- mimilouNiveau 10
Idée texte autobiographique pour évaluation finale : regard d'adulte porté sur un souvenir d'enfance
Bonjour,
Je ne parviens pas à trouver une évaluation final adaptée aux textes que j'ai lus dans le chapitre.
J'ai travaillé Gary, avec la rencontre Romain/Valentine, Leiris, avec l'opération des végétations, Rousseau, avec le vol des pommes. Des textes où l'auteur raconte donc son souvenir en adoptant son regard d'enfant.
Je sèche sur le devoir final. Je voulais au départ donner le texte du brevet 2023, de Georges Sand, en modifiant quelques questions, puisque le regard de l'enfant sur le jeu théâtral me ferait aller dans le même sens que les textes étudiés.
Or, nous choisissons de le garder comme devoir commun pour le mois de décembre.
Si vous avez des idées, je suis preneuse !
Merci d'avance.
Je ne parviens pas à trouver une évaluation final adaptée aux textes que j'ai lus dans le chapitre.
J'ai travaillé Gary, avec la rencontre Romain/Valentine, Leiris, avec l'opération des végétations, Rousseau, avec le vol des pommes. Des textes où l'auteur raconte donc son souvenir en adoptant son regard d'enfant.
Je sèche sur le devoir final. Je voulais au départ donner le texte du brevet 2023, de Georges Sand, en modifiant quelques questions, puisque le regard de l'enfant sur le jeu théâtral me ferait aller dans le même sens que les textes étudiés.
Or, nous choisissons de le garder comme devoir commun pour le mois de décembre.
Si vous avez des idées, je suis preneuse !
Merci d'avance.
- DariaNiveau 6
Bonsoir,
Je donne souvent en évaluation le texte de Chateaubriand des Mémoires où il raconte que son père le laissait dormir seul dans la plus haute tour du château.
Je peux te l'envoyer en mp si tu veux.
Je donne souvent en évaluation le texte de Chateaubriand des Mémoires où il raconte que son père le laissait dormir seul dans la plus haute tour du château.
Je peux te l'envoyer en mp si tu veux.
- mimilouNiveau 10
Avec plaisir oui, merci !
- MilicusNiveau 6
Enfance de Sarraute est écrit uniquement d’après ce procédé de retrospection donc tu as le choix!
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"J'ai seul la clef de cette parade sauvage." Arthur Rimbaud
- eponine21Niveau 8
Peut-être le moment où Sarraute explique son aversion pour les médicaments cachés dans de la confiture de fraises ? Tout au début du livre.
- blahblahblahNiveau 3
"mon enfance" de Brel !
- OudemiaBon génie
Il y a le texte de Gide où il s'aperçoit que ses souvenirs d'un défilé vu d'un balcon sont inexacts, je ne sais pas si ça correspond à ce que tu cherches.
- cannelle21Grand Maître
Il y a environ 7 ans, j'avais donné un extrait de Chagrin d'école en brevet blanc. Dis-moi si ça t'intéresse.
Dans ce roman, Daniel Pennac parle de lui, du professeur qu'il est devenu, du romancier qu'il est, mais surtout de l'élève qu'il était.
– Pas de panique, dans vingt-six ans il possèdera parfaitement son alphabet.
Ainsi ironisait mon père pour distraire ses propres craintes. Bien des années plus tard, comme je redoublais ma terminale à la poursuite d'un baccalauréat qui m'échappait obstinément, il aura cette formule :
– Ne t'inquiète pas, même pour le bac on finit par acquérir des automatismes…
Ou, en septembre 1968, ma licence de lettres enfin en poche :
– Il t'aura fallu une révolution(1) pour la licence(2), doit-on craindre une guerre mondiale pour l'agrégation(3) ?
Cela dit sans méchanceté particulière. C'était notre forme de connivence(4). Nous avons assez vite choisi de sourire, mon père et moi.
Mais revenons à mes débuts. Dernier né d'une fratrie de quatre, j'étais un cas d'espèce. Mes parents n'avaient pas eu l'occasion de s'entraîner avec mes aînés, dont la scolarité, pour n'être pas exceptionnellement brillante, s'était déroulée sans heurt.
J'étais un objet de stupeur, et de stupeur constante car les années passaient sans apporter la moindre amélioration à mon état d'hébétude(5) scolaire. « Les bras m'en tombent », « Je n'en reviens pas », me sont des exclamations familières, associées à des regards d'adulte où je vois bien que mon incapacité à assimiler quoi que ce soit creuse un abîme d'incrédulité.
Apparemment, tout le monde comprenait plus vite que moi.
– Tu es complètement bouché !
Un après-midi de l'année du bac (une des années du bac), mon père me donnant un cours de trigonométrie(6) dans la pièce qui nous servait de bibliothèque, notre chien se coucha en douce sur le lit, derrière nous. Repéré, il fut sèchement viré.
– Dehors, le chien, dans ton fauteuil !
Cinq minutes plus tard, le chien était de nouveau sur le lit. Il avait juste pris le soin d'aller chercher la vieille couverture qui protégeait son fauteuil et de se coucher sur elle. Admiration générale, bien sûr, et justifiée : qu'un animal pût associer une interdiction à l'idée abstraite de propreté et en tirer la conclusion qu'il fallait faire son lit pour jouir de la compagnie des maîtres, chapeau, évidemment, un authentique raisonnement !
Ce fut un sujet de conversation familiale qui traversa les âges. Personnellement, j'en tirai l'enseignement que même le chien de la maison pigeait plus vite que moi. Je crois bien lui avoir murmuré à l'oreille :
– Demain, c'est toi qui vas au bahut, lèche-cul. »
Daniel Pennac, Chagrin d'école, Éditions Gallimard, 2007
Dans ce roman, Daniel Pennac parle de lui, du professeur qu'il est devenu, du romancier qu'il est, mais surtout de l'élève qu'il était.
– Pas de panique, dans vingt-six ans il possèdera parfaitement son alphabet.
Ainsi ironisait mon père pour distraire ses propres craintes. Bien des années plus tard, comme je redoublais ma terminale à la poursuite d'un baccalauréat qui m'échappait obstinément, il aura cette formule :
– Ne t'inquiète pas, même pour le bac on finit par acquérir des automatismes…
Ou, en septembre 1968, ma licence de lettres enfin en poche :
– Il t'aura fallu une révolution(1) pour la licence(2), doit-on craindre une guerre mondiale pour l'agrégation(3) ?
Cela dit sans méchanceté particulière. C'était notre forme de connivence(4). Nous avons assez vite choisi de sourire, mon père et moi.
Mais revenons à mes débuts. Dernier né d'une fratrie de quatre, j'étais un cas d'espèce. Mes parents n'avaient pas eu l'occasion de s'entraîner avec mes aînés, dont la scolarité, pour n'être pas exceptionnellement brillante, s'était déroulée sans heurt.
J'étais un objet de stupeur, et de stupeur constante car les années passaient sans apporter la moindre amélioration à mon état d'hébétude(5) scolaire. « Les bras m'en tombent », « Je n'en reviens pas », me sont des exclamations familières, associées à des regards d'adulte où je vois bien que mon incapacité à assimiler quoi que ce soit creuse un abîme d'incrédulité.
Apparemment, tout le monde comprenait plus vite que moi.
– Tu es complètement bouché !
Un après-midi de l'année du bac (une des années du bac), mon père me donnant un cours de trigonométrie(6) dans la pièce qui nous servait de bibliothèque, notre chien se coucha en douce sur le lit, derrière nous. Repéré, il fut sèchement viré.
– Dehors, le chien, dans ton fauteuil !
Cinq minutes plus tard, le chien était de nouveau sur le lit. Il avait juste pris le soin d'aller chercher la vieille couverture qui protégeait son fauteuil et de se coucher sur elle. Admiration générale, bien sûr, et justifiée : qu'un animal pût associer une interdiction à l'idée abstraite de propreté et en tirer la conclusion qu'il fallait faire son lit pour jouir de la compagnie des maîtres, chapeau, évidemment, un authentique raisonnement !
Ce fut un sujet de conversation familiale qui traversa les âges. Personnellement, j'en tirai l'enseignement que même le chien de la maison pigeait plus vite que moi. Je crois bien lui avoir murmuré à l'oreille :
– Demain, c'est toi qui vas au bahut, lèche-cul. »
Daniel Pennac, Chagrin d'école, Éditions Gallimard, 2007
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Il y a des gens si bêtes que si une idée apparaissait à la surface de leur cerveau, elle se suiciderait, terrifiée de solitude.
- bénouNiveau 10
Dans Akè, les années d'enfance de Wole Soyinka, roman autobiographique, de nombreux passages et chapitres sur le thème de la distorsion du regard de l'enfant.
Le rocher Jonas
Même le baobab a perdu de sa taille avec le temps ; et pourtant j’avais cru que ce rempart serait éternel, échapperait aux perspectives élargies d’une enfance disparue. Le campanile de l’école avait un nom, une place au sein de la famille des objets physiques : l’Enfant Unique du Lointain Clocher. Maintenant, même la distance qui sépare le campanile du clocher a raccourci. Le clocher domine tout le paysage, y compris le cénotaphe et s’encadre dans la route escarpée qui monte vers Iberekodo poussant du coude les toits rouillés. Aké, Ibàràpa, Itoko, Mokola, le quartier haoussa avant Iberekodo. La ruche des maisons s’arrête brutalement avant le faîte et cède la place au mur et au portail de l’écurie du Chef. Au flanc de la colline de chaque côté de la route se cachent les marchés de jour et de nuit d’Ibàràpa. Rien de tout cela n’a pas changé. Mais ce n’est pas le cas des choses les plus intimes. Le baobab, les campaniles, les terrains des jeux, les allées. Et même Jonas. Ce nom vint de la maîtresse de l’École du Dimanche qui, cherchant l’inspiration désigna ce rocher qui semblait couvrir la terre, depuis l’extrémité de la classe des petits jusqu’ai cimetière derrière la mission, tout en haut, au point le plus éloigné du portail. – Vous connaissez l’endroit où les écoliers font leurs modelages ? La baleine était plus grosse que ce rocher. Les plus enthousiastes approuvèrent et proposèrent d’autres comparaisons. Une main poussa vers moi un bout de papier. Je lus : – La maison de mon père est plus grosse qu’une baleine. Je le traitai de menteur bien que cela me laissât indifférent. Je refusai de lire sa réponse, je me sentais déjà suffisamment accablé. C’était mon rocher et la maîtresse de l’École du Dimanche en avait fait le bien public de ces menteurs vantards récriminateurs. Elle avait pénétré en intruse dans l’une de mes nombreuses demeures privées. Différent de la maison où tout le monde vivait, Jonas était ma demeure personnelle et privée. Et voilà que la maîtresse l’avait transformée en réalité biblique. Car à partir de ce moment, cette présence innommée devint Jonas, pour toujours, compliquée d’un monde d’histoires bibliques invraisemblables alors qu’avant rien n’affectait son intégrité, pas même l’activité de modelage favorisée par ses nombreux trous. Les classes de modelage ne dérangeaient en rien l’intimité que Jonas et moi partagions aux week-ends. Car les écoliers rentraient chez eux et je pouvais rester seul à escalader ce rocher. Il y en avait d’autres dans la concession mais Jonas était nu, solitaire et privé. Mais la maîtresse d’école venait de le transformer en conte de fées. C’était pour moi, la mort d’un confident incomparable, la perte d’une présence débordante, enveloppante.
- trompettemarineMonarque
C'est un très bon livre, mais c'est une traduction.
Toute autobiophie est par nature rétrospective. Les exemples peuvent donc être très nombreux.
Toute autobiophie est par nature rétrospective. Les exemples peuvent donc être très nombreux.
- DerborenceModérateur
Chez Pennac aussi, un autre extrait :
La haine et le besoin d’affection m’avaient pris tout ensemble dès mes premiers échecs. Il s’agissait d’amadouer1 l’ogre scolaire. Tout faire pour qu’il ne me dévore pas le cœur. Collaborer, par exemple, au cadeau d’anniversaire de ce professeur de sixième qui, pourtant, notait mes dictées négativement : « Moins 38, Pennacchioni, la température est de plus en plus basse ! » Me creuser la tête pour choisir ce qui ferait vraiment plaisir à ce salaud, organiser la quête parmi les élèves et fournir moi-même le complément, vu que le prix de l’affreuse merveille dépassait le montant de la cagnotte.
Il y avait des coffres-forts dans les maisons bourgeoises de l’époque. J’entrepris de crocheter2 celui de mes parents pour participer au cadeau de mon tortionnaire. C’était un de ces petits coffres sombres et trapus, où dorment les secrets de famille. Une clef, une molette3 à chiffres, une autre à lettres. Je savais où mes parents rangeaient la clef mais il me fallut plusieurs nuits pour trouver la combinaison. Molette, clef, porte close. Molette, clef, porte close. Porte close. Porte close. On se dit qu’on n’y arrivera jamais. Et voilà que soudain, déclic, la porte s’ouvre ! On en reste sidéré. Une porte ouverte sur le monde secret des adultes. Secrets bien sages en l’occurrence : quelques obligations4, je suppose, des emprunts russes5 qui dormaient là en espérant leur résurrection, le pistolet d’ordonnance6 d’un grand-oncle, dont le chargeur était plein mais dont on avait limé le percuteur, et de l’argent aussi, pas beaucoup, quelques billets, d’où je prélevai la dîme7 nécessaire au financement du cadeau.
Voler pour acheter l’affection des adultes… Ce n’était pas exactement du vol et ça n’acheta évidemment aucune affection. Le pot aux roses fut découvert lorsque, durant cette même année, j’offris à ma mère un de ces affreux jardins japonais qui étaient alors à la mode et qui coûtaient les yeux de la tête.
L’événement eut trois conséquences : ma mère pleura (ce qui était rare), persuadée d’avoir mis au monde un perceur de coffres (le seul domaine où son dernier-né manifestait une indiscutable précocité), on me mit en pension, et ma vie durant je fus incapable de faucher8 quoi que ce soit, même quand le vol devint culturellement à la mode chez les jeunes gens de ma génération.
Daniel Pennac, Chagrin d'école (2007), éditions Gallimard
J'ai un sujet de devoir, si tu veux.
La haine et le besoin d’affection m’avaient pris tout ensemble dès mes premiers échecs. Il s’agissait d’amadouer1 l’ogre scolaire. Tout faire pour qu’il ne me dévore pas le cœur. Collaborer, par exemple, au cadeau d’anniversaire de ce professeur de sixième qui, pourtant, notait mes dictées négativement : « Moins 38, Pennacchioni, la température est de plus en plus basse ! » Me creuser la tête pour choisir ce qui ferait vraiment plaisir à ce salaud, organiser la quête parmi les élèves et fournir moi-même le complément, vu que le prix de l’affreuse merveille dépassait le montant de la cagnotte.
Il y avait des coffres-forts dans les maisons bourgeoises de l’époque. J’entrepris de crocheter2 celui de mes parents pour participer au cadeau de mon tortionnaire. C’était un de ces petits coffres sombres et trapus, où dorment les secrets de famille. Une clef, une molette3 à chiffres, une autre à lettres. Je savais où mes parents rangeaient la clef mais il me fallut plusieurs nuits pour trouver la combinaison. Molette, clef, porte close. Molette, clef, porte close. Porte close. Porte close. On se dit qu’on n’y arrivera jamais. Et voilà que soudain, déclic, la porte s’ouvre ! On en reste sidéré. Une porte ouverte sur le monde secret des adultes. Secrets bien sages en l’occurrence : quelques obligations4, je suppose, des emprunts russes5 qui dormaient là en espérant leur résurrection, le pistolet d’ordonnance6 d’un grand-oncle, dont le chargeur était plein mais dont on avait limé le percuteur, et de l’argent aussi, pas beaucoup, quelques billets, d’où je prélevai la dîme7 nécessaire au financement du cadeau.
Voler pour acheter l’affection des adultes… Ce n’était pas exactement du vol et ça n’acheta évidemment aucune affection. Le pot aux roses fut découvert lorsque, durant cette même année, j’offris à ma mère un de ces affreux jardins japonais qui étaient alors à la mode et qui coûtaient les yeux de la tête.
L’événement eut trois conséquences : ma mère pleura (ce qui était rare), persuadée d’avoir mis au monde un perceur de coffres (le seul domaine où son dernier-né manifestait une indiscutable précocité), on me mit en pension, et ma vie durant je fus incapable de faucher8 quoi que ce soit, même quand le vol devint culturellement à la mode chez les jeunes gens de ma génération.
Daniel Pennac, Chagrin d'école (2007), éditions Gallimard
J'ai un sujet de devoir, si tu veux.
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"La volonté permet de grimper sur les cimes ; sans volonté on reste au pied de la montagne." Proverbe chinois
"Derborence, le mot chante triste et doux dans la tête pendant qu’on se penche sur le vide, où il n’y a plus rien, et on voit qu’il n’y a plus rien."
Charles-Ferdinand Ramuz, Derborence
- PonocratesExpert spécialisé
Je radote, mais il y a dans le chapitre 11 de l'Enfant de Jules Vallès des passages intéressants: la lecture de Robinson, mais aussi la réaction de la mère. Je ne sais pas si cela correspond à ce que tu veux
- Le Lycée:
- … J’ai été puni un jour : c’est, je crois, pour avoir roulé sous la poussée d’un grand, entre les jambes d’un petit pion qui passait par là, et qui est tombé derrière par-dessus tête ! Il s’est fait une bosse affreuse, et il a cassé une fiole qui était dans sa poche de côté ; c’est une topette de cognac dont il boit — en cachette, à petits coups, en tournant les yeux. On l’a vu : il semblait faire une prière, et il se frottait délicieusement l’estomac. — Je suis cause de la topette cassée, de la bosse qui gonfle… Le pion s’est fâché.
Il m’a mis aux arrêts ; — il m’a enfermé lui-même dans une étude vide, a tourné la clef, et me voilà seul entre les murailles sales, devant une carte de géographie qui a la jaunisse, et un grand tableau noir où il y a des ronds blancs et la binette du censeur.
Je vais d’un pupitre à l’autre : ils sont vides — on doit nettoyer la place, et les élèves ont déménagé.
Rien, une règle, des plumes rouillées, un bout de ficelle, un petit jeu de dames, le cadavre d’un lézard, une agate perdue.
Dans une fente, un livre : j’en vois le dos, je m’écorche les ongles à essayer de le retirer. Enfin, avec l’aide de la règle, en cassant un pupitre, j’y arrive ; je tiens le volume et je regarde le titre :
ROBINSON CRUSOÉ
Il est nuit.
Je m’en aperçois tout d’un coup. Combien y a-t-il de temps que je suis dans ce livre ? — quelle heure est-il ?
Je ne sais pas, mais voyons si je puis lire encore ! Je frotte mes yeux, je tends mon regard, les lettres s’effacent ; les lignes se mêlent, je saisis encore le coin d’un mot, puis plus rien.
J’ai le cou brisé, la nuque qui me fait mal, la poitrine creuse : je suis resté penché sur les chapitres sans lever la tête, sans entendre rien, dévoré par la curiosité, collé aux flancs de Robinson, pris d’une émotion immense, remué jusqu’au fond de la cervelle et jusqu’au fond du cœur ; et en ce moment où la lune montre là-bas un bout de corne, je fais passer dans le ciel tous les oiseaux de l’île, et je vois se profiler la tête longue d’un peuplier comme le mât du navire de Crusoé ! Je peuple l’espace vide de mes pensées, tout comme il peuplait l’horizon de ses craintes ; debout contre cette fenêtre, je rêve à l’éternelle solitude et je me demande où je ferai pousser du pain…
La faim me vient : j’ai très faim.
Vais-je être réduit à manger ces rats que j’entends dans la cale de l’étude ? Comment faire du feu ? J’ai soif aussi. Pas de bananes ! Ah ! lui, il avait des limons frais ! Justement j’adore la limonade !
Clic, clac ! on farfouille dans la serrure.
Est-ce Vendredi ? Sont-ce des sauvages ?
C’est le petit pion qui s’est souvenu, en se levant, qu’il m’avait oublié, et qui vient voir si j’ai été dévoré par les rats, ou si c’est moi qui les ai mangés.
Il a l’air un peu embarrassé, le pauvre homme ! — Il me retrouve gelé, moulu, les cheveux secs, la main fiévreuse ; il s’excuse de son mieux et m’entraîne dans sa chambre, où il me dit d’allumer un bon feu et de me réchauffer.
Il a du thon mariné dans une timbale « et peut-être bien une goutte de je ne sais quoi, par là, dans un coin, qu’un ami a laissée il y a deux mois. »
C’est une topette d’eau-de-vie, son péché mignon, sa marotte humide, son dada jaune.
Il est forcé de repartir, de rejoindre sa division. Il me laisse seul, seul avec du thon, — poisson d’Océan — la goutte, — salut du matelot — et du feu, — phare des naufragés.
Je me rejette dans le livre que j’avais caché entre ma chemise et ma peau, et je le dévore — avec un peu de thon, des larmes de cognac — devant la flamme de la cheminée.
Il me semble que je suis dans une cabine ou une cabane, et qu’il y a dix ans que j’ai quitté le collège ; j’ai peut-être les cheveux gris, en tout cas le teint hâlé. — Que sont devenus mes vieux parents ? Ils sont morts sans avoir eu la joie d’embrasser leur enfant perdu ? (C’était l’occasion pourtant, puisqu’ils ne l’embrassaient jamais auparavant.) Ô ma mère ! ma mère !
Je dis : « ô ma mère ! » sans y penser beaucoup, c’est pour faire comme dans les livres.
Et j’ajoute : « Quand vous reverrai-je ? Vous revoir et mourir ! »
Je la reverrai, si Dieu le veut.
Mais quand je reparaîtrai devant elle, comment serai-je reçu ? Me reconnaîtra-t-elle ?
Si elle allait ne pas me reconnaître !
N’être pas reconnu par celle qui vous a entouré de sa sollicitude depuis le berceau, enveloppé de sa tendresse, une mère enfin !
Qui remplace une mère ?
Mon Dieu ! une trique remplacerait assez bien la mienne !
Ne pas me reconnaître ! mais elle sait bien qu’il me manque derrière l’oreille une mèche de cheveux, puisque c’est elle qui me l’a arrachée un jour ; ne pas me reconnaître ? mais j’ai toujours la cicatrice de la blessure que je me suis faite en tombant, et pour laquelle on m’a empêché de voir les Fabre. Toutes les traces de sa tutelle, de sa sollicitude, se lisent en raies blanches, en petites places bleues. Elle me reconnaîtra ; il me sera donné d’être encore aimé, battu, fouetté, pas gâté !
Il ne faut pas gâter les enfants.
Elle m’a reconnu ! merci, mon Dieu ! Elle m’a reconnu ! et s’est écriée :
« Te voilà donc ! s’il t’arrive de me faire encore t’attendre jusqu’à deux heures du matin, à brûler la bougie, à tenir la porte ouverte, c’est moi qui te corrigerai ! Et il bâille encore ! devant sa mère !
— J’ai sommeil.
— On aurait sommeil à moins !
— J’ai froid.
— On va faire du feu exprès pour lui, — brûler un fagot de bois !
— Mais c’est M. Doizy qui…
— C’est M. Doizy qui t’a oublié, n’est-ce pas ! Si tu ne l’avais pas fait tomber, il n’aurait pas eu à te punir, et il ne t’aurait pas oublié. Il voudrait encore s’excuser, voyez-vous ! Tiens ! voilà ce qui me reste d’une bougie que j’ai commencée hier. Tout ça pour veiller en se demandant ce qu’était devenu monsieur ! Allons ne faisons pas le gelé, — n’ayons pas l’air d’avoir la fièvre… Veux-tu bien ne pas claquer des dents comme cela ! Je voudrais que tu fusses bien malade une bonne fois, ça te guérirait peut-être… »
Je ne croyais pas être tant dans mon tort : en effet, c’est ma faute ; mais je ne puis pas m’empêcher de claquer des dents, j’ai les mains qui me brûlent, et des frissons qui me passent dans le dos. J’ai attrapé froid cette nuit sur ces bancs, le crâne contre le pupitre ; cette lecture aussi m’a remué…
Oh ! je voudrais dormir ! je vais faire un somme sur la chaise.
« Ôte-toi de là, me dit ma mère en retirant la chaise. On ne dort pas à midi. Qu’est-ce que c’est que ces habitudes maintenant ?
— Ce ne sont pas des habitudes. Je me sens fatigué, parce que je n’ai pas reposé dans mon lit.
— Tu trouveras ton lit ce soir, si toutefois tu ne t’amuses pas à vagabonder.
— Je n’ai pas vagabondé…
— Comment ça s’appelle-t-il, coucher dehors ? Il va donner tort à sa mère à présent ! Allons, prends tes livres. Sais-tu tes leçons pour ce soir ? »
Oh ! l’île déserte, les bêtes féroces, les pluies éternelles, les tremblements de terre, la peau de bête, le parasol, le pas du sauvage, tous les naufrages, toutes les tempêtes, des cannibales, — mais pas les leçons pour ce soir !
Je grelottai tout le jour. Mais je n’étais plus seul ; j’avais pour amis Crusoé et Vendredi. À partir de ce moment, il y eut dans mon imagination un coin bleu, dans la prose de ma vie d’enfant battu la poésie des rêves, et mon cœur mit à la voile pour les pays où l’on souffre, où l’on travaille, mais où l’on est libre.
Que de fois j’ai lu et relu ce Robinson !
Je m’occupai de savoir à qui il appartenait ; il était à un élève de quatrième qui en cachait bien d’autres dans son pupitre ; il avait le Robinson suisse, les Contes du Chanoine Schmidt, la Vie de Cartouche, avec des gravures.
_________________
"If you think education is too expensive, try ignorance ! "
"As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? "
- OxfordNeoprof expérimenté
Daria a écrit:Bonsoir,
Je donne souvent en évaluation le texte de Chateaubriand des Mémoires où il raconte que son père le laissait dormir seul dans la plus haute tour du château.
Je peux te l'envoyer en mp si tu veux.
J'aime beaucoup cet extrait.
Sinon, il y a le célèbre passage sur
- les soirées d'hiver:
- Les soirées d’automne et d’hiver étaient d’une autre nature. Le souper fini et les quatre convives revenus de la table à la cheminée, ma mère se jetait en soupirant sur un vieux lit de jour de siamoise flambée ; on mettait devant elle un guéridon avec une bougie. Je m’asseyais auprès du feu avec Lucile ; les domestiques enlevaient le couvert et se retiraient ; Mon père commençait alors une promenade, qui ne cessait qu’à l’heure de son coucher. Il était vêtu d’une robe de ratine blanche, ou plutôt d’une espèce de manteau que je n’ai vu qu’à lui. Sa tête, demi chauve, était couverte d’un grand bonnet blanc qui se tenait tut droit. Lorsqu’en se promenant, il s’éloignait du foyer, la vaste salle était si peu éclairée par une seule bougie qu’on ne le voyait plus ; puis il revenait lentement vers la lumière et émergeait peu à peu de l’obscurité, comme un spectre, avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure longue et pâle. Lucile et moi, nous échangions quelques mots à voix basse, quand il était à l’autre bout de la salle ; nous nous taisions quand il se rapprochait de nous. Il nous disait, en passant ; « De quoi parliez-vous ? ». Saisis de terreur, nous ne répondions rien : il continuait sa marche. Le reste de la soirée, l’oreille n’était plus frappée que du bruit mesuré de ses pas, des soupirs de ma mère et du murmure du vent.
Dix heures sonnaient à l’horloge du château ; mon père s’arrêtait ; le même ressort, qui avait soulevé le marteau de l’horloge, semblait avoir suspendu ses pas. Il tirait sa montre, la montait, prenait un grand flambeau d’argent surmonté d’une grande bougie, entrait un moment dans la petite tour de l’ouest, puis revenait, son flambeau à la main, et s’avançait vers sa chambre à coucher, dépendante de la petite tour de l’est. Lucile et moi, nous nous tenions sur son passage ; nous l’embrassions, en lui souhaitant une bonne nuit. Il penchait vers nous sa joue sèche et creuse sans nous répondre, continuait sa route et se retirait au fond de la tour, dont nous entendions les portes se refermer sur lui.
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Tutti i ghjorna si n'impara.
- SaltaojosHabitué du forum
Tu as dû trouver ton bonheur dans toutes ces propositions très intéressantes
J'ai donné l'extrait de W ou le souvenir d'enfance l'an dernier, le passage où il dit ne pas avoir de souvenirs d'enfance et les conséquences pour sa vie d'adulte.
J'ai donné l'extrait de W ou le souvenir d'enfance l'an dernier, le passage où il dit ne pas avoir de souvenirs d'enfance et les conséquences pour sa vie d'adulte.
- OudemiaBon génie
Je te mets le texte de Gide, qui est vers la fin du 1er chapitre de Si le grain ne meurt, et me semble correspondre à ce que tu cherches :
- Spoiler:
- J’écrirai mes souvenirs comme ils viennent, sans chercher à les ordonner. Tout au plus les puis-je grouper autour des lieux et des êtres ; ma mémoire ne se trompe pas souvent de place ; mais elle brouille les dates ; je suis perdu si je m’astreins à de la chronologie. À reparcourir le passé, je suis comme quelqu’un dont le regard n’apprécierait pas bien les distances et parfois reculerait extrêmement ce que l’examen reconnaîtra beaucoup plus proche. C’est ainsi que je suis resté longtemps convaincu d’avoir gardé le souvenir de l’entrée des Prussiens à Rouen :
C’est la nuit. On entend la fanfare militaire, et du balcon de la rue de Crosne où elle passe, on voit les torches résineuses fouetter d’inégales lueurs les murs étonnés des maisons...
Ma mère à qui, plus tard, j’en reparlai, me persuada que d’abord, en ce temps, j’étais beaucoup trop jeune pour en avoir gardé quelque souvenir que ce soit ; qu’au surplus jamais un Rouennais, ou en tout cas aucun de ma famille, ne se serait mis au balcon pour voir passer fût-ce Bismarck ou le roi de Prusse lui- même, et que si les Allemands avaient organisé des cortèges, ceux-ci eussent défilé devant des volets clos. Certainement mon souvenir devait être des "retraites aux flambeaux" qui, tous les samedis soir, remontaient ou descendaient la rue de Crosne après que les Allemands avaient depuis longtemps déjà vidé la ville.
"C’était là ce que nous te faisions admirer du balcon, en te chantant, te souviens-tu :
Zim laï la ! Zim laï la
Les beaux militaires ! "
Et soudain je reconnaissais aussi la chanson. Tout se remettait à sa place et reprenait sa proportion. Mais je me sentais un peu volé ; il me semblait que j’étais plus près de la vérité d’abord, et que méritait bien d’être un événement historique ce qui, devant mes sens tout neufs, se douait d’une telle importance. De là ce besoin inconscient de le reculer à l’excès afin que le magnifiât la distance.
- AsarteLilithBon génie
Et le texte du dnb de Pastoureau, sur le blouson ?
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Chuis comme les plantes sans eau : sans grec ni latin, j'me dessèche.
ON DIT CHOCOLATINE, PHILISTINS !
- mimilouNiveau 10
Merci à tous pour vos idées. Je les conserve précieusement.
- [4ème] Critique sociale. Texte pour évaluation finale ?
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