doxa et notation

Régulièrement, des élèves me demandent s'ils risquent d'avoir une mauvaise note dans le cas où leur correcteur n'aurait pas la même opinion qu'eux. Je leur réponds qu'en théorie, l'examinateur tient compte de la capacité à argumenter ; il peut donc ne pas être d'accord avec une interprétation et lui accorder tout de même des points parce qu'elle repose sur des remarques cohérentes et qui s'appuient sur l'oeuvre.
Mais dans les faits, chaque année des élèves me racontent les raisons pour lesquelles ils ont perdu des points et j'ai le sentiment que sur chaque œuvre, il existe une doxa, et malheur à celui qui s'en éloigne.
Trois exemples récents à propos de Manon Lescaut :
- La doxa : il faut croire Manon lorsqu'elle dit que ses parents l'envoient au couvent / mon cours : on a de bonnes raisons de penser qu'elle ment en prétendant cela
- La doxa : la scène d'évasion de Saint-Lazare est une scène d'action (sans dimension comique) / mon cours : cette scène comporte une dimension comique qui ridiculise Des Grieux
- La doxa : en Louisiane, c'est la rédemption de Manon / mon cours : la sincérité de cette rédemption est hypothétique

En préparant mes cours sur Rimbaud, je vois déjà le décalage qui existe sur certains poèmes entre la doxa du système scolaire et les remarques du chercheur Steve Murphy. Par exemple :
- La doxa : "Le dormeur du val" est un poème antimilitariste / Steve Murphy : le fait que le soldat sourit invalide cette interprétation
- La doxa : : "Les effarés" est une dénonciation de la misère comme on en trouve chez Hugo / Steve Murphy : contrairement à Hugo, il y a ici de l'humour noir

Evidemment, je sais qu'il faut prendre les témoignages d'élèves avec des pincettes, mais le dernier exemple que je vais donner est pour moi le pire : une de mes élèves m'affirme qu'à l'entretien de son oral sur Olympe de Gouges, son examinatrice ne lui a posé absolument aucune question sur l'œuvre mais lui a reproché de ne pas connaître les Femen, Simone Veil, les suffragettes anglaises... La doxa (ici l'histoire du féminisme), dans ce cas, vient même remplacer l'analyse de l'œuvre.

La fameuse "bienveillance" dont on nous rebat les oreilles, je la vois surtout s'appliquer aux copies médiocres (les élèves qui n'ont pas la moyenne avec moi dans l'année parviennent à l'avoir au bac), et au contraire je vois quelques-uns de mes meilleurs élèves perdre des points (passer de 17 avec moi à 13 au bac) à cause de ce décalage avec la doxa, malgré la qualité de leur argumentation.

Sujet polémique, j'en ai conscience.
Votre avis ? Partagez-vous ce sentiment ?

Oui...pour les meilleurs élèves en effet, ça peut jouer contre eux, surtout s'ils ne défendent pas vraiment le point de vue peut-être.

The Paper a écrit:
Trois exemples récents à propos de Manon Lescaut :
- La doxa : il faut croire Manon lorsqu'elle dit que ses parents l'envoient au couvent / mon cours : on a de bonnes raisons de penser qu'elle ment en prétendant cela
- La doxa : la scène d'évasion de Saint-Lazare est une scène d'action (sans dimension comique) / mon cours : cette scène comporte une dimension comique qui ridiculise Des Grieux
- La doxa : en Louisiane, c'est la rédemption de Manon / mon cours : la sincérité de cette rédemption est hypothétique

En préparant mes cours sur Rimbaud, je vois déjà le décalage qui existe sur certains poèmes  entre la doxa du système scolaire et les remarques du chercheur Steve Murphy. Par exemple :
- La doxa : "Le dormeur du val" est un poème antimilitariste / Steve Murphy : le fait que le soldat sourit invalide cette interprétation
- La doxa : : "Les effarés" est une dénonciation de la misère comme on en trouve chez Hugo / Steve Murphy : contrairement à Hugo, il y a ici de l'humour noir

Ce qui m'a toujours sidéré en lettres, c'est cette propension de gens venus des siècles après coup, et qui prétendent savoir mieux que l'auteur lui-même ce que ce dernier voulait écrire.
En général, un écrivain Voit tout, ou un maximum de possibles, visualise tout un tas de possibilités lorsqu'il crée un ensemble qui va perdurer à travers les siècles et devoir universel.
C'est tout l'intérêt même, et pas d'aller s'enfermer dans une interprétation. Il y a certainement un peu de tout ce qui est énoncé, comme possibilités ... Et tout est question d'interprétation, et du point de vue de personnage selon lequel on se place...

The Paper a écrit:

La fameuse "bienveillance" dont on nous rebat les oreilles, je la vois surtout s'appliquer aux copies médiocres (les élèves qui n'ont pas la moyenne avec moi dans l'année parviennent à l'avoir au bac), et au contraire je vois quelques-uns de mes meilleurs élèves perdre des points (passer de 17 avec moi à 13 au bac) à cause de ce décalage avec la doxa, malgré la qualité de leur argumentation.

Sujet polémique, j'en ai conscience.
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J'ai le même avis mais pas vraiment à cause d'une doxa, plutôt parce qu'il ne faut pas mettre des notes trop basses aux élèves en grande difficulté, c'est mal et pas gentil du tout et que mettre de trop bonnes notes (c'est-à-dire appliquer la même bienveillance à tous), c'est faire preuve d'un laxisme coupable. J'en ai eu la preuve en regardant les statistiques sur Santorin : la courbe montrait que les notes allaient essentiellement de 8 à 12.

Je dirais qu'il faut se méfier des analyses qui sortent de la doxa en ce sens qu'elles nécessiteront parfois plus d'argumentation.
Ne pas oublier qu'au bac, on n'a pas tous relu les oeuvres et on n'a pas tous fait cours dessus. Donc si je tombe sur un élève qui fonde toute son analyse sur une interprétation originale apportée par le prof, et qu'il n'est pas capable d'argumenter, je serai sans doute plus sévère.
C'est pourquoi j'avais tendance, quand j'avais des 1ere, à donner à la fois la doxa et des pistes pour une interprétation plus originale, en expliquant aux élèves que le plus sage était de retenir ce qu'ils étaient capables de réexpliquer.
J'ai eu une fois à faire passer des oraux blancs aux élèves d'un collègue (qu'au demeurant j'admire beaucoup et trouve brillant) qui ont eu des notes assez basses, non parce qu'ils étaient mal préparés mais parce qu'ils ne parvenaient pas à réexpliquer des interprétations parfois très éloignées des interprétations classiques. Ce n'est pas en soi l'interprétation classique qui leur a fait défaut mais bien la capacité à me convaincre de leur interprétation.