- ChoupidupilatNiveau 1
Voici le texte du texte "On pourrait presque manger dehors", qu'on trouve dans La première gorgée de bière et autres minuscules plaisirs de Philippe Delerm. Je butte sur une phrase (surlignée, à la fin du texte) et j'aurais voulu connaître votre avis sur la question.
On pourrait presque manger dehors
C'est le « presque » qui compte, et le conditionnel. Sur le coup, ça semble une folie. On est tout juste au début de mars, la semaine n'a été que pluie, vent et giboulées. Et puis voilà. Depuis le matin, le soleil est venu avec une intensité mate, une force tranquille. Le repas de midi est prêt, la table mise. Mais même à l'intérieur, tout est changé. La fenêtre entrouverte, la rumeur du dehors, quelque chose de léger qui flotte.
« On pourrait presque manger dehors ». La phrase vient toujours au même instant. Juste avant de passer à table, quand il semble qu'il est trop tard pour bousculer le temps, quand les crudités sont déjà posées sur la nappe. Trop tard ? L'avenir sera ce que vous en ferez. La folie vous poussera peut-être à vous précipiter dehors, à passer un coup de chiffon fiévreux sur la table de jardin, à proposer des pull-overs, à canaliser l'aide que chacun déploie avec un enjouement maladroit, des déplacements contradictoires. Ou bien vous vous résignerez à déjeuner au chaud – les chaises sont bien trop mouillées, l'herbe si haute...
Mais peu importe. Ce qui compte, c'est le moment de la petite phrase. On pourrait presque... C'est bon, la vie au conditionnel, comme autrefois, dans les jeux enfantins : « On aurait dit que tu serais... » Une vie inventée, qui prend à contre-pied les certitudes. Une vie presque : à portée de la main, cette fraîcheur. Une fantaisie modeste, vouée à la dégustation transposée des rites domestiques. Un petit vent de folie sage qui change tout sans rien changer...
Parfois, on dit : « On aurait presque pu... » Là, c'est la phrase triste des adultes qui n'ont gardé en équilibre sur la boîte de Pandore que la nostalgie. Mais il y a des jours où l'on cueille le jour au moment flottant des possibles, au moment fragile d'une hésitation honnête, sans orienter à l'avance le fléau de la balance. Il y a des jours où l'on pourrait presque.
Est-ce que cela signifie que parmi tous les maux destinés aux humains par les dieux et enfermés dans la boîte de Pandore, il sont particulièrement empreints de nostalgie (mais pourquoi est-elle "en équilibre"?) ? Je trouve cette phrase difficile !
On pourrait presque manger dehors
C'est le « presque » qui compte, et le conditionnel. Sur le coup, ça semble une folie. On est tout juste au début de mars, la semaine n'a été que pluie, vent et giboulées. Et puis voilà. Depuis le matin, le soleil est venu avec une intensité mate, une force tranquille. Le repas de midi est prêt, la table mise. Mais même à l'intérieur, tout est changé. La fenêtre entrouverte, la rumeur du dehors, quelque chose de léger qui flotte.
« On pourrait presque manger dehors ». La phrase vient toujours au même instant. Juste avant de passer à table, quand il semble qu'il est trop tard pour bousculer le temps, quand les crudités sont déjà posées sur la nappe. Trop tard ? L'avenir sera ce que vous en ferez. La folie vous poussera peut-être à vous précipiter dehors, à passer un coup de chiffon fiévreux sur la table de jardin, à proposer des pull-overs, à canaliser l'aide que chacun déploie avec un enjouement maladroit, des déplacements contradictoires. Ou bien vous vous résignerez à déjeuner au chaud – les chaises sont bien trop mouillées, l'herbe si haute...
Mais peu importe. Ce qui compte, c'est le moment de la petite phrase. On pourrait presque... C'est bon, la vie au conditionnel, comme autrefois, dans les jeux enfantins : « On aurait dit que tu serais... » Une vie inventée, qui prend à contre-pied les certitudes. Une vie presque : à portée de la main, cette fraîcheur. Une fantaisie modeste, vouée à la dégustation transposée des rites domestiques. Un petit vent de folie sage qui change tout sans rien changer...
Parfois, on dit : « On aurait presque pu... » Là, c'est la phrase triste des adultes qui n'ont gardé en équilibre sur la boîte de Pandore que la nostalgie. Mais il y a des jours où l'on cueille le jour au moment flottant des possibles, au moment fragile d'une hésitation honnête, sans orienter à l'avance le fléau de la balance. Il y a des jours où l'on pourrait presque.
Est-ce que cela signifie que parmi tous les maux destinés aux humains par les dieux et enfermés dans la boîte de Pandore, il sont particulièrement empreints de nostalgie (mais pourquoi est-elle "en équilibre"?) ? Je trouve cette phrase difficile !
- cléliaFidèle du forum
Dans le mythe, il ne reste que l'espérance; dans le texte, il ne reste du passé et de l'enfance que la nostalgie. "En équilibre" rappelle pour moi tout ce qui s'échappe de la boîte. La nostalgie aussi menace de s'envoler, c'est un sentiment fragile, qui tient dans ces petites phrases. Je n'ai pas l'impression qu'il faille chercher plus loin (Delerm ne me paraît pas d'une profondeur extraordinaire. Je trouve ça plaisant mais finalement assez maigre pour être commenté. Mais peut-être que je passe à côté de quelque chose.)
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Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
Il revint.
Il fréquenta le monde, et il eut d’autres amours, encore.
- BaldredSage
Je sais, je n'aide pas mais quand on est capable d'écrire la phrase d'après... des jours où l'on cueille le jour au moment flottant des possibles on est capable de tout.
Dans la version d'Hésiode, la boite de Pandore est un vase. L'espérance plus lente que les maux s'arrête au bord, d'où peut-être cette image d'équilibre, ou bien d'une illustration du mythe. La nostagie remplace l'espérance consolatrice. L'idée d'équilibre annonce sans doute aussi l'image suivante, aussi peu claire, de la balance dont on n'oriente pas le fléau...
D'accord avec @clélia, Delerm ne mérite sans doute pas qu'on s'attarde sur le brouillard "plaisant" de son écriture.
Dans la version d'Hésiode, la boite de Pandore est un vase. L'espérance plus lente que les maux s'arrête au bord, d'où peut-être cette image d'équilibre, ou bien d'une illustration du mythe. La nostagie remplace l'espérance consolatrice. L'idée d'équilibre annonce sans doute aussi l'image suivante, aussi peu claire, de la balance dont on n'oriente pas le fléau...
D'accord avec @clélia, Delerm ne mérite sans doute pas qu'on s'attarde sur le brouillard "plaisant" de son écriture.
- IphigénieProphète
dans le contexte je vois plutôt que cela désigne les adultes trop sages qui n'ont pas voulu ouvrir la boite de Pandore et ne gardent que la nostalgie de ne pas voir osé , ceux qui comme dirait Brel "sommeillent par manque d'imprudence".
- ChoupidupilatNiveau 1
Ah c'est marrant, moi je trouve ça bien (bien que cette phrase soit en effet trop nébuleuse), j'ai plein de choses à en dire.
Merci pour ces idées, je me suis en effet demandé s'il n'y avait pas un rapport avec la balance qui arrive ensuite, mais je ne pense pas. Par contre, je trouve très claire cette phrase sur le fléau de la balance, que l'on fixe sur un poids avant de mettre dans le plateau l'aliment qu'on veut peser. On fixe ainsi d'avance la mesure.
En tout cas merci !
Merci pour ces idées, je me suis en effet demandé s'il n'y avait pas un rapport avec la balance qui arrive ensuite, mais je ne pense pas. Par contre, je trouve très claire cette phrase sur le fléau de la balance, que l'on fixe sur un poids avant de mettre dans le plateau l'aliment qu'on veut peser. On fixe ainsi d'avance la mesure.
En tout cas merci !
- ChoupidupilatNiveau 1
Oui, d'accord Baldred, je réponds peut-être un peu vite à ta remarque : en effet, on n'"oriente" pas un fléau de balance, on le "fixe".
- LeclochardEmpereur
Choupidupilat a écrit:Ah c'est marrant, moi je trouve ça bien (bien que cette phrase soit en effet trop nébuleuse), j'ai plein de choses à en dire.
Merci pour ces idées, je me suis en effet demandé s'il n'y avait pas un rapport avec la balance qui arrive ensuite, mais je ne pense pas. Par contre, je trouve très claire cette phrase sur le fléau de la balance, que l'on fixe sur un poids avant de mettre dans le plateau l'aliment qu'on veut peser. On fixe ainsi d'avance la mesure.
En tout cas merci !
Tous les ans, en début d'année, je commente avec les 6èmes un texte de Delerm sur la rentrée. Ce n'est pas si mal écrit. Il y a quelques ficelles d'écritures faciles à identifier (emploi massif du "on", du présent de narration ou de vérité générale...) qui donnent l'illusion de la proximité familière avec le lecteur, d'un vécu universel à des souvenirs datés et personnels. Le goût pour les plaisirs répétitifs, la nostalgie des instants fugaces... c'est tout un art de raconter l'insignifiant sans en faire trop. Maintenant, ce n'est pas Proust et je ne sais pas si au lycée, c'est si intéressant à analyser.
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Quelqu'un s'assoit à l'ombre aujourd'hui parce que quelqu'un d'autre a planté un arbre il y a longtemps. (W.B)
- IphigénieProphète
Je trouve que vous chipotez beaucoup sur ce point. Par contre personne ne relève l’herbe si haute au mois de mars : alors que là, là c’est un problème ….Choupidupilat a écrit:Oui, d'accord Baldred, je réponds peut-être un peu vite à ta remarque : en effet, on n'"oriente" pas un fléau de balance, on le "fixe".
- ChoupidupilatNiveau 1
Hi hi, n'en jetez plus, la coupe est pleine !
En tout cas, moi j'aime bien ces textes, la description d'un plaisir qui part d'une anecdote et peut souvent être généralisé à quelque chose de plus universel, et surtout, ça marche avec ma classe d'élèves assez faibles. J'ai lancé à partir de ces textes une activité d'écriture qui a également coché toutes les cases (investissement, relecture et modifications, travail sur la cohérence du texte, la création de paragraphes... ) et nous a redonné un peu de souffle après les Contemplations et avant Sido (j'aime Colette mais j'ai un peu peur de la réaction des élèves).
Enfin, les élèves que j'ai entendus l'an dernier pour l'EAF et qui sont passés sur le texte éponyme du recueil ont bien réussi (et ne sont pas tombés dans l'écueil liste de procédés +aucune référence au sens du texte).
En tout cas, moi j'aime bien ces textes, la description d'un plaisir qui part d'une anecdote et peut souvent être généralisé à quelque chose de plus universel, et surtout, ça marche avec ma classe d'élèves assez faibles. J'ai lancé à partir de ces textes une activité d'écriture qui a également coché toutes les cases (investissement, relecture et modifications, travail sur la cohérence du texte, la création de paragraphes... ) et nous a redonné un peu de souffle après les Contemplations et avant Sido (j'aime Colette mais j'ai un peu peur de la réaction des élèves).
Enfin, les élèves que j'ai entendus l'an dernier pour l'EAF et qui sont passés sur le texte éponyme du recueil ont bien réussi (et ne sont pas tombés dans l'écueil liste de procédés +aucune référence au sens du texte).
- liliepingouinÉrudit
"On pourrait presque manger dehors" : on est entre le potentiel et l'irréel du présent, c'est l'espoir resté en équilibre parce qu'il ne s'est pas envolé de la boîte et peut-être aussi parce qu'il vient rétablir l'équilibre dans le monde déstabilisé par l'afflux soudain des maux.
L'équilibre prépare surtout l'image de la balance qui suit, et qui développe le potentiel, l'indécision sur le futur.
"On aurait presque pu" : irréel du passé, donc nostalgie qui prend la place de l'espoir pour réenchanter brièvement, mais plus tristement, le monde. Cette indécision sur le futur n'existe plus.
L'équilibre prépare surtout l'image de la balance qui suit, et qui développe le potentiel, l'indécision sur le futur.
"On aurait presque pu" : irréel du passé, donc nostalgie qui prend la place de l'espoir pour réenchanter brièvement, mais plus tristement, le monde. Cette indécision sur le futur n'existe plus.
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Spheniscida qui se prend pour une Alcida.
"Laissons glouglouter les égouts." (J.Ferrat)
"Est-ce qu'on convainc jamais personne?" (R.Badinter)
Même si c'est un combat perdu d'avance, crier est important.
- IphigénieProphète
C’est tout à fait cela!liliepingouin a écrit:"On pourrait presque manger dehors" : on est entre le potentiel et l'irréel du présent, c'est l'espoir resté en équilibre parce qu'il ne s'est pas envolé de la boîte et peut-être aussi parce qu'il vient rétablir l'équilibre dans le monde déstabilisé par l'afflux soudain des maux.
L'équilibre prépare surtout l'image de la balance qui suit, et qui développe le potentiel, l'indécision sur le futur.
"On aurait presque pu" : irréel du passé, donc nostalgie qui prend la place de l'espoir pour réenchanter brièvement, mais plus tristement, le monde. Cette indécision sur le futur n'existe plus.
- ChoupidupilatNiveau 1
Merci, c'est très clair et ça éclaire bien le texte ! Au cas où certaines personnes parmi vous apprécient ces courts textes, une partie de la classe a travaillé sur "Aller aux mûres", qui a très bien fonctionné (plus simple), et une élève sur "Le paquet de gâteaux du dimanche matin", intéressant sur la création d'une nouvelle tradition, l'achat et l'acheminement d'un paquet de gâteaux dans les rues devenant un rituel gourmand qui remplace la messe du dimanche.
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