrietteMédiateur
Il y a un discours remarquable de Jules Ferry pour obtenir l'égalité pour les femmes devant l'éducation. Il est un peu long pour que je le copie-colle ici, mais si ça t'intéresse je peux te l'envoyer.
- ysabelDevin
Quelques propositions :
Dans ce roman pédagogique, Rousseau expose ses théories sur l’éducation : large part donnée à la spontanéité des comportements, importance de la découverte de la nature, développement des valeurs du cœur et de la culture, pour préparer l’homme à sa vie de citoyen. La femme, elle, nécessite bien moins de soins.
La femme est faite spécialement pour plaire à l’homme. Si l’homme doit lui plaire à son tour, c’est d’une nécessité moins directe : son mérite est dans sa puissance ; il plaît par cela seul qu’il est fort. Ce n’est pas ici la loi de l’amour, j’en conviens ; mais c’est celle de la nature, antérieure à l’amour même. […]
Cultiver dans les femmes les qualités de l’homme, et négliger celles qui leur sont propres, c’est donc visiblement travailler à leur préjudice. Les rusées le voient trop bien pour en être les dupes ; en tâchant d’usurper nos avantages, elles n’abandonnent pas les leurs ; mais il arrive de là que, ne pouvant bien ménager les uns et les autres parce qu’ils sont incompatibles, elles restent au-dessous de leur portée sans se mettre à la nôtre, et perdent la moitié de leur prix. Croyez-moi, mère judicieuse, ne faites point de votre fille un honnête homme, comme pour donner un démenti à la nature ; faites-en une honnête femme, et soyez sûre qu’elle en vaudra mieux pour elle et pour nous. […]
L’inconstance des goûts leur est aussi funeste que leur excès, et l’un et l’autre leur vient de la même source. Ne leur ôtez pas la gaieté, les ris, le bruit, les folâtres jeux ; mais empêchez qu’elles ne se rassasient de l’un pour courir à l’autre ; ne souffrez pas qu’un seul instant dans leur vie elles ne connaissent plus de frein. Accoutumez-les à se voir interrompre au milieu de leurs jeux, et ramener à d’autres soins sans murmurer. La seule habitude suffit encore en ceci, parce qu’elle ne fait que seconder la nature.
Il résulte de cette contrainte habituelle une docilité dont les femmes ont besoin toute leur vie, puisqu’elles ne cessent jamais d’être assujetties ou à un homme, ou aux jugements des hommes, et qu’il ne leur est jamais permis de se mettre au-dessus de ces jugements. La première et la plus importante qualité d’une femme est la douceur : faite pour obéir à un être aussi imparfait que l’homme, souvent si plein de vices, et toujours si plein de défauts, elle doit apprendre de bonne heure à souffrir même l’injustice et à supporter les torts d’un mari sans se plaindre ; ce n’est pas pour lui, c’est pour elle qu’elle doit être douce. L’aigreur et l’opiniâtreté des femmes ne font jamais qu’augmenter leurs maux et les mauvais procédés des maris ; ils sentent que ce n’est pas avec ces armes-là qu’elles doivent les vaincre. Le ciel ne les fit point insinuantes et persuasives pour devenir acariâtres ; il ne les fit point faibles pour être impérieuses ; il ne leur donna point une voix si douce pour dire des injures ; il ne leur fit point des traits si délicats pour les défigurer par la colère. Quand elles se fâchent, elles s’oublient : elles ont souvent raison de se plaindre, mais elles ont toujours tort de gronder. Chacun doit garder le ton de son sexe ; un mari trop doux peut rendre une femme impertinente ; mais, à moins qu’un homme ne soit un monstre, la douceur d’une femme le ramène, et triomphe de lui tôt ou tard.
Le dramaturge norvégien Henrik Ibsen a placé au centre de son œuvre la femme et son combat pour sa liberté et son émancipation.
NORA : Nous voici là, l’un en face de l’autre. N’es-tu pas frappé d’une chose ?
HELMER : Que veux-tu dire ?
N : Voilà huit ans que nous sommes mariés. Réfléchis un peu : n’est-ce pas la première fois que nous deux, tels que nous sommes, mari et femme, nous causons sérieusement ensemble ?
H : Sérieusement, oui… qu’est-ce que cela veut-dire ?
N : Huit années ont passé… et même plus en comptant depuis notre première rencontre, et nous n’avons jamais échangé une parole sérieuse sur un sujet grave.
H : Aurais-je dû t’initier à me soucis que tu n’aurais pas pu soulager ?
N : Je ne parle pas de soucis. Je veux dire que jamais, en quoi que ce soit, nous n’avons cherché en commun à voir le fond des choses.
H : Mais voyons, ma chère Nora : était-ce là une occupation pour toi ?
N : Nous y voilà ! Tu ne m’as jamais comprise… On a été très injuste envers moi, Torvald[1] : papa d’abord, toi ensuite.
H : Quoi ? Nous deux !... Mais qui donc t’a aimée autant que nous ?
N, secouant la tête : Vous ne m’avez jamais aimée. Il vous a semblé amusant d’être en adoration devant moi, voila tout.
H : Voyons, Nora, que veut dire ce langage ?
N : C’est ainsi, Torvald : quand j’étais chez papa, il m’exposait ses idées et je les partageais. Si j’en avais d’autres, je les cachais. Il n’aurait pas aimé cela. Il m’appelait sa petite poupée et jouait avec moi comme je jouais avec mes poupées. Puis je suis venue chez toi…
H : Tu as de singulières expressions pour parler de notre mariage.
N, sans changer de ton : Je veux dire que, des mains de papa, j’ai passé dans les tiennes. Tu as tout arrangé à ton goût et ce goût je le partageais, ou bien je faisais semblant, je ne sais pas au juste ; l’un et l’autre peut-être, tantôt ceci, tantôt cela. En jetant maintenant un regard en arrière, il me semble que j’ai vécu ici comme vivent les pauvres gens… au jour le jour. J’ai vécu des pirouettes que je faisais pour toi, Torvald. Mais cela te convenait. Toi et papa, vous avez été bien coupables envers moi. A vous la faute, si je ne suis bonne à rien.
H : Tu es absurde, Nora, absurde et ingrate. N’as-tu pas été heureuse ici ?
N : Jamais. J’ai cru l’être, mais je ne l’ai jamais été.
H : Tu n’as pas… Tu n’as pas été heureuse !
N : Non ; j’ai été gaie, voilà tout. Tu étais si gentil avec moi : mais notre maison n’a pas été autre chose qu’une salle de récréation. J’ai été poupée-femme chez toi, comme j’ai été poupée-enfant chez papa. Et nos enfants, à leur tour, ont été mes poupées à moi. Je trouvais drôle quand tu jouais avec moi, comme ils trouvaient drôle quand je jouais avec eux. Voilà ce qu’a été notre union, Torvald.
H : Il y a quelque chose de vrai dans ce que tu dis… bien que tu exagères et amplifies beaucoup. Mais à l’avenir cela changera. Le temps de la récréation et passé, maintenant vient de celui de l’éducation.
N : L’éducation de qui, la mienne ou celle d es enfants ?
H : L’une et l’autre, chère Nora.
N : Hélas ! Torvald, tu n’es pas homme à m’élever pour faire de moi la véritable épouse qu’il te faut.
H : C’est toi qui dis cela ?
N : Et moi…comment suis-je prête à élever les enfants ?
H : Nora !
N : Ne le disais-tu pas tout à l’heure… que c’est une tâche que tu n’oses pas me confier ?
H : Je l’ai dit dans un instant d’irritation. Vas-tu maintenant relever cela ?
N : Mon Dieu ! Tu l’as très bien dit. C’est là une tâche au-dessus de ma portée. Il en est une autre dont je dois m’acquitter d’abord. Je veux songer avant tout à m’élever moi-même. Tu n’es pas homme à me faciliter cette tâche. Je dois l’entreprendre seule. Voilà pourquoi je vais te quitter.
[1] Suivant l’habitude norvégienne, Nora appelle son mari par son nom de famille.
Jean-Jacques Rousseau, Emile ou de l’Education, Tome V (1762)
Dans ce roman pédagogique, Rousseau expose ses théories sur l’éducation : large part donnée à la spontanéité des comportements, importance de la découverte de la nature, développement des valeurs du cœur et de la culture, pour préparer l’homme à sa vie de citoyen. La femme, elle, nécessite bien moins de soins.
La femme est faite spécialement pour plaire à l’homme. Si l’homme doit lui plaire à son tour, c’est d’une nécessité moins directe : son mérite est dans sa puissance ; il plaît par cela seul qu’il est fort. Ce n’est pas ici la loi de l’amour, j’en conviens ; mais c’est celle de la nature, antérieure à l’amour même. […]
Cultiver dans les femmes les qualités de l’homme, et négliger celles qui leur sont propres, c’est donc visiblement travailler à leur préjudice. Les rusées le voient trop bien pour en être les dupes ; en tâchant d’usurper nos avantages, elles n’abandonnent pas les leurs ; mais il arrive de là que, ne pouvant bien ménager les uns et les autres parce qu’ils sont incompatibles, elles restent au-dessous de leur portée sans se mettre à la nôtre, et perdent la moitié de leur prix. Croyez-moi, mère judicieuse, ne faites point de votre fille un honnête homme, comme pour donner un démenti à la nature ; faites-en une honnête femme, et soyez sûre qu’elle en vaudra mieux pour elle et pour nous. […]
L’inconstance des goûts leur est aussi funeste que leur excès, et l’un et l’autre leur vient de la même source. Ne leur ôtez pas la gaieté, les ris, le bruit, les folâtres jeux ; mais empêchez qu’elles ne se rassasient de l’un pour courir à l’autre ; ne souffrez pas qu’un seul instant dans leur vie elles ne connaissent plus de frein. Accoutumez-les à se voir interrompre au milieu de leurs jeux, et ramener à d’autres soins sans murmurer. La seule habitude suffit encore en ceci, parce qu’elle ne fait que seconder la nature.
Il résulte de cette contrainte habituelle une docilité dont les femmes ont besoin toute leur vie, puisqu’elles ne cessent jamais d’être assujetties ou à un homme, ou aux jugements des hommes, et qu’il ne leur est jamais permis de se mettre au-dessus de ces jugements. La première et la plus importante qualité d’une femme est la douceur : faite pour obéir à un être aussi imparfait que l’homme, souvent si plein de vices, et toujours si plein de défauts, elle doit apprendre de bonne heure à souffrir même l’injustice et à supporter les torts d’un mari sans se plaindre ; ce n’est pas pour lui, c’est pour elle qu’elle doit être douce. L’aigreur et l’opiniâtreté des femmes ne font jamais qu’augmenter leurs maux et les mauvais procédés des maris ; ils sentent que ce n’est pas avec ces armes-là qu’elles doivent les vaincre. Le ciel ne les fit point insinuantes et persuasives pour devenir acariâtres ; il ne les fit point faibles pour être impérieuses ; il ne leur donna point une voix si douce pour dire des injures ; il ne leur fit point des traits si délicats pour les défigurer par la colère. Quand elles se fâchent, elles s’oublient : elles ont souvent raison de se plaindre, mais elles ont toujours tort de gronder. Chacun doit garder le ton de son sexe ; un mari trop doux peut rendre une femme impertinente ; mais, à moins qu’un homme ne soit un monstre, la douceur d’une femme le ramène, et triomphe de lui tôt ou tard.
Henrik Ibsen, Maison de poupée, acte III (1879)
Traduction de Moritz Prozor (1961)
Traduction de Moritz Prozor (1961)
Le dramaturge norvégien Henrik Ibsen a placé au centre de son œuvre la femme et son combat pour sa liberté et son émancipation.
NORA : Nous voici là, l’un en face de l’autre. N’es-tu pas frappé d’une chose ?
HELMER : Que veux-tu dire ?
N : Voilà huit ans que nous sommes mariés. Réfléchis un peu : n’est-ce pas la première fois que nous deux, tels que nous sommes, mari et femme, nous causons sérieusement ensemble ?
H : Sérieusement, oui… qu’est-ce que cela veut-dire ?
N : Huit années ont passé… et même plus en comptant depuis notre première rencontre, et nous n’avons jamais échangé une parole sérieuse sur un sujet grave.
H : Aurais-je dû t’initier à me soucis que tu n’aurais pas pu soulager ?
N : Je ne parle pas de soucis. Je veux dire que jamais, en quoi que ce soit, nous n’avons cherché en commun à voir le fond des choses.
H : Mais voyons, ma chère Nora : était-ce là une occupation pour toi ?
N : Nous y voilà ! Tu ne m’as jamais comprise… On a été très injuste envers moi, Torvald[1] : papa d’abord, toi ensuite.
H : Quoi ? Nous deux !... Mais qui donc t’a aimée autant que nous ?
N, secouant la tête : Vous ne m’avez jamais aimée. Il vous a semblé amusant d’être en adoration devant moi, voila tout.
H : Voyons, Nora, que veut dire ce langage ?
N : C’est ainsi, Torvald : quand j’étais chez papa, il m’exposait ses idées et je les partageais. Si j’en avais d’autres, je les cachais. Il n’aurait pas aimé cela. Il m’appelait sa petite poupée et jouait avec moi comme je jouais avec mes poupées. Puis je suis venue chez toi…
H : Tu as de singulières expressions pour parler de notre mariage.
N, sans changer de ton : Je veux dire que, des mains de papa, j’ai passé dans les tiennes. Tu as tout arrangé à ton goût et ce goût je le partageais, ou bien je faisais semblant, je ne sais pas au juste ; l’un et l’autre peut-être, tantôt ceci, tantôt cela. En jetant maintenant un regard en arrière, il me semble que j’ai vécu ici comme vivent les pauvres gens… au jour le jour. J’ai vécu des pirouettes que je faisais pour toi, Torvald. Mais cela te convenait. Toi et papa, vous avez été bien coupables envers moi. A vous la faute, si je ne suis bonne à rien.
H : Tu es absurde, Nora, absurde et ingrate. N’as-tu pas été heureuse ici ?
N : Jamais. J’ai cru l’être, mais je ne l’ai jamais été.
H : Tu n’as pas… Tu n’as pas été heureuse !
N : Non ; j’ai été gaie, voilà tout. Tu étais si gentil avec moi : mais notre maison n’a pas été autre chose qu’une salle de récréation. J’ai été poupée-femme chez toi, comme j’ai été poupée-enfant chez papa. Et nos enfants, à leur tour, ont été mes poupées à moi. Je trouvais drôle quand tu jouais avec moi, comme ils trouvaient drôle quand je jouais avec eux. Voilà ce qu’a été notre union, Torvald.
H : Il y a quelque chose de vrai dans ce que tu dis… bien que tu exagères et amplifies beaucoup. Mais à l’avenir cela changera. Le temps de la récréation et passé, maintenant vient de celui de l’éducation.
N : L’éducation de qui, la mienne ou celle d es enfants ?
H : L’une et l’autre, chère Nora.
N : Hélas ! Torvald, tu n’es pas homme à m’élever pour faire de moi la véritable épouse qu’il te faut.
H : C’est toi qui dis cela ?
N : Et moi…comment suis-je prête à élever les enfants ?
H : Nora !
N : Ne le disais-tu pas tout à l’heure… que c’est une tâche que tu n’oses pas me confier ?
H : Je l’ai dit dans un instant d’irritation. Vas-tu maintenant relever cela ?
N : Mon Dieu ! Tu l’as très bien dit. C’est là une tâche au-dessus de ma portée. Il en est une autre dont je dois m’acquitter d’abord. Je veux songer avant tout à m’élever moi-même. Tu n’es pas homme à me faciliter cette tâche. Je dois l’entreprendre seule. Voilà pourquoi je vais te quitter.
[1] Suivant l’habitude norvégienne, Nora appelle son mari par son nom de famille.
_________________
« vous qui entrez, laissez toute espérance ». Dante
« Il vaut mieux n’avoir rien promis que promettre sans accomplir » (L’Ecclésiaste)
- CelebornEsprit sacré
Ah oui, Ibsen, extraordinaire !!! Comme quoi, on en revient toujours aux meilleurs.
_________________
"On va bien lentement dans ton pays ! Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu'on peut pour rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite que ça !" (Lewis Carroll)
Mon Blog
- ysabelDevin
Voltaire, « Femmes, soyez soumises à vos maris », dans Mélanges ; pamphlets et œuvres polémiques, 1759-1768
L'abbé de Châteauneuf la[1] rencontra un jour toute rouge de colère. « Qu'avez-vous donc, Madame ? lui dit-il.
-J'ai ouvert par hasard, répondit-elle, un livre qui traînait dans mon cabinet ; c'est, je crois, quelque recueil de lettres ; j'y ai vu ces paroles : Femmes, soyez soumises à vos maris ; j'ai jeté le livre.
- Comment Madame ! savez-vous bien que ce sont les Épîtres de saint Paul ?
- Il ne m'importe de qui elles sont ; l'auteur est très impoli. Jamais monsieur le maréchal ne m'a écrit dans ce style ; je suis persuadée que votre saint Paul était un homme très difficile à vivre. Était-il marié ?
- Oui, Madame.
- Il fallait que sa femme fût bien une bonne créature: si j'avais été la femme d'un pareil homme, je lui aurais fait voir du pays. Soyez soumises à vos maris ! Encores'il s'était contenté de dire: Soyez douces, complaisantes, attentives, économes, je dirais : Voilà un homme qui sait vivre ; et pourquoi soumises, s'il vous plaît ? Quand j'épousai M. de Grancey, nous nous promîmes d'être fidèles : je n’ai pas trop gardé ma parole, ni lui la sienne; mais ni lui ni moi ne promîmes d'obéir. Sommes-nous donc des esclaves ? N'est-ce pas assez qu'un homme, après m'avoir épousée, ait le droit de me donner une maladie de neuf mois, qui quelquefois est mortelle ? N'est-ce pas assez que je mette au jour avec de très grandes douleurs un enfant qui pourra me plaider quand il sera majeur ? Ne suffit-il pas que je sois sujette tous les mois à des incommodités très désagréables pour une femme de qualité, et que, pour comble, la suppression d'une de ces douze maladies par an soit capable de me donner la mort, sans qu'on vienne me dire encore : Obéissez ?
Certainement la nature ne l'a pas dit ; elle nous a fait des organes différents de ceux des hommes ; mais en nous rendant nécessaires les uns aux autres, elle n'a pas prétendu que l'union formât un esclavage. Je me souviens bien que Molière a dit: « Du côté de la barbe est la toute-puissance[2]. »
Mais voilà une plaisante raison pour que j'aie un maître ! Quoi ! parce qu'un homme a le menton couvert d'un vilain poil rude, qu'il est obligé de tondre de fort près, et que mon menton est né rasé, il faudra que je lui obéisse très humblement ? Je sais bien qu'en général les hommes ont les muscles plus forts que les nôtres, et qu'ils peuvent donner un coup de poing mieux appliqué : j'ai bien peur que ce ne soit là l'origine de leur supériorité.
Ils prétendent avoir aussi la tête mieux organisée, et, en conséquence, ils se vantent d'être plus capables de gouverner ; mais je leur montrerai des reines qui valent bien des rois. On me parlait ces jours passés d'une princesse allemande qui se lève à cinq heures du matin pour travailler à rendre ses sujets heureux, qui dirige toutes les affaires, répond à toutes les lettres, encourage tous les arts, et qui répand autant de bienfaits qu'elle a de lumières. Son courage égale ses connaissances; aussi n'a-t-elle pas étéélevée dans un couvent par des imbéciles qui nous apprennent ce qu'il faut ignorer, et qui nous laissent ignorer ce qu'il faut apprendre. Pour moi, si j'avais un État à gouverner, je me sens capable d'oser suivre ce modèle. »
L'abbé de Châteauneuf, qui était fort poli, n'eut garde de contredire madame la maréchale.
[1] Il s’agit de la maréchale de Grancey
[2] Parole du bourgeois Arnolphe à la jeune Agnès, sa pupille dans L’Ecole des femmes de Molière.
Choderlos de Laclos, L’Éducation des femmes, 1783.
Ô ! Femmes, approchez et venez m'entendre. Que votre curiosité, dirigée une fois sur des objets utiles, contemple les avantages que vous avait donnés la nature et que la société vous a ravis. Venez apprendre comment, nées compagnes de l'homme, vous êtes devenues son esclave; comment, tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à vous y plaire, à le regarder comme votre état naturel ; comment enfin, dégradées de plus en plus par votre longue habitude de l'esclavage, vous en avez préféré les vices avilissants, mais commodes, aux vertus plus pénibles d'un être libre et respectable. Si ce tableau fidèlement tracé vous laisse de sang-froid, si vous pouvez le considérer sans émotion, retournez à vos occupations futiles. Le mal est sans remède, les vices se sont changés en mœurs. Mais si au récit de vos malheurs et de vos pertes vous rougissez de honte et de colère, si des larmes d'indignation s'échappent de vos yeux, si vous brûlez du noble désir de ressaisir vos avantages, de rentrer dans la plénitude de votre être, ne vous laissez plus abuser par de trompeuses promesses, n'attendez point les secours des hommes auteurs de vos maux : ils n'ont ni la volonté, ni la puissance de les finir, et comment pourraient-ils vouloir former des femmes devant lesquelles ils seraient forcés de rougir ? Apprenez qu'on ne sort de l'esclavage que par une grande révolution. Cette révolution est-elle possible ? C'est à vous seules à le dire puisqu'elle dépend de votre courage. Est-elle vraisemblable ? Je me tais sur cette question ; mais jusqu'à ce qu'elle soit arrivée, et tant que les hommes régleront votre sort, je serai autorisé à dire, et il me sera facile de prouver qu'il n'est aucun moyen de perfectionner l’éducation des femmes.
Partout où il y a esclavage, il ne peut y avoir éducation; dans toute société, les femmes sont esclaves ; donc la femme sociale n'est pas susceptible d'éducation. Si les principes de ce syllogisme sont prouvés, on ne pourra nier la conséquence. Or, que partout où il y a esclavage il ne puisse y avoir éducation, c'est une suite naturelle de la définition de ce mot; c'est le propre de l'éducation de développer les facultés, le propre de l'esclavage c'est de les étouffer; c'est le propre de l'éducation de diriger les facultés développées vers l'utilité sociale, le propre de l'esclavage est de rendre l'esclave ennemi de la société
_________________
« vous qui entrez, laissez toute espérance ». Dante
« Il vaut mieux n’avoir rien promis que promettre sans accomplir » (L’Ecclésiaste)
- ysabelDevin
Celeborn a écrit:Ah oui, Ibsen, extraordinaire !!! Comme quoi, on en revient toujours aux meilleurs.
mes 2Des ont adoré cet extrait. Je crois que je ferai lire cette pièce l'an prochain.
_________________
« vous qui entrez, laissez toute espérance ». Dante
« Il vaut mieux n’avoir rien promis que promettre sans accomplir » (L’Ecclésiaste)
- InvitéeHrÉrudit
Hedda Gabler aussi du même Ibsen me semble incontournable, en cursive ?
- CelebornEsprit sacré
Je l'ai mis en scène l'année dernière, Hedda Gabler. C'est une pièce assez compliquée, je pense, qui tourne autour de notions d'ennui et de refus de la maternité pas forcément évidentes à faire passer, j'imagine, surtout en lecture cursive. Une Maison de poupée me semble plus accessible.
Mais sur une bonne classe, Hedda Gabler comme parallèle à Madame Bovary, ça doit être top (le couple Hedda/Jörgen est vraiment un miroir du couple Emma/Charles).
edit : voilà le texte du préambule de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
Homme, es-tu capable d'être juste ? C'est une femme qui t'en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t'a donné le souverain empire d'opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi,
si tu l'oses, l'exemple de cet empire tyrannique.
Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d'oeil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l'évidence quand je t'en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l'administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d'œuvre immortel.
L'homme seul s'est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l'ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l'égalité, pour ne rien dire de plus.
Mais sur une bonne classe, Hedda Gabler comme parallèle à Madame Bovary, ça doit être top (le couple Hedda/Jörgen est vraiment un miroir du couple Emma/Charles).
edit : voilà le texte du préambule de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
Homme, es-tu capable d'être juste ? C'est une femme qui t'en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t'a donné le souverain empire d'opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi,
si tu l'oses, l'exemple de cet empire tyrannique.
Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d'oeil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l'évidence quand je t'en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l'administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d'œuvre immortel.
L'homme seul s'est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l'ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l'égalité, pour ne rien dire de plus.
Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791)
_________________
"On va bien lentement dans ton pays ! Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu'on peut pour rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite que ça !" (Lewis Carroll)
Mon Blog
- InvitéeHrÉrudit
Celeborn a écrit:
Mais sur une bonne classe, Hedda Gabler comme parallèle à Madame Bovary, ça doit être top (le couple Hedda/Jörgen est vraiment un miroir du couple Emma/Charles).
C'est vraiment une bonne idée Celeborn, j'y pense avec les 1ères, l'an prochain.
- henrietteMédiateur
Je te copie-colle le texte : finalement ça ne fait pas si long que ça.
Avocat, opposant au Second Empire, Jules Ferry (1832-1893), républicain convaincu, occupa à plusieurs reprises, à partir de 1879, les postes de ministre de l’instruction publique et de président du Conseil. On le considère comme le « père » de l’école républicaine.
C’est en effet à lui que l’on doit les principales mesures de réforme de l’enseignement public sous la IIIe République : laïcité, gratuité et obligation de l’enseignement primaire, extension de l’enseignement secondaire aux filles, autant d’avancées de la République, auxquelles l’Eglise de l’époque, globalement conservatrice et royaliste, s’opposa farouchement. Ce texte, prononcé à l’Assemblée nationale en 1870, annonce les mesures qu’il réussira à faire adopter dix ans plus tard.
Messieurs, il y a deux manières de comprendre, en ce monde, le droit de la richesse ; il y a celle du riche content de lui, qui s’étale dans son bien-être, et qui éclabousse le pauvre, en disant — « Mon Dieu, que je vous remercie de ne pas m’avoir fait naître parmi ces misérables ! » Celui-là est un satisfait ; il estime qu’il est dans son droit, et que personne au monde n’a rien à lui demander ; laissons-le s’épanouir dans sa tranquillité ; mais, sans mettre en question aucun principe social, disons que les âmes délicates se font une autre idée du devoir de la richesse. Celui-là est bien étranger aux délicatesses de l’âme humaine, qui n’a jamais été frappé de ce qu’il y a d’inouï et de choquant dans la répartition des biens de ce monde ! Pour moi, je l’avoue, ce trouble de conscience, cette secrète inquiétude qu’inspire le spectacle de l’extrême inégalité des conditions, je l’éprouve depuis que j’ai l’âge de raison, et si je me suis fait un devoir, c’est de chercher à atténuer, autant qu’il en sera en moi, ce privilège de le naissance, en vertu duquel j’ai pu acquérir un peu de savoir, moi qui n’ai eu que la peine de naître, tandis que tant d’autres, nés dans la pauvreté, sont fatalement voués à l’ignorance. (Bravo ! Bravo !)[…]
Réclamer l’égalité d’éducation pour toutes les classes, ce n’est faire que la moitié de l’œuvre, que la moitié du nécessaire, que la moitié de ce qui est dû ; cette égalité, je la réclame, je la revendique pour les deux sexes, et c’est ce côté de la question que je veux parcourir maintenant en peu de mots. La difficulté, l’obstacle ici, n’est pas dans la dépense, il est dans les mœurs ; il est, avant toutes choses, dans un mauvais sentiment masculin. Il existe dans le monde deux sortes d’orgueil : l’orgueil de la classe et l’orgueil du sexe ; celui-ci beaucoup plus farouche que l’autre ; cet orgueil masculin, ce sentiment de la supériorité masculine est dans un grand nombre d’esprits, et dans beaucoup qui ne l’avouent pas ; il se glisse dans les meilleures âmes, et l’on peut dire qu’il est enfoui dans les replis les plus profonds de notre cœur. Oui, messieurs, faisons notre confession ; dans le cœur des meilleurs d’entre nous, il y a un sultan (rires nombreux) ; et c’est surtout des Français que cela est vrai. Je n’oserais pas le dire, si, depuis bien longtemps, les moralistes qui nous observent, qui ont analysé notre caractère, n’avaient écrit qu’en France il y a toujours, sous les dehors de la galanterie la plus exquise, un secret mépris de l’homme pour la femme. C’est vraiment là un trait du caractère français, c’est un je-ne-sais-quoi de fatuité que les plus civilisés d’entre nous portent en eux-mêmes : tranchons le mot, c’est l’orgueil du mâle (rires). […]
Le siècle dernier et le commencement de celui-ci ont anéanti les privilèges de la propriété, les privilèges de la distinction des classes ; l’œuvre de notre temps n’est pas assurément plus difficile. A coup sûr, elle nécessitera de moindres orages, elle exigera de moins douloureux sacrifices ; c’est une œuvre pacifique, c’est une œuvre généreuse, et je la définis ainsi : faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance, l’inégalité d’éducation. C’est le problème du siècle et nous devons nous y attacher. Et, quant à moi, lorsqu’il m’échut ce suprême honneur de représenter une portion de la population parisienne dans la Chambre des députés, je me suis fait un serment : entre toutes les nécessités du temps présent, entre tous les problèmes, j’en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j’ai d’intelligence, tout ce que j’ai d’âme, de cœur, de puissance physique et morale, c’est le problème de l’éducation du peuple. (Vifs applaudissements.)
L’inégalité d’éducation est, en effet, un des résultats les plus criants et les plus fâcheux, au point de vue social, du hasard de la naissance. Avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique, mais l’égalité réelle, et l’égalité des droits est pourtant le fond même et l’essence de la démocratie… […]
Quand M. Duruy(1) voulut fonder l’enseignement laïque des femmes, vous souvenez-vous de cette clameur d’évêques, de cette résistance qui le fit reculer et qui entrava son œuvre ? Que cet exemple soit pour nous un enseignement ; les évêques le savent bien : celui qui tient la femme, celui-là tient tout, d’abord parce qu’il tient l’enfant, ensuite parce qu’il tient le mari ; non point peut-être le mari jeune, emporté par les orages des passions, mais le mari fatigué ou déçu par la vie. (Nombreux applaudissements.)
C’est pour cela que l’Eglise veut retenir la femme, et c’est aussi pour cela qu’il faut que la démocratie la lui enlève : il faut que la démocratie choisisse, sous peine de mort ; il faut choisir, citoyens : il faut que la femme appartienne à la science ou qu’elle appartienne à l’Eglise. (Applaudissements répétés.)
Avocat, opposant au Second Empire, Jules Ferry (1832-1893), républicain convaincu, occupa à plusieurs reprises, à partir de 1879, les postes de ministre de l’instruction publique et de président du Conseil. On le considère comme le « père » de l’école républicaine.
C’est en effet à lui que l’on doit les principales mesures de réforme de l’enseignement public sous la IIIe République : laïcité, gratuité et obligation de l’enseignement primaire, extension de l’enseignement secondaire aux filles, autant d’avancées de la République, auxquelles l’Eglise de l’époque, globalement conservatrice et royaliste, s’opposa farouchement. Ce texte, prononcé à l’Assemblée nationale en 1870, annonce les mesures qu’il réussira à faire adopter dix ans plus tard.
Messieurs, il y a deux manières de comprendre, en ce monde, le droit de la richesse ; il y a celle du riche content de lui, qui s’étale dans son bien-être, et qui éclabousse le pauvre, en disant — « Mon Dieu, que je vous remercie de ne pas m’avoir fait naître parmi ces misérables ! » Celui-là est un satisfait ; il estime qu’il est dans son droit, et que personne au monde n’a rien à lui demander ; laissons-le s’épanouir dans sa tranquillité ; mais, sans mettre en question aucun principe social, disons que les âmes délicates se font une autre idée du devoir de la richesse. Celui-là est bien étranger aux délicatesses de l’âme humaine, qui n’a jamais été frappé de ce qu’il y a d’inouï et de choquant dans la répartition des biens de ce monde ! Pour moi, je l’avoue, ce trouble de conscience, cette secrète inquiétude qu’inspire le spectacle de l’extrême inégalité des conditions, je l’éprouve depuis que j’ai l’âge de raison, et si je me suis fait un devoir, c’est de chercher à atténuer, autant qu’il en sera en moi, ce privilège de le naissance, en vertu duquel j’ai pu acquérir un peu de savoir, moi qui n’ai eu que la peine de naître, tandis que tant d’autres, nés dans la pauvreté, sont fatalement voués à l’ignorance. (Bravo ! Bravo !)[…]
Réclamer l’égalité d’éducation pour toutes les classes, ce n’est faire que la moitié de l’œuvre, que la moitié du nécessaire, que la moitié de ce qui est dû ; cette égalité, je la réclame, je la revendique pour les deux sexes, et c’est ce côté de la question que je veux parcourir maintenant en peu de mots. La difficulté, l’obstacle ici, n’est pas dans la dépense, il est dans les mœurs ; il est, avant toutes choses, dans un mauvais sentiment masculin. Il existe dans le monde deux sortes d’orgueil : l’orgueil de la classe et l’orgueil du sexe ; celui-ci beaucoup plus farouche que l’autre ; cet orgueil masculin, ce sentiment de la supériorité masculine est dans un grand nombre d’esprits, et dans beaucoup qui ne l’avouent pas ; il se glisse dans les meilleures âmes, et l’on peut dire qu’il est enfoui dans les replis les plus profonds de notre cœur. Oui, messieurs, faisons notre confession ; dans le cœur des meilleurs d’entre nous, il y a un sultan (rires nombreux) ; et c’est surtout des Français que cela est vrai. Je n’oserais pas le dire, si, depuis bien longtemps, les moralistes qui nous observent, qui ont analysé notre caractère, n’avaient écrit qu’en France il y a toujours, sous les dehors de la galanterie la plus exquise, un secret mépris de l’homme pour la femme. C’est vraiment là un trait du caractère français, c’est un je-ne-sais-quoi de fatuité que les plus civilisés d’entre nous portent en eux-mêmes : tranchons le mot, c’est l’orgueil du mâle (rires). […]
Le siècle dernier et le commencement de celui-ci ont anéanti les privilèges de la propriété, les privilèges de la distinction des classes ; l’œuvre de notre temps n’est pas assurément plus difficile. A coup sûr, elle nécessitera de moindres orages, elle exigera de moins douloureux sacrifices ; c’est une œuvre pacifique, c’est une œuvre généreuse, et je la définis ainsi : faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance, l’inégalité d’éducation. C’est le problème du siècle et nous devons nous y attacher. Et, quant à moi, lorsqu’il m’échut ce suprême honneur de représenter une portion de la population parisienne dans la Chambre des députés, je me suis fait un serment : entre toutes les nécessités du temps présent, entre tous les problèmes, j’en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j’ai d’intelligence, tout ce que j’ai d’âme, de cœur, de puissance physique et morale, c’est le problème de l’éducation du peuple. (Vifs applaudissements.)
L’inégalité d’éducation est, en effet, un des résultats les plus criants et les plus fâcheux, au point de vue social, du hasard de la naissance. Avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique, mais l’égalité réelle, et l’égalité des droits est pourtant le fond même et l’essence de la démocratie… […]
Quand M. Duruy(1) voulut fonder l’enseignement laïque des femmes, vous souvenez-vous de cette clameur d’évêques, de cette résistance qui le fit reculer et qui entrava son œuvre ? Que cet exemple soit pour nous un enseignement ; les évêques le savent bien : celui qui tient la femme, celui-là tient tout, d’abord parce qu’il tient l’enfant, ensuite parce qu’il tient le mari ; non point peut-être le mari jeune, emporté par les orages des passions, mais le mari fatigué ou déçu par la vie. (Nombreux applaudissements.)
C’est pour cela que l’Eglise veut retenir la femme, et c’est aussi pour cela qu’il faut que la démocratie la lui enlève : il faut que la démocratie choisisse, sous peine de mort ; il faut choisir, citoyens : il faut que la femme appartienne à la science ou qu’elle appartienne à l’Eglise. (Applaudissements répétés.)
Jules Ferry, Discours sur l’Egalité d’Education, 10 avril 1870.
(1) Victor Duruy (1811-1894)
fut ministre de l’Instruction publique sous Napoléon III et fit adopter
d’importantes réformes libéralisant l’enseignement (réformes des programmes,
développement de l’instruction primaire et secondaire…).
(1) Victor Duruy (1811-1894)
fut ministre de l’Instruction publique sous Napoléon III et fit adopter
d’importantes réformes libéralisant l’enseignement (réformes des programmes,
développement de l’instruction primaire et secondaire…).
- carlottaHabitué du forum
Dans son Discours sur le bonheur, Madame du Chatelet compare les moyens d'accéder au bonheur pour les hommes et les femmes. C'est assez intéressant du point de vue d'une intellectuelle du 18eme.
- SicretteNiveau 10
henriette a écrit:Il y a un discours remarquable de Jules Ferry pour obtenir l'égalité pour les femmes devant l'éducation. Il est un peu long pour que je le copie-colle ici, mais si ça t'intéresse je peux te l'envoyer.
Avec plaisir Henriette. Merci
oups je n'avais pas lu tous les posts jusqu'à la fin.
Merci beaucoup pour vos réponses. J'examine tout ça et je vous tien au courant. :study:
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum