HLP 1re : la Parole

Bonjour,
j'ai un peu de mal à voir comment le prof de philo et le prof de lettres peuvent se partager les auteurs de l'Antiquité abordés dans l'Art de la parole : Cicéron, Aristote...
D'une façon plus générale, est-ce que le prof de lettres n'aborde que des fictions ? Laisse-t-il au prof de philo des auteurs comme Montaigne, Pascal, La Rochefoucauld ?...

Non, tu es très libre en fait. Fais ce qui te plaît.
Il faut juste se mettre d'accord sur certains points (prévenir le collègue de ce que tu prévois d'étudier est amplement suffisant selon moi). La façon d'aborder une question en littérature ou en philosophie est tellement différente.
Pour ma part, ma formation de Lettres classiques aidant, j'ai beaucoup travaillé sur Homère, Hésiode, la poésie lyrique, j'ai travaillé sur deux genres oratoires (la commémoration et la consolation), etc.. J'avoue que j'avais trop de retard pour aborder de façon suffisamment approfondie la littérature du XVIIe pourtant importante. Il ne faut pas vouloir tout faire.
Mon conseil serait de ne pas prévoir de textes trop longs (si la classe est faible) au début notamment (On achoppe toujours sur la question du vocabulaire), ne pas hésiter à montrer quelques exemples de films, sur quelques œuvres d'art, varier le plus possible les exercices (discussion, lecture approfondie d'un passage).
Je conseille de ne pas trop se focaliser sur l'épreuve en début d'année.
Les élèves sont perdus au début : qu'est ce que c'est ce cours ? Qui est le professeur de philosophie ? Qui est celui de littérature ? Quelle est cette discipline ?
Tu verras que lors des premiers devoirs, les élèves réciteront le cours de ton collègue ou bien le cours de français (Baudelaire, etc.!)
On tombe de haut au début puis on prend ses marques.
Je dirai que c'est sur le thème du deuxième semestre que la différenciation des textes est plus difficile (c'est avis tout à fait subjectif).

Merci, tu me rassures. Merci aussi pour les exemples. Je pense que je vais laisser le plus possible au collègue ce qui relève de la théorie (Cicéron : inventio, dispositio, etc.) et plonger dans le fictif (Homère...).

Petite question pour ceux qui ont déjà traité ce thème l'an dernier: qu'avez-vous fait pour "l'autorité de la parole"? Ca ne m'inspire pas du tout, à mon avis sujet plus philo que littéraire, non? Je pense passer assez vite dessus, pour me concentrer plutôt sur les séductions... mais je ne sais quand même pas trop quoi faire. Des idées?

Je le fais en philo et ne le prends pas en sous-thème, mais tu peux aussi l'étudier en lettres : le proème de la Théogonie d'Hésiode qui fait du discours du poète un discours inspiré - à l'arrière-plan il y a aussi une référence au roi de justice et au devin. Le texte est extrêmement riche

En contrepoint, je vais travailler la figure de Cassandre (Eschyle /Euripide /Sénèque et peut-être l'Alexandra de Lycophron et le Christa Wolf que je suis en train de lire) : qu'est-ce qu'un discours vrai sans autorité ? Aléthéia sans peithô ? J'en profiterai pour les paroles sans autorité - parole du dominé, de l'exclu ...

Sur l'autorité de la Parole, un exemple me vient à l'esprit car je travaille en ce moment sur Le malade imaginaire qui est au programme de Première en lettres : Argan ne cesse d'avoir une parole autoritaire (essentiellement par les insultes) mais qui n'a aucune efficacité (Toinette n'en a que faire).

Alors du coup également Arnolphe dans L'Ecole des femmes, les maximes et le discours sur la place de la femme...

Pour l'autorité de la parole on peut aller voir du côté de la formule magique (à la fois pendant l'Antiquité et à la Renaissance) comme instrument de mise en œuvre de la parole capable de modifier activement le monde (cfr. Lucain mais également Apollonios de Rhodes) mais également les objets enchantés et les tablettes de défixion (quelques exemples aussi dans Notre-Dame de Paris de VH) ; c'est quelque chose d'extrêmement intéressant et de peu exploité finalement et on peut l'étudier à la fois en littérature et à la fois en philosophie. Sinon, de plus traditionnel, il y a également dans l'Ion et dans le Cratyle quelque chose d'intéressant sur l'autorité de la parole, ainsi qu'au livre X de la République.

Une citation utile pour aborder le thème :

"Le sens premier de augeo se retrouve par l'intermédiaire de auctor dans auctoritas. Toute parole prononcée avec l'autorité détermine un changement dans le monde, crée quelque chose; cette qualité mystérieuse, c'est ce que augeo exprime, le pouvoir qui fait surgir les plantes, qui donne existence à une loi. (...) On voit que "augmenter" est un sens secondaire et affaibli de augeo. Des valeurs obscures et puissantes demeurent dans cette auctoritas, ce don réservé à peu d'hommes de faire surgir quelque chose et - à la lettre - de produire à l'existence." (Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, 2, p.150-151).

Merci beaucoup pour toutes ces pistes, c'est super intéressant.
@Ruthven, j'adore l'idée de la figure de Cassandre, je n'y avais pas pensé, mais ça illustre vraiment ce que j'avais en tête. Je vais creuser par là. Merci pour la citation aussi, je note.
Je ne vais pas utiliser le Malade Imaginaire puisque je le ferai avec mes 1res générales (et la plupart de mes collègues aussi, je pense), je vais éviter de reprendre des choses qu'ils auront déjà faites en cours.

L'idée de la formule magique est très intéressante aussi... à creuser.

C'est tout le souci de la formation en lettres modernes, je trouve, nous sommes tout de même assez ignares concernant les auteurs antiques!

J'ai scanné les textes sur Cassandre, je les mettrai en ligne dans la journée.

Rhooo merci beaucoup, je n'osais pas demander...
Où, en ligne?

[Edit]: Sauf erreur de ma part, nous avons aussi la Cassandre de Giraudoux dans La Guerre de Troie n'aura pas lieu qui pourrait être intéressante.

Conversation très intéressante. Je retiens l'idée des tablettes de défixion et Cassandre. Merci pour les idées car ce thème ne m'inspirait pas vraiment !

Sur Cassandre, voici les extraits d'Eschyle, Euripide et Sénèque. Les formats en paysage, c'est pour que les élèves puissent prendre des notes en face du texte.

Il y a des articles intéressants dans Cassandre sous la dir. de M. Goudot, Collection : Figures mythiques, Autrement

Sur les Muses et l'inspiration - que je voudrais comparer aux Sirènes dans un deuxième temps -, j'ai ceci :

Sur l'aède Démodocos, son inspiration, sa cécité :

Merci Ruthven c'est très stimulant. Je vais m'y plonger et voir si je trouve des idées de mon côté pour le thème !

Merci Ruthven !

Merci Ruthven. J'ai téléchargé pour le moment, mais je me repose un peu pour le moment avant de penser à l'année prochaine au mois prochain.

Un grand merci pour ces documents.
Sur l'autorité de la parole, il y a aussi les oracles (qui se révèlent souvent, finalement, être des paroles performatives !) L'oracle ne se serait pas accompli si Oedipe n'y avait pas cru...

Les Sermons de Bossuet ?

Merci Ruthven!
Que de bonnes idées par ici, c'est vraiment stimulant.

J'ai aussi pensé à Bossuet, un vieux traumatisme d'agrégation...

Je poursuis le partage de doc.
- Cassandre dans Troïlus et Cressida (j'ai laissé tomber son intervention vers la fin de la pièce)
- l'analyse qu'en propose M. Detienne dans Les maîtres de vérité en Grèce archaïque (qui est, à mon avis, LA référence pour l'autorité de la parole)
- la présentation de M. Goudot au début du collectif Cassandre dans la collection Figures mythiques (sans doute le plus accessible pour les élèves).

Encore merci... je vais lire tout ça, c'est super intéressant!

Est-ce que quelqu'un est intéressé par la Cassandre de Giraudoux dans La Guerre de Troie n'aura pas lieu? Acte I, 1, notamment, je pense qu'il y a de quoi faire.

Merci beaucoup, Ruthven ! j'avais pensé à Cassandre moi aussi, mais sans avoir les références précises des textes.
Sur le lien entre "parole" et "décrire, figurer, imaginer", j'avais pensé à Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes (il y a l'idée qu'une conversation galante peut faire comprendre l'astronomie).