- NLM76Grand Maître
En ce moment, je me dis que ce trio pourrait bien être un pilier, un leitmotiv que je répéterais et ferais répéter, pour mes cours au lycée. "Ce que nous cherchons à apprendre, c'est comment, par le discours, instruire, émouvoir et plaire." Cela pourrait m'aider à les écarter de la tentation paraphrastique dans le commentaire : s'ils entendent que le but du cours, c'est de savoir écrire, composer, dire un "texte" efficace dans cette optique, il me semble qu'ils pourront mieux entendre qu'il ne s'agit pas de redire ce qu'a dit l'auteur autrement.
Mais je voudrais réfléchir aux différents "résumés" que l'on fait du but d'un texte littéraire, ou de la rhétorique. Par exemple, Horace dit "prōdesse et dēlēctāre", avec deux focales seulement. De mon côté, sous "prōdesse" et "docēre", je mettrais bien "faire réfléchir", de sorte qu'on n'entende pas seulement "prodiguer de la moraline".
A quels autres pareils symboles du texte littéraire penseriez-vous ? Voyez-vous des textes qui ne se contenteraient pas de les poser, mais les discuteraient — si possible, avec génie ?
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Sites du grip :
- http://instruire.fr
- http://grip-editions.fr
Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- AsarteLilithBon génie
Cicéron, De l'orateur ?
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Chuis comme les plantes sans eau : sans grec ni latin, j'me dessèche.
ON DIT CHOCOLATINE, PHILISTINS !
- NLM76Grand Maître
Un passage en particulier ?
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- AsarteLilithBon génie
Je vais fouiller dans mes docs, j'ai quelque chose du site ATC.
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Chuis comme les plantes sans eau : sans grec ni latin, j'me dessèche.
ON DIT CHOCOLATINE, PHILISTINS !
- Fires of PompeiiGuide spirituel
De orat. II, 121, par exemple.
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Je ne dirai qu'une chose : stulo plyme.
- AsarteLilithBon génie
Tu trouveras peut-être ton bonheur dans ce document d'ATC (je l'utilise pour ma séquence sur Cicéron vs Catilina, pour une séance sur l'éloquence) : http://www.arretetonchar.fr/wp-content/uploads/2013/IMG/archives/civilisation/Lecon%20-%20la%20rhetorique%20latine%20selon%20Ciceron.pdf
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- e-WandererGrand sage
Je reconnais bien là ta préoccupation légitime de remettre du sens dans nos petites activités d'analyse littéraire, et de transmettre cette exigence aux élèves. Je souscris à l'idée générale et à l'intention, naturellement.NLM76 a écrit:De mon côté, sous "prōdesse" et "docēre", je mettrais bien "faire réfléchir"
Toutefois, du point de vue de l'orthodoxie rhétorique, docere me semble avoir un spectre plus large. Avant même la réflexion, on ne peut pas oblitérer la vocation purement informative, qui reste toujours prioritaire : c'est typiquement le rôle de la narratio dans le genre judiciaire, lorsque l'accusation puis la défense racontent les faits (sous le jour qui les arrangent). Après, naturellement, on peut discuter de l'interprétation des faits, dans le volet proprement argumentatif du discours (refutatio, confirmatio etc.). Docere recouvre les deux aspects : informer puis engager la réflexion (perspective interprétative). Mutatis mutandis, c'est aussi ce que cherche à faire l'enseignant : apporter des éléments de savoir d'ordre factuel, et essayer de les exploiter pour proposer une ligne interprétative convaincante.
Quelque chose qui pourrait peut-être t'intéresser : à côté des 3 genres oratoires traditionnels (judiciaire, démonstratif, épidictique), Philipp Melanchthon en propose un quatrième dans ses Institutiones Rhetoricæ (1521), le genre dialectique – Melanchthon était très influencé par le De Dialectica de Rudolph Agricola, qui est un traité intermédiaire entre rhétorique et dialectique – : "certa quædam et simplex docendi ratio, qua rerum naturæ, causæ, partes, et officia certis quibusdam legibus inquiruntur, ut exacte et proprie nihil cognosci queat, nisi dialecticis organis adstrictum".
Cette idée d'un quatrième genre est surtout reprise et affinée plus tard dans ses Elementa rhetorices (1531), sous le nom de genre didascalique : "Est autem didascalicum genus, Methodus illa docendi, quæ traditur in Dialectica, cujus particulam retinuerunt Rhetores in statu finitivo. Est et demonstrativum genus affine didascalico generi. Plerumque enim est definitio, sed amplificata ornamentis oratoriis, ut tamquam pictura, ab imperitis magis conspici possit, ut si quis laudet leges, et de autoritate legum dicat, is definiet leges, et definitionem amplificabit." En somme, la base reste la démonstration dialectique, qui peut être auto-suffisante lorsqu'on s'adresse à des esprits déliés, et elle est fondée sur le docere, mais pour les esprits communs, moins dégourdis (imperiti), on peut avoir recours aux figures, aux ornements du style et à l'amplification pour mieux se faire comprendre. C'est le genre de l'enseignement, et de l'enseignement religieux par excellence dans l'esprit de ce rhéteur protestant. On retrouve parfois cette proposition d'un 4e genre chez d'autres rhéteurs : versant catholique, Louis de Grenade parle par exemple d'un "genre de discours scholastique, doctoral ou dialectique, qui a pour fin d'instruire & d'éclairer l'esprit" (La Rhétorique de l'Église, 1698 pour la traduction française, le texte latin date de 1576).
Voilà déjà une piste, je ne sais pas si je suis bien en phase avec ce que tu souhaitais comme type de discussion ?
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« Profitons du temps qui nous reste avant la définitive invasion de la grande muflerie du Nouveau Monde » (Huysmans)
- e-WandererGrand sage
AsarteLilith : il y aurait une petite approximation à corriger dans la page 2 de ton document : il y a une confusion (assez fréquente, hélas) entre attentio et captatio benevolentiæ. Ce sont classiquement deux des trois fonctions canoniques de l'exorde : 1) capter l'attention de l'auditeur, le rendre attentif (l'attentio) 2) lui montrer qu'on est "dans le même camp que lui", la captatio benevolentiæ. 3) le rendre docile, c'est-à-dire, prêt à être enseigné (la docilitas).
Par exemple, le grec Sinon qui est abandonné sur la plage de Troie avec le fameux cheval a toutes les chances de se faire trucider et son premier effort doit donc être la captatio benevolentiæ : montrer qu'il n'est pas l'ennemi des Troyens, sur le mode "Vous pensez que je suis votre ennemi parce que je suis Grec. Mais les Grecs, qui m'ont abandonné, sont devenus mes ennemis. Les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Nous avons un ennemi commun, donc nous sommes amis". Et maintenant qu'on est copains, je peux tranquillement vous expliquer ce qu'on va faire avec ce fichu cheval… C'est typique de l'exorde prononcé face à un auditoire hostile, ce qu'on appelle l'exorde indirect ou insinuatio (avec étymologiquement l'image du repli serpentin, du détour) : l'homme politique qui doit calmer une foule séditieuse, le capitaine qui doit empêcher une mutinerie sur son navire etc.
La fonction d'attentio, c'est plus simplement donner envie d'écouter la suite, éveiller l'intérêt de l'auditoire.
Par exemple, le grec Sinon qui est abandonné sur la plage de Troie avec le fameux cheval a toutes les chances de se faire trucider et son premier effort doit donc être la captatio benevolentiæ : montrer qu'il n'est pas l'ennemi des Troyens, sur le mode "Vous pensez que je suis votre ennemi parce que je suis Grec. Mais les Grecs, qui m'ont abandonné, sont devenus mes ennemis. Les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Nous avons un ennemi commun, donc nous sommes amis". Et maintenant qu'on est copains, je peux tranquillement vous expliquer ce qu'on va faire avec ce fichu cheval… C'est typique de l'exorde prononcé face à un auditoire hostile, ce qu'on appelle l'exorde indirect ou insinuatio (avec étymologiquement l'image du repli serpentin, du détour) : l'homme politique qui doit calmer une foule séditieuse, le capitaine qui doit empêcher une mutinerie sur son navire etc.
La fonction d'attentio, c'est plus simplement donner envie d'écouter la suite, éveiller l'intérêt de l'auditoire.
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- NLM76Grand Maître
Oui, en effet, pour ce qui est de la rhétorique en tant que telle. Reste que, de fait, je n'enseigne pas à construire des discours judiciaires, démonstratifs ou épidictiques, et encore moins à les lire. Ce sont les textes "littéraires" au sens moderne que j'enseigne; et il me semble qu'en ceux-ci la fonction informative est très secondaire, voire très sujette à caution. Ce qui est informatif, c'est, comme tu le dis, les éléments que je donne pour aider à comprendre en contexte ce qui est écrit.e-Wanderer a écrit:Je reconnais bien là ta préoccupation légitime de remettre du sens dans nos petites activités d'analyse littéraire, et de transmettre cette exigence aux élèves. Je souscris à l'idée générale et à l'intention, naturellement.NLM76 a écrit:De mon côté, sous "prōdesse" et "docēre", je mettrais bien "faire réfléchir"
Toutefois, du point de vue de l'orthodoxie rhétorique, docere me semble avoir un spectre plus large...
Mais en effet, il faut réfléchir au fait que les discours à écrire par les élèves, ceux-là sont d'ordre plus clairement, plus traditionnellement "rhétoriques" : le commentaire et la dissertation ont pour but de "docere", et en quelque sorte, ils suivent une logique "didascalique"... dont l'articulation avec la dialectique est probablement très intéressante ; l'étude de cette articulation devrait être extrêmement féconde.
Peut-être au fond s'agit-il essentiellement de distinguer poétique (= "plaire, émouvoir, faire réfléchir" ?) et rhétorique (= "instruire, émouvoir, plaire" ?... où, dans notre cas, les deux dernières fonctions devraient être réduites au minimum).
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e-Wanderer a écrit:AsarteLilith : il y aurait une petite approximation à corriger dans la page 2 de ton document : il y a une confusion (assez fréquente, hélas) entre attentio et captatio benevolentiæ. Ce sont classiquement deux des trois fonctions canoniques de l'exorde : 1) capter l'attention de l'auditeur, le rendre attentif (l'attentio) 2) lui montrer qu'on est "dans le même camp que lui", la captatio benevolentiæ. 3) le rendre docile, c'est-à-dire, prêt à être enseigné (la docilitas).
Par exemple, le grec Sinon qui est abandonné sur la plage de Troie avec le fameux cheval a toutes les chances de se faire trucider et son premier effort doit donc être la captatio benevolentiæ : montrer qu'il n'est pas l'ennemi des Troyens, sur le mode "Vous pensez que je suis votre ennemi parce que je suis Grec. Mais les Grecs, qui m'ont abandonné, sont devenus mes ennemis. Les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Nous avons un ennemi commun, donc nous sommes amis". Et maintenant qu'on est copains, je peux tranquillement vous expliquer ce qu'on va faire avec ce fichu cheval… C'est typique de l'exorde prononcé face à un auditoire hostile, ce qu'on appelle l'exorde indirect ou insinuatio (avec étymologiquement l'image du repli serpentin, du détour) : l'homme politique qui doit calmer une foule séditieuse, le capitaine qui doit empêcher une mutinerie sur son navire etc.
La fonction d'attentio, c'est plus simplement donner envie d'écouter la suite, éveiller l'intérêt de l'auditoire.
Point très intéressant, mais comme dit plus a=haut, attention, ce n'est pas un document perso, juste un doc que je reprends d'ATC.
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