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- Anatole Vas.Niveau 2
Je pense qu'un professeur a deux missions, une mission civilisationnelle (la transmission du savoir, d'un patrimoine / héritage culturel pour assurer une continuité civilisationnelle) et une mission sociale, peut être plus urgente (lutter contre le déterminisme social, l'assignation à résidence sociale, aider l'élève à s'arracher à son milieu social d'origine, en somme le fameux "ascenseur social").
L'école républicaine doit donc instruire les jeunes gens, de tous milieux (même si j'ai le sentiment qu'un prof est plus utile dans un village de campagne du Nord ou dans une ZEP qu'à Henri IV ou Louis-le-Grand), en leur transmettant une somme de référents culturels.
Ce qui pose le problème de la "distinction", et de la culture légitime, de la culture "de la classe dominante" que l'institution scolaire a pour vocation de transmettre. Pour que l'ascenseur social fonctionne, il faudrait que tous les jeunes lycéens (et donc aussi les lycéens de ZEP) aient les mêmes référents culturels, surtout dans un système de lutte des classes et de discrimination sociale à la française (d'autant que l'élite française est une élite littéraire plus que scientifique) où les candidats à des concours/oraux sont souvent invités à mobiliser des référents culturels issus de la culture légitime ou à invoquer des oeuvres dites "classiques" - ce qui nous ramène à toute la discussion sur la littérarité, sur la littérature de gare style Barbara Cartland ou sur la labellisation et la canonisation des grands classiques de notre patrimoine culturel.
Le problème, c'est que compte tenu de la disparité des niveaux, il peut être difficile de lire du Racine ou du Flaubert avec des élèves qui ne savent pas conjuguer le verbe "être" à tous les temps de l'indicatif. Je suis convaincu que tout le monde peut être touché par Bérénice de Racine, le Cid de Corneille, le Misanthrope de Molière, une belle page de Bossuet, un beau poème de Lamartine ou Madame Bovary, je suis sûr que Virgile, Horace, Ovide, Lucrèce nous parlent toujours, mais je m'interroge : peut-on contester ce rôle de l'école républicaine qui consiste à transmettre des référents culturels, à transmettre la culture légitime en sachant que beaucoup d'élèves ne s'y retrouvent pas, ont du mal à s'approprier ces oeuvres trop éloignées de leurs préoccupations quotidiennes ? Je trouve terriblement dommage qu'on ne puisse pas parler davantage de politique en classe, à la limite, je trouve que le cours le plus essentiel dans la formation d'un jeune lycéen est un cours d'histoire contemporaine pour que l'élève puisse se situer en tant que citoyen dans notre société.
Du reste, soyons honnêtes : on a déjà tous fait l'expérience du "must" : un roman issu de la culture légitime, un "classique", nous est vendu comme un must, alors on se force un peu à le lire - en faisant tout notre possible pour l'apprécier - mais malgré notre persévérance le livre nous tombe des mains, ou on s'endort devant un "chef d'oeuvre" cinématographique qu'on nous a chaudement recommandé. N'est-ce pas contre-productif d'imposer des oeuvres qui pourraient laisser les élèves indifférents sous prétexte que ce soient des oeuvres issues de la culture dite "légitime" ou "dominante" ? D'autant que Racine, Boileau, Bossuet, Flaubert ne sont pas à la portée de tous les élèves, ce sont des oeuvres souvent difficiles d'accès. Mais si on échoue dans la transmission de la culture légitime (donner aux élèves un nombre conséquent de référents culturels), on échoue sur le plan civilisationnel (transmission d'un patrimoine culturel) et social (instruire chaque élève au sens premier, l'outiller et le doter des référents culturels qui lui permettront de briser le déterminisme social et de naviguer dans tous les milieux sociaux ?). Cela dit, on peut aussi considérer que l'objectif est d'ouvrir les perspectives, de former le goût en faisant une distinction entre aimer une oeuvre et la connaître à titre documentaire (juste "pour la culture", "parce que l'oeuvre est importante" et non pas parce que l'oeuvre trouve un écho en nous).
(Je viens de finir mon master disciplinaire en lettres classiques, j'entre dans le métier l'an prochain en tant que prof contractuel, j'ignore dans quel type d'établissement je travaillerai, d'où mes questions, interrogations et ma démarche un peu réflexive).
L'école républicaine doit donc instruire les jeunes gens, de tous milieux (même si j'ai le sentiment qu'un prof est plus utile dans un village de campagne du Nord ou dans une ZEP qu'à Henri IV ou Louis-le-Grand), en leur transmettant une somme de référents culturels.
Ce qui pose le problème de la "distinction", et de la culture légitime, de la culture "de la classe dominante" que l'institution scolaire a pour vocation de transmettre. Pour que l'ascenseur social fonctionne, il faudrait que tous les jeunes lycéens (et donc aussi les lycéens de ZEP) aient les mêmes référents culturels, surtout dans un système de lutte des classes et de discrimination sociale à la française (d'autant que l'élite française est une élite littéraire plus que scientifique) où les candidats à des concours/oraux sont souvent invités à mobiliser des référents culturels issus de la culture légitime ou à invoquer des oeuvres dites "classiques" - ce qui nous ramène à toute la discussion sur la littérarité, sur la littérature de gare style Barbara Cartland ou sur la labellisation et la canonisation des grands classiques de notre patrimoine culturel.
Le problème, c'est que compte tenu de la disparité des niveaux, il peut être difficile de lire du Racine ou du Flaubert avec des élèves qui ne savent pas conjuguer le verbe "être" à tous les temps de l'indicatif. Je suis convaincu que tout le monde peut être touché par Bérénice de Racine, le Cid de Corneille, le Misanthrope de Molière, une belle page de Bossuet, un beau poème de Lamartine ou Madame Bovary, je suis sûr que Virgile, Horace, Ovide, Lucrèce nous parlent toujours, mais je m'interroge : peut-on contester ce rôle de l'école républicaine qui consiste à transmettre des référents culturels, à transmettre la culture légitime en sachant que beaucoup d'élèves ne s'y retrouvent pas, ont du mal à s'approprier ces oeuvres trop éloignées de leurs préoccupations quotidiennes ? Je trouve terriblement dommage qu'on ne puisse pas parler davantage de politique en classe, à la limite, je trouve que le cours le plus essentiel dans la formation d'un jeune lycéen est un cours d'histoire contemporaine pour que l'élève puisse se situer en tant que citoyen dans notre société.
Du reste, soyons honnêtes : on a déjà tous fait l'expérience du "must" : un roman issu de la culture légitime, un "classique", nous est vendu comme un must, alors on se force un peu à le lire - en faisant tout notre possible pour l'apprécier - mais malgré notre persévérance le livre nous tombe des mains, ou on s'endort devant un "chef d'oeuvre" cinématographique qu'on nous a chaudement recommandé. N'est-ce pas contre-productif d'imposer des oeuvres qui pourraient laisser les élèves indifférents sous prétexte que ce soient des oeuvres issues de la culture dite "légitime" ou "dominante" ? D'autant que Racine, Boileau, Bossuet, Flaubert ne sont pas à la portée de tous les élèves, ce sont des oeuvres souvent difficiles d'accès. Mais si on échoue dans la transmission de la culture légitime (donner aux élèves un nombre conséquent de référents culturels), on échoue sur le plan civilisationnel (transmission d'un patrimoine culturel) et social (instruire chaque élève au sens premier, l'outiller et le doter des référents culturels qui lui permettront de briser le déterminisme social et de naviguer dans tous les milieux sociaux ?). Cela dit, on peut aussi considérer que l'objectif est d'ouvrir les perspectives, de former le goût en faisant une distinction entre aimer une oeuvre et la connaître à titre documentaire (juste "pour la culture", "parce que l'oeuvre est importante" et non pas parce que l'oeuvre trouve un écho en nous).
(Je viens de finir mon master disciplinaire en lettres classiques, j'entre dans le métier l'an prochain en tant que prof contractuel, j'ignore dans quel type d'établissement je travaillerai, d'où mes questions, interrogations et ma démarche un peu réflexive).
- henrietteMédiateur
Je te pose la même question que dans l'autre fil que tu as ouvert, et dans lequel tu as conclu su ces mots :
Es-tu sérieux cette fois, ou est-ce à nouveau juste pour voir les réactions suscitées par tes propos ?Anatole Vas. a écrit:
Pour ne rien vous cacher, la question était davantage théorique, de l'ordre de l'hypothèse et j'ai bien fait de la poser car elle a suscité des réactions assez énergiques. Êvidemment, je ne vais pas prendre ce genre de risques alors que je débute dans le métier, et je ne fais pas de la diffusion de ce film en classe un objectif central dans ma vie ou une affaire personnelle.
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"Il n'y a que ceux qui veulent tromper les peuples et gouverner à leur profit qui peuvent vouloir retenir les hommes dans l'ignorance."
- PoupoutchModérateur
En considérant que tu es sérieux, juste une petite remarque qui vaut autant pour ton post sur ce topic que pour tes posts sur Belle de jour : tu verras vite que "les élèves de banlieue/des villages du Nord/d'Henri IV" n'existent pas hors des fantasmé populaires. En fait une classe, c'est un ensemble d'individus qui ne partagent pas les mêmes références et le même bagage et ce quel que soit l'endroit où tu te trouves (j'ai fait la ZEP et le rural, pas Henri IV mais je ne doute pas qu'il s'y trouve aussi des disparités). Même dans une classe de ZEP ou de lycée rural, tu vas trouver des élèves qui possèdent un bagage culturel solide (et il n'est pas totalement exclu que tu puisse trouver dans un bon lycée de centre-ville des élèves qui n'ont pas ce bagage).
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Lapin Émérite, celle qui Nage en Lisant ou Inversement, Dompteuse du fauve affamé et matutinal.
"L'intelligence est une maladie qui peut se transmettre très facilement mais dont on peut guérir très rapidement et sans aucune séquelle"
- SikeliaNiveau 10
Poupoutch a écrit:En considérant que tu es sérieux, juste une petite remarque qui vaut autant pour ton post sur ce topic que pour tes posts sur Belle de jour : tu verras vite que "les élèves de banlieue/des villages du Nord/d'Henri IV" n'existent pas hors des fantasmé populaires. En fait une classe, c'est un ensemble d'individus qui ne partagent pas les mêmes références et le même bagage et ce quel que soit l'endroit où tu te trouves (j'ai fait la ZEP et le rural, pas Henri IV mais je ne doute pas qu'il s'y trouve aussi des disparités). Même dans une classe de ZEP ou de lycée rural, tu vas trouver des élèves qui possèdent un bagage culturel solide (et il n'est pas totalement exclu que tu puisse trouver dans un bon lycée de centre-ville des élèves qui n'ont pas ce bagage).
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Il faut se méfier des stéréotypes colportés par les médias, les professeurs universitaires et les formateurs des prépas aux concours.
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Sikelia
Numquam est tam male Siculis, quin aliquid facete et commode dicant
(Marco Tullio Cicerone, Verrine, Actio Secundae - Liber Quartus - De praetura siciliensi)
- Anatole Vas.Niveau 2
henriette a écrit:Je te pose la même question que dans l'autre fil que tu as ouvert, et dans lequel tu as conclu su ces mots :Es-tu sérieux cette fois, ou est-ce à nouveau juste pour voir les réactions suscitées par tes propos ?Anatole Vas. a écrit:
Pour ne rien vous cacher, la question était davantage théorique, de l'ordre de l'hypothèse et j'ai bien fait de la poser car elle a suscité des réactions assez énergiques. Êvidemment, je ne vais pas prendre ce genre de risques alors que je débute dans le métier, et je ne fais pas de la diffusion de ce film en classe un objectif central dans ma vie ou une affaire personnelle.
Je m'étonne un peu de ce genre de réactions, pour le coup il est un peu tard pour les débats, mais à votre avis ? Je n'aurais pas pris le temps de rédiger un post aussi long si le but était juste de plaisanter ? Je vais bientôt débuter dans le métier, je me pose donc des questions "de fond" (d'où aussi mon inscription sur ce forum), évidemment le but est toujours de susciter des réactions - de préférence constructives - qui puissent me permettre d'avancer dans ma réflexion, je ne vois pas l'intérêt de poster des choses consensuelles qui laissent indifférentes ou n'ouvrent pas le débat ?
J'avoue que je m'étonne un peu de ce genre de réactions de la part d'une professeur de lettres, vous semblez me prêter une malice et une espièglerie qui sont loin de mes intentions, ce sont simplement des questions que je me pose - et que je pose à des professeurs expérimentés. Vous pouvez ne pas comprendre la démarche réflexive, ne pas partager mes interrogations, trouver que je me pose trop de questions, mais pour le coup je ne vois pas en quoi ce post aurait une teneur provocatrice ?
- Anatole Vas.Niveau 2
Poupoutch a écrit:En considérant que tu es sérieux, juste une petite remarque qui vaut autant pour ton post sur ce topic que pour tes posts sur Belle de jour : tu verras vite que "les élèves de banlieue/des villages du Nord/d'Henri IV" n'existent pas hors des fantasmé populaires. En fait une classe, c'est un ensemble d'individus qui ne partagent pas les mêmes références et le même bagage et ce quel que soit l'endroit où tu te trouves (j'ai fait la ZEP et le rural, pas Henri IV mais je ne doute pas qu'il s'y trouve aussi des disparités). Même dans une classe de ZEP ou de lycée rural, tu vas trouver des élèves qui possèdent un bagage culturel solide (et il n'est pas totalement exclu que tu puisse trouver dans un bon lycée de centre-ville des élèves qui n'ont pas ce bagage).
D'accord, je m'incline devant votre expérience (sérieusement, aucune ironie !). Je ne voulais pas paraître méprisant, je me doute que les classes ne sont pas monolithiques mais composites et qu'au sein d'une même classe il y a beaucoup de disparités. A la limite, je trouverais même plus stimulant d'être en ZEP, puisque beaucoup de choses s'y jouent (questions de communautarisme, laïcité, intégration, déterminisme social,... - même si on ne fait pas de politique en classe).
Cela dit, j'ai regardé pas mal de documentaires, reportages et lu beaucoup de témoignages qui allaient quand même dans le sens d'un niveau désastreux et les professeurs qui s'y exprimaient semblaient catastrophés. J'imagine sans doute le pire mais je préfère ne pas trop idéaliser pour ne pas aller au devant de grandes désillusions
- henrietteMédiateur
Nous voyons régulièrement débarquer sur le forum des nouveaux membres postant dans le seul but de créer des polémiques. On appelle cela des trolls.
Ta perception des choses semble tellement caricaturale (cf. le post de Poupoutch) qu'elle peut soulever des interrogations sur celui qui l'exprime : sont-ce vraiment des questions sérieuses ? D'où, du reste, certaines réactions que tu as pu lire. D'où aussi ma volonté de m'assurer de tes motivations, surtout lorsque tu affirmes chercher à provoquer des réactions.
Ta perception des choses semble tellement caricaturale (cf. le post de Poupoutch) qu'elle peut soulever des interrogations sur celui qui l'exprime : sont-ce vraiment des questions sérieuses ? D'où, du reste, certaines réactions que tu as pu lire. D'où aussi ma volonté de m'assurer de tes motivations, surtout lorsque tu affirmes chercher à provoquer des réactions.
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- PoupoutchModérateur
Mais d'où vient cette idée qu'on ne fait pas de politique en classe ? Bien heureusement on fait de la politique en classe ! On ne fait pas de militantisme, c'est différent...Anatole Vas. a écrit:Poupoutch a écrit:En considérant que tu es sérieux, juste une petite remarque qui vaut autant pour ton post sur ce topic que pour tes posts sur Belle de jour : tu verras vite que "les élèves de banlieue/des villages du Nord/d'Henri IV" n'existent pas hors des fantasmé populaires. En fait une classe, c'est un ensemble d'individus qui ne partagent pas les mêmes références et le même bagage et ce quel que soit l'endroit où tu te trouves (j'ai fait la ZEP et le rural, pas Henri IV mais je ne doute pas qu'il s'y trouve aussi des disparités). Même dans une classe de ZEP ou de lycée rural, tu vas trouver des élèves qui possèdent un bagage culturel solide (et il n'est pas totalement exclu que tu puisse trouver dans un bon lycée de centre-ville des élèves qui n'ont pas ce bagage).
D'accord, je m'incline devant votre expérience (sérieusement, aucune ironie !). Je ne voulais pas paraître méprisant, je me doute que les classes ne sont pas monolithiques mais composites et qu'au sein d'une même classe il y a beaucoup de disparités. A la limite, je trouverais même plus stimulant d'être en ZEP, puisque beaucoup de choses s'y jouent (questions de communautarisme, laïcité, intégration, déterminisme social,... - même si on ne fait pas de politique en classe).
Cela dit, j'ai regardé pas mal de documentaires, reportages et lu beaucoup de témoignages qui allaient quand même dans le sens d'un niveau désastreux et les professeurs qui s'y exprimaient semblaient catastrophés. J'imagine sans doute le pire mais je préfère ne pas trop idéaliser pour ne pas aller au devant de grandes désillusions
Quant aux reportages ou aux dires des enseignants-qui sont souvent relayés par des médias ayant un point de vue à illustrer, ils ont plutôt tendance à caricaturer qu'à donner une image véridique de la situation. Et si je peux me permettre, la façon dont tu envisages le rôle du professeur en REP me laisse à penser que tu idéalises, certes pas le niveau des élèves mais la position du prof. Le Cercle des poètes disparus, ça fait rêver beaucoup d'entre nous mais dans les faits, on est souvent plus dans de petites joies comme "ah, ils ont enfin compris la négation".
Bref, tu te rendras compte, quand tu auras commencé et quel que soit l'endroit, que les questions que tu te poses sont très, mais alors vraiment très éloignées de la réalité du métier.
(ce qui ne signifie pas qu'il ne faut pas se les poser d'ailleurs)
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Lapin Émérite, celle qui Nage en Lisant ou Inversement, Dompteuse du fauve affamé et matutinal.
"L'intelligence est une maladie qui peut se transmettre très facilement mais dont on peut guérir très rapidement et sans aucune séquelle"
- pseudo-intelloSage
En vrac :
- mes élèves de 4e, effectivement, ne savent pas ce qu'est une charrette (une aprtie non négligeable d'entre eux, en tout cas), et j'ai beau passer après deux collègues excellentes, nous ne sommes jamais parvenues à ce que plus de quelques élèves dans la classe conjuguent correctement un verbe au passé simple.
- en latin, je fais plus de français que de latin
- la culture patrimoniale est importance, parce que même si on décrétait que "tout se vaut" (Jack Lang, de mémoire, s'était engagé dans cette soie), la bourgeoisie (au sens marxiste) reconnaîtrait ses mômes, qui eux, n'apprendrait sans doute pas la poésie via le rap et les arts plas via les tags.
- un collègue aujourd’hui retraité, immigré arrivé enfant en France sans parler la langue, me racontait qu'enfant, son père lui disait qu'il était très important qu'il apprenne à parler le langage des patrons, aprce que c'est ainsi qu'il s'en ferait respecter et qu'il en imposerait davantage. Tes questionnements sur le déterminisme sont très légitimes (après, tu feras comme tu pourras).
- mon père, à 70 balais, est toujorus tout fier de réciter une réplique du Cid, par exemple, qu'il a appris au collège, alors que sur le moment, ça le gavait velu.
- ne fantasme pas trop le rôle du prof. Tu verras grand max tes élèves 4 heures par semaine (à supposer que tu aies les mêmes classes en français et en latin), tes élèves ont 26 heures de cours par semaine pendant théoriquement 36 semaines (dans les faits, entre fin juin, tes absences, leurs absences...) ; dons bien moins, sur une année, que devant leurs divers écrans.
Bref. Bienvenue à toi et bon courage.
- mes élèves de 4e, effectivement, ne savent pas ce qu'est une charrette (une aprtie non négligeable d'entre eux, en tout cas), et j'ai beau passer après deux collègues excellentes, nous ne sommes jamais parvenues à ce que plus de quelques élèves dans la classe conjuguent correctement un verbe au passé simple.
- en latin, je fais plus de français que de latin
- la culture patrimoniale est importance, parce que même si on décrétait que "tout se vaut" (Jack Lang, de mémoire, s'était engagé dans cette soie), la bourgeoisie (au sens marxiste) reconnaîtrait ses mômes, qui eux, n'apprendrait sans doute pas la poésie via le rap et les arts plas via les tags.
- un collègue aujourd’hui retraité, immigré arrivé enfant en France sans parler la langue, me racontait qu'enfant, son père lui disait qu'il était très important qu'il apprenne à parler le langage des patrons, aprce que c'est ainsi qu'il s'en ferait respecter et qu'il en imposerait davantage. Tes questionnements sur le déterminisme sont très légitimes (après, tu feras comme tu pourras).
- mon père, à 70 balais, est toujorus tout fier de réciter une réplique du Cid, par exemple, qu'il a appris au collège, alors que sur le moment, ça le gavait velu.
- ne fantasme pas trop le rôle du prof. Tu verras grand max tes élèves 4 heures par semaine (à supposer que tu aies les mêmes classes en français et en latin), tes élèves ont 26 heures de cours par semaine pendant théoriquement 36 semaines (dans les faits, entre fin juin, tes absences, leurs absences...) ; dons bien moins, sur une année, que devant leurs divers écrans.
Bref. Bienvenue à toi et bon courage.
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- User10247Niveau 8
Anatole Vas. a écrit:Poupoutch a écrit:En considérant que tu es sérieux, juste une petite remarque qui vaut autant pour ton post sur ce topic que pour tes posts sur Belle de jour : tu verras vite que "les élèves de banlieue/des villages du Nord/d'Henri IV" n'existent pas hors des fantasmé populaires. En fait une classe, c'est un ensemble d'individus qui ne partagent pas les mêmes références et le même bagage et ce quel que soit l'endroit où tu te trouves (j'ai fait la ZEP et le rural, pas Henri IV mais je ne doute pas qu'il s'y trouve aussi des disparités). Même dans une classe de ZEP ou de lycée rural, tu vas trouver des élèves qui possèdent un bagage culturel solide (et il n'est pas totalement exclu que tu puisse trouver dans un bon lycée de centre-ville des élèves qui n'ont pas ce bagage).
D'accord, je m'incline devant votre expérience (sérieusement, aucune ironie !). Je ne voulais pas paraître méprisant, je me doute que les classes ne sont pas monolithiques mais composites et qu'au sein d'une même classe il y a beaucoup de disparités. A la limite, je trouverais même plus stimulant d'être en ZEP, puisque beaucoup de choses s'y jouent (questions de communautarisme, laïcité, intégration, déterminisme social,... - même si on ne fait pas de politique en classe).
Cela dit, j'ai regardé pas mal de documentaires, reportages et lu beaucoup de témoignages qui allaient quand même dans le sens d'un niveau désastreux et les professeurs qui s'y exprimaient semblaient catastrophés. J'imagine sans doute le pire mais je préfère ne pas trop idéaliser pour ne pas aller au devant de grandes désillusions
Effectivement, il ne faut pas idéaliser ce qu'il se passe en REP (le sigle ZEP a disparu...) et même -si j'ose dire- dans l'Education nationale en général. Le constat d'une paupérisation intellectuelle que tu déplores semble se généraliser de plus en plus, et pas que dans les endroits défavorisés, loin s'en faut.
En revanche, tomber dans l'excès inverse n'est pas une bonne chose, non plus. Par excès inverse, j'entends par là qu'il ne faut pas considérer les élèves d'établissements REP comme des petits gueux qu'il faut instruire et extirper de leur microcosme sclérosant : cela me semble bien naïf et méprisant. Ce n'est peut-être pas ce que tu souhaitais exprimer dans tes messages mais c'est pourtant l'impression qui se dégage à leur lecture.
Tes questionnements sont louables et dénotent de ton investissement dans ton futur métier, on ne peut que saluer la démarche, en tout cas !
- Sylvain de Saint-SylvainGrand sage
Anatole Vas. a écrit:Je pense qu'un professeur a deux missions, une mission civilisationnelle (la transmission du savoir, d'un patrimoine / héritage culturel pour assurer une continuité civilisationnelle) et une mission sociale, peut être plus urgente (lutter contre le déterminisme social, l'assignation à résidence sociale, aider l'élève à s'arracher à son milieu social d'origine, en somme le fameux "ascenseur social").
Je ne comprends pas très bien la première mission : qu’entends-tu par « continuité civilisationnelle » ? Pour ma part, je dirais que la mission du professeur est d’enseigner la discipline qu’il maîtrise. Ce faisant, il instruit ses élèves : il les dote de connaissances et développe leurs facultés intellectuelles, cela indissociablement. Et comme il les instruit, il leur donne les moyens de voir et d’aller voir au-delà de ce qu’ils connaissent déjà. S’il transmet un héritage, ce n’est pas parce qu’il faut absolument que l’héritage soit hérité, et cela de telle façon qu’on puisse parler d’une continuité forcément préférable, mais parce que les adultes estiment qu’il est bon pour ceux qu’ils sont en devoir d’élever.
Je comprends encore moins la deuxième. Selon moi, le professeur ne s’oppose au déterminisme social que dans la mesure où celui-ci empêche son enseignement : mais c’est toujours dire qu’il n’a mission que d’enseigner. Je ne vois pas ce que tu voudrais qu’il fasse de plus.
Anatole Vas. a écrit:Ce qui pose le problème de la "distinction", et de la culture légitime, de la culture "de la classe dominante" que l'institution scolaire a pour vocation de transmettre. Pour que l'ascenseur social fonctionne, il faudrait que tous les jeunes lycéens (et donc aussi les lycéens de ZEP) aient les mêmes référents culturels, surtout dans un système de lutte des classes et de discrimination sociale à la française (d'autant que l'élite française est une élite littéraire plus que scientifique) où les candidats à des concours/oraux sont souvent invités à mobiliser des référents culturels issus de la culture légitime ou à invoquer des oeuvres dites "classiques" - ce qui nous ramène à toute la discussion sur la littérarité, sur la littérature de gare style Barbara Cartland ou sur la labellisation et la canonisation des grands classiques de notre patrimoine culturel.
Tout cela me semble un peu naïf. Je ne doute pas de la fonction discriminante de la culture dans les couches sociales supérieures, sinon dans toutes les couches et tous les groupes humains, mais je ne doute pas non plus que si le plus grand nombre parvenait à maîtriser cette culture, elle se modifierait pour retrouver sa fonction perdue. Aussi je ne suis pas convaincu que la tendance d’une classe à devenir une caste puisse être contrecarrée par une politique éducative. J’ai l’impression que cette vision vient de ce que tu imagines la classe dominante constituée comme celle d’un petit groupe social, celui des professeurs. Mais elle n’est pas faite de professeurs et ses portes d’entrée privilégiées ne sont pas les concours littéraires.
Anatole Vas. a écrit:Le problème, c'est que compte tenu de la disparité des niveaux, il peut être difficile de lire du Racine ou du Flaubert avec des élèves qui ne savent pas conjuguer le verbe "être" à tous les temps de l'indicatif. Je suis convaincu que tout le monde peut être touché par Bérénice de Racine, le Cid de Corneille, le Misanthrope de Molière, une belle page de Bossuet, un beau poème de Lamartine ou Madame Bovary, je suis sûr que Virgile, Horace, Ovide, Lucrèce nous parlent toujours, mais je m'interroge : peut-on contester ce rôle de l'école républicaine qui consiste à transmettre des référents culturels, à transmettre la culture légitime en sachant que beaucoup d'élèves ne s'y retrouvent pas, ont du mal à s'approprier ces oeuvres trop éloignées de leurs préoccupations quotidiennes ? Je trouve terriblement dommage qu'on ne puisse pas parler davantage de politique en classe, à la limite, je trouve que le cours le plus essentiel dans la formation d'un jeune lycéen est un cours d'histoire contemporaine pour que l'élève puisse se situer en tant que citoyen dans notre société.
L’incapacité de l’école à enseigner correctement et dans de bonnes conditions les éléments d’une discipline avant d’enseigner ceux qui requièrent leur maîtrise est l’aspect le plus spectaculaire de son dysfonctionnement. Tout le monde ici en est conscient. Quant à leur intérêt, je ne trouve aucune raison de penser qu’il est lié à leur quotidien : il suffit d’observer ce que sont les passions des gens de n’importe quel âge, petits enfants compris, pour voir que ce lien, s’il existe, est tout relatif. N’oublions pas non plus, sur cette question, que c’est à nous, adultes, de dire à ceux qu'on élève ce qui est intéressant pour eux, et qu’il n’est pas aberrant qu’un enfant ne sache pas encore que tel ou tel enseignement est dans son intérêt. Pour la dernière phrase : je ne vois pas bien le rapport avec ce qui précède, mais je dirais qu’on ne saurait se repérer dans l’histoire contemporaine sans avoir fait de l’histoire plus ancienne, et bien d’autres choses ; qu’on se repère librement à la condition d’avoir reçu une bonne instruction, dans diverses matières, et que c’est l’effet de n’importe quel enseignement bien mené, combiné à d’autres, qu’importe ce que peuvent être ces enseignements dans le détails. J’en reviens à mon début : bien des effets si souvent désirés et selon moi aussi désirables sont obtenus par un enseignement bien mené de quelques disciplines, sans qu’il soit besoin d’y ajouter autre chose.
- AudreyOracle
En tout cas, je crois qu'il va falloir que tu quittes vite le monde de la théorie, en mettant un peu Bourdieu de côté par exemple, que tu mènes ta propre réflexion, et surtout te fasses ta propre expérience, très concrète, du métier.
J'ai comme dans l'idée que le choc de la réalité risque d'être violent vu tes quelques messages. Prépare-toi.
J'ai comme dans l'idée que le choc de la réalité risque d'être violent vu tes quelques messages. Prépare-toi.
- roxanneOracle
Ceci dit heureusement qu’on est un peu dans l’idéalisation quand on débute ou qu’on veut faire ce métier. Le collègue au moins se pose des questions. Alors oui il est naïf, loin de la réalité, peut-être comme on l’était, non? Je crois que je préfère ça au cynisme ou à une certaine arrogance qu’ont parfois certains jeunes collègues. Audrey, tu n’as pas tort , mais se poser des questions, en poser ici, mener une réflexion, je trouve ça bien. Le « choc de la réalité » viendra à son tour et ne sera peut-être pas si violent. Le pire n’est pas toujours vrai.
- SikeliaNiveau 10
roxanne a écrit:Ceci dit heureusement qu’on est un peu dans l’idéalisation quand on débute ou qu’on veut faire ce métier. Le collègue au moins se pose des questions. Alors oui il est naïf, loin de la réalité, peut-être comme on l’était, non? Je crois que je préfère ça au cynisme ou à une certaine arrogance qu’ont parfois certains jeunes collègues. Audrey, tu n’as pas tort , mais se poser des questions, en poser ici, mener une réflexion, je trouve ça bien. Le « choc de la réalité » viendra à son tour et ne sera peut-être pas si violent. Le pire n’est pas toujours vrai.
Tout à fait d'accord avec toi, Roxanne.
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Sikelia
Numquam est tam male Siculis, quin aliquid facete et commode dicant
(Marco Tullio Cicerone, Verrine, Actio Secundae - Liber Quartus - De praetura siciliensi)
- AudreyOracle
roxanne a écrit:Ceci dit heureusement qu’on est un peu dans l’idéalisation quand on débute ou qu’on veut faire ce métier. Le collègue au moins se pose des questions. Alors oui il est naïf, loin de la réalité, peut-être comme on l’était, non? Je crois que je préfère ça au cynisme ou à une certaine arrogance qu’ont parfois certains jeunes collègues. Audrey, tu n’as pas tort , mais se poser des questions, en poser ici, mener une réflexion, je trouve ça bien. Le « choc de la réalité » viendra à son tour et ne sera peut-être pas si violent. Le pire n’est pas toujours vrai.
Eh bien disons que justement, son arrivée sur le forum s'est faite avec une certaine arrogance... ;-)
- User7917Niveau 9
Ah ah ! Je viens de répondre à Anatole sur l'autre fil à l'instant à propos de "Belle de jour" et là je tombe sur ce long message sans avoir vraiment compris la véritable question ! Anatole déclenche de l'animation sur le forum et Audrey est à fond ! :lol: :lol: :lol: C'est peut-être Blanquer déguisé en Anatole envoyé en mission pour tester nos pratiques pédagogiques !
- mrlNiveau 10
@Anatole Vas. : Ta toute première mission, en zone sensible (quelle que soit l'appellation), ce sera de montrer que tes convictions tiennent bon face à la provocation de certains élèves pour qui tu incarneras l'institution.
Ce que je veux dire, c'est que si tu tiens le coup, en tant que personne, que tu n'en viens pas à hurler et à sévir continuellement, c'est-à-dire à incarner une autorité plus autoritaire que légitime, eh bien ce sera déjà un bel acte de militantisme. Je ne dis pas qu'il faut avoir peur d'être autoritaire (ça fait partie du rôle de prof), je dis seulement qu'il faut apporter le moins de violence possible dans l'exercice de cette autorité.
Je trouve personnellement que pour enseigner quoi que ce soit, il faut savoir gagner la confiance des élèves, seul moyen qu'ils soient réceptifs (tout le monde, sur le forum, n'aura bien évidemment pas cette vision-là de enseignement). Ça peut être long. Pour certains, ça n'arrivera pas. Mais une fois que le dialogue est établi, le travail est enrichissant de part et d'autre.
Ce que je veux dire, c'est que si tu tiens le coup, en tant que personne, que tu n'en viens pas à hurler et à sévir continuellement, c'est-à-dire à incarner une autorité plus autoritaire que légitime, eh bien ce sera déjà un bel acte de militantisme. Je ne dis pas qu'il faut avoir peur d'être autoritaire (ça fait partie du rôle de prof), je dis seulement qu'il faut apporter le moins de violence possible dans l'exercice de cette autorité.
Je trouve personnellement que pour enseigner quoi que ce soit, il faut savoir gagner la confiance des élèves, seul moyen qu'ils soient réceptifs (tout le monde, sur le forum, n'aura bien évidemment pas cette vision-là de enseignement). Ça peut être long. Pour certains, ça n'arrivera pas. Mais une fois que le dialogue est établi, le travail est enrichissant de part et d'autre.
- Theriakos96Habitué du forum
@Anatole, merci de ta contribution, très intéressante et qui a stimulé en moi une réflexion que je vais essayer de mettre en forme de la manière la plus claire possible, en m'excusant par avance si mon message n'en résultera pas tout à fait lisible.
Je suis issu d'une très petite bourgeoisie italienne – mère pharmacienne et père boucher dans un petit village de 400 habitants à la montagne – et ai pu fréquenter les CPGE du Lycée Louis-le-Grand pour ensuite entrer à l'ENS, en devenant un des champions de l'élitisme à la française, un normalien. Bourdieu, qui me paraît nourrir en partie ta réflexion, aurait peut-être jugé mon cas comme relevant de la reproduction sociale – lui qui était passé par Ulm et avait réussi avec succès l'agrégation de philosophie – mais je trouve que peu de Pays ouvrent ainsi les portes de leur élite – si l'on considère les Ulmiens comme une élite, ce que je ne fais pas forcément, mais j'essaye d'adopter les catégories que tu mobilises – à un étranger venu par hasard et entendant pour la première fois parler de CPGE pendant son premier semestre de cours à La Sorbonne. Cette anecdote non pas pour me vanter de mon parcours, mais pour montrer que ces lycées qui, semble-t-il, ne méritent pas de professeurs sous prétexte que ceux-ci y seraient inutiles, recouvrent eux aussi un rôle fondamental. Je ne trouve pas très opérant d'opposer REP et LLG : ce ne sont pas les mêmes conditions et les mêmes publics, mais comment pourraient-ils? On ne peut pas prétendre qu'un élève de 4ème fasse la même chose partout en France, c'est être myope et croire en un égalitarisme faux et postiche.
Que faire?
Je n'exprime ici que des idées (pas taper, pas taper ) en vrac. Pourquoi parlons-nous de défaire le déterminisme social, si ensuite l'on accepte que les horaires des établissements soient les mêmes partout? Je veux dire : si un élève favorisé peut tirer parti de la semaine à 26h en trouvant le temps pour se cultiver en dehors de l'école, pourquoi l'institution n'offre-t-elle pas un accompagnement particulier aux élèves issus de milieux très défavorisés? Peut-être qu'avec eux 40 ou 50h par semaine seront nécessaires, peut-être en petit groupes afin qu'ils puissent 'rattraper' leur retard. La solution au problème 'un enfant de 4ème ne peut pas étudier la même chose partout et en même moment' ne vient pas en ôtant toute la difficulté des programmes, en nivelant au rabais en prétextant que si les plus défavorisés n'y ont pas droit, alors personne ne le doit. Le raisonnement – ce n'est qu'une impression, plus savant que moi, me corrigera – qui a amené l'école des années 50 jusqu'à aujourd'hui a été : si A est trop difficile et que je veux une école de masse, j'enlève A pour que tout le monde y arrive (le latin et grec obligatoires, par exemple). Je ne saurais que déplorer ce raisonnement! Il aurait fallu se poser la question, bien plus ardue, j'en conviens, de savoir comment amener une masse diversifiée et hétérogène à la portée de comprendre ce fameux A, si difficile. Le véritable défi d'une école de masse n'est pas de réduire les savoirs jusqu'à ce que tout le monde puisse y arriver avec un effort minimal, mais plutôt de faire en sorte que tout le monde puisse contempler la beauté d'objets difficiles, grâce justement à la mise en œuvre de stratégies de compensation des faiblesses dues au déterminisme social. Une école de masse n'est pas amener une masse informe à des savoirs élémentaires, mais plutôt de conduire une masse à des savoirs réellement difficiles, en permettant à chacun de réussir et d'atteindre finalement le niveau de la 'classe dominante'.
En conclusion, le culture 'officielle, imposée', comme tu l'appelles, n'est autre chose que notre culture, transmise à travers les siècles. Il est triste parfois de voir que Virgile ou Ovide, qui ont résisté à l'illettrisme et à la transmission manuscrite des copistes bas-médiévaux, risquent de périr aujourd'hui, quand la science philologique est au plus haut de ses possibilités et, surtout, quand nous avons accès aux plus mirobolants outils numériques.
Merci pour ces réflexions, cela a été stimulant, avant de commencer les oraux d'agrégation...demain! :lol:
Je suis issu d'une très petite bourgeoisie italienne – mère pharmacienne et père boucher dans un petit village de 400 habitants à la montagne – et ai pu fréquenter les CPGE du Lycée Louis-le-Grand pour ensuite entrer à l'ENS, en devenant un des champions de l'élitisme à la française, un normalien. Bourdieu, qui me paraît nourrir en partie ta réflexion, aurait peut-être jugé mon cas comme relevant de la reproduction sociale – lui qui était passé par Ulm et avait réussi avec succès l'agrégation de philosophie – mais je trouve que peu de Pays ouvrent ainsi les portes de leur élite – si l'on considère les Ulmiens comme une élite, ce que je ne fais pas forcément, mais j'essaye d'adopter les catégories que tu mobilises – à un étranger venu par hasard et entendant pour la première fois parler de CPGE pendant son premier semestre de cours à La Sorbonne. Cette anecdote non pas pour me vanter de mon parcours, mais pour montrer que ces lycées qui, semble-t-il, ne méritent pas de professeurs sous prétexte que ceux-ci y seraient inutiles, recouvrent eux aussi un rôle fondamental. Je ne trouve pas très opérant d'opposer REP et LLG : ce ne sont pas les mêmes conditions et les mêmes publics, mais comment pourraient-ils? On ne peut pas prétendre qu'un élève de 4ème fasse la même chose partout en France, c'est être myope et croire en un égalitarisme faux et postiche.
Que faire?
Je n'exprime ici que des idées (pas taper, pas taper ) en vrac. Pourquoi parlons-nous de défaire le déterminisme social, si ensuite l'on accepte que les horaires des établissements soient les mêmes partout? Je veux dire : si un élève favorisé peut tirer parti de la semaine à 26h en trouvant le temps pour se cultiver en dehors de l'école, pourquoi l'institution n'offre-t-elle pas un accompagnement particulier aux élèves issus de milieux très défavorisés? Peut-être qu'avec eux 40 ou 50h par semaine seront nécessaires, peut-être en petit groupes afin qu'ils puissent 'rattraper' leur retard. La solution au problème 'un enfant de 4ème ne peut pas étudier la même chose partout et en même moment' ne vient pas en ôtant toute la difficulté des programmes, en nivelant au rabais en prétextant que si les plus défavorisés n'y ont pas droit, alors personne ne le doit. Le raisonnement – ce n'est qu'une impression, plus savant que moi, me corrigera – qui a amené l'école des années 50 jusqu'à aujourd'hui a été : si A est trop difficile et que je veux une école de masse, j'enlève A pour que tout le monde y arrive (le latin et grec obligatoires, par exemple). Je ne saurais que déplorer ce raisonnement! Il aurait fallu se poser la question, bien plus ardue, j'en conviens, de savoir comment amener une masse diversifiée et hétérogène à la portée de comprendre ce fameux A, si difficile. Le véritable défi d'une école de masse n'est pas de réduire les savoirs jusqu'à ce que tout le monde puisse y arriver avec un effort minimal, mais plutôt de faire en sorte que tout le monde puisse contempler la beauté d'objets difficiles, grâce justement à la mise en œuvre de stratégies de compensation des faiblesses dues au déterminisme social. Une école de masse n'est pas amener une masse informe à des savoirs élémentaires, mais plutôt de conduire une masse à des savoirs réellement difficiles, en permettant à chacun de réussir et d'atteindre finalement le niveau de la 'classe dominante'.
En conclusion, le culture 'officielle, imposée', comme tu l'appelles, n'est autre chose que notre culture, transmise à travers les siècles. Il est triste parfois de voir que Virgile ou Ovide, qui ont résisté à l'illettrisme et à la transmission manuscrite des copistes bas-médiévaux, risquent de périr aujourd'hui, quand la science philologique est au plus haut de ses possibilités et, surtout, quand nous avons accès aux plus mirobolants outils numériques.
Merci pour ces réflexions, cela a été stimulant, avant de commencer les oraux d'agrégation...demain! :lol:
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Dicebat Bernardus Carnotensis nos esse quasi nanos, gigantium humeris insidentes, ut possimus plura eis et remotiora videre, non utique proprii visus acumine, aut eminentia corporis, sed quia in altum subvenimur et extollimur magnitudine gigantea.
– Jean de Salisbury, Metalogicon, III, 4
- Clecle78Bon génie
Theriakos, merci pour ton message très intéressant et constructif et bonne chance pour ton agrégation. Donne nous des nouvelles quand tu auras le résultat !
- IphigénieProphète
+1
Ajouterais -je que, peut-être, ce dont nous avons le plus souffert, depuis, à la louche, trente ans, ce sont des bonnes intentions qui à l’usage s’avèrent délétères, justement.
Ajouterais -je que, peut-être, ce dont nous avons le plus souffert, depuis, à la louche, trente ans, ce sont des bonnes intentions qui à l’usage s’avèrent délétères, justement.
- Cléopatra2Guide spirituel
Sur la question, l'auteur devrait lire Enfances de classe dirigé par Bernard Lahire. Cela répond tout ou partie aux interrogations soulevées ici.
En revanche, pas de solutions données, bien sûr, uniquement une photographie à un instant T de diverses situations sociales.
En revanche, pas de solutions données, bien sûr, uniquement une photographie à un instant T de diverses situations sociales.
- Sylvain de Saint-SylvainGrand sage
roxanne a écrit:Ceci dit heureusement qu’on est un peu dans l’idéalisation quand on débute ou qu’on veut faire ce métier. Le collègue au moins se pose des questions. Alors oui il est naïf, loin de la réalité, peut-être comme on l’était, non? Je crois que je préfère ça au cynisme ou à une certaine arrogance qu’ont parfois certains jeunes collègues. Audrey, tu n’as pas tort , mais se poser des questions, en poser ici, mener une réflexion, je trouve ça bien. Le « choc de la réalité » viendra à son tour et ne sera peut-être pas si violent. Le pire n’est pas toujours vrai.
Je plussoie. Même si je trouve la réflexion proposée assez bordélique et que je l'ai critiquée, je trouve bon et important d'essayer de penser un peu.
- ElyasEsprit sacré
Cléopatra2 a écrit:Sur la question, l'auteur devrait lire Enfances de classe dirigé par Bernard Lahire. Cela répond tout ou partie aux interrogations soulevées ici.
En revanche, pas de solutions données, bien sûr, uniquement une photographie à un instant T de diverses situations sociales.
Je plussoie même si une esquisse de pratiques sociales émerge dans son analyse : les classes sociales superieures misent sur leurs réseaux et leur maîtrise de la culture légitime pour rester dans l'élite et développé l'esprit de compétition et de classe, les classes moyennes enseignent la coopération à ses enfants, les pauvres survivent.
Depuis son livre, il développe des idées sur les stratégies coopératives des classes moyennes, convaincu que dans notre monde actuel, c'est la seule solution (que je partage mais je suis issu des classes moyennes ).
- DesolationRowEmpereur
Je ne comprends pas bien la "réflexion" initiale. C'est encore un moyen de dire, au bout d'un pavé, que même si c'est très joli Ovide et Virgile, c'est encore trop beau pour les pauvres, non ?
- Theriakos96Habitué du forum
@DesolationRow, je ne pense pas que ce soit le but de la réflexion initiale, mais c’est une dérive fort probable de l’idée qui l’anime et la sous-tend. Je suis d’accord avec toi!
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Dicebat Bernardus Carnotensis nos esse quasi nanos, gigantium humeris insidentes, ut possimus plura eis et remotiora videre, non utique proprii visus acumine, aut eminentia corporis, sed quia in altum subvenimur et extollimur magnitudine gigantea.
– Jean de Salisbury, Metalogicon, III, 4
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