Lettre d'une inconnue de Zweig en 4e, réaction des parents ?

Bonjour ,

Je m'apprête donner en lecture cursive à mes élèves de 4 ème" Lettre d'une inconnue" . J'ai trouvé ce texte magnifique mais je me demande s'il ne risque pas de susciter quelques réactions des parents car certains passages sont un peu "chauds".  Comment avez-vous "vendu" le livre aux parents?Merci d'avance pour vos conseils.

Si tu te poses la question, tu n'es pas sortie de l'auberge ... et pour Rabelais, comment ferais-tu ? Et tant d'autres oeuvres "choquantes" ?
Tu n'as pas, à mon sens, à "vendre" quoi que ce soit. Tu es la prof, c'est toi qui décide.

Même avis.

dita a écrit:Si tu te poses la question, tu n'es pas sortie de l'auberge ... et pour Rabelais, comment ferais-tu ? Et tant d'autres oeuvres "choquantes" ?
Tu n'as pas, à mon sens, à "vendre" quoi que ce soit. Tu es la prof, c'est toi qui décides.

Oui et non! Est-ce que l'œuvre étudiée est adaptée à l'âge de l'enfant. On a 13 ou 14 ans en quatrième.
Si tu te poses la question (à juste titre), change d'œuvre. Si l'enfant choisit seul le livre et qu'il n'est pas prêt à le lire, il va le refermer et on en restera là. De quel droit, nous adultes, devons-nous imposer à des ado de lire des choses "dures" ou "crues" et pas forcément adaptées juste parce que nous nous aimons l'œuvre !

Vous trouvez que Lettre d'une inconnue est une oeuvre crue ?

Et puis j'imagine qu'il y un but pédagogique, que tu ne vas faire lire l'œuvre juste parce que tu l'aimes bien ? Tu inscris ça dans "dire l'amour" ? N'y a-t-il pas un autre texte (que tu aimes) plus à la portée d'élèves de quatrièmes ?

Jenny a écrit:Vous trouvez que Lettre d'une inconnue est une oeuvre crue ?

Pas forcément adaptée à des quatrièmes.
Ce que la pauvreté doit endurer comme humiliations, comme outrages moraux et physiques, je l'ai souffert là-bas du fait du contact de prostituées et de malades qui, en partageant le même sort que le mien, l'entachaient d'infamie ; du fait du cynisme des jeunes médecins, qui découvraient le lit des malheureuses sans défense avec un sourire ironique et les attouchaient d'un air faussement scientifique ; du fait de la cupidité des infirmières. Oh, là-bas, la pudeur d'un être humain est crucifiée par des regards et flagellée par des mots. L'ardoise avec votre nom, c'est tout ce qui reste de vous, car ce qui se trouve dans le lit n'est qu'un paquet de chair pantelante, touché par des curieux, un cas d'observation et d'étude. Ah, elles ne savent pas, les femmes qui offrent des enfants à leurs maris aux petits soins, dans leur maison, ce que c'est que de mettre au monde un enfant quand on est seule, livrée sans défense aux étudiants qui se font la main sur vous. Et aujourd'hui encore, quand je lis dans un livre le mot « enfer », je repense immédiatement, malgré moi, à cette salle bondée, malodorante, emplie de gémissements, de rires et de cris sanglants, dans laquelle j'ai tant souffert, à cet abattoir de la pudeur.

Mon bien-aimé, je te parle du fond des ténèbres ; je n'ai pas honte, je veux te le dire, mais ne sois pas effrayé – je me suis vendue. Je ne devins pas précisément ce qu'on appelle une fille de rue, une prostituée, mais je me suis vendue. J'avais des amis riches, des amants riches : d'abord je les ai cherchés, puis c'est eux qui m'ont recherchée, car – l'auras-tu seulement remarqué ? – j'étais très belle. Chacun de ceux à qui je m'offrais me prenait en affection, tous m'ont été reconnaissants, tous ont tenu à moi, tous m'ont aimé – tous sauf toi, toi seul, mon aimé !

J'ai adoré Zweig, et notamment ce texte mais plus tard qu'à 13 ans.
Avec le recul, je suis content de ne pas l'avoir découvert en classe de 4è (quoique ça m'aurait peut-être plus intéressé que la vie d'Eugénie).
C'est juste un avis d'adulte (ce n'est pas le côté "chaud" qui me gêne, ça, ma foi, ils voient et font bien pire pour beaucoup, non ?).

@frimoussette77 : merci pour l'extrait, c'est toujours un plaisir pour moi de relire Zweig.
Ca ne me choque pas particulièrement même pour des 4e, mais vous avez plus l'habitude que moi en tant qu'enseignants de lettres. Ca répond à mon interrogation en tout cas.

Moi non plus, je n'ai pas été particulièrement choquée lors de ma lecture, pas même par les passages cités par Frimoussette, alors que je suis facilement bloquée par certains passages qui font que je n'étudierai pas certaines œuvres en classe.
J'envisage de proposer Lettre d'une inconnue à mes 4è l'année prochaine et j'ai été surprise par le titre de ce sujet car je ne voyais pas ce que les parents pourraient reprocher à cette oeuvre. Je ne l'ai découverte que récemment mais j'ai vraiment aimé cette histoire.

Jenny a écrit:@frimoussette77 : merci pour l'extrait, c'est toujours un plaisir pour moi de relire Zweig.
Ca ne me choque pas particulièrement même pour des 4e, mais vous avez plus l'habitude que moi en tant qu'enseignants de lettres. Ca répond à mon interrogation en tout cas.

J'aime beaucoup Zweig mais beaucoup de mes quatrièmes ne sont pas encore armés pour ce type de lecture, ils sont encore trop jeunes, trop immatures émotionnellement. Je ne donne pas à lire un texte que j'aime, il faut un objectif pédagogique solide.

J'ai déjà donné plusieurs fois cette œuvre à lire à des 4e, et ça a été un succès à chaque fois. Les parents n'ont jamais rien dit.

Jenny a écrit:@frimoussette77 : merci pour l'extrait, c'est toujours un plaisir pour moi de relire Zweig.
Ca ne me choque pas particulièrement même pour des 4e, mais vous avez plus l'habitude que moi en tant qu'enseignants de lettres. Ca répond à mon interrogation en tout cas.

Moi non plus, je l'ai découvert seule au même âge, les passages un peu limites faisaient partie du "monde de la littérature" et je l'ai pris comme ça.

Je l'ai lu aussi en 4e, et ça ne m'avait pas choquée (alors que d'autres livres donnés à lire par le prof la même année m'ont durablement traumatisée, en particulier l'affreux Arbre de Noël et l'épouvantable Cicatrice, sans compter le déprimant La neige en deuil (notre prof devait nous vouloir du mal cette année).

D'après moi, ce qui pourrait bloquer certains élèves, c'est davantage le vocabulaire, quand on voit en seulement deux lignes :
"Ce que la pauvreté doit endurer comme humiliations, comme outrages moraux et physiques, je l'ai souffert là-bas du fait du contact de prostituées et de malades qui, en partageant le même sort que le mien, l'entachaient d'infamie ; du fait du cynisme des jeunes médecins. Ce qui se trouve dans le lit n'est qu'un paquet de chair pantelante" 

Effectivement.

Quand je fais lire ce genre d'oeuvre, je fais toujours un travail préparatoire sur le vocabulaire intéressant qui s'y trouve, mais là j'avoue que s'il y a autant de mots "difficiles" en si peu de lignes, ça va être dur de se limiter pour déterminer les mots les plus pertinents que je devrais sélectionner.

J'adore cette œuvre de Zweig, je la trouve adaptée pour des jeunes gens de cet âge ; je me souviens avoir lu Boccace en IVème gymnase, à 14 ans et cela n'avait choqué personne.
Il ne faut pas craindre de choquer : si dans ton cours il faut lire cette œuvre, eh bien il ne leur faut rien cacher, la vie est difficile et les amènera à voir le spectacle de la misère humaine, pourquoi les protéger? On ne lirait plus la Divina Commedia selon ce raisonnement!

En revanche cela me fait un peu plus peur :

Serge a écrit:Quand je fais lire ce genre d'oeuvre, je fais toujours un travail préparatoire sur le vocabulaire intéressant qui s'y trouve, mais là j'avoue que s'il y a autant de mots "difficiles" en si peu de lignes, ça va être dur de se limiter pour déterminer les mots les plus pertinents que je devrais sélectionner.

Humiliation, outrage et cynisme seraient-ce des mots considérés difficiles pour des jeunes gens de 14 ans? Je me souviens avoir appris les mots batrachomyomachie, métempsychose et ithyphallique (en italien, cela va de soi) à cet âge ; humiliation et outrage sont tout de même tes termes de français ultra-courant à mon sens (bien que je ne sois pas natif et que ne connaisse l'univers scolaire français).

A moins d'enseigner dans un bon établissement, oui... Beaucoup d'élèves ne connaissent pas des mots très courants.
(Pour te donner un exemple, j'ai récemment dû expliquer "port" en 4e, plusieurs de mes élèves ne connaissaient pas le mot. Ils confondent fréquemment les mots cahier et livre et me répondent "c'est pareil" quand je leur rappelle la différence. Alors "cynique", j'imagine que c'est un mot compliqué.)

J'ai du mal à y croire (en fait, si : j'y crois, mais cela me choque profondément). A leur âge je me battais contre l'apprentissage de l'aoriste de βαίνω...est-ce que cela inquiète les parents du moins?

Theriakos96 a écrit:
En revanche cela me fait un peu plus peur :

Serge a écrit:Quand je fais lire ce genre d'oeuvre, je fais toujours un travail préparatoire sur le vocabulaire intéressant qui s'y trouve, mais là j'avoue que s'il y a autant de mots "difficiles" en si peu de lignes, ça va être dur de se limiter pour déterminer les mots les plus pertinents que je devrais sélectionner.

Humiliation, outrage et cynisme seraient-ce des mots considérés difficiles pour des jeunes gens de 14 ans? Je me souviens avoir appris les mots batrachomyomachie, métempsychose et ithyphallique (en italien, cela va de soi) à cet âge ; humiliation et outrage sont tout de même tes termes de français ultra-courant à mon sens (bien que je ne sois pas natif et que ne connaisse l'univers scolaire français).

Hé oui malheureusement.

Dernier contrôle avec mes secondes : "rectitude" a posé problème, ainsi que "hommage" (pourtant vu en cours), "exécrer", "extraire", "dilemme" et l'expression "le temps presse" que plusieurs élèves ne connaissaient pas.

Theriakos96 a écrit:J'ai du mal à y croire (en fait, si : j'y crois, mais cela me choque profondément). A leur âge je me battais contre l'apprentissage de l'aoriste de βαίνω...est-ce que cela inquiète les parents du moins?

Non. ça n'inquiète pas non plus le ministère, qui trouve toujours une horde de linguistes tout prêts à expliquer que c'est normal, la langue évolue, on ne peut pas juger etc.

Theriakos96 a écrit:J'ai du mal à y croire (en fait, si : j'y crois, mais cela me choque profondément). A leur âge je me battais contre l'apprentissage de l'aoriste de βαίνω...est-ce que cela inquiète les parents du moins?

Bienvenue dans le monde réel.

Elaïna a écrit:

Theriakos96 a écrit:J'ai du mal à y croire (en fait, si : j'y crois, mais cela me choque profondément). A leur âge je me battais contre l'apprentissage de l'aoriste de βαίνω...est-ce que cela inquiète les parents du moins?

Non. ça n'inquiète pas non plus le ministère, qui trouve toujours une horde de linguistes tout prêts à expliquer que c'est normal, la langue évolue, on ne peut pas juger etc.

Si j'écris O tempora, o mores! j'ai l'impression de passer pour un vieux réac (alors que j'ai 24 ans...), mais wow. C'est sportif alors. Je me demande ce que doit être leur faire lire des œuvres du XVème et XVIème siècles au lycée...

frimoussette77 a écrit:

Theriakos96 a écrit:J'ai du mal à y croire (en fait, si : j'y crois, mais cela me choque profondément). A leur âge je me battais contre l'apprentissage de l'aoriste de βαίνω...est-ce que cela inquiète les parents du moins?

Bienvenue dans le monde réel.

Oui, je dirais même dans le monde à l'envers