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- FabienneNiveau 9
Hervé: en STG: même 25 textes ça me paraît énorme.
Personne ne t'a traité de vieux schnok. Je te dis juste mon immense surprise devant le nombre de textes. Ceci s'explique lorsque tu dis que tu es un adepte des cours magistraux.
Je crois en la vertu de cette manière d'enseignement, parfois, pour gagner du temps, pour un public qui a déjà un bagage méthodologique et culturel.
Mais pour les STG, vraiment, c'est quelque chose qui me laisse dubitative.
Me revient une phrase d'Alain, qui à travers la métaphore de la manipulation du fusil, disait en substance qu'on n'apprend pas à bien parler et à bien penser en regardant quelqu'un qui parle bien et qui pense bien.
Je pense que c'est d'autant plus vrai avec des élèves de STG qui ne sont pas franchement des lumières, et apprennent plutôt "en faisant".
Ceci dit, ce n'est que mon avis. J'ai appris à enseigner comme ça, et je constate aujourd'hui les limites de ce qu'on m'a appris à moi dans ma formation d'enseignant. Pas de méthode miracle, ta façon d'enseigner a forcément ses vertus.
Personne ne t'a traité de vieux schnok. Je te dis juste mon immense surprise devant le nombre de textes. Ceci s'explique lorsque tu dis que tu es un adepte des cours magistraux.
Je crois en la vertu de cette manière d'enseignement, parfois, pour gagner du temps, pour un public qui a déjà un bagage méthodologique et culturel.
Mais pour les STG, vraiment, c'est quelque chose qui me laisse dubitative.
Me revient une phrase d'Alain, qui à travers la métaphore de la manipulation du fusil, disait en substance qu'on n'apprend pas à bien parler et à bien penser en regardant quelqu'un qui parle bien et qui pense bien.
Je pense que c'est d'autant plus vrai avec des élèves de STG qui ne sont pas franchement des lumières, et apprennent plutôt "en faisant".
Ceci dit, ce n'est que mon avis. J'ai appris à enseigner comme ça, et je constate aujourd'hui les limites de ce qu'on m'a appris à moi dans ma formation d'enseignant. Pas de méthode miracle, ta façon d'enseigner a forcément ses vertus.
- InvitéInvité
Euh j'ai des STG 3h / semaine, je suis une vieille schnok, mais cela me semble impossible d'arriver à 30 textes.
Et j'ai la série des Darcos qui, je l'avoue, ne me met pas plus en transe que ça...
Et j'ai la série des Darcos qui, je l'avoue, ne me met pas plus en transe que ça...
- RuthvenGuide spirituel
Cappuccinette a écrit:Et j'ai la série des Darcos qui, je l'avoue, ne me met pas plus en transe que ça...
Hérétique! Pour peine, tu auras pour le reste de ta carrière exclusivement toutes les STG de ton lycée :lol!: .
- SaraswatiNeoprof expérimenté
les "Darcos" je crois en avoir 2 : celui sur le XIXe (je crois même que c'était mon manuel de lycée, ou de 3e je ne sais plus)
et j'en ai un autre de la collection "Faire le Point - Hachette Education" : Histoire de la littérature française, que j'avais acheté en prépa (ainsi que Guide des idées littéraires d'Henri Benac dans la même collection).
http://www.ecampus.com/bk_detail.asp?isbn=9782010165887
Merci à tous pour ces précisions, je ne pense pas réussir à faire 30 textes ! mais au moins je sais que c'est possible !
et j'en ai un autre de la collection "Faire le Point - Hachette Education" : Histoire de la littérature française, que j'avais acheté en prépa (ainsi que Guide des idées littéraires d'Henri Benac dans la même collection).
http://www.ecampus.com/bk_detail.asp?isbn=9782010165887
Merci à tous pour ces précisions, je ne pense pas réussir à faire 30 textes ! mais au moins je sais que c'est possible !
- InvitéInvité
Ruthven a écrit:Cappuccinette a écrit:Et j'ai la série des Darcos qui, je l'avoue, ne me met pas plus en transe que ça...
Hérétique! Pour peine, tu auras pour le reste de ta carrière exclusivement toutes les STG de ton lycée :lol!: .
Euh j'ai déjà commencé... et je n'avais encore rien dit !!!!!! :injuste:
- SaraswatiNeoprof expérimenté
Merci beaucoup Fanfan pour toutes ces précisions et les grandes lignes des séquences proposées !
- couetteNiveau 7
Je bossais dessus quand j'étais moi-même en seconde , et malgré leur coté un peu austère, je les utilise toujours ... Comme quoi ( bis !)Daniel a écrit:Les manuels Darcos sont vraiment géniaux paraît-il (comme quoi...) !!
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- InvitéInvité
couette a écrit:Je bossais dessus quand j'étais moi-même en seconde , et malgré leur coté un peu austère, je les utilise toujours ... Comme quoi ( bis !)Daniel a écrit:Les manuels Darcos sont vraiment géniaux paraît-il (comme quoi...) !!
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Cela ne m'étonne pas : on bosse mieux sur ce que l'on a soi-même pratiqué !
Cela dit, je vais me pencher à nouveau sur ces manuels...
- InvitéInvité
Merci à Fanfan pour le descriptif envoyé. J'avoue me demander comment faire avec mes 35 STG très faibles...
Pour la petite histoire, j'ai aussi eu Pommier à la Sorbonne !
Pour la petite histoire, j'ai aussi eu Pommier à la Sorbonne !
- RuthvenGuide spirituel
Cappuccinette a écrit:
Euh j'ai déjà commencé... et je n'avais encore rien dit !!!!!! :injuste:
Qu'est-ce que tu as fait? Tu as dit à ton proviseur qu'il était boudiné dans son costume???
- InvitéInvité
Ruthven a écrit:Cappuccinette a écrit:
Euh j'ai déjà commencé... et je n'avais encore rien dit !!!!!! :injuste:
Qu'est-ce que tu as fait? Tu as dit à ton proviseur qu'il était boudiné dans son costume???
Moi ? Je n'oserais pas...
- HervéNiveau 5
Bonjour Françoise ! Le coup de l'analyse logique d'une page de proust, tu le fais toujours ? Euh, tant qu'à faire tu pourrais donner les trois autres descriptifs si les collègues sont d'accord ... Etant entendu qu'on ne fait bien que ce qu'on fait soi-même ...
Hervé
Bon courage aux antillais en cette période mouventée ! Que de cyclones dans la région ! Ah, justement, cela me rappelle un joli texte de Chamoiseau , c'est complètement hors sujet (le détour:-)) mais c'est (surtout) cela la littérature et cela me permet d'envoyer une pensée aux haïtiens si tragiquement meurtris pour la troisième fois en quelques semaines :
"La radio annonçait le cyclone. Mais Man Ninotte en était par avance informée. Elle savait raccorder les nuages à l'inquiétude des rats. Elle savait décoder la transhumance de petits insectes précipités au jour par la menace du ciel. Cela semblait une journée de pluie, mais qui serait d'un sombre millénaire, confusément perçu. Personne n'expliquait rien au négrillon. On s'activait autour de lui, sans plus répondre à ses questions. Man Ninotte partait à la recherche de récipients pour l'eau. Elle les stockait un peu partout, remplis à mort. S'achetait des bougies, des allumettes. Renforçait sa réserve de pétrole, de mèches à lampes. S'approvisionnait en pain, sel, huile, morue séchée, pois secs. Ramenait une viande salée. Vérifiait sa teinture d'arnica, son éther, la hauteur de son rhum camphré ou de ses feuilles pour blesse. De la cour, elle enlevait ses objets les plus précieux et les montait dans le couloir. Dans la maison, les plans de sauvegarde destinés aux infiltrations se voyaient renforcés, et elle vérifiait la fermeture des fenêtres dont le bois travaillant nécessitait toujours une rognure à la lime. Les persiennes étaient maintenues closes avec de petits clous. Entre-temps, le jour était tombé. Le négrillon ne vit jamais de cyclone diurne. Toujours la nuit, comme pour laisser au monde le temps de s'y soumettre, aux Syriens de fermer boutique, aux rues de se vider, aux possédants d'automobiles de les serrer sur les hauts mornes. Puis, dans un silence malsain, dessous la pluie, et sous les premiers vents, on se mettait à attendre, à attendre, à attendre, à prendre de l'attendre et à en faire des lots.
Le négrillon ne savait pas très bien ce que l'on attendait. Cyclone pour lui ne voulait dire hak. Il ne comprenait pas ce tant d'immobilités sur les visages, ce si peu des guerres habituelles, cette économie de cancans dans le repas du soir, ce sommeil impossible à venir. Ses moindres mots étaient accueillis par des Dors et Paix-là. Man Ninotte allait-virait, vérifiait ce qu'elle avait déjà vérifié, s'arrêtait au bord de la radio pour s'informer des choses et des sakipasé. Le Papa, lui, campait devant, l'oreille à la musique, et donnait l'alerte quand la voix du paroleur suspendait l'émission. On attendait. Le négrillon, pour son premier cyclone, prit sommeil avant l'heure et, bien entendu, nul ne le réveilla.
A son réveil, il comprit ce que l'on avait attendu. La ville gisait défaite, frappée de boues, d'inondations et d'étrangetés. Des tôles jonchaient les rues, des arbres tombés levaient de cauchemardesques racines dans une dérive d'eau noire, des cochons blancs et des poules sans plumes et des bœufs sans cornes cherchaient sous l'hébétude un ordre posé du monde. Les devantures défoncées libéraient un vomi de naufrages. De gros fils électriques tressautaient sous les décharges de leurs propres étincelles. Posés partout: des armoires orphelines, de hauts miroirs brisés, un coffre-fort flotteur, mille tiroirs sans passés, d'énormes livres étouffés d'eau, bric-à-brac d'un panier caraïbe insensé, l'absolue mise à sac, au rapt, au vrac des poches du ciel, des cœurs et des greniers. Par-dessus, la consternation criarde des premiers arrivés découvrait ce que les vieux-nègres appellent (ou plus exactement crient) : an tÿoumanman, et Césaire: un désastre.
Cyclone c'est vent aveugle. Il bouleverse les affaires des békés et mulâtres, il écorce la vie, et durant quelques jours redistribue les parts. En ville, le monde recommençait sous une mer de boue élevée haut comme ça. Les gens des sept mornes, généralement épargnés, couraient-venir trouver une chance dans les magasins éventrés. Les Syriens se mettaient à brader sans réfléchir des briques de terre provenant de leurs rouleaux de toile. Police, pompiers, gens de la politique, bougres en folie solennelle, négresses porteuses de sacs, djobeurs éperdus, chabins à quatre pattes: véritable niche de fourmis folles affairée aux survies mais demeurant attentive aux clins d'œil de l'aubaine.
Le négrillon passait les journées à la fenêtre, suivant des yeux Man Ninotte à travers le quartier. Elle n'était jamais plus à l'aise que dans l'apocalypse. S'il n'y avait plus d'eau, elle ramenait de l'eau. S'il n'y avait plus de poissons, elle brassait du poisson. Elle trouvait du pain chaud. Elle trouvait des bougies. Elle trouvait des paquets de rêves et les charriait en équilibre dessus son grand chapeau. Et surtout, elle ramenait par poignées des vêtements d'argile, des souvenirs de toiles pris dans un ciment noir, des objets perdus sous une gangue sans prénom. Cela s'empilait dans la cour dans l'attente du nettoyage. Il la voyait disparaître au bout de la rue, réapparaître à l'autre, massive et puissante sous les ailes de son chapeau, parlant fort, saluant tous, distribuant des conseils que nul ne demandait. Pour cette adversaire des déveines, le désastre était un vieil ami. Elle s'y démenait à peine plus que d'habitude, et nous en extrayait le meilleur. Pourtant, à l'annonce d'un cyclone, elle n'ouvrait jamais l'œil clair du malade audevant d'un bouillon. Elle les aurait volontiers écartés. Mais, une fois cyclone passé, elle s'élançait dans la bataille comme si elle en avait été le stratège, et, soulevant chaque malheur, elle dénichait chaque chance. En ce temps-là, la nature bouleversée versait du côté de qui n'en avait pas.
Il fallait s'inquiéter des communes. Les informations arrivaient par bribes: tel endroit coupé de Dieu, telle croix sous la rivière, tel coin basculé à l'en-bas d'une falaise. Sitôt les routes rétablies, Man Ninotte s'en allait elle-même aux nouvelles de la famille. Sinon, elle restait à l'écoute des avis d'obsèques, et se rendait aux enterrements de ceux dont le cœur avait mal pris d'être ventilé, qui s'étaient noyés pour sauver leur cochon, qui s'étaient vus cisaillés par une tôle volante ou charroyés dans le suicide d'une eau folle vers la mer.
Nous perdîmes un Tonton. Il s'était envolé au-delà du ciel avec son cabri préféré. Sa concubine le vit monter avec le vent, le cabri sous le bras, l'air à peine surpris de se retrouver dans une mer qui déroulait ses vagues au-dessus des grands arbres. On ne le revit plus, sauf durant certaines pluies, quand des marchandes de charbon envahissaient le ciel et qu'il se mettait à pleuvoir non seulement de l'eau mais des nuits très anciennes. Sa concubine et ses enfants l'entendaient annoncer des destins à venir, s'inquiéter de leur santé et du reste des cabris. Il évoquait aussi souvent son coq de combat, que personne n'osait plus faire combattre et qui dépérissait comme une vieille poule dans une racine de fromager. Man Ninotte quand elle monta, essaya de lui parler, mais elle n'eut en réponse qu'un béguètement sur des glouglous de vent. Dès lors, nul ne le comprit plus.
On fit venir un parleur-à-zombis, un de ces nègres à cheval sur un jour et une nuit. Le bougre vint en dormant aux abords de la case, lors d'une de ces pluies dont on a dit les titres. Dans son sommeil, il se mit à parler au Tonton. Il lui parla dans un lointain créole, et dans un vieux français, et dans un lot de langues qui traînaient dans la Caraïbe depuis un temps où le monde était simple. Et le Tonton lui répondait avec son béguètement de cabri et de vent souterrain. A son réveil, le parleur-à-zombis révéla qu'il n'avait rien compris à ce charabia céleste et qu'il n'y avait rien à en tirer, car il est vrai madame qu'emporté par un cyclone on se retrouvait tourbillonnant du cerveau dans un quelque part pour le moins jamais clair. Le Tonton allait errer comme ça durant trois quarts d'éternité plus un nombre d'heures égal à celui des poils du cabri auquel son âme était désormais liée - leur confia-t-il en s'enfuyant.
La boue s'incrustait dans la ville durant une charge de mois. Les éboueurs en avaient emporté le plus gros, les pompiers avaient chassé le reste sous les jets de leurs eaux. Subsistait une pellicule invincible: seule la vie quotidienne pourrait espérer la dissoudre. Pour le négrillon, il y avait là un phénomène étrange: un vent vient et inonde, un souffle passe et crève en boue noire. Une ville meurt pour émerger neuve d'une momification sale. L'abondance germe du malheur: on trouvait dans la colle des rues, soixante-douze illusions et les autres rêves qui ne s'envolaient plus.
L'après-cyclone rassemblait les enfants. L'école était noyée. On pouvait prendre sommeil tard. Les grandes personnes, affairées aux nettoyages, leur accordaient un petit brin d'oubli. La bande de la maison remplissait le couloir de ses jeux. Alors, intervenait parfois Jeanne-Yvette. Elle venait d'on ne sait où, et logeait parfois dans la famille de Man Sirène. Une jeune fille maigre oui, rieuse, féroce, aimable et douce en montant. Elle nous ramenait de la campagne des contes créoles inconnus dans les nuits de Fort-de-France. Les conteurs de ville étaient rares. En tout cas, le négrillon n'en avait jamais vu. Il rencontra le conte créole avec Jeanne-Yvette, une vraie conteuse, c'est-à-dire une mémoire impossible et une cruauté sans égale. Elle vous épouvantait à l'extrême avec deux mots, une suggestion, une chanson sans grand sens. Elle maniait des silences, des langages. Elle éclaboussait la mort avec du rire, cueillait ce rire d'un seul effroi. Elle nous menait au rythme des rafales de sa langue, nous faisant accroire n'importe quoi. Nous guettions Manman Dlo dans l'ombre de l'escalier. Nous prenions-courir à l'odeur d'un zombi qu'elle reniflait. Elle nous forçait à nous déshabiller au moment d'évoquer quelque diablesse détestant les vêtements. Elle apprit au négrillon l'étonnante richesse de l'oralité créole. Un univers de résistances débrouillardes, de méchancetés salvatrices, riche de plusieurs génies. Jeanne-Yvette nous venait des mémoires caraïbes, du grouillement de l'Afrique, des diversités d'Europe, du foisonnement de l'Inde, des tremblements d'Asie ... , du vaste toucher des peuples dans le prisme des îles ouvertes, lieux-dits de la Créolité. "
Patrick Chamoiseau (Une enfance créole I – Antan d’enfance) - Gallimard (folio)- 1996
Au fait, à propos de littérature contemporaire, le Mitterand va assez loin ; derniers textes présentés : Copi (1988), Koltés (1983) et Peter Handke (1974). Le XXème siècle de Darcos termine avec Annie Ernaux (un extrait de "La Place")
Hervé
Bon courage aux antillais en cette période mouventée ! Que de cyclones dans la région ! Ah, justement, cela me rappelle un joli texte de Chamoiseau , c'est complètement hors sujet (le détour:-)) mais c'est (surtout) cela la littérature et cela me permet d'envoyer une pensée aux haïtiens si tragiquement meurtris pour la troisième fois en quelques semaines :
"La radio annonçait le cyclone. Mais Man Ninotte en était par avance informée. Elle savait raccorder les nuages à l'inquiétude des rats. Elle savait décoder la transhumance de petits insectes précipités au jour par la menace du ciel. Cela semblait une journée de pluie, mais qui serait d'un sombre millénaire, confusément perçu. Personne n'expliquait rien au négrillon. On s'activait autour de lui, sans plus répondre à ses questions. Man Ninotte partait à la recherche de récipients pour l'eau. Elle les stockait un peu partout, remplis à mort. S'achetait des bougies, des allumettes. Renforçait sa réserve de pétrole, de mèches à lampes. S'approvisionnait en pain, sel, huile, morue séchée, pois secs. Ramenait une viande salée. Vérifiait sa teinture d'arnica, son éther, la hauteur de son rhum camphré ou de ses feuilles pour blesse. De la cour, elle enlevait ses objets les plus précieux et les montait dans le couloir. Dans la maison, les plans de sauvegarde destinés aux infiltrations se voyaient renforcés, et elle vérifiait la fermeture des fenêtres dont le bois travaillant nécessitait toujours une rognure à la lime. Les persiennes étaient maintenues closes avec de petits clous. Entre-temps, le jour était tombé. Le négrillon ne vit jamais de cyclone diurne. Toujours la nuit, comme pour laisser au monde le temps de s'y soumettre, aux Syriens de fermer boutique, aux rues de se vider, aux possédants d'automobiles de les serrer sur les hauts mornes. Puis, dans un silence malsain, dessous la pluie, et sous les premiers vents, on se mettait à attendre, à attendre, à attendre, à prendre de l'attendre et à en faire des lots.
Le négrillon ne savait pas très bien ce que l'on attendait. Cyclone pour lui ne voulait dire hak. Il ne comprenait pas ce tant d'immobilités sur les visages, ce si peu des guerres habituelles, cette économie de cancans dans le repas du soir, ce sommeil impossible à venir. Ses moindres mots étaient accueillis par des Dors et Paix-là. Man Ninotte allait-virait, vérifiait ce qu'elle avait déjà vérifié, s'arrêtait au bord de la radio pour s'informer des choses et des sakipasé. Le Papa, lui, campait devant, l'oreille à la musique, et donnait l'alerte quand la voix du paroleur suspendait l'émission. On attendait. Le négrillon, pour son premier cyclone, prit sommeil avant l'heure et, bien entendu, nul ne le réveilla.
A son réveil, il comprit ce que l'on avait attendu. La ville gisait défaite, frappée de boues, d'inondations et d'étrangetés. Des tôles jonchaient les rues, des arbres tombés levaient de cauchemardesques racines dans une dérive d'eau noire, des cochons blancs et des poules sans plumes et des bœufs sans cornes cherchaient sous l'hébétude un ordre posé du monde. Les devantures défoncées libéraient un vomi de naufrages. De gros fils électriques tressautaient sous les décharges de leurs propres étincelles. Posés partout: des armoires orphelines, de hauts miroirs brisés, un coffre-fort flotteur, mille tiroirs sans passés, d'énormes livres étouffés d'eau, bric-à-brac d'un panier caraïbe insensé, l'absolue mise à sac, au rapt, au vrac des poches du ciel, des cœurs et des greniers. Par-dessus, la consternation criarde des premiers arrivés découvrait ce que les vieux-nègres appellent (ou plus exactement crient) : an tÿoumanman, et Césaire: un désastre.
Cyclone c'est vent aveugle. Il bouleverse les affaires des békés et mulâtres, il écorce la vie, et durant quelques jours redistribue les parts. En ville, le monde recommençait sous une mer de boue élevée haut comme ça. Les gens des sept mornes, généralement épargnés, couraient-venir trouver une chance dans les magasins éventrés. Les Syriens se mettaient à brader sans réfléchir des briques de terre provenant de leurs rouleaux de toile. Police, pompiers, gens de la politique, bougres en folie solennelle, négresses porteuses de sacs, djobeurs éperdus, chabins à quatre pattes: véritable niche de fourmis folles affairée aux survies mais demeurant attentive aux clins d'œil de l'aubaine.
Le négrillon passait les journées à la fenêtre, suivant des yeux Man Ninotte à travers le quartier. Elle n'était jamais plus à l'aise que dans l'apocalypse. S'il n'y avait plus d'eau, elle ramenait de l'eau. S'il n'y avait plus de poissons, elle brassait du poisson. Elle trouvait du pain chaud. Elle trouvait des bougies. Elle trouvait des paquets de rêves et les charriait en équilibre dessus son grand chapeau. Et surtout, elle ramenait par poignées des vêtements d'argile, des souvenirs de toiles pris dans un ciment noir, des objets perdus sous une gangue sans prénom. Cela s'empilait dans la cour dans l'attente du nettoyage. Il la voyait disparaître au bout de la rue, réapparaître à l'autre, massive et puissante sous les ailes de son chapeau, parlant fort, saluant tous, distribuant des conseils que nul ne demandait. Pour cette adversaire des déveines, le désastre était un vieil ami. Elle s'y démenait à peine plus que d'habitude, et nous en extrayait le meilleur. Pourtant, à l'annonce d'un cyclone, elle n'ouvrait jamais l'œil clair du malade audevant d'un bouillon. Elle les aurait volontiers écartés. Mais, une fois cyclone passé, elle s'élançait dans la bataille comme si elle en avait été le stratège, et, soulevant chaque malheur, elle dénichait chaque chance. En ce temps-là, la nature bouleversée versait du côté de qui n'en avait pas.
Il fallait s'inquiéter des communes. Les informations arrivaient par bribes: tel endroit coupé de Dieu, telle croix sous la rivière, tel coin basculé à l'en-bas d'une falaise. Sitôt les routes rétablies, Man Ninotte s'en allait elle-même aux nouvelles de la famille. Sinon, elle restait à l'écoute des avis d'obsèques, et se rendait aux enterrements de ceux dont le cœur avait mal pris d'être ventilé, qui s'étaient noyés pour sauver leur cochon, qui s'étaient vus cisaillés par une tôle volante ou charroyés dans le suicide d'une eau folle vers la mer.
Nous perdîmes un Tonton. Il s'était envolé au-delà du ciel avec son cabri préféré. Sa concubine le vit monter avec le vent, le cabri sous le bras, l'air à peine surpris de se retrouver dans une mer qui déroulait ses vagues au-dessus des grands arbres. On ne le revit plus, sauf durant certaines pluies, quand des marchandes de charbon envahissaient le ciel et qu'il se mettait à pleuvoir non seulement de l'eau mais des nuits très anciennes. Sa concubine et ses enfants l'entendaient annoncer des destins à venir, s'inquiéter de leur santé et du reste des cabris. Il évoquait aussi souvent son coq de combat, que personne n'osait plus faire combattre et qui dépérissait comme une vieille poule dans une racine de fromager. Man Ninotte quand elle monta, essaya de lui parler, mais elle n'eut en réponse qu'un béguètement sur des glouglous de vent. Dès lors, nul ne le comprit plus.
On fit venir un parleur-à-zombis, un de ces nègres à cheval sur un jour et une nuit. Le bougre vint en dormant aux abords de la case, lors d'une de ces pluies dont on a dit les titres. Dans son sommeil, il se mit à parler au Tonton. Il lui parla dans un lointain créole, et dans un vieux français, et dans un lot de langues qui traînaient dans la Caraïbe depuis un temps où le monde était simple. Et le Tonton lui répondait avec son béguètement de cabri et de vent souterrain. A son réveil, le parleur-à-zombis révéla qu'il n'avait rien compris à ce charabia céleste et qu'il n'y avait rien à en tirer, car il est vrai madame qu'emporté par un cyclone on se retrouvait tourbillonnant du cerveau dans un quelque part pour le moins jamais clair. Le Tonton allait errer comme ça durant trois quarts d'éternité plus un nombre d'heures égal à celui des poils du cabri auquel son âme était désormais liée - leur confia-t-il en s'enfuyant.
La boue s'incrustait dans la ville durant une charge de mois. Les éboueurs en avaient emporté le plus gros, les pompiers avaient chassé le reste sous les jets de leurs eaux. Subsistait une pellicule invincible: seule la vie quotidienne pourrait espérer la dissoudre. Pour le négrillon, il y avait là un phénomène étrange: un vent vient et inonde, un souffle passe et crève en boue noire. Une ville meurt pour émerger neuve d'une momification sale. L'abondance germe du malheur: on trouvait dans la colle des rues, soixante-douze illusions et les autres rêves qui ne s'envolaient plus.
L'après-cyclone rassemblait les enfants. L'école était noyée. On pouvait prendre sommeil tard. Les grandes personnes, affairées aux nettoyages, leur accordaient un petit brin d'oubli. La bande de la maison remplissait le couloir de ses jeux. Alors, intervenait parfois Jeanne-Yvette. Elle venait d'on ne sait où, et logeait parfois dans la famille de Man Sirène. Une jeune fille maigre oui, rieuse, féroce, aimable et douce en montant. Elle nous ramenait de la campagne des contes créoles inconnus dans les nuits de Fort-de-France. Les conteurs de ville étaient rares. En tout cas, le négrillon n'en avait jamais vu. Il rencontra le conte créole avec Jeanne-Yvette, une vraie conteuse, c'est-à-dire une mémoire impossible et une cruauté sans égale. Elle vous épouvantait à l'extrême avec deux mots, une suggestion, une chanson sans grand sens. Elle maniait des silences, des langages. Elle éclaboussait la mort avec du rire, cueillait ce rire d'un seul effroi. Elle nous menait au rythme des rafales de sa langue, nous faisant accroire n'importe quoi. Nous guettions Manman Dlo dans l'ombre de l'escalier. Nous prenions-courir à l'odeur d'un zombi qu'elle reniflait. Elle nous forçait à nous déshabiller au moment d'évoquer quelque diablesse détestant les vêtements. Elle apprit au négrillon l'étonnante richesse de l'oralité créole. Un univers de résistances débrouillardes, de méchancetés salvatrices, riche de plusieurs génies. Jeanne-Yvette nous venait des mémoires caraïbes, du grouillement de l'Afrique, des diversités d'Europe, du foisonnement de l'Inde, des tremblements d'Asie ... , du vaste toucher des peuples dans le prisme des îles ouvertes, lieux-dits de la Créolité. "
Patrick Chamoiseau (Une enfance créole I – Antan d’enfance) - Gallimard (folio)- 1996
Au fait, à propos de littérature contemporaire, le Mitterand va assez loin ; derniers textes présentés : Copi (1988), Koltés (1983) et Peter Handke (1974). Le XXème siècle de Darcos termine avec Annie Ernaux (un extrait de "La Place")
- HervéNiveau 5
Arrrggghhh !
Proust, contemporaine ... et j'en passe !
Pour Moi aussi le travail sur écran est pénible ...
Et je voulais ajouter : Chamoiseau qu'on ne trouve pas assez dans les manuels scolaires ... Confiant, Zobel et les autres non plus d'ailleurs ...
Proust, contemporaine ... et j'en passe !
Pour Moi aussi le travail sur écran est pénible ...
Et je voulais ajouter : Chamoiseau qu'on ne trouve pas assez dans les manuels scolaires ... Confiant, Zobel et les autres non plus d'ailleurs ...
- FabienneNiveau 9
Fanfan a écrit: Il me semble que les propos d'Alain (« Et enfin il n'y a de progrès, pour nul écolier au monde, ni en ce qu'il entend ni en ce qu'il voit, mais seulement en ce qu'il fait. ») ne sont nullement contradictoires avec ce type d'enseignement et qu'enfin les élèves ne peuvent "tourner à vide". Faire un cours magistral sur la versification à l'aide du poème de Ronsard m'a permis de remettre les pendules à l'heure (ils ne savaient pas ce qu'était un vers, une rime, un alexandrin ..., comment faire autrement ? ) Peuvent-ils "inventer" ce qu'ils ne savent pas ? Et avant de "faire" comme dit Alain, il faut bien fournir les outils. On ne laboure pas un champ à mains nues ...
Oui, c'est sûr, il faut donner des outils, c'est bien pour ça que je pense que parfois, les cours magistraux sont utiles (et je suis la première à en faire, et à trouver parfois la phase de "repérage" qu'on nous a enseignée à l'IOUFME complètement artificielle et inutile). La versification en est un parfait exemple (ou les figures de style), il est évident qu'ils ne vont pas inventer des termes techniques.
Mais je n'arrive pas à me mettre dans la tête qu'on apprend à faire une lecture analytique en copiant sur sa feuille ce que quelqu'un dicte de ce qu'il a compris sur le texte.
Quand ils sont face à leur feuille le jour du bac, ou lors de la préparation de l'oral, c'est à eux d'arriver à faire les choses eux-mêmes.
En bref, je crois qu'on doit à la fois transmettre un savoir et un savoir-faire, et si les cours magistraux permettent certainement de donner un savoir, mais le reste, je ne pense pas...
- FabienneNiveau 9
Fanfan a écrit: à retenir aussi l'excellent(e) "Petite Fabrique de littérature" de A. Duchesne et Th. Legay également chez Magnard (Préface de Brighelli)
Je me suis beaucoup servi de ce livre il y a quelques années, j'y ai pioché des idées vraiment originales.
Merci pour la bibliographie!
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