- yranohHabitué du forum
Alors, je me demande si mon interrogation est aussi farfelue qu'elle le semble. On apprend très souvent, me semble-t-il, qu'il faut baisser l'intonation pour marquer la fin des phrases assertives (donc, presque toutes). D'abord, j'ai le sentiment que c'est faux. On abaisse surtout son intonation quand on a fini son propos, et encore, le plus souvent. Il me semblerait plus juste de dire qu'on abaisse très souvent son intonation à la fin d'un paragraphe. Jusqu'à maintenant, j'aurais dit a priori que c'était un bon outil pédagogique pour apprendre à ponctuer et à lire correctement. Mais là ce soir, j'ai de gros doutes. Qu'en pensez-vous?
Par ailleurs, je délire peut-être complètement mais je me demande si les conséquences de cet enseignement, que nous sommes beaucoup à avoir intégré, et qui a une influence sur notre façon de lire à haute voix, sont beaucoup plus importantes qu'il n'y paraît. Notamment, je me demande si l'assimilation de cette idée n'a pas rendu impossibles ou très difficiles les lectures expressives vraiment vivantes, n'a pas réduit très fortement le plaisir qu'on peut y prendre, et n'entrave pas l'engagement dans la lecture. J'ai le sentiment qu'elle a induit une conception de la langue lue comme fondamentalement monotone et artificielle. Et pour aller encore plus loin, je m'interroge sur l'influence de cette idée (d'ailleurs, de quand date-t-elle ? Depuis quand l'enseigne-t-on massivement ?) sur la littérature et plus largement sur l'écriture contemporaine.
J'ajoute que je pense que c'est un frein à l'analyse des textes. Mais dans quelle mesure ?
Voilà, si ces considérations vous inspirent, vos remarques m'intéresseraient beaucoup.
Par ailleurs, je délire peut-être complètement mais je me demande si les conséquences de cet enseignement, que nous sommes beaucoup à avoir intégré, et qui a une influence sur notre façon de lire à haute voix, sont beaucoup plus importantes qu'il n'y paraît. Notamment, je me demande si l'assimilation de cette idée n'a pas rendu impossibles ou très difficiles les lectures expressives vraiment vivantes, n'a pas réduit très fortement le plaisir qu'on peut y prendre, et n'entrave pas l'engagement dans la lecture. J'ai le sentiment qu'elle a induit une conception de la langue lue comme fondamentalement monotone et artificielle. Et pour aller encore plus loin, je m'interroge sur l'influence de cette idée (d'ailleurs, de quand date-t-elle ? Depuis quand l'enseigne-t-on massivement ?) sur la littérature et plus largement sur l'écriture contemporaine.
J'ajoute que je pense que c'est un frein à l'analyse des textes. Mais dans quelle mesure ?
Voilà, si ces considérations vous inspirent, vos remarques m'intéresseraient beaucoup.
- NLM76Grand Maître
En effet. C'est un des points importants que j'ai appris, et travaille, comme comédien. Ne pas laisser tomber la voix en fin de vers, en fin de phrase. Dire ce qu'on dit, jusqu'au bout; adresser particulièrement nettement le dernier mot, la dernière syllabe de chaque phrase. Ne pas confondre aussi l'intonation (mélodique) descendante et l'affaiblissement de la voix. Pour éviter la monotonie, essayer de terminer sur une note un peu différente à chaque fois, ou plutôt sur une modulation mélodique un peu différente à chaque fois. Varier entre la cloture sèche à Sarkozy-Hollande et la longue vibrante à la De Gaulle-Malraux. Mais toujours dire ce qu'on dit jusqu'au bout, sans être déjà parti sur la suite.
Plutôt qu'une intonation descendante, le point, c'est "ça va recommencer" ; la virgule, "ça va continuer".
Plutôt qu'une intonation descendante, le point, c'est "ça va recommencer" ; la virgule, "ça va continuer".
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Sites du grip :
- http://instruire.fr
- http://grip-editions.fr
Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- yranohHabitué du forum
Merci NLM pour ces remarques intéressantes. Et que penses-tu des conséquences que j'évoque ? Je suis allé un peu loin, j'aimerais bien affiner mon point de vue sur le sujet. Aussi pour voir dans quelle mesure il est intéressant de s'arrêter là-dessus avec les élèves. Peut-être même que ça pourrait avoir une incidence sur leur ponctuation ? Tu as commencé à dire quelque chose là-dessus.
Pour ce qui est de l'analyse (parce que sans enregistrement on ne peut pas mener sur pièce la réflexion jusqu'au bout. Or ce n'est pas ce qui m'intéresse le plus ici), je note quelques éléments sur la chasse aux pommes de Rousseau.
Pour ce qui est de l'analyse (parce que sans enregistrement on ne peut pas mener sur pièce la réflexion jusqu'au bout. Or ce n'est pas ce qui m'intéresse le plus ici), je note quelques éléments sur la chasse aux pommes de Rousseau.
- une chasse aux pommes:
- Un souvenir qui me fait frémir encore et rire tout à la fois, est celui d’une chasse aux pommes qui me coûta cher. [la relative a tendance à passer presque inaperçue, pourtant elle est peut-être plus lourde de sens qu'il n'y paraît. En élevant bien haut le ton, on entend mieux ce double sens]. Ces pommes étaient au fond d’une dépense qui, par une jalousie élevée, recevait du jour de la cuisine. Un jour que j’étais seul dans la maison, je montai sur la may pour regarder dans le jardin des Hespérides ce précieux fruit dont je ne pouvais approcher. J’allai chercher la broche pour voir si elle y pourrait atteindre : elle était trop courte. [la proposition perd toute sa valeur si on baisse le ton, mais ici c'est assez évident] Je l’allongeai par une autre petite broche qui servait pour le menu gibier ; car mon maître aimait la chasse. [ici, je ne sais pas, l'intérêt de cette proposition est difficile à interpréter, mais on baisse naturellement le ton, sans imaginer qu'on puisse le monter, comme une incidente sans intérêt. Or il faut faire l'hypothèse d'un ton qui monte pour déployer les possibilités d'interprétation] Je piquai plusieurs fois sans succès ; enfin je sentis avec transport que j’amenais une pomme. [ici, il ne s'agit pas d'élever le ton, mais comme le dis NLM, de dire ce que l'on dit jusqu'au bout. Sinon on ne sent pas qu'il ne dit pas "j'en amenais une"].Je tirai très-doucement : déjà la pomme touchait à la jalousie, j’étais prêt à la saisir. [élever fortement le ton est absolument nécessaire pour sentir le texte et son rythme, et la force des émotions successives. Je pense qu'ici un professeur le fait naturellement, mais pas un élève, et c'est dommage. J'arrête-là mes remarques] Qui dira ma douleur ? La pomme était trop grosse, elle ne put passer par le trou. Que d’inventions ne mis-je point en usage pour la tirer ! Il fallut trouver des supports pour tenir la broche en état, un couteau assez long pour fendre la pomme, une latte pour la soutenir. À force d’adresse et de temps je parvins à la partager, espérant tirer ensuite les pièces l’une après l’autre : mais à peine furent-elles séparées, qu’elles tombèrent toutes deux dans la dépense. Lecteur pitoyable, partagez mon affliction.
Je ne perdis point courage ; mais j’avais perdu beaucoup de temps. Je craignais d’être surpris ; je renvoie au lendemain une tentative plus heureuse, et je me remets à l’ouvrage tout aussi tranquillement que si je n’avais rien fait, sans songer aux deux témoins indiscrets qui déposaient contre moi dans la dépense.
Le lendemain, retrouvant l’occasion belle, je tente un nouvel essai. Je monte sur mes tréteaux, j’allonge la broche, je l’ajuste ; j’étais prêt à piquer… Malheureusement le dragon ne dormait pas : tout à coup la porte de la dépense s’ouvre ; mon maître en sort, croise les bras, me regarde, et me dit : Courage !… La plume me tombe des mains.
- DeliaEsprit éclairé
H.S.
je montai sur la may : j'ai toujours orthographié maie, le nom de ce coffre à pain.
je montai sur la may : j'ai toujours orthographié maie, le nom de ce coffre à pain.
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Un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle.
Amadou Hampaté Ba
- NLM76Grand Maître
Je ne pense pas qu'ils soient embarrassés sur la moindre théorie, et certainement pas par celle qui dirait qu'il faut baisser le ton en fin de phrase. Ils n'ont aucune idée de comment il faudrait lire.yranoh a écrit:Merci NLM pour ces remarques intéressantes. Et que penses-tu des conséquences que j'évoque ? Je suis allé un peu loin, j'aimerais bien affiner mon point de vue sur le sujet. Aussi pour voir dans quelle mesure il est intéressant de s'arrêter là-dessus avec les élèves. Peut-être même que ça pourrait avoir une incidence sur leur ponctuation ? Tu as commencé à dire quelque chose là-dessus.
Si, il y a une théorie, me semble-t-il, qui les empêche de savoir lire ; c'est celle qui croit que le texte flotte en l'air, qu'il n'est pas la parole d'un humain adressée à un autre humain. Cela va avec cette effroyable manie de dire, en particulier à propos d'un texte dont on connaît l'auteur, "on nous dit que".
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- http://grip-editions.fr
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- La BécasseNiveau 3
C'est une analyse assez intéressante. Je pense qu'on parle essentiellement d'intonation descendante pour la comparer avec la mélodie de la phrase interrogative. Quoi qu'il en soit, je ne sais pas si elle induit "un frein à l'analyse des textes", mais c'est une hypothèse passionnante.
En tout cas, ce qui est certain, c'est que la lecture des candidats est souvent monotone. Je rejoins tout à fait, ce qui a été dit par NLM. Il faut tenir jusqu'au bout, et adresser. Une réplique qui n'est pas adressée à quelqu'un n'est adressée à personne. Elle se perd donc.
Et en effet, on attend souvent sur un plateau de théâtre : "Attention à vos fins de phrases."
J'ai lu un peu le texte de Rousseau proposé, et voilà mon hypothèse de travail ou en tout cas ce que je fais intuitivement quand je lis à voix haute.
Je ne pense pas qu'il faille faire "remonter l'intonation" ce qui pourrait être un peu artificiel, en tout cas il faut prendre son temps, et proposer parfois des pauses à des endroits où il n'y a pas de ponctuation.
Par exemple, dans la première phrase, je pourrais mettre des coupes ici :
" Un souvenir / qui me fait frémir encore et / rire tout à la fois, est / celui d'une chasse aux pommes / qui me coûta / cher."
L'idée ici serait de mettre en valeur l'attribut du COD "Cher".
De la même façon :
" J'allai chercher la broche pour voir si elle y pourrait atteindre : elle était trop / courte."
De la même façon, j'aurais envie ici de ménager mon effet, de demander au destinataire de s'imaginer la broche, de l'anticiper.
Autre exemple,
"Lecteur pitoyable, partagez / mon affliction."
Ce sont des propositions bien sûr, et il y aurait bien d'autres manières de lire ce texte. En tout cas, il est clair qu'il faut apprendre aux élèves à être patient, à comprendre ce qu'ils sont en train de lire, et les inviter à inventer et s'amuser avec leur texte.
En tout cas, ce qui est certain, c'est que la lecture des candidats est souvent monotone. Je rejoins tout à fait, ce qui a été dit par NLM. Il faut tenir jusqu'au bout, et adresser. Une réplique qui n'est pas adressée à quelqu'un n'est adressée à personne. Elle se perd donc.
Et en effet, on attend souvent sur un plateau de théâtre : "Attention à vos fins de phrases."
J'ai lu un peu le texte de Rousseau proposé, et voilà mon hypothèse de travail ou en tout cas ce que je fais intuitivement quand je lis à voix haute.
Je ne pense pas qu'il faille faire "remonter l'intonation" ce qui pourrait être un peu artificiel, en tout cas il faut prendre son temps, et proposer parfois des pauses à des endroits où il n'y a pas de ponctuation.
Par exemple, dans la première phrase, je pourrais mettre des coupes ici :
" Un souvenir / qui me fait frémir encore et / rire tout à la fois, est / celui d'une chasse aux pommes / qui me coûta / cher."
L'idée ici serait de mettre en valeur l'attribut du COD "Cher".
De la même façon :
" J'allai chercher la broche pour voir si elle y pourrait atteindre : elle était trop / courte."
De la même façon, j'aurais envie ici de ménager mon effet, de demander au destinataire de s'imaginer la broche, de l'anticiper.
Autre exemple,
"Lecteur pitoyable, partagez / mon affliction."
Ce sont des propositions bien sûr, et il y aurait bien d'autres manières de lire ce texte. En tout cas, il est clair qu'il faut apprendre aux élèves à être patient, à comprendre ce qu'ils sont en train de lire, et les inviter à inventer et s'amuser avec leur texte.
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